Vénus et Adonis (Henry DESMAREST)

COMPOSITEUR Henry DESMAREST
LIBRETTISTE Jean-Baptiste Rousseau
ENREGISTREMENT EDITION DIRECTION EDITEUR NOMBRE LANGUE FICHE DETAILLEE
2006 2007 Christophe Rousset Ambroisie 2 français

 

Tragédie en musique en cinq actes et un prologue, sur un livret de Jean-Baptiste Rousseau (1670 – 1741). Desmarest la dédia à Louis XIV.
Jean-Baptiste Rousseau
La création eut lieu à l’Académie royale de musique, le 28 juillet 1697, avec une distribution réunissant Dumesny (Adonis), Hardouin (Mars), Marie-Louise Desmatins (Cydipe), Marie Le Rochois (Vénus).
L’oeuvre n’eut qu’un faible succès, et ne connut que douze représentations.
Louis Ladvocat évoque l’ouvrage dans deux lettres à l’abbé Dubos :

lettre du 25 octobre 1696 : On dit ici que le roi a dit à M. de Francine qu’il devait s’être servi plutôt de Colasse. C’est à Desmarest à se précautionner pour l’avenir et à faire en sorte qu’Adonis efface Jason. Ils sont du même auteur et, si l’on trouve des défauts dans l’un, on ne dit rien encore de l’autre, que l’on n’a ni vu ni entendu. Pour moi, à qui mon oreille ne rend pas un si bon service qu’à ces connaisseurs, je me réserve d’en dire mon petit sentiment, après en avoir vu quelques représentations, et l’avoir lu et relu à loisir.
lettre du 14 juin 1697 : Je souhaite que Monsieur Rousseau réussisse dans les empiriques. Comme il n’en est pas l’auteur quant à l’invention, cela ne lui ôterait point celle que son flatteur lui a méritée. Mais si Adonis venait à n’être pas applaudi, comme on l’a beaucoup prôné, je crois qu’un second accès pourrait mettre sa réputation à l’agonie.

Le mythe d’Adonis est issu des Métamorphoses d’Ovide, dont s’étaient notamment inspirés le poète napolitain Marino pour son Adone, dédié à Louis XIII (1623), puis La Fontaine pour son Adonis (1658). Rousseau le modifia en faisant d’Adonis le roi de Chypre et en introduisant le personnage de Cidippe.
L'Adone del Cavalier Marino
Des reprises eurent lieu à Lunéville, au théâtre de la cour de Lorraine, le 15 novembre 1707, à l’occasion de la fête du duc Léopold de Lorraine, à la cour de Bade-Durlach en 1713, puis à La Monnaie de Bruxelles le 4 novembre 1714, représenté par l’Académie de Musique le jour du Nom glorieux de Sa Majesté Impériale et catholique.

L’œuvre fut reprise à l’Académie royale le 17 août 1717, devant la duchesse de Berry, avec une distribution réunissant : Mlle Joubert (Parthenope, Nymphe), Mlle Poussin (Mélicerte, Nymphe), Le Mire (Palémon, Pasteur), Mlle Milon (Vénus), Mlles Pasquier et Limbourg (Bergères) dans le Prologue ; Cochereau (Adonis), Mlle Antier (Cydipe), Mlle Journet (Vénus), Thévenard (Mars), Murayre (Suivant de Mars), Dun (la Jalousie), Mlle Poussin (Bellonne), Guesdon (un Habitant), Muraire (un Plaisir), Mlles Pasquier et Limbourg (Habitantes), Boulay (Habitant), Mlle Constance (Habitante).
Ballets :

Prologue : Peuples (Marcel et Mlle Menes, P. Dumoulin, Dangeville, Mlles Haran, Brunel), Bergers et Bergères (Dumoulin L., Pierret, Dupré, Mlles Isecq, Dupré, Lemaire), un Pâtre (F. Dumoulin) ;
acte I : les Habitants de l’Isle de Cypre (P. Dumoulin, Dangeville, Javilliers, Pierret, Mlle Guyot, Mlles Haran, Brunel, Dupré et Duval) ;
acte II : la Suite de la Jalousie (Blondy, Ferrand, Marcel, F. Dumoulin, Pecourt, P. Dumoulin, Dangeville, Guyot et Malterre) ;
acte III : Fête de Vénus – les Grâces (Mlle Prévost), Mlles Isecq et Dupré, P. Dumoulin, Pecourt, Guyot et Malterre, Mlles la Ferrière, Haran, Duval et Brunel ;
acte IV : Guerriers (Ferrand, Blondy, Marcle, Javilliers, Pierret et Dupré) ; Peuples (F. Dumoulin, IV), les Peuples d’Amathonte (Acte V).

Le livret fut édité par Pierre Ribou.


L’œuvre fut donnée à Hambourg en 1725, en français, avec un livret franco-allemand, et avec un prologue comique en allemand, et à Lyon en 1739.
Livret Hambourg
« La scene du Prolog. est une plaine bornée par la vue de Marly; deux Nymphes & le Pasteur Palémon en sont les interlocuteurs. On n’a remis cet Opéra au Théatre qu’une seule fois, en 1717. » (de Léris)

Personnages : Adonis, fils de Cinyras, roi de Chypre ; Cydipe (*), princesse du sang des rois de Chypre ; Vénus ; Mars ; la Jalousie ; Bellone
(*) ou Cydippe ou Cidippe.


