Persée

COMPOSITEUR Jean-Baptiste LULLY
LIBRETTISTE Philippe Quinault

 

ORCHESTRE Tafelmusik Baroque Orchestra and Choir
CHOEUR
DIRECTION Hervé Niquet
MISE EN SCÈNE Marshall Pynkowsi
DÉCORS Gerard Gauci
COSTUMES Dora Rust-D’Eye
LUMIÈRES Kevin Fraser
Persée Cyril Auvity
Phinée Alain Coulombe
Céphée Olivier Laquerre
Andromède Marie LeNormand
Méduse Thomas Meglioranz
Cassiope Stephanie Novacek
Michiel Schrey
Curtis Sullivan
Merope Monica Whicher
DATE D’ENREGISTREMENT 28 avril 2004
LIEU D’ENREGISTREMENT Toronto – Elgin Theatre
EDITEUR Euroarts
DISTRIBUTION Integral Distribution
DATE DE PRODUCTION 29 avril 2005
NOMBRE DE DISQUES 1
FORMAT Image 16:9 – Son PCM stéréo DTS Dolby Digital 5.1
DISPONIBILITE Toutes zones
SOUS-TITRES EN FRANCAIS oui

Critique de cet enregistrement dans :

  • Diapason – octobre 2005 – appréciation 4 / 5

« En 2000, la Télévision canadienne filmait la remière production scénique de Persée depuis le XVIIIe siècle. Distribution jeune et homogène, dirigée par Hervé Niquet à l’initiative de Marshall Pinkoski, danseur et metteur en scène partisan depuis déjà vingt ans d’un théâtre baroque aussi fidèle que possible aux usages du temps : costumes et décors inspirés des témoignages anciens, gestuelle réinventée en regard des chorégraphies, elles-mêmes somptueuses. On peut sans doute mettre en cause tel ou tel aspect du travail, le jeu très moderne des regards (rien à voir avec le travail frontal de Green et de Lazar), le prosaïsme façon café-théâtre qui perce volontiers sous la stylisation, le manque d’énergie, chez certains chanteurs, d’un « langage des signes » qui suit la parole au lieu de la porter, et plus généralement l’absence du sentiment de grandeur — question de moyens ou d’une captation qui trahit fatalement des artifices faits pour être vus à distance, tel le rocher en contreplaqué d’Andromède ? Et malgré tout, l’efficacité de cette esthétique fascine, à mille lieues de la vanité archéologique dénoncée par ceux qui n’ont jamais vu ces réalisations. Un grand souffle métamorphose la structure kaléidoscopique de la tragédie lyrique. Les danses ne plombent par l’action mais la relancent, les récitatifs et les multiples airs contrastent sans aucune rupture, le génie du timing propre à Quinault et Lully devient presque palpable. Impossible de s’ennuyer, c’est même l’excès inverse qui menace, une suractivité à laquelle fait écho la détermination uniforme de Niquet : le Sommeil file tout droit ! Imparfait mais indispensable. »

  • Opéra International – juillet/août 2005 – appréciation 5 / 5

« Cette production du Persée de Lully (créé en 1682 en présence du Grand Dauphin) témoigne du travail baroque qu’effectue le bouillant Hervé Niquet au Canada (l’enregistrement a eu lieu à Toronto en avril 2004). Après quelque énervement dû à cette manie de couper systématiquement le prologue et les divertissements des tragédies lyriques françaises (comme c’était déjà le cas pour sa Médée versaillaise), on est vite emporté par sa battue vigoureuse et l’à-propos dramatique d’une production aux petits moyens, mais aux grandes ambitions, lesquelles seront toutes tenues.Le décor et les costumes de Gerard Gauci, toiles peintes et robes opulentes, accrochent la gamme des lumières rouge, ocre, safran, hyacinthe. Le travail de gestuelle baroque imaginé par Marshall Pynkoski, sans avoir la sophistication érudite de l’école d’Eugène Green, trouve en chacun des inter prètes une incarnation naturelle que magnifie l’excellente diction de tous les protagonistes. Nul besoin de sous-titres, la langue fluide de la tragédie se chante ici avec un rare naturel. On en arrive graduellement à des moments de grâce absolue comme le duo Andromède-Mérope à l’acte II, sommet de l’art conjugué de Quinault et Lully, ou l’extrême tension audible à l’acte IV. L’infernal humour de Baptiste, qui joua lui-même Charon dans Alceste, trouve dans la scène de Méduse une belle amplification. Olivier Laquerre, sorte de drag-queen avernale, y est irrésistible, Il faut aussi saluer le ténor doux et la prestance de Cyril Auvity, les timbres riches et sensuels de ses amoureuses, ainsi que la noirceur fulgurante d’Alain Coulombe.Dans la fosse, Hervé Niquet ne laisse guère à la sensualité du Grand Siècle le temps de s’épanouir. Aux antipodes d’un Christophe Rousset ou d’un William Ch,istie, il choisit la fureur et la rapidité. Mais le résultat, tout en clairs-obscurs dramatiques, fonctionne parfaitement dans une partition où sont si artistement dosées l’ironie et la déploration. Alors qu’on rechigne souvent à monter LulIy en craignant d’imaginaires gabegies. cette production économe, intelligente et amoureuse de son sujet, rend aussi modeme que séduisant l’antique moule de la tragédie lyrique. Une réussite dont bien des théâtres pourraient s’inspirer… »

