L’Argia, le peripezie d’Amore

Décor pour L'Argia

COMPOSITEUR Marc’Antonio CESTI
LIBRETTISTE Giovanni Filippo Apolloni


Opéra de style vénitien, sur un livret de Giovanni Filippo Apolloni (*), représenté à Innsbruck, au début du mois de novembre 1655, dans le cadre des festivités organisées par l’archiduc Ferdinand-Charles à l’occasion du séjour de Christine de Suède. Celle-ci venait d’abdiquer pour s’être convertie au catholicisme, et se rendait à Rome pour s’y établir. La reine fit son entrée officielle à Innsbrück, le 31 octobre 1655, où « jamais on ne vit pareille splendeur ni pareille allégresse« , et en repartit le 8 novembre.

La représentation dura six à sept heures.
Tous les chanteurs étaient italiens, appartenant à la troupe réunie par Ferdinand-Charles pour le nouveau théâtre qu’il avait fait construire. Sept d’entre eux étaient des castrats. Anna Renzi fut particulièrement félicitée par la reine qui lui fit cadeau d’une chaîne avec une médaille.
Anna Renzi

Reprise à Rome en 1657, à Naples en 1667, au San Samuele de Venise et à Milan en 1669, à Sienne en 1670.
On dispose de trois manuscrits, dont deux, assez complets, sont conservés à Naples, et le troisième à la Bibliothèque San Marco, correspondant à une reprise à Venise, en 1669, dans une version réduite.

(*) Giovanni Filippo Apolloni (v. 1635-1688), librettiste de renom, qui faisait partie de l’entourage du cardinal Flavio Chigi. Il écrivit des livret pour Antonio Cesti, Marte Placato et L’Argia (1655) montés à Innsbruck pour le passage de Christine de Suède, puis La Dori (1657) qui fut l’un des opéras les plus donnés du XVIIème siècle. Il fut l’ami de Giovani Battista Ricciardi par l’entremise duquel il entra en relation avec Cesti et Salvator Rosa. Il fut également le protégé de Leopold de Médicis. Appelé à Rome auprès de Chigi, il commença une collaboration fructueuse avec Alessandro Stradella (qui avait commencé sa carrière auprès le l’ancienne souveraine de Suède), pour lequel il écrivit une Circe (1667), pour des festivités en l’honneur du cardinal Leopold de Médicis, et un Scipione Affricano qui inaugura le théâtre Tordinona en 1671. (Operas Data Base – L’Empio punito)



Personnages : Teti et Amore (prologue) ; Atamante, roi de Chypre, père de Lucimoro et de Dorisbe, il regrette la perte de son fils et de sa femme ; Dorisbe, fille d’Atamante, amoureuse du prétendu page Laurindo; Feraspe, prince d’Eubée (Negroponte), à la recherche de sa soeur Argia ; Aceste, écuyer de Feraspe ; Argia, princesse d’Eubée (ou Negroponte), soeur de Feraspe, déguisée en homme sous le nom de Laurindo, abandonnée par son époux secret Selino, elle a fui sa patrie pour partir à sa recherche, et vit à la cour de Chypre comme page ; prince de Thrace, en réalité Lucimoro, fils d’Atamante, héritier du trône de Salamine, d’où il a été enlevé enfant ; Solimano, précepteur de Selino ; Dema, vieille nourrice de Dorisbe ; Lurcano, bouffon, au service d’Atamante ; Filaura, chanteuse et courtisane, favorite du roi, tombe amoureuse de Laurindo ; Alceo, eunuque, serviteur de Filaura ; Osmano, ermiter, a élevé le fils secret d’Argia et selino ; un Enfant, fils de Lucimoro et d’Argia ; soldat de la forteresse de Salamine ; Vénus, protectrice de Chypre ; l’Innocence ; chœur des Marins ; chœur des Soldats ; chœur des Dieux.

