Qui, plus que Sophie Arnould, aurait pu inspirer tant de biographes ?
Le premier à s’intéresser à cette chanteuse qui fascina le Tout-Paris aussi bien par son talent sur scène que par ses frasques à la ville, et ses bons mots ravageurs (1), fut Pierre-François Albéric Deville, professeur d’histoire naturelle à l’École centrale d’Auxerre, éditeur des écrits botaniques de J. J. Rousseau, et également auteur de recueils de poésie, qui fit paraître en 1813, un Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines, sous-titré Recueil choisi d’anecdotes piquantes, de réparties et de bons mots de Mlle Arnould ; précédé d’une notice sur sa vie et sur l’Académie impériale de Musique (2). Albéric Deville n’en était pas à son coup d’essai, ayant déjà à son actif un Biévrana ou jeux de mots de M. de Bièvre, recueil de calembours dont le marquis de Bièvre, à ce qu’il semble, n’était pas avare.
Les choses sérieuses commencèrent en 1857, avec la première édition de Sophie Arnould d’après sa correspondance et ses mémoires inédits, écrits par les frères Goncourt, Edmond et Jules. Dans la préface, ceux-ci racontent comment ils trouvèrent dans une liasse de papiers achetés à un libraire des documents, des notes, des extraits, des fragments, l’ébauche de mémoires inachevés, des copies de lettres concernant Sophie Arnould, et comment, après avoir vérifié leur authenticité, ils entreprirent de reconstituer la vie de cette courtisane qui, selon leur formule, fut, vivante, le scandale d’un siècle, et morte, son sourire.
Le succès fut tel que la première édition connut deux retirages, en 1859 et en 1861, et fut suivie de plusieurs rééditions. En 1877, parut la seconde, enrichie par Edmond Goncourt du commencement des Mémoires autographes de Sophie Arnould, fragment de quatorze pages ne couvrant que sa jeunesse jusqu’à son enlèvement par le comte de Lauraguais.
Le livre des frères Goncourt, bourré de citations et d’extraits de lettres, dont des emprunts discrets à Arnoldiana, est le passage obligé pour quiconque s’intéresse à l’Opéra du troisième quart du XVIIIe siècle. Il a en effet l’avantage de ne pas se borner à la vie sentimentale de l’actrice, mais de retracer la vie musicale pendant la période – une vingtaine d’années – d’activité de la chanteuse.
En 1898, parut à Paris la traduction d’un ouvrage écrit en anglais par Robert B. Douglas sous le titre Sophie Arnould, actress and wit (Sophie Arnould, actrice et femme d’esprit), assorti de gravures d’Adolphe Lalauze, dans le plus pur style fin de siècle.
André Billy fut le premier d’entre eux, avec La Vie amoureuse de Sophie Arnould, en 1929, s’inscrivant dans une collection de Flammarion La vie amoureuse de …. Le futur académicien Goncourt n’était alors pas le grand biographe qu’il devait devenir plus tard avec des ouvrages sur Balzac, Diderot, Sainte-Beuve. Sa biographie de Sophie Arnould, bien documentée, est d’une lecture agréable, dans un style très vivant, et reprend, bien sûr, les principaux bons mots de Sophie. Mais on n’y trouvera rien qui évoque la vie de l’Opéra.
Il faudra attendre 2007 pour que paraisse une biographie « moderne » de Sophie Arnould, sous la plume d’Isabelle Jos-Roland : Une femme libre, Sophie Arnould, chanteuse et courtisane. L’auteur, agrégée d’histoire, raconte qu’elle tomba sur Sophie Arnould au cours de recherches destinées à son premier roman Tempête sur Royaumont, et annonce la couleur : roman historique. Et effectivement, les frasques de l’actrice sont resituées dans leur contexte, et on se plaît à voir défiler les silhouettes de madame Geoffrin, de Diderot, de Grimm, de Favart… à une époque où l’Ancien Régime avançait aveuglément vers l’abîme.
Jean-Claude Brenac – août 2009
(1) voir Les bons mots de Sophie – éditorial – avril 2008
(2) Arnoldiana est disponible en ligne
(3) Fonds Béatrix Dussane : 4000 études sur le théâtre français et étranger de l’Antiquité à nos jours, 5600 textes de pièces, 30 périodiques, 207 vidéocassettes de travail et de pièces de théâtre