Serse

COMPOSITEUR Georg Friedrich HAENDEL
LIBRETTISTE Nicolato Minato

 

ORCHESTRE Les Talens Lyriques
CHOEUR Ludwigshafener Theaterchor (dir. Klaus Thielitz)
DIRECTION Christophe Rousset
MISE EN SCÈNE Michael Hampe
DÉCORS ET COSTUMES Carlo Tommasini
Serse Paula Rasmussen
Romilda Isabel Bayrakdarian
Arsamena Ann Hallenberg
Atalante Sandrine Piau
Elviro Matteo Peirone
Ariodate Marcello Lippi
Amastre Patricia Bardon
DATE D’ENREGISTREMENT 2-3 juin 2000
LIEU D’ENREGISTREMENT Dresde – Semper Oper
EDITEUR TDK
DISTRIBUTION Integral
DATE DE PRODUCTION 14 juin 2005
FORMAT Image 4:3 PAL – Son DD 5.1 – PCM stéréo
LANGUE italien
SOUS-TITRE EN FRANCAIS oui
DISPONIBLE Toutes zones

Critique de cet enregistrement dans :

  • Opéra Magazine – novembre 2005 – appréciation DIAMANT

« Serse n’est pas une oeuvre aussi légère que la tradition du XXe siècle veut nous le faire croire par facilité. Certes, le serviteur Elviro, personnage comique rescapé de l’ancien livret vénitien sur lequel l’opéra est basé, souligne ou provoque l’ironie de certaines situations, mais il fait parfois aussi ressortir leur gravité. Et Atalanta est autant manipulatrice que frivole. Serse est avant tout le drame des relations du personnage principal avec le pouvoir, les autres et, en fait, lui-même. Difficultés symbolisées par l’arbre aimé, idéalement employé ici par Michael Hampe. Nous assistons ainsi au cheminement de Serse vers la fureur cathartique, laquelle éclate au troisième acte dans l’air ”Crude furie degli orridi abissi” — magnifiquement interprété par Paula Rasmussen — durant lequel il met le feu à son arbre. Le lieto fine peut avoir lieu et on lui apporte alors un autre arbre, presque le même, mais il s’agit d’un bonsaï. Les passions extrêmes sont maîtrisées, la raison gouverne de nouveau.Le metteur en scène ne néglige pas pour autant le côté “ comique “ de l’oeuvre. Il met en valeur la profondeur des sentiments et le rythme particulier de cet opéra où l’on trouve de nombreux airs d’ac­tion, faisant la démonstration magistrale que le statisme n’est pas un élément obligé de l’aria, fût-il à da capo. Les variations elles-mêmes, souvent excellentes musicalement et stylistiquement, sont porteuses de sens dramaturgique. N’oublions pas les costumes, les décors et les lumières, qui nous transportent dans un début de XXe siècle orientalisé faisant penser à l’empire ottoman finissant. Historiquement et géographiquement, la transposition fonctionne parfaitement.Les interprètes, enfin, signent la réussite du spectacle. Malgré quelques raideurs dans les aigus et quelques problèmes de justesse, les prestations tant vocales que scéniques d’une distribution sans faiblesse sont souvent splendides. Enfin, la direction de Christophe Rousset a ici la théâtralité qui lui manque parfois au concert. Seul petit regret concernant cette remarquable production, captée au Festival de Dresde en juin 2000, les quelques coupures pratiquées dans la partition. »

