Boileau librettiste

Boileau n’aimait pas l’opéra. On ne peut jamais faire un bon opéra, disait-il, parce que la musique ne saurait narrer ; les passions n’y peuvent être peintes dans toute l’étendue qu’elles demandent ; d’ailleurs elle ne saurait souvent mettre en chant les expressions vraiment sublimes et courageuses.

Et pourtant, Nicolas Boileau-Despréaux, surnommé le Législateur du Parnasse, est l’auteur d’un Prologue d’opéra. Comment en est-il donc venu à s’essayer à … ces lieux communs de morale lubrique Que Lully réchauffa des sons de sa musique ?

A cause de deux dames, des mieux placées à la Cour, madame de Montespan et sa soeur, madame de Thianges. Ces dames n’aimaient pas Quinault. Alceste, Atys, Proserpine, Thésée les avaient ennuyées, et elles se mirent en tête d’évincer le librettiste attitré de Lully.

Pour réussir dans cette entreprise, il fallait trouver un remplaçant, convaincre le Roi, et choisir un bon sujet.

Le remplaçant était tout désigné : Racine était au faîte de sa gloire. Ces dames eurent vite fait de le convaincre, le grand tragédien ravalant les réticences qu’il partageait avec Boileau vis à vis de l’opéra. Quant au roi donna son accord. Il aimait bien Quinault, mais que pouvait-il refuser à la belle Athénaïs ? Enfin, pour le sujet, on choisit le mythe de la chute de Phaëton.

Racine se mit à l’ouvrage, et vint même déclamer quelques vers devant le Roi qui s’en montra content. Mais Racine n’était guère à l’aise dans un domaine nouveau pour lui. Un tragédien de génie ne fait pas obligatoirement un bon librettiste. Il se tourna alors vers son ami Boileau, avec qui il partageait depuis quelques années la charge d’historiographe du roi, pour lui demander de l’aider en écrivant le Prologue.

Boileau protesta qu’il n’avait jamais fait de vers d’amourettes, mais Racine insista, allant jusqu’à le menacer de le faire ordonner par le roi. Boileau se résigna, et commença à écrire un Prologue, dont le canevas était la dispute de la Poésie et de la Musique, réconciliées par la déesse de l’Harmonie. Celle-ci expliquait ensuite qu’elle venait sur terre avec le but de divertir le prince de l’univers le plus digne d’être servi, et qu’elle voulait que, pour dissuader tout audacieux de s’élever contre un si grand prince, on représentât la chute de l’ambitieux Phaëton.

Boileau raconte lui-même qu’il travailla au Prologue trois ou quatre jours avec un assez grand dégoût, pendant que Racine, avec non moins de dégoût, peinait sur la canevas de sa tragédie.

Ce que ces dames n’avaient pas prévu, c’est que Quinault, mortifié, alla se plaider sa cause devant le roi, et que, les larmes aux yeux, il réussit à l’attendrir. Louis XIV déclara qu’il ne pouvait se résoudre à lui donner ce déplaisir. Exit Phaëton.

Boileau et Racine furent grandement soulagés. Mais si Racine remisa ses vers, Boileau crut devoir les publier. Les quelques vers qui voient la Poésie et la Musique se quereller puis se réconcilier pour accueillir l’Harmonie ajoutent-ils à sa gloire ? C’est peu probable. Comme disait Le Brun, Boileau avait raison de ne pas vouloir jouter avec Quinault dans l’opéra. Il n’avait point de vocation pour ce genre.

Quant à Phaëton, son tour devait venir très vite. Sous la plume de… Quinault.

Jean-Claude Brenac – Août 2010