Synopsis détaillé
L’action se déroule à Chypre où Vénus naquit, demeura et aima et où les seuls amis sont ceux qu’apporte l’amour. Tout enfant, Lucimoro, prince de Chypre, héritier du trône, a été enlevé par des pirates avec son tuteur Osmano. Vendu en Thrace, il a été adopté par le roi Ali et prénommé Selino. Osmano s’est enfui sur l’île d’Eubée (Negroponte), pour y vivre inconnu en ermite. Il est seul à savoir la vérité à propos du prince, fils du roi Atamante et de la défunte reine Doricrene. Ayant grandi, Selino s’est rendu en Eubée avec son précepteur Solimano. Là, il a épousé secrètement Argia, la fille du roi. Alors qu’elle était enceinte, il a fui vers Chypre, où il s’est épris de Dorisbée, la fille du roi Atamante, ignorant qu’elle était sa soeur. Non loin de la cabane d’Osmano, Argia a mis au monde un fils qu’elle a confié à l’ermite. Elle s’est déguisée en homme, s’est fait appeler Laurindo et se retrouve page à la Cour de Chypre, où elle a séduit Dorisbée pour contrecarrer les plans de son « époux ».
Acte I
Mer et port de Salamine, à Chypre, avec vue sur la forteresse. Accoste une barque avec, à son bord, Feraspe, prince d’Eubée, frère d’Argia, Aceste, son écuyer, et le choeur des Marins
(1) Le choeur des Marins chante l’arrivée à Chypre. Ils sont hélés par des soldats qui les interrogent et les laissent débarquer. Ils doivent toutefois commencer par rendre hommage à la grande déesse de Chypre, ce qu’ils font en tirant des coups de canon et en faisant jouer trompettes et tambours. (2) Feraspe félicite son écuyer pour avoir dissimulé son origine. Il est pressé de retrouver sa soeur Argia. Ils se cachent alors qu’un garçon arrive en pleurs. (3) Celui-ci est Argia, déguisée en Laurindo, qui se lamente d’un amour trahi. Feraspe l’aborde, sans reconnaître sa soeur qui elle, le reconnaît, mais n’en laisse rien paraître. Feraspe lui demande le chemin qui conduit à la cour, et Laurindo le lui indique.
Dans le palais royal
(4) Le roi Atamante, toujours en deuil de son fils disparu, se plaint amèrement de son triste sort. Le bouffon Lurcano philosophe. (5) Alceo, l’eunuque de la courtisane Filaura, arrive, porteur d’une lettre de cette dernière. Atamante demande à Lurcano d’aller chercher sa fille, et renvoie Alceo chez Filaura. (6) Dorisbe arrive. Atamante lui de se préparer à invoquer Vénus pour le retour de Lucimoro. Atamante quitte le palais avec Lurcano qui croise Dema. (7) Dorisbe lui demande de la laisser seule car Laurindo arrive. (8) Dorisbe et Laurindo échange des mots d’amour. Laurindo fait état d’un secret qu’il ne peut lui dévoiler. Dorisbe se promet bien d’épouser Laurindo, mais Laurindo lui répond préférer la mort sans lui expliquer pourquoi. (9) Selino survient, qui laisse éclater son amour pour Dorisbe. Argia, qui sait que Selino est en fait son époux Lucimoro qui l’a abandonné, enrage. Dorisbe repousse Selino, qui annonce qu’il part en exil, en espérant, en vain, que Dorisbe le retiendra. (10) Solimano, précepteur de Selino, presse celui-ci de partir. Selino refuse, ne pouvant quitter Dorisbe, même s’il en souffre.
Dans la cour du palais royal