  • Diapason – octobre 2005 – appréciation 4 / 5

« Du spectacle créé en 1996 à Cologne ine reste, en l’an 2000 à Dresde, que la mezzo américaine Paula Rasmussen, catapultée à l’origine en remplacement de Jeanne Piland, mais si adéquate et si bien intégrée que Michael Hampe ne voudra plus se priver d’elle. Il est vrai que son Roi de Perse a l’aplomb, la noblesse, la tendresse brute et la hargne bien tempérée qui siéent au personnage. La technique est certes perfectible mais, dans cet emploi taillé aux dimensions du monumental Caffarelli, on y croit sans peine. Comme on croit à son frère Arsamene campé avec vigueur par la toute jeune et déjà splendide Ann Hallenberg. Côté filles, la délicieuse Sandrine Piau compose une Atalanta désormais notoire, éludant le médium avec maestria et cherchant là-haut une cousine d’Adele pour quelque Fledermaus haendélienne, quand Isabel Bayrakdarian, fragile d’intonation et dépassée par son rôle, fait valoir un timbre enchanteur. Succédant à MM. Jenkins et Hacker, Christophe Rousset n’a pas procédé lui-même à certaines coupes malheureuses (laminer la première scène et supprimer le grand numéro d’Amastre, « Saprà delle mie offese », pour exalter le fluet « Per render mi beato »…). A la tête d’un orchestre qu’on a connu plus harmonieux, le chef se préoccupe moins des personnages que des situations, moins de couleur que de contour et moins du drame que de la musique. Mais quelle musique! Charme, légèreté, subtilité ne sont certes pas des vertus négligeables dans Serse.Le spectacle de Michael Hampe contribue à faire de cet accomplissement musical une expérience théâtrale plutôt froide. Dans les costumes et les décors gris de Carlo Tommasi, inspiré d’un XIXe gris, le metteur scène travaille en finesse les sentiments gris d’âmes grises. Une étude de gris élégante, lucide et pleine de bon sens, qu’on se gardera toutefois de repasser en quête de chaleur un soir de décembre. »

  • Le Monde de la Musique – octobre 2005 – appréciation 3 / 5

« Elégance du décor constitué de différentes architectures de fines poutrelles métalliques aux lignes épurées, originalité des costumes mélangeant toutes sortes de styles et d’époques, fluidité de la mise en scène où les acteurs, occupés par mille gestes tantôt graves, tantôt comiques, ne sont jamais entravés dans leur chant : ce spectacle est beau. A la tête de ses Talens lyriques, Christophe Rousset peine au début à souder musicalement cet opéra « expérimental » dont le fil dramatique, avec ses incursions dans le comique, reste ténu, où les airs du capo laissent place à de nombreuses ariettes dont il faut installer le ton et le climat. La lenteur extrême de certains passages (à commencer par le célèbre « Ombra mai fu »s) n’est pas étrangère à cette impression de flottement. Mais peu à peu, l’atmosphère se densifie et les scènes s’étoffent. Pas de contre-ténors mais une troupe de femmes, fort bien distribuées, pour tenir l’ensemble des rôles aigus.Les deux mezzos travesties, Paula Rasmussen et Ann Hallenberg, ont des timbres assez similaires, mais celui de la première est plus somptueux, surtout dans le médium où il peut devenir d’une texture exceptionnelle. Mais son interprétation révèle cependant des inégalités : l’air « Crude furie degl’orridi abissi » est superbement enlevé ; ailleurs, quelques fins de phrases demeurent inaudibles dans les notes de passage. Cependant, son personnage, enfermé dans une emphase ridicule, ne parvient pas à s’affirmer.Les deux sopranos, prosaïques au début, s’échauffent au fur et à mesure. Sandrine Piau, piquante et rapide, prend des risques à la fin de son air « Un cenno leggiadretto » et vole finalement la vedette à la Romilda d’Isabel Bayrakdarian, plus commune dans son jeu. »

  • Classica/Répertoire – septembre 2005 – appréciation 6 / 10

« A Dresde, l’équipe vocale de Christophe Rousset est sans faille, et déroule le long rituel avec feu et beauté, sous une baguette vive et heureuse ; mais c’est la mise en scène de Michael Hampe, carrée, qui ennuie vite le regard, tant l’invention fait défaut à cette production trop sage inscrite dans une Turquie matinée d’Europe XVIIIe. »

