DVD L’Incoronazione di Poppea 2000

 

COMPOSITEUR Claudio MONTEVERDI
LIBRETTISTE Giovanni Francesco Busenello

 

ORCHESTRE Les Musiciens du Louvre
CHOEUR
DIRECTION Marc Minkowski
MISE EN SCENE Michael Grüber

 

Poppea Mireille Delunsch
Nerone Anne Sofie von Otter
Ottavia Sylvie Brunet
Ottone Charlotte Hellekant
Arnalta Jean-Paul Fouchécourt
Seneca Denis Sedov
Drusilla, Virtu Nicole Heaston
Damigella Cassandre Berthon
Fortuna, Valletto Allison Cook
Lucano, Soldiere II François Piolino
Famigliere I Thierry Grégoire
Famigliere II, Mercurio, Soldiere I Michael Bennett
Famigliere III Ulas Inan Inaç
Littore, Liberto Luc Coadou

 

DATE D’ENREGISTREMENT juillet 2000
LIEU D’ENREGISTREMENT Aix-en-Provence – Théâtre de l’Archevêché
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

 

EDITEUR Bel Air Classiques
DISTRIBUTION Harmonia Mundi
DATE DE PRODUCTION 24 mars 2005
NOMBRE DE DISQUES 1
CATEGORIE Son PCM stéréo – Image 16/9
DISPONIBILITÉ Zone 2 – PAL
SOUS-TITRES EN FRANCAIS oui

 

 

Critique de cet enregistrement dans :

Anaclase

« Enregistré en juillet 2000, cette production de L’Incoronazione di Poppea donnait l’occasion d’une rencontre entre Marc Minkowski et Klaus Michael Gruber. « Notre souci commun, explique le chef d’orchestre, était d’offrir au public de l’Archevêché, à Aix-en-Provence, un spectacle d’une grande intimité, un moment de théâtre intense, dont chaque inflexion musicale et chaque mouvement scénique soient non seulement perceptibles mais limpides, et touchent le spectateur sans que s’interpose jamais aucun obstacle historique ou esthétique ».
C’est ainsi qu’on retrouvera l’opéra de Monteverdi tout autre que dans la version du Festival de Glyndebourne, sortie chez Warner en juin 2004. Des coupures ont été pratiquées : suppression de la nourrice d’Octavie, de la scène de couronnement de Poppée. Minkowski a adapté l’effectif instrumental aux dimensions du lieu. « Cela signifie que, en dehors des interludes et ritournelles exécutés par l’ensemble de l’orchestre, la basse continue présente des proportions assez développées (cinq théorbes et guitares, deux clavecins, deux orgues, deux violes, deux harpes, un lirone) ». Dernier aménagement musical, et conformément à un usage répandu au XVIIe siècle : le chef a introduit entre certaines scènes trois sinfonie du compositeur et violoniste Biagio Marini, servant à marquer les changements d’atmosphère. A la tête des Musiciens du Louvre-Grenoble, sa lecture manque malheu-eusement de relief, et la pulsation qu’il marque ne lui donne pas l’alibi d’une recherche d’ascétisme.
Infantiles et capricieux, tels sont pour le metteur en scène les personnages de cet ouvrage. Effectivement, Allison Cook – timbre chaleureux, voix agile – chante Fortuna et Valletto avec pétillance, Cassandre Berthon joue Amore avec beaucoup de malice, Luc Coadou – beau timbre de baryton – est Liberto, un capitaine de la garde si naïf qu’il en devient touchant. Mireille Delunsch – belle technique, mais un peu maniérée – nous étonne par des moments de danses pleins de grâce et d’énergie juvénile. En revanche, Anne Sofie von Otter compose un personnage empoté et grimaçant d’autant moins supportable que son chant révèle de sérieux défauts – notes fausses, miaulements, etc. Autre agacement : le surjeu et le chant démonstratif de Nicole Heaston – Drusilla.
Outre la fin immorale de l’ouvrage, la réelle subversion de cette production est d’avoir rendu très attachants les perdants de l’histoire. Sylvie Brunet incarne une Ottavia touchante, d’ordinaire facilement grimable en mégère, alors qu’elle est une amoureuse en proie à la douleur du rejet. Son chant puissant, expressif sans être maniéré, émeut plus que tous les duos d’amour de ce soir – excepté celui de Valletto et Damigella, plein de poésie. Son air d’adieu est très sensible. Expressivité aussi, et caractère pour Charlotte Hellekant, contralto tout en nuances dans un Ottone très digne. En Seneca sacrifié avant l’âge mûr, Denis Sedov jouit d’un legato sublime, délivrant des vocalises exquises, sans presque respirer. Jean-Paul Fouchécourt, enfin, sert de lien entre frivolité et sagesse, puisque son Arnalta nuancée est complexe, entre bons conseils et souvenirs grivois. »