(11) Feraspe et Aceste sont arrivés au palais, et décident d’interroger un serviteur. Ils rencontrent Dema. (12) Dema pleure sa jeunesse perdue qui ne lui permet plus les joies de l’amour. Elle tombe amoureuse immédiatement de Feraspe qui l’interroge sur Dorisbe. Dema lui apprend que celle-ci doit se rendre au temple. Elle interroge à son tour Feraspe sur son nom et son origine. (13) Laurindo se joint à la conversation. Dema interroge Feraspe sur les événements de Negroponte. Feraspe annonce qu’Argia a disparu depuis quatre ans. Dema promet de l’aider à la retrouver. (14) Restée seule, Laurindo est désespérée, et s’évanouit. (15) Alceo et Filaura arrivent. Alceo, éméché, en voyant Laurindo à terre, croit qu’il a, aussi, abusé du vin. Filaura en profite pour avouer son amour à Laurindo qui la repousse. Filaura, vexée, jure de se venger. (16) Alceo chante Bacchus, au milieu d’un choeur d’esclaves bouffons qui dansent.
Acte II
Le temple de Vénus
(1) Atamante et Dorisbe invoquent la déesse. Vénus descend sur son char annonce à Atamante que son fils va lui être rendu, mais qu’il prenne garde qu’à peine retrouvé, il ne doive le tuer ou le perdre à jamais. Atamante est stupéfait. (2) Dema introduit Feraspe auprès de Dorisbe. (3) Feraspe lui annonce que sous son apparence une âme noble lui apporte son amour et lui demande le sien en retour. Dorisbe ne comprend pas, et part avec Dema, en confiant Feraspe à Laurindo. (4) Laurindo interroge Feraspe qui lui répond être à la recherche d’Argia. Laurindo, ne pouvant en supporter plus, le quitte.
Les appartements de Filaura
(5) Alceo est mécontent que Filaura ne l’ait pas laissé se reposer, et qu’il lui soit maintenant lié. (6) Filaura est auprès d’Atamante, qui s’endort. Atamante se réveille et annonce qu’il doit partir. Filaura essaye en vain de le retenir. (7) Filaura, qui a feint l’amour devant Atamante, demande à Alceo de l’aider pour se venger de Laurindo. Alceo se récrie lorsque Filaura lui demande de tuer Laurindo. En revanche, il accepte de l’espionner. (8) Laurindo a entendu les dernières paroles de Filaura qui le menaçait de mort. Elle manifeste elle aussi le désir de se venger de Selino.
Un jardin, avec vue sur le palais royal
(9) Solimano presse à nouveau Selino de fuir, et lui rappelle le sort qu’il a réservé à Argia. (10) Leur conversation est entendue par Laurindo cachée. Selino ne peut supporter que Solimano lui parler d’Argia, et va le tuer. Laurindo se découvre et l’en empêche. Solimano s’enfuit. (11) Selino accepte que Laurindo aille raconter son secret à Dorisbe. Laurindo lui promet que celle-ci viendra le rencontrer. Lorsque Selino est parti, Laurindo se réjouit du piège dans lequel Selino est tombé. (12) Lurcano raille Dema : ses charmes flétris n’attirent plus aucun amant. (13) Dorisbe donne rendez-vous à Laurindo pour la nuit, dans une chambre du palais. Laurindo accepte, mais intercède en faveur de Selino. Elle lui demande de lui faire bon accueil. Dorisbe promet. (14) Selino arrive. Comme promis, Dorisbe feint l’amour et confie Selino à Laurindo. (15) Selino fait part de sa surprise du changement d’attitude de Dorisbe. Laurindo lui explique que, si Dorisbe était réservée, c’est parce qu’on a appris qu’il avait séduit et abandonné la princesse Argia. Elle rassure Selino en lui disant qu’après en avoir été irritée, Dorisbe l’aime. (16) Alceo est caché pour espionner Laurindo. Laurindo annonce à Selino que Dorisbe va venir passer la nuit avec lui. Alceo va raconter ce qu’il a entendu à Filaura. (17) Feraspe est écartelé entre sa recherche d’Argia et son amour pour Dorisbe. (18) Lurcano est inquiet, car Filaura, instruite par Alceo, est venue en parler au roi, qui interroge Alceo. Filaura jubile. Atamante demande à Lurcano d’appeler la garde royale. (19) Selino attend Dorisbe. Laurindo vient le chercher et rejoint Dorisbe qui l’attendait de son côté. (20) Atamante survient avec la garde ; il les fait arrêter et emprisonner. (21) Atamante se lamente et en appelle aux furies des enfers. Il délire, et on voit danser le choeur des songes.