  • Res Musica – Un vaudeville chez les princes

« Serse, héros vainqueur, est le dominateur des grecs. Mais le conquérant victorieux palpite ici à l’évocation de la douce Romilda ; la stature du héros se brise quand son cœur s’agite… Ainsi en est-il de l’opera seria qui aime aussi dresser le portrait des sentiments sous la cuirasse des demi-dieux. Serse, créé en 1738 à Londres, est une œuvre de maturité : Haendel y expérimente une dramaturgie régénérée, plus souple, moins systématisée et contrainte par l’alternance asséchante des récitatifs/aria da capo. Il est vrai que l’heure est difficile pour le compositeur londonien. Il a dû combattre la rivalité de l’opéra italien qui a son temple à Londres (The Opera of the Nobility). Son œuvre lyrique peine à se maintenir : sont oubliés dans le cœur du public ses chef-d’œuvres pas si lointains : Alcina et Ariodante. Pire, frappé par une violente attaque qui aggrave l’usage de sa main droite, Haendel quitte Londres en 1737… pour finalement revenir sur la scène, quasi miraculé, avec ce Serse, de première inspiration. Le sujet mêle les registres, circule librement entre seria et giocoso… il intitule sa partition « dramma per musica »… mais la figure héroïque est traitée avec un naturel familier qui montre combien le génie Haendélien a déjà compris et assimilé la révolution formelle opérée par les napolitains. De fait, son drame antique tourne à la comédie de mœurs, parfois scabreuse : un vaudeville chez les princes qui au passage n’hésitent pas à déballer leur linge sale devant le parterre. Jugez plutôt. Infortuné roi des Perses : le souverain aime Romilda mais elle lui préfère son frère, Arsamene ; Amastre, déguisé en capitaine moustachu, aime, quant à elle, Serse tandis que la belle Atalanta (qui est aussi la propre sœur de Romilda) voudrait reconquérir le cœur d’Arsamene ; le labyrinthe sentimental de Serse tisse une intrigue à la Marivaux où un couple fragilisé – les doutes menacent toute union-, subit les assauts de plusieurs personnages périphériques qui voudraient posséder l’un des deux amants. Ou bien si l’on change de point de vue, deux sœurs ici se disputent le même homme. Ou encore, on assiste précisément à la rivalité qui oppose en miroir, deux sœurs et deux frères. Guerre amoureuse à laquelle Haendel apporte une sensibilité mûre car chacun de ses personnages y est soigneusement décrit et l’équilibre psychologique entre chaque protagoniste y est exemplaire. Verve et imagination rompent l’ennui : ils renouvellent le genre du seria. D’autant que l’enchaînement des airs et des scènes se déroule sans heurts, magnifiquement porté par le génie dramaturgique du compositeur. Au sommet de la distribution, Atalanta, intrigante, habile en supercherie, à nouer et à embrouiller les cœurs agités : Sandrine Piau y étincelle de malice et de subtilités vocales. Son air concluant l’acte I (« un cenno leggiadretto») est à ce titre, anthologique. Elle mène le jeu du mensonge et des petites trahisons manipulatrices avec un tact et une légèreté non dénués d’humour. La soprano française fait merveille dans un rôle où on l’a vu depuis (novembre 2003, direction : William Christie) sur la scène du théâtre des Champs-Élysées avec la même aisance confondante (d’ailleurs heureusement fixée au disque par EMI d’après la même production française que nous avons citée, aux cotés d’Anne Sofie Von Otter dans le rôle-titre). Donnant la réplique à sa sœur rivale, la Romilda d’Isabel Bayrakdarian déploie une même énergie convaincante, illustrant a contrario d’une Atalanta « prête à tout », l’amoureuse tragique en un splendide contraste de registre de la passion féminine. Mais l’acmé extrémiste est atteinte avec l’Amastre de Patricia Bardon, parfaitement déjantée, amoureuse éconduite par Serse, prête à se travestir et même à mourir par dépit sans guère de sens de la mesure. Subtile interprète du mal-être amoureux, succombant à de sombres dépressions, l’Arsamene d’Ann Hallenberg complète un tableau, on l’a compris, d’une grande homogénéité vocale. Ce que la discographie disponible est loin de réussir pour le quatuor des protagonistes : Serse, Arsamene, Atalanta et Romilda. Le Serse de Paula Rasmussen ne manque pas d’assurance : agilité vocale, présence évidente et surtout certitude du Souverain, habitué à disposer des personnes comme des objets. Les seconds rôles ne sont pas en reste. Et l’Elviro de Matteo Peirone souligne aux côtés des épanchements amoureux, la charge bouffonne dans cet opéra qui aime brouiller les frontières du comique et de l’héroïque. Dans la fosse, Christophe Rousset ouvrage le plus somptueux tapis musical qui se puisse imaginer, faisant pâlir ses aînés, Mac Gegan, Christie, Minkowski, Dombrecht et autres Haendélien « officialisés » : fluidité des lignes, transparence et poésie des climats, équilibre articulé des instruments (dont le violoncelle d’Ophélie Gaillard), respirations et vitalité du continuo ; on y retrouve les Talens Lyriques en grande forme canalisés par un chef qui a gagné ses galons musicaux dans l’interprétation spécifique de l’opera seria. Sous sa baguette, Haendel palpite avec grâce et tension, alliance idéale (sinfonia introductive du III). Avait-on entendu pareille sensibilité sanguine à l’orchestre ? Indiscutable, ce DVD vient remodeler les enregistrements haendéliens. En complément d’une distribution vocale jubilatoire, d’un orchestre de premier plan, l’image parachève l’œuvre et la mise en scène de Michael Hampe, limpide et mesurée, esthétique aussi (ses murs de granit et de verre) fonctionne parfaitement. Un must pour vos étagères baroques. Plus que recommandé surtout à tous ceux guère inspirés habituellement par le théâtre haendélien : cette production les fera changer d’avis. »

