Giulio Cesare

COMPOSITEUR Georg Friedrich HAENDEL
LIBRETTISTE Nicola Haym

 

ORCHESTRE Les Musiciens du Louvre-Grenoble
CHOEUR
DIRECTION Marc Minkowski
Giulio Cesare Marijana Mijanovic
Cleopatra Magdalena Kozena
Sesto Ann Sofie von Otter
Cornelia Charlotte Hellekant
Tolomeo Bejun Mehta
Achilla Alan Ewing
Nireno Pascal Bertin
Curio Jean-Michel Ankaoua
DATE D’ENREGISTREMENT novembre 2002
LIEU D’ENREGISTREMENT Konzerthaus de Vienne
ENREGISTREMENT EN CONCERT oui
EDITEUR Archiv Produktion
DISTRIBUTION Universal
DATE DE PRODUCTION 16 septembre 2003
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

Diapason d’or de l’année 2003 – Prix des lecteurs Critique de cet enregistrement dans :

  • Goldberg – août 2005 – appréciation 4 / 5

« C’est au total une très belle réussite qui, dans ses meilleurs aspects, surclasse l’enregistrement de Jacobs, mais qui est aussi plus inégale. On s’explique mal par exemple l’omission dans l’acte I de l’aria de Cléopâtre « Tu la mia », qui joue pourtant un rôle important dans l’évolution du personnage. Une autre faiblesse est le traitement maniéré des reprises da capo dans les mesures lentes, que non seulement Minkowski ralentit encore davantage, mais qu’il fait jouer aussi plus doucement. Pour le reste, sa direction est remarquable par son énergie combative, par une sonorité orchestrale plus puissante que celle de son concurrent, et capable cependant de se muer en une délicate sensibilité dans les passages les plus lyriques.Comme on pourrait s’y attendre davantage de la part d’une mezzo-soprano que d’une soprano, Magdalena Kozenà. donne à la voix de Cléopâtre une présence beaucoup plus forte que celle de Barbara Schlick ; elle interprète magnifiquement son personnage, aussi bien sur le plan vocal que dramatique, faisant ressortir en Cléopâtre la jeune fille intelligente (sa fragilité assumée lors de sa première rencontre avec César laisse une empreinte indélébile) sur le point d’acquérir la pleine possession de sa féminité. C’est une interprétation mémorable qui atteint vraiment son apogée dans un « Piangero » délicieusement tournée. Le César de Marijana Mijanovic est lui aussi une réussite exceptionnelle, du même niveau que celui de Jennifer Larmore, sans pourtant le surpasser. Comme nous l’avons dit, Anne Sofie von Otter, qui allège sensiblement sa voix de mezzo pour souligner la jeunesse de Sextus, est bien meilleure que Marianne Rorholm, pourtant tout à fait honorable dans ce rôle. »

  • Diapason – décembre 2003

« Après les révélations de Teseo et Amadigi, après le triomphe d’Ariodante, apres avoir gagné dans Hercules des sommets comparables à ceux découverts par Gardiner, c’est au Giulio Cesare, avec lequel Jacobs écrivait, il y a douze ans, une page déterminante de la discographie haendélienne, que se mesure Minkowski. Question plateaux, le bilan serait simple si la perspective n’était pas déformée par l’opposition de ce pur live et d’un studio, dont certains chanteurs n’auraient pas pu assumer les rôles sur scène. La Cléopâtre de Barbara Schlick était, on le sait, un remplacement de dernière minute, adroit mais contre-nature. Le rôle semble taillé sur mesure pour Kozena, qui décline avec un naturel confondant l’évolution du personnage. Le doux mépris de « Tutto pu donna vezzosa » agace telle une mouche d’été ; « V’adoro, pupille » est un baume, « Da tempesta » un feu d’artifice les larmes (de crocodile, s’agissant d’un piège tendu à César) de « Se pieta » piquent aussi longtemps les yeux que le « Scherza infida » d’Ariodante. Grande forme d’Anne Sofie von Otter, qui laisse loin derrière le Sesto de Marïanne Rorholm. Lubrique à souhait, Alan Ewïng éclipse l’Achilla esquissé par Furio Zanasi, et Pascal Bertin le Nireno de Dominique Visse. Impossible de préférer le Tolomeo de Derek Lee Ragin à celui de Bejun Mehta. Et vice versa : l’un et l’autre sont fascinants de perversité falsettiste. Seule Cornelia conserve un net avantage à Jacobs ; Charlotte Hellekant ne démérite pas, loin de là, nais ne trouve pas toujours le simple désespoir qui rend Bernarda Fink insurpassable.Pour le rôle-titre, intervient l’opposition live/studio. Larmore compose, magnifiquement, quand Mijanovic est César. « Presti o mai » grave dans le cuivre l’effigie d’un empereur conquérant – l’identification du timbre et du caractere aveugle d’emblée. Tout comme l’autorité du verbe et l’aisance d’une vocalise refusant l’athlétisme pour parler d’homme à homme, pour que sous l’armure frémisse la peau. De terreur quand César mesure, devant la tête de Pompée offerte sur un plateau, la barbarie sertie par son pouvoir (« Empio, diro tu sei »). De plaisir, dans un « Se in fiorito prato » que l’on n’a jamais entendu si noble et tendre, et si parfait côté violon. Mais pas de colère : un studio aurait sans doute autorisé « All lampo dell’armi » plus fulgurant et ôté quelques scories, aussi, dans certains forte d’orchestre, et dans les violons mis à nu par “ Piangero ». Il est vrai que la direction de Minkowski, qui demande tout à ses Musiciens du Louvre mais n’impose rien, introduit une irréductible part de risque. Comment lui en tenir rigueur ? Tragédie acérée ou mélodrame flamboyant, digne de Douglas Sirk, Jules Cesar, chef-d’oeuvre d’impureté, est sûrement tout cela ; ce n’est que par sa sensibilité, pour les voix, que l’on saura trancher. »