Acte III
Galerie voûtée dans les prisons
(1) Lurcano s’apitoie d’être devenu geôlier, et d’être sans cesse appelé par les prisonniers. (2) Osmano, accompagné d’un jeune enfant, arrive en se réjouissant d’être revenu à Salamine. Il s’inquiète toutefois pour le sort de l’enfant. Osmano est reconnu par Laurindo qui l’appelle. Osmano reconnaît Argia qui lui demande de l’aider. Il lui présente son fils. Argia le charge d’une lettre pour Filaura. (3) Dema craint que Feraspe lui fasse perdre la tête. (4) Aceste vient annoncer à Feraspe que le roi Atamante a condamné les prisonniers au supplice, sauf à ce que quelqu’un combatte pour eux. Feraspe décide de se faire reconnaître et de combattre en faveur de Dorisbe. (5) Osmano arrive chez Filaura pour lui porter la lettre. Filaura hésite entre la colère et l’amour. Elle décide de soustraire Laurindo à la mort. (6) Lurcano décide de quitter la prison, et explique à Solimano qu’on va se battre pour la vie de Selino et l’honneur de Dorisbe. (7) Laurindo se retrouve en liberté. Solimano s’aperçoit, à part lui, qu’elle est une jeune fille. Laurindo lui annonce qu’il va combattre pour Selino.
L’arène où doit avoir lieu le tournoi
(8) Atamante se lamente et souhaite la mort de ceux par qui son honneur a été perdu. (9) Aceste annonce l’arrivée du prince Feraspe, en champion de Dorisbe. (10) De son côté Solimano annonce qu’un guerrier inconnu se pose en champion de Selino. Ils sont tous deux agréés par le roi. On entend un appel de trompette. (11) Le combat a lieu entre Feraspe et Laurindo. Feraspe désarme Laurindo qui se découvre. Laurindo demande à Atamante de respecter les règles et de condamner Selino à la mort. Atamante se réserve la décision. Feraspe et les soldats sortent. Deux pages apportent des coupes de poison et font entrer Dorisbe et Selino. (12) Atamante s’adresse à eux et confirme la sentence de mort. (14) Dorisbe en appelle à la pitié. Selino décide de boire les deux coupes de poison pour la sauver. (14) Laurindo l’arrête et entreprend de démontrer au roi leur innocence. Il fait avouer à Dorisbe que c’est lui qu’elle attendait et non Selino, et que c’est lui qui a attiré Selino pour le compromettre. Laurinda essaie de faire avouer à Selino qu’Argia était bien son épouse. (15) Feraspe les rejoint. Selino finit par avouer qu’il avait promis sa main à Argia, mais qu’elle est morte. Laurindo rétablit la vérité en découvrant son identité. (16) Osmano arrive avec l’enfant. Selino avoue ses trahisons et mensonges, et demande à Solimano de retourner en Thrace auprès de son père Ali. Osmano révèle alors que Selino ne peut être le fils d’Ali, et qu’il est en réalité Lucimoro, le fils perdu d’Atamante. (17) Atamante comprend la prophétie de Vénus. Dorisbe et Lucimoro se retrouvent comme frère et soeur. Lucimoro demande à Argia de lui pardonner. Argia accepte. Feraspe demande à Atamante, qui accepte, la main de Dorisbe. Choeur final.
Le livret comporte quatre ballets : ballet des Bouffons, des Fantômes, des Soldats et des Marins. Il nécessite par ailleurs des « machines » pour : le coquillage de Thétis, le navire dans lequel arrivent Fersape et Aceste, le trône céleste de Vénus, le vol d’Amour du ciel vers la mer, puis du coquillage vers le ciel, quatre fantômes qui veulent danser le ballet différemment.