« Après Cavalli en 1654 et Bononcini en 1694, c’est au tour de Haendel de mettre en musique le personnage de Xerxès, qui régna sur la Perse moins de cinq cents ans avant Jésus-Christ. Si quelques allusions historiques se réfèrent directement à la vie du roi – le pont de bateaux de l’Hellespont, la vénération d’un platane ramené d’expédition -, ce sont des histoires d’amour imaginaires et compliquées qui constituent le livret original de Nicola Minato, revu ultérieurement par Silvio Stampiglia. Serse (le texte est italien, selon le goût du temps, depuis Keiser et Mattheson) et son frère Arsamene aiment tous deux Romilda, de même que la jeune femme et sa sœur Atalanta aiment Arsamene. Si le roi fera usage de son pouvoir pour éloigner son rival, Atalanta usera de la ruse pour se rapprocher de l’exilé. Mais l’opéra finira par le triomphe de l’amour partagé, notamment grâce à l’intervention d’Amastre, princesse d’Egypte promise au roi, qui a tout espionné, déguisée en homme. Cette période de la composition de l’œuvre, créée le 15 avril 1738 au King’s Theater, Haymarket, de Londres, est charnière. Confronté l’année précédente à des problèmes de santé (une attaque d’apoplexie dont il se remet rapidement) et d’argent (résolus par un concert de gala), Händel échoue à toucher le public avec ces trois actes qui confirment que l’opéra italien a fait son temps dans la capitale. Cependant, si le compositeur va s’attacher désormais à développer l’oratorio anglais, et étendre ainsi sa renommé dans un pays qui lui élèvera une statue de son vivant, Serse porte déjà les germes des expérimentations à venir, comme les scènes comiques qui se mêlent au tragique (la scène du clownesque Elviro, déguisé en marchand de fleurs) ou l’évolution de l’aria da capo vers l’arietta/arioso, etc. Bref, une œuvre qui se libère des conventions, et qu’on jugera à sa juste valeur lors de sa redécouverte, au début du XXème siècle.Dans un opéra qui donne la vedette à trois mezzo-soprani, cette production du Semperoper de Dresde (juin 2000), mise en scène par Michael Hampe, est un sans faute. Paula Rasmussen – Serse – a beaucoup de présence ; son chant est souple, le timbre chaud et la phrase menée avec élégance et égalité. Ann Hallenberg – Arsamene -, compose un personnage émouvant aux récitatifs mordants, aux airs évidents dont on mesurera la nuance et la sensibilité dans son lamento : Non so, se sia la sperme (Acte I, scène 12). Enfin, Patricia Bardon – attachant Amastre – possède une voix fiable qui manque parfois de corps dans les graves mais peut atteindre le contre-ut (Acte II, scène 6). Si Sandrine Piau – Atalanta -, aux ornementations élégantes, inquiète tout d’abord par un chant lointain, ce dernier gagne en fraîcheur, légèreté et naturel, pétillant à mesure qu’évolue son personnage. De cette distribution, on regrettera juste les vocalises approximatives d’ Isabel Bayrakdarian – Romilda – lors des phases descendantes, et la voix lourde et faible de Marcello Lippi – Ariodate -, à laquelle s’ajoute un timbre terne. Tonique sans être heurté, Christophe Rousset dirige Les Talens Lyriques avec noblesse et distance. La couleur parfois feutrée qu’il convoque pour accompagner les victimes du despote contrebalance un décor de métal et de verre, des costumes noirs et argent – Carlo Tommasi -, esthétiquement superbes et glaçants de sous-entendus. »