Diapason – mai 2005 – appréciation 5 / 5

« C’est en 1999 que le Festival d’Aix poursuivait ses incursions en terre monteverdienne avec ce Couronnement de Poppée musicalement acclamé, théâtralement contesté. Il est vrai que Klaus Michael Grüber impose une vision qui n’est pas de tout repos, sombre et forte, gommant tout effet comique au mépris du mélange des genres pourtant essentiel dans cette oeuvre géniale, si proche de l’esprit shakespearien. Qu’on le veuille ou non, Grüber est un immense metteur en scène. La reprise, en 2000, est filmée par Vincent Bataillon. Grands perdants : les décors ultradépouillés de Gilles Aillaud, qu’on ne fait plus que deviner alors qu’ils étaient partie prenante d’une conception dont l’hiératisme flirtait avec les limites de l’abstraction. Mais le spectacle est formidablement mise en valeur. Bataillon ne laisse rien ignorer des liens qui se tissent entre les protagonistes, liens d’autant plus ambigus que la distribution des rôles principaux est essentiellement féminine et qu’il se dégage de cet enchaînement de situations une sensualité, voire un érotisme que, de la salle de l’Archevêché, on ne faisait que soupçonner. Minkowski unit une assise rythmique infaillible à un sens inouï de la respiration mélodique, fait assaut de couleurs, de nuances, pour offrir un Monteverdi généreux et chaleureux. Nouvelle venue, Sylvie Brunet (Ottavia) est superbe dans la véhémence et dans la douleur. Le timbre, la silhouette de Charlotte Hellekant en font un Ottone troublant, face à la Drusilla spontanément séduisante de Nicole Heaston. Le couple Damigella-Valletto, Cassandre Berthon-Allison Cook est à croquer, et Jean-Paul Fouchécourt toujours impayable en Arnalta, tandis que Denis Sedov, malgré sa jeunesse, n’ignore rien de la sagesse de Sénèque. Reste le duo Nerone­Poppea : Anne Sofie von Otter, plus sûre d’elle que l’année précédente, donne de l’empereur une image moins caricaturale et musicalement irréprochable Mireille Delunsch, belle à couper le souffle, vocalement idéale, est une Poppée à faire damner un saint…, ce que Nerone n’est pas, qui succombe aussi vite que les spectateurs. »