Livret

Représentations :
Théâtre des Champs Elysées – 19, 21, 22, 24 octobre 1999 – Concerto Vocale – dir. René Jacobs – mise en scène Jean-Louis Martinoty – décors Hans Schavernoch – costumes Emmanuel Peduzzi – lumières Jacques Benyeta – avec Laura Polverelli, mezzo-soprano (Laurinda-Argia), Dorothée Jansen, soprano (Dorisbe), Darina Takova, soprano (Filaura, Vénus), Graham Pushee (Selino-Lucimoro), David Pittsinger (Atamante), Christsophe Laporte (Feraspe), Dominique Visse (Lucano), Bernard Loonen (Dema, Soldato), Steven Cole (Alceo), Gregory Reinhart (Solimano), Antonio Abete (Osmano), Riccardo Novaro (Aceste), Mathieu Ferragati (L’enfant)

Opéra International – décembre 1999 – 19 octobre 1999

« Ce type d’opéras dont on a perdu, pour certains la pratique musicale, et dont on connaît mal la représentation d’origine, a besoin, pour retrouver vie, d’une mise en perspective. Pour notre part, nous ne sommes pas sûrs que la musique d’Antonio Cesti atteigne constamment les sommets de son compatriote Monteverdi, mais du moins le metteur en scène fait-il tout pour qu’on puisse le croire, d’autant qu’il collabore avec un chef, René Jacobs, qui maîtrise totalement articulation, tempi et accompagnement de la voix. Quel plaisir de retrouver l’imagination de Martinoty, son aptitude à faire saisir au spectateur attentif, tous les degrés d’interprétation possible d’une oeuvre, avec l’aide de son complice Hans Schavernoch !
Par rapport à Lausanne, la distribution avait été en partie modifiée. Le rôle-titre travesti était tenu, cette fois, par la jeune mezzo Laura Polverelli, au timbre si chaleureux. La soprano Dorothee Jansen a retrouvé Dorisbe, quoique souffrante, mais s’est fort bien tirée d’affaire. Parmi les personnages principaux, en revanche, le contre-ténor Graham Pushee possède un timbre fort ingrat : on n’en demande pas tant à cet interprète pour rendre antipathique son personnage de mari coureur…On retrouvait enfin, avec plaisir, le ténor de caractère Steven Cole en eunuque, le contre-ténor Dominique Visse, toujours excellent comédien, en bouffon du roi et le ténor aigu Bernard Loonen, méconnaissable et désopilant en vieille nourrice. »

Concertonet – 19 octobre 1999

« L’Argia fut écrit en 1655 pour Innsbruck à l’occasion du passage de Christine de Suède, et recréé là-bas par René Jacobs. On l’a depuis revu à Lausanne. Chaque fois ce spectacle diffuse un bonheur unique, merveilleux mélange de sérieux et de comique. Plus qu’un « opéra », c’est du théâtre burlesque, des travestissements redoublés où farces et mélodrames sont juxtaposés. La virtuosité se situe à tous les niveaux. Dans cette intrigue mouvante, en cascades, impossible de s’ennuyer une seule seconde. Il faut convenir que dans ce répertoire où tous les rôles sont importants, la pièce doit beaucoup aux performances théâtrale et vocales des chanteurs, impressionnantes ici. A côté de l’émouvante Argia, on retiendra évidemment Dominique Visse absolument parfait pour son rôle de bouffon du roi. Il mérite à coup sûr de rester dans les mémoires non seulement pour son chant protéiforme, du ténor au mezzo-soprane mais aussi pour son génie à composer ce genre de personnage. De même pour l’incroyable Steven Cole dont la voix est un véritable caméléon. Mais les autres voix ne sont pas non plus avares en couleurs !
La mise en scène est un modèle du genre. Jean-Louis Martinoty met en relief avec inventivité, vigueur, intelligence et humour tous les tourbillons rocambolesques et rhétoriques du livret de Giovanni Filippo Apolloni. Les méprises et les erreurs qui se multiplient vont jusqu’à donner un labyrinthe. Un ingénieux système de miroirs – clin d’oeil à Leibniz via Deleuze – en panneaux habille la richesse de l’intrigue. L’orchestre est bigarré, incroyable de dynamisme. L’arrangement de René Jacobs en tire toutes les possibilités imaginables. Mais finissons par la musique, impressionnante de bout en bout, à la fois sublime et irrésistible et en rien inférieure aux plus grands noms du siècle. On ne peut que souhaiter au Théâtre des Champs-Elysées de pouvoir remonter d’autres opéras de Cesti, Cavalli, et d’autres italiens du XVIIe siècle. On se pose une seule question : heureusement qu’il y a René Jacobs pour faire ce répertoire, mais pourquoi est-il le seul ? »