Synopsis


Prologue
Une plaine bordée par la vue de Marly. A l’aube.
Le pasteur Palémon et les nymphes Mélicerte et Parthenope appellent les bergers à jouir de leurs plaisirs simples, à l’abri de la guerre, grâce au « plus grand roi du monde » toujours victorieux, et à profiter de l’amour. Le ballet des Bergers est interrompu par Diane sur son char, quiq propose d’illustrer les dangers de l’amour par l’histoire tragique d’Adonis.
Dans l’île de Chypre
Acte I
Le côté de la forêt d’Ida, le plus près d’Amathonte, et au loin un temple consacré à Vénus
(1) Seule, Cydipe se lamente car elle aime Adonis en secret, et cet amour n’est pas partagé. (2) Arrive Adonis, qui s’étonne qu’elle ne se prépare pas aux fêtes voulues par Vénus qui va nommer le nouveau roi de Chypre. Adonis comprend que Cydipe souffre d’amour et la plaint, lui qui y est indifférent. (3) Ils sont rejoints par le peuple qui vient célébrer Vénus. Les habitants de l’île témoignent par des danses la joie que leur donne l’espoir de voir leur déesse. (3) Vénus annonce qu’elle a choisi Adonis pour roi, et le convie à se rendre au palais. (4) Vénus avoue sa flamme pour Adonis à Cydipe. Celle-ci la met en garde contre la colère de Mars.
Acte II
Le palais des rois de Chypre
(1) Seuel, Adonis se reproche l’amour qu’il sent monter pour la divinité. (2) Vénus le rejoint et devine qu’il est touché par l’amour. Elle déploie tous ses charmes et lui avoue qu’elle l’aime. Vénus décide qu’une fête doit faire connaître leur amour mutuel. (3) Vénus, toute heureuse, apprend à Cydipe qu’Adonis répond à sa flamme. (4) Cydipe reste seule, torturée par la jalousie. Elle invoque la vengeance de Mars. (5) La Jalousie vient répondre à l’appel de Cydipe. Elle appelle les Soupçons et les Furies à accomplir leur oeuvre. (6) La Jalousie et sa suite, les Soupçons, le Dépit, la Fureur, le Désespoir, la Haine expriment leur joie des ordres reçus d’aller apporter le trouble.
Acte III
Un jardin que Vénus a fait orner pour la fête qu’elle prépapre à Adonis
(1) Mars s’inquiète des préparatifs de fête. (2) Mars explique à un Suivant que la descente de Vénus sur terre a éveillé sa jalousie. Entendant Vénus il se cache pour essayer de savoir quel est son rival. (3) Vénus et Adonis arrivent accompagnés de leur suite, et chantent leur amour. Les Grâces, les Plaisirs, et la jeunesse galante de l’île viennent leur rendre leurs hommages. Ils s’interrompent et s’enfuient à la vue de Mars. (4) Mars fait part de sa colère à Vénus qui feint l’innocence. Puis elle le prend de haut, et Mars finit par se calmer. Vénus annonce qu’elle va se rendre à Paphos. (5) Mars est pleinement rassuré. (6) Cydipe survient et le détrompe. Mars se rend compte qu’il a été aveuglé. Tous deux préparent leur vengeance.
Acte IV
La ville d’Amathonte
(1) Vénus croit avoir trompé Mars et rassure Adonis. Elle lui annonce qu’elle doit aller à Paphos pendant une journée pour les fêtes données en son honneur. (2) Adonis se plaint d’être abandonné. (3) Mars et Cydipe menacent Adonis. Mars est prêt à le tuer, mais Cydipe intervient, préférant se sacrifier à la place d’Adonis. Mars accepte de surseoir, mais veut étendre sa colère à l’ensemble des habitants de l’île. (4) Mars appelle Bellone pour qu’elle apporte la désolation. (5) Bellone répond à son appel avec empressement. (6) Les suivants de Bellone, un poignard dans une main, des torches alllumées dans l’autre, portent le ravage dans Amathonte, et poursuivent les habitants. Mars leur demande d’épargner Adonis. Il invoque Diane, pour qu’elle punisse elle-même celui qui a trahi ses lois, sous les coups d’un monstre furieux.
Acte V
Les ruines d’Amathonte, et les campagnes voisines
(1) Mars est satisfait : Diane a préparé le trépas d’Adonis. On entend le choeur hurler sous les coups du monstre. Mars savoure sa vengeance. (2) Cydipe demande à Mars d’intervenir, mais celui-ci refuse et remonte au ciel. (3) Adonis rencontre Cydipe alors qu’il va combattre le monstre. (4) Restée seule Cydipe est désespérée. Mais le choeur lui apprend qu’Adonis a vaincu le monstre. (5) Le peuple d’Amathonte rend grâces à la bravoure d’Adonis. Vénus, revenue de Paphos, descend de son char au milieu des danses et des acclamations. (6) Vénus est impatiente de retrouver Adonis. (7) Cydipe lui annonce qu’elle est sa rivale, et que c’est elle qui a réveillé la haine de Mars. Elle lui apprend aussi que le monstre, réanimé par Diane, a tué Adonis. Puis Cydipe se tue. (8) Vénus et le choeur se lamentent.