  • Forum Opéra

« Au propre comme au figuré, le Serse de Michael Hampe opte pour le noir et blanc, éludant cette diversité de tons qui en fait tout le sel. Assis dos au public dans un palais de givre et d’anthracite, Serse contemple son platane, qui trône au milieu de la scène, fossilisé dans une cage de verre. « Belle et tendre frondaison de mon cher platane, que le sort vous sourie ; que le tonnerre, la foudre et la tempête n’outragent jamais votre précieuse paix », paroles dérisoires, pires : grinçantes et macabres. Du coup, «Ombra mai fù» se teinte d’une étrange mélancolie… Deux actes plus tard, en proie à une fureur anthologique (« Crude furie degl’orridi abissi »), le roi incendie son adoré – seul tableau spectaculaire de toute la production, seules concessions à la couleur avec les rouges tulipes d’Elviro et le bleu de la nuit. Le symbole est transparent, l’ironie triomphe. Et ce n’est pas le platane miniature apporté par les suivants de Serse qui fera croire à sa renaissance. A l’instar du malheureux végétal, autrefois couvert d’or et protégé par un gardien, puis arraché à sa terre natale pour finir dans une vitrine, l’univers de nos héros ressemble à un immense catafalque, plongé dans un hiver éternel. A mille lieues d’une Perse de légende, costumes et décors évoquent une cour ottomane fin de siècle, sinistre et policée. La moindre fantaisie en semble bannie, la vie l’a désertée. C’est peu dire que ce parti pris radical jette comme un froid, qu’une excellente direction d’acteurs, que la meilleure composition du monde (l’Atalanta frivole et capricieuse à souhait de Sandrine Piau) ne parviendront jamais à dissiper. Dans cette atmosphère lugubre, rien d’étonnant si les affects les plus sombres – la tristesse, le désespoir, la folie, la colère – nous parlent davantage que les pitreries d’Elviro ou le ridicule d’Ariodate. Les caméras soulignent la fausse gémellité de Serse et Arsamene – jeunesse et sveltesse, front large et chevelure noire pommadée – mais révèlent aussi l’inexpressivité de visages rigides car grimés pour la scène et non le cinéma, en particulier celui d’Ann Hallenberg, doté d’un regard immense et fixe de chat ou de manga. Le seul comique qui fait mouche paraît bien involontaire… En outre, si nous avons déjà commenté la suppression du geste d’Amastre dans la scène finale, d’autres, plus significatives encore, sont à déplorer. Arsamene est le plus mutilé des rôles, avec deux airs et un arioso qui passent à la trappe : « Meglio in voi col mio partire » (acte I, scène 5) et « Per dar fine alla mia » (acte II, scène 9) qui le montrent au comble du désespoir avec la perspective de la mort pour unique délivrance, mais aussi « Amor tiranno » (acte III, scène 4), aux accents plus âpres et rebelles (« soulage mon tourment ou rends-moi la liberté ! »), auquel est substitué le superbe duel de Serse et Romilda, « Troppo oltraggi », importé de la scène 9. Serse perd encore son brûlant arioso « E tormento troppo fiero » (acte II, scène 3), Romilda ne chante pas sa constance et sa vertu (« Val più contento core », acte II, scène 13), ni surtout Amastre sa soif de vengeance (« Saprà della mia offese »). Plus discutable encore, la disparition de la scène 10 de l’acte III altère carrément la psychologie d’Atalanta (déjà privée de son arioso « A piangere ogn’ora » à l’acte II, scène 2) : Serse vient de comprendre qu’Arsamene aime farouchement Romilda et n’a jamais rien éprouvé pour Atalanta, il lui conseille d’ailleurs de cesser de l’aimer pour mettre un terme à ses souffrances. Exprimant son désarroi, Atalanta se montre alors sous un jour plus vulnérable que ne le laissait croire son goût des intrigues : « Vous me dites de ne pas l’aimer mais vous ne me dites pas si je le peux. » et d’avouer : « Les chaînes sont trop serrées qui me lient d’amour. » Toujours dans la même scène, Serse apparaît moins impulsif et buté : « La douleur serait supportable si amour et désamour étaient toujours affaire de volonté », il se surprend même à douter. Autant de nuances précieuses que cette réalisation très contestable escamote sans vergogne… Ces coupes claires sont d’autant plus regrettables que la musique est excellemment servie par une fosse incandescente et quelques solistes de haut vol, supérieurs aux effectifs réunis pour la production de l’English National Opera (Hytner/Mackerras chez Arthaus) et qui pourraient justifier l’acquisition de ce DVD. D’Arsamene, Ann Hallenberg possède la noblesse et la sensibilité et livre une lecture très personnelle de ses magnifiques lamenti. A défaut d’extravagance, le Serse de Paula Rasmussen a sans nul doute de la prestance et beaucoup d’allure, mais pas toujours l’ampleur ni les ressources nécessaires : visiblement fatiguée, elle s’économise à l’acte III jusqu’à son grand air de bravoure, il est vrai, superbement enlevé. Autant Atalanta est fine de corsage comme de ramage (Sandrine Piau), autant Romilda (Isabel Bayrakdarian) paraît ronde et pulpeuse, moins agile et plus convenue dans son jeu, même si elle sait toucher les coeurs. Aux prises avec une tessiture sans doute un peu grave, Patricia Bardon possède ce grain sombre et corsé qui pimente si bien les rôles travestis – la diva aime cependant à rappeler qu’elle est mezzo et décoche un terrifiant contre-ut dans son air de folie « Anima infida, tradita io sono » (Acte II, scène 6). De plus, elle porte fort bien la moustache et son incarnation est un régal. Marcello Lippi fait pâle figure en Ariodate, général d’opérette sans assises et au souffle court, éclipsé par le valet de Matteo Peirone, à la gouaille savoureuse. A la tête de ses Talens lyriques (emmenés par le fougueux premier violon de Patrick Cohen-Akenine), Christophe Rousset est égal à lui-même : maître absolu du rythme et de la pointe sèche, il détaille avec une insolente virtuosité les microclimats dont regorge la partition, jonglant avec le pathétique et la légèreté sans jamais en rompre le fragile équilibre. Chapeau bas ! D’aucuns préfèreront sans doute le moelleux et les tendres pastels des Arts Florissants, mais la couleur n’est définitivement pas de mise dans cette production. Qu’on se le dise ! « 