  • Classica – juillet/août 2005 – appréciation 8 / 10

« Filmée à Toronto, cette production de Persée permet d’abord d’aborder un chef-d’oeuvre bien trop rare, comme l’ensemble de la production de Lully. Sans chercher le moins du monde une actualisation du propos, la mise en scène de Marshall Pynkoski, confrontée à la difficulté par nature d’une tragédie en musique, s’attache à reconstituer le type de spectacle qui pouvait ravir la cour du Roi Soleil (et le public canadien), on insistant sur le côté théâtral du spectacle, ce qui permet de donner à chacun (et la caméra l’expose au mieux) une dimension d’acteur intéressante. Et ce qui pourrait passer pour uniforme prend alors une dimension active aussi vivante que pertinente, que les ballets viennent ponctuer d’un agitato classique mais assez réussi. Dommage que l’image (beaux décors de bois, beaux costumes très uniformes) soit inscrite dans un univers de bruns roux trop constants pour ravir l’oeil d’un infini renouveau. Même si le souvenir d’Atys par Villégier passe ici ou là, on est loin de sa magie visuelle. Hervé Niquet a réussi en revanche à rassembler une distribution homogène, puissante autant que bien chantante, dont presque chaque intervenant fait merveille. Mmes Lenormand et Novacek, Messieurs Auvity, charmant plus que vaillant, Laquerre, étonnant Méduse, Ainsworth, délicieux Mercure, sont parfaits. Et l’ensemble Tafelmusik a l’authenticité dans le son. Seul regret que pour tous, la nuance forte soit aussi constante dans l’expression musicale. »