 

Livret disponible sur livretsbaroques.fr
Livret, études et commentaires – CMBV – éditeur Mardaga

 



Représentations :


Opéra de Nancy – 28, 30 avril, 2, 4, 6 mai 2006 – Les Talens Lyriques – Choeur de l’Opéra de Nancy et de Lorraine – dir. Christophe Rousset – mise en scène Ludovic Lagarde – dramaturgie Pierre Kuentz – décors Bernard Quesniaux – costumes Virginie et Jean-Jacques Weil – lumières Sébastien Michaud – chorégraphie Odile Duboc – avec Karine Deshayes (Vénus), Sébastien Droy (Adonis), Anna-Maria Panzarella (Cidippe), Henk Neven (Mars), Ingrid Perruche (Bellone), Laure Baert (Une Habitante de Chypre, Une Voix), Yu Ree Jang (Une Habitante de Chypre, Une Nymphe), Ryland Angel (Un Suivant de Mars), Anders Dahlin (Un Habitant, Un Plaisir) Jean Teitgen (La Jalousie, Un Habitant)

Karine Deshayes et Sébastien Droy
Anna Maria Panzarella

Opéra Magazine – juillet/août 2006 – 4 mai 2006

« L’Opéra de Nancy a produit un événement grâce au Centre de Musique Baroque de Versailles, Vénus et Adonis a connu sa première présentation moderne et a surgi, immense, à notre émerveillement. Ecrit en 1697, cet ouvrage s’appuie sur le modèle lulliste (cinq actes précédés d’un prologue, ici étonnamment omis), pour mieux le transgresser, ne serait-ce que par sa fin désespérée. Cette transgression rappelle celle que Monteverdi a imposée au madrigal : l’injection d’une forte subjectivité, dans chaque rôle ou ligne musicale, fait imploser la forme. La puissante écriture du compositeur relève ce défi : Desmarest, figure passionnée et passionnante, entrelace oreille polyphonique et contrapuntique, aptitude à projeter un personnage sur la scène et maîtrise imparable du temps dramatique. Le résultat est enthousiasmant.
Hélas, Ludovic Lagarde, intéressant metteur en scène au théâtre, s’est dès le départ fourvoyé. S’affranchissant de toute dramaturgie « à l’ancienne », il a sous-évalué le rigide cadre constitutif de la tragédie lyrique et a négligé de lui substituer un équivalent fort. Délaissant l’inscription dans le temps (politique et artistique) louis-quatorzien au profit d’une scénographie atemporelle, il a mis en oeuvre une narration distanciée des passions humaines. Ce faisant, son écriture dramaturgique a oublié combien Desmarest avait créé, pour chacun des quatre personnages principaux, une incandescente tension entre les sentiments qu’il leur prêtait et l’immense fatum qui les contraignait. Mus en marionnettes sans fil et sans énergie profonde, les interprètes (chanteurs et danseurs) ont donc erré dans un cadre scénographique (élégant, dans des teintes claires), chorégraphique (d’Odile Duboc ne surgit que l’aspect le plus post modern dance) et théâtral dont la transparence révèle une lassante vacuité de contenu. Une nouvelle preuve est ici apportée : représenter une tragédie lyrique – sauf à la mutiler – nécessite son inscription historique ; après cela, libre au metteur en scène d’en choisir la période.
Heureusement, Christophe Rousset a réalisé un travail musical qui, sous tous ses aspects, mérite la gravure phonographique. Conduisant le très mobile Choeur de l’Opéra de Nancy et ses Talens lyriques (particulièrement affutés et homogènes), il a été le maître de cette représentation. La tension dramatique de la partition a ici trouvé son ardente manifestation, relayée par un choix impeccable de chanteurs qui, tous, sont parvenus à se frayer un beau chemin malgré le carcan de la production. Avec sa longue tessiture bien maîtrisée et son indéniable sens théâtral, Karmne Deshayes présente une Vénus amoureuse et manipulatrice, face à la Cidippe ardente et bouleversante d’Anna-Maria Panzarella. Par sa fraîcheur juvénile, Sébastien Droy rend plausible le parcours affectif d’Adonis tandis que Henk Neven campe un subtil Mars. En l’espace d’une scène, Ingrid Perruche (Bellone) montre enfin l’ampleur de sa nature vocale et dramatique. »