Altamusica Le rire et les larmes selon René Jacobs – 21 octobre 1999

« Pari tenu avec cette Argia que Paris vient de découvrir dans sa fastueuse extravagance, deux ans après Lausanne et Innsbruck. Un prototype de l’opéra post-montéverdien, avec son intrigue foisonnante et encombrée d’invraisemblances (les accidenti verissimi comme les appelaient non sans ironie les contemporains) ; la règle du jeu dramatique étant de mêler le rire et les larmes, comme le veut la loi des contrastes chère au Baroque.
S’appuyant ici sur les effets d’une caustique modernité (l’Ile de Vénus – c’est-à-dire Chypre – transposée à l’heure du  » tourisme-charter  » !), ailleurs renvoyant noblement aux références de l’ordre antique, la mise en scène de Jean-Louis Martinoty n’a rien perdu de son efficacité ni de sa fraîcheur. Et si parfois, la mécanique drolatique qui portait irrésistiblement les gags dans la production de Lausanne s’enraye un peu ici, Steven Cole et Dominique Visse sont néanmoins des amuseurs impayables dans les emplois de la nourrice et du bouffon. Et les arguments de l’interprétation restent toujours aussi convaincants, avec la belle ligne de chant de la mezzo Laura Polverelli dans le rôle-titre (mais je préférais l’engagement expressif de Brigitte Balleys à Lausanne), la basse confortable de David Pittsinger dans le rôle noble d’Atamante et, bien entendu, la direction de René Jacobs qui exalte en souplesse les fureurs et émois d’une vocalité virtuose. Sans négliger les devoirs qu’il doit à son fidèle orchestre du Concerto Vocale. »

Opéra de Lausanne 23, 25, 27, 28 février, 2 mars 1997 – dir. René Jacobs – mise en scène Jean-Louis Martinoty – avec Brigitte Balleys (Argia), Dorothée Jansen (Dorisbe), Darina Takova (Filaura, Venere), Jeffrey Gall (Selino, Lucimoro), David Pittsinger (Atamante), Ricard Bordas (Feraspe), Dominique Visse (Lurcano), Stephen Cole (Alceo), Bernard Loonen (Dema) – coproduction Festival d’Innsbruk/Théâtre Municipal de Lausanne

L'Argia au Théâtre des Champs Elysées
« Rares sont les représentations lyriques qui dispensent un tel bonheur musical et scénique…A tous points de vue René Jacobs est le grand triomphateur de la soirée. De cet opéra fort long (six à sept heures), il a réalisé une partition de trois heures et demie, vive, extrêmement bien instrumentée et qui fuse à chaque instant. La distribution vocale réunit des chanteurs venant d’horizons stylistiques différents…Brigitte Balleys dessine une Argia tourmentée et sait nous en faire percevoir le moindre des mouvements d’âme…La basse David Pittsinger d’une impressionnante autorité dans son rôle royal, la soprano Dorothee Jansen, jeune première plus que prometteuse, le ténor aigu Bernard Loonen ébouissant dans le rôle travesti de la vieille nourrice…Dans ce genre d’ouvrage, Jean-Louis Martinoty est tout à son affaire, avec sa gourmandise visuelle et son imagination vibrionnante…Une mise en scène qui sait être aussi étourdissante de drôlerie qu’émouvante lors des moments sombres. » (Opéra International – avril 1997)

Innsbruck – Festival de Musique ancienne – 18, 20, 22 août 1996 – Concerto Vocale – dir. René Jacobs – mise en scène Jean-Louis Martinoty – avec Laura Polverelli (Argia/Laurindo), Dorothee Jansen (Dorisbe), Alexander Plust (Lucimoro/Selino), David Pittsinger (Atamante), Ricard Bordas (Feraspe), Dominique Visse (Lurcano), Bernard Loonen (Dema), Darina Takova (Filaura)