Opéra International – mars/avril 2005 – appréciation Timbre de Platine

« Un panoramique sur les toits d’Aix-en-Provence au soleil couchant ouvre la représentation. Les martinets sifflent dans l’air tiède, l’improvisation de Monteverdi plane sur les ocres et les vermillons fondus à l’orange de l’Archevêché où va resplendir la nuit provençale colorée par Klaus Michael Grüber. Vision idéale d’Aix, puisque le direct d’Arte s’est prolongé tard ce soir de 2000 où la pluie a proposé ses propres intermèdes. L’été pourri et une critique froide ont nui à la renommée de cette Poppea donnée deux saisons de suite et qui, à la revoir, s’avère fascinante. Le théâtre de Grüber s’appréhende proche.Très bien filmé par Vincent Bataillon, ce DVD lui rend justice. La captation en plans rapprochés offre le travail de chanteurs en incarnation d’acteurs (et la qualité de leur maquillage, gloire aux ateliers d’Aix !). On découvre la subtilité d’une gestuelle du souffle dans les duos très travaillés Nerone-Poppea. Rarement chanter aura été rendu si sexuel. Les couleurs, dont on n’avait pu apprécier la signifiante opulence, aplatie par l’éclairage du direct, resplendissent dans l’obscurité omniprésente. Sur ce fond de nature morte, les tenues fluides agitées au souffle du plein air ajoutent à la magie de l’instant. On en oublie les rares faiblesses, comme l’entrée prise de trac de Sylvie Brunet (Ottavia) qui apparaît souvent étrangère à la scénographie, mais compense ce décalage par des lamenti charnus où bouillonne un timbre de feu. Grüber tend sa mélancolie austère aux silhouettes des cyprès. Devant se balance, swinguant, un Marc Minkowski visiblement capturé par Monteverdi. La production atteint le sublime visuel à la mort de Seneca, avec ses citrons jaunes tirés d’un bodegon de Zurbaran. Et à nouveau lors d’un « Pur ti miro » incendié de rouge Pompéi.
Cette Poppea aixoise était dévolue eux femmes, y compris l’Ottone plus directement viscéral de Charlotte Hellekant : le personnage prend une perspective musicale vocalement éloignée des masques du contre-ténor. Mireille Delunsch, Poppea hallucinée, vibre comme la statue de Pygmalion. Le Nerone de von Otter est un poète lunaire. On se dit que la sage Anne Sofie a dû se plaire avec Grüber tant son chant sort volontiers de ses gonds. En philosophe viking, Denis Sedov (Seneca) rompt cette androgynie locale. L’organe impérieux et le visage sculptural en imposent, théâtre buccal à voir et à revoir. Et à réentendre pour Jean-Paul Fouchécourt [Arnalta], entonnant un « Oblivion soave » modèle du genre. La partition était pointillée d’intermèdes choisis chez Biagio Marini. Ses ostinati languides, soutenus par des Musiciens du Louvre n’hésitant pas à faire sonner leurs instruments, nous enchaînent irrépressiblement à la comédie du sexe, du pouvoir et du cantare, renouvelée avec une rare netteté par Grüber. Cette Poppeo d’Aix 2000 est un concentré d’élégance visuelle et de qualité musicale. Comme celle de Jean-Pierre Ponnelle, elle peut rester de référence. »

Classica/Répertoire – avril 2005 – appréciation 7 / 10

« Spectacle beau, froid, sombre quand son Ulysse zurichois est lumière, il pèche plus par des identifications peu convaincantes que par un regard incisif sur l’infantilisme des protagonistes un peu trop réduits dans leurs ambiguïtés à de simples idées fortes. Si Delunsch est magnifique et très crédible, si Fouchécourt triomphe aisément en Arnalta, von Otter est le Néron le plus pâle qu’on ait jamais vu – ni Empereur fou, ni amoureux enthousiaste – l’admirable vocaliste qu’est Hellekant ne s’identifie pas à un Ottone trop androgyne, Sedov est un Seneca trop jeune, et la Drusilla de Nicole Heaston est proprement inexistante. Minkowski et ses Grenoblois restent bien uniformes de sonorités, et coupent un peu trop. Bref, c’est esthétiquement font beau grâce à Gilles Aillaud et Rudy Sabounghi, mais volontairement si ascétique que l’on ne trouve pas là toute la chair vive (et les contrastes vivifiants) du Couronnement rêvé. »

Le Monde de la Musique – avril 2005 – appréciation 3 / 5

« Le metteur en scène Klaus Michael Grüber, en 1999 au Festival d’Aix-en-Provence, a gommé l’ironie féroce du Couronnement de Poppee pour en privilégier l’aspect tragique. Il se démarque en cela de la mode actuelle (David McVicar au Théâtre des Champs-Elysées, David Alden au Palais Garnier) qui fait de l’ouvrage une farce macabre, mais renonce lui aussi à l’équilibre entre drame et ironie qui a fait qualifier de shakespearienne cette très noire histoire. Au moins nous épargne-t-il les transpositions et schématisations qui, à trop vouloir le rapprocher, éloignent de nous ce chef-d’oeuvre vieux de trois siècles et demi.
Comme souvent avec Grüber, moments magiques et passages à vide se succèdent, laissant le spectateur à la fois exalté et insatisfait. On n’oubliera pas le duo final où les amants monstrueux chantent leur passion en se cherchant dans l’obscurité, et l’on regrettera que des scènes justement célèbres comme la mort de Sénèque soient expédiées. En accord avec ce parti pris d’intimité, pour ne pas dire de hiératisme, Marc Minkowski évite toute efflorescence intempestive et, lors de cette reprise filmée en 2000, soutient avec l’énergie qu’on lui connaît un plateau inégal où voisinent une Poppée dangereusement fascinante (Mireille Delunsch), un Néron étrangement neutre (Anne Sofie von Otter), une Octavie émouvante mais dépourvue de l’hystérie qui caractérise le personnage (Sylvie Brunet), une Nourrice inénarrable (Jean-Paul Fouchécourt) et un Sénèque trop jeune (Denis Sedov). La captation, assez neutre, joue assez habilement avec la pénombre presque constante qui règne sur scène. »