Crescendo – mai/juin 2006

« Après Lully, avant Rameau, Henry Desmarest est injustement resté dans l’ombre. La représentation de Vénus et Adonis (1697) à l’Opéra de Nancy a permis d’apprécier sur pièces, les qualités de cette musique. A commencer par la vitalité, la fraîcheur et la grande beauté du texte. Le livret, né de la plume acérée du poète Jean-Baptiste Rousseau, se place dans la filiation de la flexible langue de Quinault, relevée d’un zeste de spontanéité, ce qui donne un résultat percutant avec un minimum de moyens. Si la structure dramatique n’est pas exempte de faiblesses (importance des divertissements, statisme des interventions de certains personnages), elle sert néanmoins parfaitement la dynamique de l’argument si bien que l’auditeur se surprend plus d’une fois à partager les ardeurs et les désespoirs de Vénus, amoureuse du mortel Adonis, ou le dépit de la princesse Cidippe. La scène des amours de Vénus et Adonis, la colère de Mars ou encore le suicide de Cidippe offrent des moments enchanteurs. On regrettera, bien sûr, la suppression du Prologue. Quant aux décors et costumes “intemporels”, s’ils ne contredisent pas le contenu musical et parviennent même à créer des camaïeux de lumière fort poétiques, ils auraient pu faire l’impasse sur les habituelles fautes de goût (coprins chevelus géants, monticules fumants, brigades du GIGN, sans oublier les allusions sexuelles – Vénus oblige?). La déesse – Karine Deshayes – au timbre chaud et au phrasé ductile, joue de la sensualité, de la rouerie, des contrastes, avec beaucoup de style. Anna Maria Panzarella soutient l’emploi écrasant de Cidippe, de sa diction impeccable, lui prêtant une présence émouvante dans le dernier acte, même si le timbre reste uniforme et, surtout, affecté d’une émission inégale (trémolos comme des larmes dans la voix.., ce qui correspond au personnage!).
Adonis est incarné par le jeune ténor Sébastien Droy dont la voix charnue, la diction ample, la vaillance et l’équilibre laissent présager de belles prises de rôle. Ingrid Perruche, vengeresse fugitive, seconde un dieu Mars (Henk Neven) bon acteur limité par une articulation hasardeuse. Les rôles secondaires comme les choeurs participent du même engagement collectif. De leur côté, la chorégraphe Odile Duboc et ses danseurs parviennent à se fondre dans la musique sans singer le Grand Siècle. Un tour de force! La direction de Christophe Rousset architecture solidement l’ensemble : attentif, il insuffle une ample respiration à la partition. Les Talens Lyriques bénéficient de l’installation scénique rehaussée, instaurant ainsi une cohésion acoustique appréciable entre la scène et la salle. Enfin, l’ouvrage de présentation dirigé par Jean Duron du Centre de Musique Baroque de Versailles et Yves Ferraton (Mardaga), propose un commentaire aussi passionnant qu’exhaustif. C’est dire qu’on est en présence d’une approche du compositeur appuyée sur des études approfondies, exécutée par des interprètes et metteur en scène, tous, bons connaisseurs et amoureux de ce répertoire, à l’opposé du sort musical fait à Donizetti il y a quelques mois. Un succès qui honore grandement la scène lorraine autant que le Lorrain d’adoption que fut Desmarets! « 

Classica – juin 2006 – 28 avril 2006 – La mise en scène bien pauvre de Ludovic Lagarde

« Christophe Rousset avait redonné en 1999 la Didon de Desmarest, tragédie à haute teneur émotionnelle. On attendait avec intérêt cette nouvelle exhumation. Le choc musical est certain : Desmarest était appelé à devenir le digne successeur de Lully. Dommage que ses amours sulfureuses l’aient conduit à l’exil. Un tempérament voluptueux irrigue la partition riche en duos charnels où Adonis et ses femmes, la princesse Cidippe, la déesse Vénus, rivalisent d’assauts. L’acte III, tout entier dévolu à l’amour, est une variation de danses lascives construites sur un tendre la mineur. Ce jardin des tentations préfigure presque le Venusberg de Tannhaüser ou le deuxième acte de Parsifal. De bout en bout, passacailles enamourées et plaintes suffocantes de désir chantent l’érotisme. Rousset et les siens excellent à en restituer les tensions. Une perfection audible dans les récitatifs aux tempos appariés à la complexité de chaque personnage, ou dans la reprise de danses toujours variées mais jamais répétées. Le plateau est de haute lice. Les rivales, Vénus (Karine Deshayes) et Cidippe (Anna Maria Panzarella) s »affrontent de leurs sopranos à la brûlante couleur mezzo et ravissent la vedette aux hommes, beau (l’Adonis de Sébastien Droy) ou bien timbré (le Mars de Henk Neven).
On est plus dubitatif quant à la mise en scène de Ludovic Lagarde. Si le livret torride évite le bordel SM, la déclinaison des couleurs de l’anémone (rouge, lilas, jacinthe, fuchsia, safran, azur), fleur en laquelle, selon Ovide, Adonis se métamorphosa, souffre d’une évidente pauvreté de moyens. Etendoirs de linges baba cool au premier acte, tachisme vaginal au second acte, phallus au troisième et cubisme infernal au quatrième, ces visions ne titillent guère l’esprit. Quant au final, un frère de celui de l’Atys de Lully, il ne rattrape pas l’ennui visuel. »