  • Forum Opéra

« Une compagnie de danse baroque, un excellent orchestre, un chef tout aussi remarquable : c’est dire si l’on attendait beaucoup de ce Persée. Pourtant, il faut bien avouer que le résultat est inégal et un peu décevant, d’un point de vue visuel autant que musical. L’ouverture, accompagnée de jolies images de Versailles, est jouée à un rythme effréné, plus précipité que majestueux. L’effectif des cordes est trop maigre face à la cohorte de théorbes d’un continuo un peu envahissant, qui ne cessera d’ailleurs pas de rivaliser avec les chanteurs pendant les quelque deux heures du spectacle. 127 minutes, me direz-vous, en sursautant ! En effet, dès la fin de l’ouverture – traitée comme un générique télévisuel au cours duquel défile la distribution – la caméra nous porte vers l’étroite scène de l’Elgin Theater… au début de l’acte I. Certes, l’on comprend que le metteur en scène reste sceptique devant un panégyrique en l’honneur de Louis le Grand sans grand rapport avec la tragédie, mais on ne saurait trop protester contre la disparition du Prologue, choix d’autant plus inexcusable que celui de Persée est particulièrement bien réussi : les vers sont plutôt légers – évitant les « Louis est triomphant » scandés sur cent mesures – et la musique superbe : il faudra donc retourner à l’excellent coffret de Christophe Rousset (Naïve) pour bénéficier du duo de Mégatyme et Phronime et du charmant air de hautbois qui le précède. Puisque nous sommes dans le chapitre des coupures, signalons au passage une omission qui tire peu à conséquence : la scène 4 de l’acte III où deux Gorgones tentent de venir à bout de Persée après la mort de Méduse. Le plateau vocal est convenable : Monica Whicher emporte l’adhésion dans un bouleversant « Ah, je garderai bien mon coeur si je puis le reprendre » (I, 3), dont la ligne mélodique préfigure clairement le « Ah si la liberté me doit être ravie » d’Armide. Son timbre agréable, l’importance qu’elle accorde au texte et ses talents de comédienne s’expriment particulièrement bien dans les scènes de désespoir et c’est à elle que l’on doit les trop rares moments d’émotion de cette représentation. Debout dans la pénombre, toute de rouge vêtue, sa Mérope prostrée ouvre le dernier acte d’un « O mort ! venez finir mon destin déplorable » (V, 1) aussi touchant que pathétique. Un moment plus tard, la voilà complotant avec Phinée, à la fois fragile et implacable avant de confesser sa faute à Persée, le sauvant de l’assassinat. En revanche, Marie Lenormand semble sans cesse forcer sa voix mal assurée, notamment dans des aigus souvent voilés et d’une justesse approximative. A entendre ses trilles hasardeux et ses faux départs, on en vient presque à espérer que le serpent de mer de l’acte IV (ici un gros dragon assez inoffensif et qui se dandine) la dévore sur son rocher, d’autant plus que son « Dieux qui me destinez une mort si cruelle » (IV, 5) dénote un manque d’inspiration flagrant. Stéphanie Novacek campe une Cassiope charmeuse, au timbre plein et presque langoureux. Son chant gracieux et naturel trébuche de temps à autre sur des aigus acides et les « r » très agressifs de sa diction, mais ce sont là des détails. Passons pudiquement sur la Vénus de Vilma Vitols, qui n’est visiblement pas à l’aise dans ce répertoire et dont la tessiture est trop basse pour la partie. Du côté des hommes, Alain Coulombe et Olivier Laquerre allient puissance et justesse, même si le roi d’Ethiopie est forcé de jouer également une Méduse ridicule, alliance malheureuse entre une dragqueen et un adolescent déguisé pour Halloween. Ce passage central de l’oeuvre est du même coup totalement discrédité à cause d’un comique grossier. Rappelons que les résidus de comédie italienne disparurent définitivement de la tragédie lullyste après Alceste, s’il faut scientifiquement justifier une opposition scandalisée devant ce qui ressemble surtout à une faute de goût. Le Persée de Cyril Auvity est assez transparent, le Mercure de Colin Ainsworth franchement insuffisant à cause d’une mauvaise maîtrise de la difficile tessiture de haute-contre. La voix de tête est assez désagréable, le français massacré et le chanteur lui-même paraît un peu perdu, pour ne pas dire plus. La direction de Niquet est vive, l’orchestre en pleine forme. Les attaques sont claires et précises ; les timbres charnus et un peu rugueux dans les passages vifs. On louera en particulier les ritournelles et danses, parfaitement interprétées, et quelques percussions ajoutées avec à propos. En comparaison, l’enregistrement des Talens Lyriques (Naïve) semble plus empesé, plus artificiel. Cependant, le chef a tendance à brusquer l’intrigue et à enchaîner les mouvements sans laisser à la musique le temps de s’épanouir. Par exemple, après l’orage qui disperse les jeux junoniens, la symphonie orchestrale qui annonce l’acte II est expédiée comme une formalité. De même, pris dans un tempo particulièrement enlevé, le sommeil de Méduse ne ressemble plus beaucoup à un sommeil… Cette volonté d’avancer à tout prix dans le drame le dessert paradoxalement. L’écriture de la tragédie lullyste – loin d’un Rameau au tempérament si changeant – accorde une grande attention aux scènes amples et lentement distillées : que l’on se remémore la grandiose déploration « Alceste est morte ! » de l’ouvrage éponyme ou encore la célèbre « Passacaille » d’Armide. A force de prendre l’histoire à bras le corps – certes avec une énergie rarement vue et un enthousiasme communicatif – Niquet lui fait perdre son fil et sa cohérence, brusquant la narration, coupant les respirations des récitatifs. Le monologue « hélas, il va périr ! » (II, 4), où Mérope avoue son amour pour Persée, aurait eu tellement plus d’impact si ce sublime « Sans songer qu’il ne m’aime pas, je sens seulement que je l’aime » avait été chanté dans un murmure troublé et hésitant, avec un soupir juste après. Ici, ce vers sensible est noyé dans le clavecin trop sonore d’un continuo nourri. Opera Atelier a voulu revenir à une gestuelle baroque calquée sur l’iconographie de l’époque, où les chanteurs font face au public la plupart du temps, même lorsqu’ils dialoguent entre eux. La direction très théâtrale doit être louée, même si les chanteurs se surprennent quelquefois à agiter mécaniquement les mains, comme des pantins passant d’une position à une autre : les postures sont très artificielles, et ne coïncident pas toujours avec les paroles, comme si les artistes se souvenaient après coup des mouvements prescrits. Par contre, les danses sont absolument magnifiques, les chorégraphies particulièrement bien élaborées, même si celle des cyclopes de l’acte II scène 7 est un peu anachronique avec des sortes de bonds de grenouilles (un futur Platée en vue ?). On ne peut qu’admirer la souplesse, le savoir-faire et la synchronisation des danseurs qui effectuent un parcours sans faute, des jeux junoniens du premier acte aux superbes combats de l’acte V, avec moult assauts d’escrime où Persée résiste artistiquement à des ennemis sans cesse plus nombreux. La caméra a toutefois une fâcheuse tendance à privilégier les gros plans sur les chanteurs et les danseurs au détriment des vues d’ensemble, ce qui gâche un brin la perception des vastes chorégraphies et de leur belle symétrie. Côté mise en scène, le manque de moyens est criant : loin des perspectives magnifiques sans cesse recomposées dont on peut se faire une idée en regardant les illustrations de la partition de Ballard dans son édition de 1722, Gérard Gauci se contente de deux grands fonds prétendument peints en trompe-l’oeil minimaliste : 3 arcades de palais ou un jardin (qui ressemble plutôt à un gros pentacle, vert cabalistique). La tempête de l’acte IV est jouée devant le sempiternel décor de palais tandis qu’Andromède se retrouve enchaînée sur une sorte d’igloo de carton gris. La scène trop exiguë oblige en outre à cacher les choeurs afin de permettre aux danseurs d’évoluer, ce qui est assez dérangeant puisqu’ils jouent souvent un rôle moteur dans la pièce (divinités infernales, nymphes guerrières, peuples d’Ethiopie, …). Pour les amateurs d’effets spéciaux, il ne reste pas grand chose de cette « pièce en machines » qui enthousiasma tant le Mercure françois, à part Vénus et Mercure qui descendent rapidement des cieux. Enfin, si à l’époque les costumes à l’antique apportaient une touche d’exotisme aux représentations, de nos jours, l’habitude a été prise de jouer les tragédies lyriques en costumes louis-quatorziens : c’est la cas ici pour les belles robes d’inspiration XVIIème ou Empire (lors du mariage interrompu de Persée) des personnages féminins. Malheureusement, les hommes sont, quant à eux, sanglés dans d’affreuses tenues rappelant celles de toréadors espagnols – avec boucles d’oreille pour certains s’il vous plaît ! – bien loin des justaucorps et perruques de la Cour. Et l’on ne reviendra pas sur les Gorgones en débardeur… Pour conclure, on retiendra surtout de ce Persée quelques scènes mémorables dans l’acte premier, et un finale virevoltant. Cependant, la réalisation manque d’unité et de grandeur : la mise en scène des deux premiers actes s’avère trop minimaliste pour véritablement retenir l’attention alors que les vers de Quinault ne sont pas mis en valeur par des chanteurs pressés par le chef, et dont le français n’est pas toujours la langue maternelle. Pire encore, les actes III et IV, pourtant au coeur de l’intrigue, sont traités par le metteur en scène avec une désinvolture frisant la vulgarité, que même Hervé Niquet ne parvient pas à sauver. Heureusement, la conjuration du dernier acte laisse enfin percevoir une véritable complicité entre la fosse et la scène qui fait d’autant plus regretter que cette performance honorable mais sans brio ne soit pas plus aboutie. « 

« Si la qualité technique est très satisfaisante, on est plus réservé sur l’aspect artistique ; première grosse déconvenue, l’ouverture a été passée à la tronçonneuse (elle commence au fugato, exit la partie lente et pointée) ; deuxième sujet d’énervement, le prologue a été jeté avec l’eau du bain ; enfin, à titre de comparaison, l’édition CD des Talens Lyriques propose 3h34 de musique, ici, on a seulement droit à 2h07 de « programme » ; cela dit, le spectacle n’est pas du tout déplaisant et mérite le coup d’oeil (ici, on a droit à une mise en scène en costumes et ballets « d’époque », c’est très intéressant) ; on regrettera simplement que le disque n’en propose pas plus (une présentation de l’oeuvre, des scènes de répétition, des explications sur la manière d’interpréter de telles oeuvres, un documentaire sur l’art du ballet à l’époque de Lully !), côté « suppléments », on doit se contenter de bandes annonces promotionnelles. »