  • La Scena musicale

« Deux sœurs qui aiment le même homme, deux hommes (l’un d’eux est le roi Xerxès) qui aiment la même femme : tel est le carré des rivalités amoureuses que Haendel examine avec une désinvolture ironique plus marquée qu’ailleurs (il semble que l’ironie du compositeur ne soit pas souvent prise en compte dans l’interprétation de ses opéras). Le jeu des passions qui transforme les personnages en marionnettes est souligné astucieusement par des arias qui opposent tour à tour les rivaux de façon mécanique. Impossible donc de prendre parti pour l’un ou l’autre, de s’identifier aux « bons » et de détester les « méchants ». Trois rôles travestis ne font qu’ajouter à la difficulté de l’identification. L’action est transposée dans une sorte de xixe siècle austro-ottoman, avec des décors en blanc et noir d’une géométrie abstraite qui achèvent de brouiller les repères historiques. Tout cela est mené avec brio. La captation vidéo, fluide, nous transforme en témoins objectifs de l’intemporelle comédie humaine qui fera, au dernier acte, voler en éclats le décorum royal. Le plateau des solistes se défend assez bien. Si le Serse de Paula Rasmussen est plutôt placide, Sandrine Piau fait une Atalanta impayable. Christophe Rousset et ses Talens lyriques conduisent tout ce bal tambour battant. »