Diapason – juin 2006 – Atmosphère, atmosphère

« Six ans après avoir exhumé sa Didon, Christophe Rousset revient à Desmarest avec Vénus et Adonis, cette fois mis en scène, à Nancy. Le titre suggère une grande pastorale à mi-chemin entre Blow et Charpentier, mais Desmarest préfère construire sur le récit d’Ovide une tragédie lyrique en bonne et due forme. Toute la singularité de Vénus et Adonis est ici, dans ce décalage entre la matière et le moule. Le récit des Métamorphoses est développé avec à la place du fatal sanglier un couple de jaloux, Mars, amant légitime de Vénus, et la princesse Ciddipe, confidente de la déesse et, comme elle, éprise du plus beau des mortels. Personnage inventé de toutes pièces, elle devient le moteur du drame, attisant par trois fois la colère de Mars : il tuera son rival, et Ciddipe, folle d’amour et de haine, annoncera la nouvelle à Vénus avant de se suicider sous ses yeux, «Trop heureuse de voir la fin de mes malheurs, / Tandis que le rang d’immortelle / Te condamne à souffrir une peine éternelle ». Déploration de l’immortelle et du choeur. Rideau.
Dans les décors légers de Bernard Quesniaux (Tissus flottants rouges et violets au 1, champignons géants et filiformes turquoise au III, composition glaciale tout en petits carrés rouges sur fond noir au V), la distribution de Nancy frôle la perfection, et pourtant Anna Maria Panzarella éclipse tout le monde. Par son instinct dramatique, tout de noblesse, de droiture, de douleur contenue, qui va comme un gant à Ciddipe. Aussi parce que cette princesse discrète, qui explose quand sa carapace se morcelle, est le seul véritable personnage d’un livret bancal, démesuré entre deux divinités et cet Adonis toujours passif. Il fallait du charme pour les rôles-titres : Sébastien Droy et Karine Deshayes en ont à revendre, elle somptueuse et capable d’une vraie tendresse en allégeant un riche mezzo, lui nouveau venu dans le monde baroque et déjà maître d’une déclamation parfaite. Autre révélation, le baryton hollandais Henk Neven, timbre noir et tranchant, à qui l’on souhaite seulement de vite se perfectionner dans notre langue. Panoplie luxueuse de petits rôles, avec notamment Ingrid Perruche et Anders Dahlin — que vient faire ici Ryland Angel, toujours aussi débraillé?
Rousset façonne des danses impeccables et savoure les récits accompagnés dont Desmarest a truffé la partition. Ludovic Lagarde règle une mise en scène lisible autant que sensible on regrette seulement qu’il néglige l’opposition des humains et des dieux, sur laquelle reposent les fragiles premiers actes, redoutablement dilués — on comprend vite pourquoi la Cour a failli quitter la salle au troisième acte lors de la première. Les chorégraphies d’Odile Duboc n’arrangent rien, lentissimes, comme « dénervées », et l’on sort de l’Opéra de Nancy heureux d’avoir découvert l’incroyable Ciddipe et une musique si agréable, en se demandant toutefois si cet opéra essentiellement « atmosphérique », malgré quelques scènes et le dernier acte, gagnait à être mis en scène. »