Concertclassic – 28 février 2005

« La plus juste mise en scène que l’on ait vue du Couronnement. Grüber suggère et ne souligne jamais, ses décors sobres, ses costumes élégants qui donnent l’impression que tous volent sur scène, sont doublés par une direction d’acteur dont la fluidité et l’intelligence ne laissent de coté aucune des ambiguïtés des personnages, éclairant les complexités d’une action qui propose souvent plusieurs degrés de lecture. C’est que le Couronnement est un opéra à la richesse inépuisable, presque plus du côté du livret de Busenello que de la musique de Monteverdi. Le cahier des charges imposé par la scène d’Aix convient à l’invention limpide du style de Grüber. Dans cet espace somme toute réduit, il parvient à créer un univers d’une poésie qui vous poursuit longtemps après que le spectacle soit fini.
La distribution réunie par Marc Minkowski est sans faille. Les respirations larges, l’intensité sobre de sa direction comme de son continuo leur laissent toute latitude pour camper de vrais caractères qui ne tombent jamais dans la caricature. On n’est pas prêt d’oublier les scènes de Sénèque : Denis Sedov trouve le ton juste entre stoïcisme et hédonisme, entouré de ses citronniers, et ses élèves-ombres, envoûtant comme un trio de parques, produisent enfin l’effet de désolation que l’on attend si souvent en vain.
On pourrait multiplier les exemples, la Poppée épanouie et radieuse, qui en instant révèle son visage d’ambitieuses atrabilaire de Mireille Delunsch, le Néron si juste de Von Otter, qui ne charge jamais du coté du despote mais laisse affleurer toutes les ambiguïtés d’un caractère inépuisable, l’Ottone brisé de Charlotte Hellekant, la Drusilla si séduisante de Nicole Heaston, le Lucain de François Piollino qui incarne aussi un soldat, l’envoyé de Néron portant à Sénèque son arrêt de mort, Luc Coadou, qui campe un surprenant portrait passant en quelques minutes de la crainte à la compassion, le délicieux Amour de Cassandre Berthon, sans oublier Jean-Paul Fouchécourt, méconnaissable en Arnalta.
En cette édition 2000, Sylvie Brunet prenait la succession de Lorraine Hunt, augmentant encore l’impact d’Ottavia, le talon d’Achille de la plupart des distributions du Couronnement. Brunet crève littéralement l’écran, et son Adieux à Rome impose une grandeur tragique qui redonne tout son sens au bannissement. Vous ne trouverez pas un Couronnement plus abouti que celui-ci, seul le film de Ponnelle, avec Rachel Yakar et Eric Tappy sous la direction de Nikolaus Harnoncourt pourrait prétendre à être une contre proposition. Mais il dort dans les limbes d’Unitel … »

