Académie royale de musique

Du 28 juin 1669 date l’acte de naissance officiel de l’opéra français, sous la forme de lettres patentes de Louis XIV en faveur de Pierre Perrin, poète lyonnais.

Génial précurseur, mais totalement désargenté, ce dernier s’associa au musicien Robert Cambert, mais aussi au marquis de Sourdéac, machiniste réputé et escroc notoire, et à son acolyte, le soi-disant « sieur de Champeron ». Le 16 décembre de la même année, ils louèrent la salle du Jeu de Paume du Béquet, ou de Bel-air, sise rue de Vaugirard, à proximité du carrefour de la rue des Francs Bourgeois, et dépensèrent des sommes importantes (on cite le montant de 20 000 livres) pour l’aménager en salle de spectacle. Las ! ces messieurs, sans doute forts de leur privilège, avaient omis de demander l’autorisation nécessaire aux autorités de police. Après une représentation privée de « Pomone », le 12 juin 1670, le fameux lieutenant La Reynie vint contrecarrer la belle aventure en interdisant les représentations.

 

Force fut aux associés de rechercher une autre salle. Ce fut celle d’un autre Jeu de Paume, dit de la Bouteille, sise rue des Fossés de Nesles, aujourd’hui rue Mazarine (*). L’inauguration eut lieu le 3 mars 1671 avec « Pomone ». La salle comportait trois rangs de loges et un amphithéâtre, qui permettait à tous les spectateurs d’être assis. Ce fut un immense succès, et l’oeuvre ne connut pas moins de cent-quarante-six représentations.

Le désordre causé par l’emprisonnement de Perrin pour dettes et la revente par ce dernier de son privilège aussi bien à Sablières qu’à des créanciers motiva toutefois une nouvelle intervention de La Reynie le 1er avril 1672, sur ordre du roi. Déjà le roi avait destitué Perrin de son privilège, en faveur de Jean-Baptiste Lully, l’Académie de musique en profitant pour devenir « royale ».

Le Surintendant partit à son tour à la recherche d’une salle. La « salle du Louvre » lui ayant été refusée, il se rabattit sur… la salle du Jeu de Paume du Béquet, qu’il loua en août 1672 pour huit mois, avec obligation de remise en état au terme de la location. Il s’était associé avec Carlo Vigarani, et dès le 15 novembre de la même année, fit représenter « Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus », pot-pourri écrit à la hâte à partir des comédies-ballets composées avec Molière (**). La salle comportait trois rangs de loges, deux amphithéâtres et un parterre, devant la scène, pour les spectateurs debout.

Quelques mois après, le 27 avril 1673, le roi assista à la « première » de « Cadmus et Hermione », première tragédie en musique. Dès le lendemain, Lully obtint la mise à disposition de la salle du Palais Royal, occupée par la troupe de Molière, mort le 16 février précédent.

Chassés, les comédiens de Molière s’associèrent avec une partie de la troupe du Marais, et s’installèrent, en mai 1673, dans la salle du Jeu de Paume de la Bouteille. La fusion des deux troupes en 1680 à l’initiatve de Louis XIV, devait donner naissance à la première Comédie-Française, la salle prenant le nom de Théâtre de Guénégaud.

 

Quant à la salle du Béquet, restituée en novembre 1673 par Lully, en l’état initial, elle fut à nouveau dévolue au Jeu de paume, avant de devenir, en 1710, sous la direction d’entrepreneurs forains, la première salle portant le nom de l’Opéra-Comique.

La salle dans laquelle s’installa l’Académie royale avait été construite en 1637 par Jacques Lemercier. Elle était située dans l’ancien Palais Cardinal, construit rue Saint-Honoré par Richelieu, et devenu Palais Royal à la mort de ce dernier, en 1642. Située juste à côté de la cour d’entrée du Palais Royal, elle avait été inaugurée en 1641 avec « Mirame », une tragi-comédie écrite par Richelieu lui-même.

Molière s’était installé au Palais Royal avec sa troupe en 1661 à l’initiative du roi, la salle du Petit-Bourbon qu’il occupait précédemment, étant détruite pour construire la colonnade du Louvre. En amphithéâtre, elle pouvait recevoir 1 200 spectateurs sur vingt-sept gradins. Pour la reprise de « Psyché », en 1671, Molière avait fait refaire le plafond, établir des loges au balcon, créer un parterre debout et ménager une place pour un orchestre. La scène avait été agrandie, et surélevée pour abriter la machinerie.

Lully y établit l’Académie royale de musique en mai 1673. Vigarani y effectua des travaux visant à rapprocher le théâtre du modèle italien : trois rangs de loges, un amphithéâtre fortement incliné et un système de décor sur panneaux coulissants accentuant l’effet de perspective. La salle pouvait accueillir plus de 2 000 personnes.

En 1680, afin d’héberger la nombreuse suite du Dauphin, habitué des lieux – et d’accroître les recettes -, trois rangs de loges superposées furent installées sur les côtés de la scène (pourtant déjà étroite), les places y étant vendues trois fois plus cher que les premières loges.

L’Académie royale de musique – on disait plutôt l’Opéra – devait rester près d’un siècle au Palais Royal, accueillant tragédies lyriques et opéra-ballets, jusqu’à l’incendie qui se déclara le matin du 6 avril 1763, et dont on ne sut jamais l’origine.

 

Pendant la construction d’une nouvelle salle, décidée – aux frais de la Ville – par le roi en février 1766, les représentations eurent lieu dans la fameuse « Salle des machines » des Tuileries, dans laquelle l’architecte Soufflot reconstitua une réplique du théâtre du Palais Royal. Cette salle avait été commandée à Vigarani par Mazarin pour fêter le mariage de Louis XIV. Commencée en 1659, et destinée à contenir six à sept mille personnes, elle avait été construite – en bois – dans le prolongement du château des Tuileries. Sa construction ayant subi de nombreux retards, elle n’avait été inaugurée que le 7 février 1662, avec la représentation de l' »Ercole amante » de Cavalli, puis réutilisée pour la tragédie-ballet « Psyché », le 17 janvier 1671. La « Salle des machines », dont l’acoustique était réputée déplorable en raison de la profondeur de la scène et de la hauteur du plafond, devait subir le même sort que le château des Tuileries, incendié sous la Commune, en mai 1871.

La nouvelle salle du Palais Royal, encore plus vaste que la précédente (3 000 personnes) mais complètement enclavée, fut construite par l’architecte de la Ville Moreau et décorée par François Boucher. L’inauguration eut lieu le 20 janvier 1770, avec la reprise du « Zoroastre » de Rameau.

Mais le mauvais sort veillait : onze ans plus tard, le 8 juin 1781, un nouvel incendie la détruisait.

 

 

(*) à hauteur du n° 42, face à la rue Guénégaud, et n° 43 de la rue de Seine

(**) en quoi il rendait la monnaie de sa pièce à Molière qui avait repris « Psyché » au Palais Royal en 1671, avec la musique de Lully.

Jean-Claude Brenac – Août 2004