Forum Opéra – 28 avril 2006

« La recréation de Vénus et Adonis du Lorrain d’adoption Henry Desmarets est l’un des évènements de la saison nancéenne, et bien dans la ligne d’une programmation qui sait emprunter des chemins peu fréquentés. En témoigne l’affluence de « beau monde » pour la première du 28 avril.
Le premier héros de la soirée est donc Desmarest, parfois surnommé « le petit Marais », dont on connaît désormais bien les grands motets, moins les compositions lyriques. Page de la Chapelle du Roi, talentueux, Henry Desmarest démarre une carrière prometteuse sous la bienveillance de Delalande, qui a remplacé Lully, décédé, à la musique du Roi. Sont créées Didon, Circé, Théagène et Cariclée, Les Amours de Momus. Mais en 1697, à la suite du décès de sa femme, Desmarest s’entiche sérieusement de l’une de ses élèves, Marie-Marguerite de Saint-Gobert, au point de lui promettre le mariage, de l’engrosser d’un fils qui mourra en bas âge, et, sans attendre le résultat du procès que lui intente le père, d’enlever la belle – puis l’aventure devient plus calme, qui voit les amants unis par le mariage jusqu’au décès de Marie-Marguerite en 1727. Condamnation à être pendu, en effigie qu’on se rassure, fuite en Espagne, puis, après la dissolution par Philippe V de la troupe de musiciens français, en Lorraine, où Stanislas le nomme surintendant de la musique. Les lorrains d’aujourd’hui ont tout lieu de chérir Desmarest, qui inaugura en 1709 l’opéra de Nancy (avec Astrée), y créa quelques opéras ponctuant les musiques de cour de Lunéville, et mourut dans ce même château de Lunéville, fidèle à ses hôtes malgré la levée des condamnations lui interdisant Paris.
Vénus et Adonis est composé en pleine tourmente due aux amours illicites du jeune Desmarest, et l’on devine sans peine ce qui l’inspira dans le beau duo de Vénus et Adonis à l’acte II. C’est à Christophe Rousset que Laurent Spielmann a confié la partition, préalablement restituée par Jean Duron. Les Talens Lyriques sont en plein forme, le continuo très (trop ?) présent et actif, la direction de Rousset toujours aussi précise et analytique envers des troupes d’une ductilité magnifique. L’attention à l’équilibre interne des timbres, mais aussi à celle du plateau et de la fosse, est constante. Mais ce pointillisme a ses revers : on aurait souhaité par moments moins de prudence, plus d’influx, de dynamiques, de rythme. Quant à la partition, si elle n’égale pas dans son ensemble les plus belles pages de Lully ou Rameau, elle recèle des moments magnifiques, comme le duo de Vénus et Adonis au début de l’acte II, conversation intime et séductrice parée dans des atours élégants ; ou encore les cinq airs sur une longue basse de passacaille du début de l’acte IV ; ou encore le récitatif accompagné tourmenté de Cidippe, « Il me fuit ! Dieux ! Quelle rigueur ! » à l’acte V.
Plateau vocal féminin superlatif. Karine Deshayes incarne idéalement la pulpeuse Vénus. Timbre rond, sincérité magnifique, elle semble un peu contrainte au début, puis se libère somptueusement à partir de l’acte II. Anna-Maria Panzarella construit de Cidippe un portrait riche et touchant, agaçante au départ par ses plaintes mondaines, puis de plus en plus humaine, violente et tragique, timbre très personnel, intonation et diction d’une stupéfiante précision. Notable Ingrid Perruche, chichement distribuée, dans le court rôle de Bellone, élocution d’un naturel confondant. Du côté masculin, on est plus convaincu par la Jalousie diabolique de Jean Teitgen que par le Mars construit mais peu puissant du baryton Henk Neven. Mais c’est le – beau – ténor Sébastien Droy qui, fidèle à son rôle, séduit le plus, et pas seulement par sa plastique : le timbre est d’une belle richesse. Mention particulière pour des seconds rôles investis et remarquablement caractérisés, notamment le duo féminin de Laure Baert et Yu Ree Jang (quelle qualité de diction pour cette dernière !). Très sollicités, les danseurs évoluent sur une chorégraphie intemporelle de Odile Duboc, toute de frôlements et d’enroulements sensuels.
On sera moins enclin à la louange pour la mise en scène. Les longs moments d’intermèdes laissent les chanteurs un peu esseulés, les chœurs notamment à qui, dans leurs longs voiles (ou pyjamas ?), il ne manquerait guère qu’un joint pour rejoindre illico un sérail hippie. D’autant plus dommage que leurs interventions sont particulièrement réussies vocalement. Ludovic Lagarde crée des ambiances colorées, soigne l’allusif, ouvre le plateau sur une penderie aux tons indiens (mauve, rose) soigneusement dégradés. Problème : ça ramollit la musique ; ça noie l’ouvrage dans une eau de roses alanguie que vient contredire le rouge Betty Boop de Vénus. Puis – Hollywood oblige – arrive Groucho Marx, je veux dire la Jalousie, et sa troupe d’automates aux sourcils épais, et costards de mafieux. Que viennent contredire à leur tour les costards blancs immaculés de Mars et de ses séides. Champignons et méduses que l’on suppose venimeuses, chiches paillettes tombant du ciel, Vénus jouant à la pin-up Canal+ sur un champignon bleu-vert, caillou crachant un pet de vapeur… Commando cagoulé d’un goût douteux, ralenti cinématographique sur fond de karaté…. Deux gros yeux globuleux façon Tex Avery… Dans tout ce kitsch au mieux drôle, au pire ridicule, on ne voit pas très bien où veut en venir Lagarde : Distanciation ou pas ? L’œuvre se prête-t-elle vraiment à la parodie ? On en doute, en tout cas la partition lutte constamment contre ce choix. Et le simple fait de se poser la question y répond : si parodie il y a, elle ne fait pas rire, si premier degré il y a, il est grotesque. La sensualité des chanteurs et de l’orchestre nous semble une meilleure lecture. « 

Est Républicain

« Totalement baroque avec des résonances étonnamment modernes. La tragédie lyrique « Vénus et Adonis », composée par Henry Desmarest en 1697 et présentée actuellement à l’Opéra national de Lorraine à Nancy bénéficie de l’efficace direction de Christophe Rousset, à la tête de son ensemble les « Talens lyriques » et d’une mise en scène joyeuse et colorée de Ludovic Lagarde.
Le livret de Jean-Baptiste Rousseau s’inspirant des Métamorphoses d’Ovide raconte comment Vénus réussit à séduire Adonis qui avait pourtant promis à Diane de rester insensible aux charmes féminins. La drague divine s’opère sous les yeux de Cidippe qui en pince pour le bel Adonis. Pour se venger, celle-ci attise la jalousie de Mars, l’époux de Vénus. La déesse de la beauté évite temporairement la scène de ménage, en assurant à son mari qu’elle n’est qu’une allumeuse et qu’elle a agi pour exciter l’amour de son unique dieu. Quand Mars se rend compte qu’il a été roulé dans la farine, il déchaîne les armées de Bellone. Il appelle aussi Diane à la rescousse, qui dépêche un monstre pour croquer tout cru l’aventureux Adonis. De douleur, Cidippe se fait hara-kiri.
Un drame servi dans une magnifique langue du XVIIe siècle, avec un traitement de la psychologie des personnages qui le rend intemporel. C’est ce qu’a voulu faire ressortir Ludovic Lagarde en habillant les protagonistes en vêtements de notre époque, tout en les plaçant dans un décor poétique de tissus subtilement colorés dans des tons pastels et d’éléments dessinés et peints par Bernard Quesniaux. A l’acte 3, dans le jardin où Vénus s’apprête à recevoir son amant, se dresse un immense coprin dont la symbolique n’a pas besoin d’explication. Un curieux autel appelle à la célébration du culte de l’amour, tandis que des confessionnaux faits de toiles vaporeuses laissent deviner de charnels péchés. Il faut saluer le très beau travail de lumière.
Musicalement, la partition qui ménage une majestueuse ouverture à la française, et de beaux airs de charme (Vénus et Adonis), de douleur (Cidippe) et de colère (Mars et Bellone) fait l’objet d’un remarquable traitement, tant de l’orchestre des Talens Lyriques dirigé par Christophe Rousset que du plateau très homogène. Karine Deshayes campe une Vénus vocalement séduisante. Anna-Maria Panzarella donne au désespoir de Cidippe beaucoup d’émotion. Adonis a trouvé en Sébastien Droy un interprète parfaitement convaincant. En Mars, Henk Neven a une belle prestance, même si le terrible dieu de la guerre manque un peu de coffre et l’apparition d’Ingrid Perruche dans le rôle de Bellone fait regretter que le compositeur n’ait pas réservé un rôle plus important à la partenaire de Mars. Les seconds rôles et le choeur méritent de chaleureux applaudissements, tout comme les danseurs d’Odile Duboc. La chorégraphe a réussi à couler des mouvements modernes dans le moule de la musique baroque.
Tout concourt à la réussite de cet ouvrage et, pourtant, les divines langueurs ont l’éternité devant elle, alors que les mortels auditeurs, eux, se prennent parfois à mesurer le temps. »