Forum Opéra

« Aucune pose lascive, pas de geste équivoque ni le plus petit carré de chair dénudée, au contraire, les corps se dérobent sous de bien peu seyantes camisoles, soi-disant asexuées : de vrais tue-l’amour. Or, le Couronnement de Poppée n’a peut-être jamais été aussi voluptueux ! D’une volupté sans complexe, insolente et devant laquelle les censeurs de tout poil pousseraient des cris d’orfraie. Ecoutez, il n’y a rien à voir, semble dire Grüber qui joue avec les nerfs des voyeurs. Fous de désir, les amants se convoitent, se cherchent, s’approchent, mais s’effleurent à peine, ne se touchent pas, ne s’enlacent jamais. Du sexe sans étreinte ? Absolument, c’est tout l’art de la suggestion. Un rien plus explicite, mais toujours sans contact, le duo de Néron et Lucain atteint des sommets d’érotisme : alors que l’empereur, couché sur le sol, tressaille et gémit d’extase, quelques mètres plus loin, la caméra fixe l’expression hyper sexuelle de son protégé (et cadet de Sénèque, la scène n’en est que plus immorale), capturant jusqu’à un fugace mouvement de langue sur le mot « bocca » qui semble violer l’intimité de François Piolino ! Quelques secondes infiniment plus troublantes et subversives que tous les phallus du monde… En comparaison, le baiser final semble presque pudique, à l’image d’un duo fusionnel, mais apaisé.
« Il nous a semblé, écrit Marc Minkowski, qu’une façon originale et sincère d’être fidèle à cette partition inouïe, à la fois si lointaine et immédiate, composée sur le plus beau livret imaginable, était d’en dégager la courbe dramatique et d’y privilégier l’intimité et la sensualité, c’est-à-dire l’univers amoureux de Néron et Poppée dans lequel se consument peu à peu toutes les résistances, morales, physiques ou politiques » (Je souligne). Pari gagné, et plutôt deux fois qu’une : le feu embrase tout et tous, à commencer par le public. Exploitant pour l’essentiel le manuscrit vénitien, Minkowski et Grüber resserrent la trame et n’hésitent pas supprimer plusieurs monologues, la scène collective du couronnement et même la figure de Nutrice, la nourrice d’Octavie. Ainsi épuré, l’opéra, non seulement conserve toute sa cohérence, mais gagne en densité et en impact dramatique. Pas question ici de céder, comme parfois Jacobs dans ce répertoire, à la griserie d’une orchestration fastueuse, mais décorative ; les pages instrumentales se limitent à quelques ritournelles de Marini, judicieusement choisies et agencées. Le chef laisse également ses tics et sa rudesse coutumière au vestiaire pour exalter la sensualité d’un continuo luxuriant (une quinzaine d’instruments dont cinq théorbes et guitares, une paire de clavecins et une autre d’orgues !), mais attentif à la moindre inflexion des chanteurs. Dans cet environnement privilégié, les mille et un raffinements expressifs de Von Otter s’éploient en toute liberté et composent le plus fascinant des portraits.
La mise en scène applique la recette du Titien : le noir, mortifère et mélancolique, habille Octavie et Sénèque ; le rouge, incendiaire, symbolise évidemment l’amour y compris infernal, colorant une fresque pompéienne dont s’orne périodiquement la scène; le blanc, ambigu, marial, mais également lunaire et maléfique (la flèche phosphorescente de l’Amour, délicieuse Cassandre Berthon) recouvre Néron (sous sa veste dorée) et Poppée. C’est sans doute parce qu’il voie dans ce couple le prototype de la jeunesse immature et capricieuse que Grüber convoque une imagerie enfantine en passant le licteur au cirage, tel un Père Fouettard, et en l’affublant d’une cuirasse factice digne d’un magasin de farces et attrapes, alors que le Mercure dodu et emperruqué de Michael Bennet semble échappé d’un spectacle d’école primaire ou de colonie de vacances.
Et pourtant la Poppée de Mireille Delunsch n’a rien d’une gamine. C’est déjà une maîtresse femme, dévorée par la passion, inquiète, mais aussi déterminée, une lueur de gravité (prémonitoire ?) traversant furtivement son regard magnétique. Si la vidéo consacre les ambitions de Minkowski en réduisant la distance qui nous sépare des protagonistes, elle trahit aussi l’âge de Von Otter et accuse sa silhouette, bien trop féminine pour évoquer l’empereur. Il est d’autant plus difficile de croire au travesti que la confrontation avec Denis Sedov révèle un Sénèque juvénile et au physique d’Alcibiade. Le philosophe, manifestement plus jeune que son élève, est d’ailleurs trop beau, trop sain pour que son sacrifice n’en paraisse encore plus injuste et cruel. Epoustouflante de majesté blessée, Octavie (Sylvie Brunet) a des accents terribles et la rage, inhumaine. Les hésitations d’Othon, à qui elle demande de tuer Poppée, l’irritent, mais ne la touchent pas ; seul son propre malheur (« Addio Roma ») lui arrache quelques cris de douleur. Othon, lui, a justement le visage du martyre et pourrait nous émouvoir si seulement Charlotte Hellekant ne luttait pas avec un contre-emploi totalement absurde. Ses interventions s’avèrent à ce point éprouvantes que la disparition de quelques répliques et d’un soliloque s’accueille avec soulagement. Pour nous consoler, enivrons-nous des piani melliflues de Jean-Paul Fouchécourt (« Adagiati Poppea »), impayable en nourrice – il faut le voir jubiler en se trémoussant comme un dindon lorsqu’il découvre le triomphe de sa maîtresse ! -, et contrepoint idéal pour cet hymne brûlant à la toute-puissance du désir. «