Concertclassic – 2 mai 2006 – Ménage à trois chez les dieux

« Décédé à Lunéville le 7 septembre 1741, il était normal que l’Opéra National de Lorraine rende hommage à Henry Desmarest, compositeur qui, avec Le Temple d’Astrée, inaugure le nouvel Opéra de Nancy en 1709. Crée en 1697 Vénus et Adonis retrouve une nouvelle jeunesse grâce à la complicité de Christophe Rousset. La musique fort belle louche du côté de Monsieur de Lully, avec peut-être ce manque de concision qui fait le charme du surintendant de Louis XIV. Le spectacle mis en scène par Ludovic Lagarde est des plus convenu. Rien de spectaculaire dans cette conception, un peu de magie et de machinerie auraient animées un spectacle fort beau plastiquement mais sur lequel plane un ennui certain. Heureusement pour nous le plateau réuni pour la circonstance est de haut niveau.
Sébastien Droy que l’on avait pu applaudir « in loco » dans le comte Almaviva, nous gratifie dans le personnage d’Adonis d’une prestation exemplaire. Voix souple sur toute la tessiture, phrasé baroque impeccable et diction irréprochable. Karine Deshayes, dans une superbe robe rouge, campe une Vénus envoûtante et l’on comprend les émois d’Adonis en la voyant paraître. La voix pulpeuse est bien conduite et le charme opère à chacune de ses interventions. C’est à Anna-Maria Panzarella que revient la tache ingrate de donner vie à Cydippe, la rivale par qui le drame arrive. Avec un joli timbre fruité, un art consommé de la prosodie, elle forme avec les deux précédents un trio de choc ! Rien à dire sur le Mars de Henk Neven, non pas que la voix manque de charme, mais on n’adhère aucunement à ses emportements, et nuls frissons ne nous parcourt lors de ses imprécations à Bellone, fort bien chantée d’ailleurs par Ingrid Perruche malgré un costume fort laid.
Les nombreux personnages qui composent cette tragédie sont excellemment interprétés, avec une mention spéciale pour Anders Dallin, qui, dans « Un Plaisir et un Habitant », irradie la salle avec une voix souple et bien timbrée. Ballet superbement réglé par Odile Duboc, qui, avec une chorégraphie moderne, intègre admirablement la gestique Baroque insufflée par l’Orchestre. Christophe Rousset, à la tête des Talens Lyriques, donne de cette partition une interprétation juste, avec des violons charmeurs, auxquels on aurait souhaité des cordes graves plus présentes. Superbe travail réalisé avec les chanteurs, dont tous chantent dans un français impeccable, ainsi qu’un respect de la prosodie baroque qui force l’admiration. Une création qui reste avant tout un charme pour les oreilles. « 

Les ÉchosRésurrection divine

« L’histoire de la musique est jalonnée de retours en grâce que nul n’aurait imaginés. Celui de Marin Marais, par exemple. Henry Desmarest (1661-1741), son exact contemporain, bénéficiera-t-il du même regain d’attention ? Si l’on entendait parfois ses superbes motets, ses ouvrages lyriques avaient disparu depuis des lustres. Il appartenait à l’Opéra de Nancy de faire revivre celui qui, condamné à mort pour avoir séduit et enlevé l’une de ses élèves, avait fui la France en 1699 pour se réfugier à Bruxelles puis en Espagne, et enfin en Lorraine, où il occupa les fonctions de surintendant de la musique – il mourut à Lunéville.
« Vénus et Adonis » s’ouvrait, comme il se doit, sur un prologue en hommage au dédicataire, Louis XIV, supprimé pour ces représentations. Les cinq actes, lointainement inspirés d’Ovide, content un drame de la jalousie. Cidippe est amoureuse d’Adonis, Vénus aussi, à la grande fureur de Mars. Des amours tumultueuses qui se terminent mal et que Ludovic Lagarde met en scène en obtenant de ses interprètes un jeu subtil et fin, sans pose ni emphase, assurant la fluidité du récit. La chorégraphie d’Odile Duboc, sans prétention ni recours à un modernisme incongru, s’intègre tout naturellement à la trame dramatique, qu’elle illumine avec fraîcheur.
Sont-ils plus proches de nous, ces dieux et ces déesses, parce qu’ils sont en complet veston et robe du soir, ce qui n’est pas vraiment original ? C’est à voir ! Les décors sont signés du peintre Bernard Quesniaux ; ces loques qui pendillent sur un étendoir géant, au premier acte, ne sont guère heureuses. Ces associations de couleurs – framboise, rose, fuchsia… -, on les a vues cent fois ; elle réussissent pourtant à créer une atmosphère de fête, toute comme la vision abstraite en rouge et noir de l’acte IV impose un climat inquiétant. Quant aux costumes de Virginie et Jean-Jacques Weill, ils sont amusants mais n’ont rien de particulièrement flatteur.
Toute cela importe peu. L’essentiel, c’est la musique. Une partition de toute beauté (Jean Duron, du Centre de musique baroque de Versailles, en a magistralement réalisé l’édition, et son travail s’est concrétisé par un livre publié chez Mardaga), riche, variée, délivrée du carcan qui pèse parfois sur la tragédie lyrique. Une musique libérée et fantasque, dont Christophe Rousset, à la tête de ses Talens lyriques, exalte la fantaisie et fait vibrer chaque mesure, tout en restant attentif à son lyrisme et à sa tendresse. Un Rousset à son meilleur, élégiaque et raffiné dans les moments d’émotion, alliant dynamisme et rigueur dans les danses.
L’équilibre de la distribution est un précieux atout, le soin apporté par les chanteurs à la clarté de leur élocution aussi – il est reposant de comprendre chaque mot et de ne pas avoir à se décortiquer le cou pour lire les surtitres. L’émouvante musicalité d’Anna-Maria Panzarella (Cidippe), le chant incisif de Henk Neven, remarquable pour une première incursion dans ce répertoire, même si Mars mérite un registre inférieur plus corsé, la ligne vocale scrupuleuse de Sébastien Droy sont dignes d’éloges. Karine Deshayes l’emporte par sa présence, son aisance, l’éclat sensuel de son timbre, la facilité de son style – une étoile du chant français à l’aube d’une carrière qui s’annonce exceptionnelle. »

Anaclase.com – 28 avril 2006

« Le livret de Jean-Baptiste Rousseau emprunte aux Métamorphoses d’Ovide son couple principal : le mortel Adonis a promis à Diane de renoncer à l’amour, mais ne peut rester indifférent à l’intérêt que lui porte Vénus ; Cidippe, qui souffre d’être ignorée, déclenche la jalousie de Mars, compagnon trahie par la déesse. Diane intervenant elle aussi, il ne reste plus aucun espoir de survie pour Adonis, ni de raison de vivre pour Cidippe, qui se donne la mort. Deux ans plus tard, les amours contrariées de cette fiction seront le quotidien du compositeur, forcé à l’exil jusqu’en 1721, après avoir enlevé une de ses jeunes élèves, enceinte de lui, qu’on ne lui laissait pas épouser.
Pour rendre compte de ces cinq actes qui n’évoquent que des tensions amoureuses, la mise en scène de Ludovic Lagarde a privilégié des ambiances. Peu sollicités par l’action, les solistes et l’appréciable Chœur de l’Opéra de Nancy et de Lorraine, tels les doux membres d’une secte pacifiste, déambulent le plus souvent sous des voiles vaporeux de couleur parme, saumon et rosâtre. A l’Acte III, le décor de Bernard Quesniaux offre à Vénus un jardin verdoyant mais toujours composé de matières souples, de formes molles. La chorégraphie d’Odile Duboc répond également à cette volonté générale de langueur, en favorisant le frôlement des corps habillés de blanc. Esthétiquement, tout n’est pas convainquant, comme ces carrés colorés, suspendus à l’Acte IV, ou les deux globes oculaires du dernier acte, qui évoquent un monstre vengeur de façon distanciée et ridicule. Bref : l’intérêt de cette nouvelle production réside avant tout dans les voix.
Karine Deshayes, Vénus de rouge vêtue, possède un chant évident, clair et sonore qui installe immédiatement son personnage. Sa rivale est incarnée par Anna-Maria Panzarella, soprano aux aigus fiables, au timbre typé, qui séduit moins, cependant, par un jeu plus extérieur. Henk Neven – Mars – est un baryton aux graves solides, Jean Teitgen – La Jalousie – une basse vaillante à l’émission maîtrisée un peu raide sur les ornements. Pour sa souplesse et un timbre discrètement épicé, notre préférence va à Sébastien Droy, trop peu applaudi pour sa tendre interprétation d’Adonis. Autre ténor à nous enthousiasmer : Anders Jerker Dahlin, à la belle pâte sonore utilisée avec nuances. Enfin, regrettons la trop courte apparition d’Ingrid Perruche, Bellone à la diction irréprochable, souple autant que saine, qu’on aurait souhaité autrement distribuée. Après une ouverture à l’articulation soignée, Christophe Rousset, met beaucoup de délicatesse à soutenir les chanteurs, de vivacité pour les ballets et, plus généralement, de sensualité dans la lecture qu’il signe à la tête des Talens Lyriques. »