  • Crescendo – octobre/novembre 2003 – appréciation 10 / 10

« Le présent enregistrement a été effectué en public à Vienne en novembre 2002, chose qu’il n’est pas inutile de rappeler parce qu’elle implique des avantages et des inconvénients, les premiers étant autant perceptibles que les seconds. Les avantages se rapportent au climat que seule peut conférer l’exécution d’un seul tenant d’une oeuvre aussi longue, à ce que cela implique comme unité dans son déroulement, mais aussi au témoignage que l’on peut conserver de tous ces événements imprévus et spontanés qui ne manquent pas de se produire pendant une prestation aussi longue et qui lui donnent un rare caractère humain. Ces événements contribuent aussi aux inconvénients tels qu’imprécisions, bruits parasites, etc… Sont-ce d’autre part les impératifs du “live” qui nous valent une prise de son qui ne fait pas toujours honneur à ce que nous présentent les artistes’? On ne peut qu être admiratif devant la manière dont Marc Minkowski et ses collègues ont géré sans faiblesse leur énergie et leur talent pendant plus de trois heures et demie. Marijana Mijanovic présente un Jules César de belle carrure et Magdalena Kozena chante une Cléopâtre pleine de sensibilité (magnifiques arias da capo). Anne Sofie von Otter est égale à elle-même, c’est-à-dire superbe, dans Sesto. Tout aussi dignes d’éloges sont Charlotte Hellekant dans la séduisante Comelia et Bejun Mehta, qui prouve ici qu’il est un des meilleurs contre-ténors à l’heure actuelle, dans Tolomeo. La force d’Achille est bien rendue par Alan Ewing mais l’on ne peut s’empêcher le léger regret de le voir si réservé en matière d’ornementation lors des reprises dans les arias. Superbe distribution donc, très bien soutenue par les Musiciens du Louvre et la direction de Minkowski qui, s’il force parfois le trait en matière de tempi, allegros souvent très rapides et largos vraiment très larges, a trouvé dans la partition de quoi exprimer pleinement son talent. Il est difficile de parler d’un Giulio Cesare sans évoquer le superbe enregistrement, paru il y a une dizaine d’années, sous la direction de René Jacobs. Les personnages y ont plus de corps et de “tripes” qu’ici, le chant en tant que tel y est plus magnifié. Autre vision donc….la qualité de l’oeuvre mérite bien ces éclairages différents et l’on se réjouit en tout cas de placer ce coffret Minkowski à côté de son aîné sur la planche de la discothèque réservée aux trésors personnels que l’on retrouve avec le plus grand des plaisirs. »

  • Répertoire – octobre 2003 – apréciation 9 / 10

« La rencontre du chef-d’oeuvre de Haendel et de la baguette baroque la plus excitante de cette dernière décennie constitue l’un des événements discographiques que nous avons at-endus avec le plus d’impatience, une impatience tout à fait propice au délire fantasmatique. Nous l’avons vu mûrir à Amsterdam, puis à Paris, nous avons accueilli avec satisfaction les changements successifs de distribution ; enfin, après cette longue période de gestation, nous voilà en présence de l’objet désiré. Quel est le résultat de cette attente, qui aurait pu avoir quelque chose de dangereux pour une saine appréciation, si nous n’avions tempéré ce risque par une écoute répétée? Voila un coffret à bien des égards magnifique, mais qui ne constitue pas un choc discographique comparable à celui créé il y a six ans par Ariodante. Il faut dire que dans le cas de Jules César, contrairement à Ariodante, Le terrain a déjà été balisé par le magnifique enregistrement de René Jacobs, gravé il y a maintenant plus de dix ans chez Harmonia Mundi, et que le présent coffret ne détrône pas.Pourquoi cette très relative déception? Pour deux raisons. D’abord Minkowski semble avoir voulu éviter, globalement, d’agir selon les canons de sa direction habituelle, et avoir visé un enregistrement avant tout équilibré, de facture assez classique : l’éventail des tempi et des dynamiques n’y est en effet pas aussi large qu’on aurait pu l’attendre. Les pages lentes (duo « Son nata a lagrimar » ou l’air « Se pietà ») ne connaissent pas l’étirement temporel de « Scherza infida » dans Ariodante, cependant que les airs rapides, tout en restant savamment cravachés, ne s’emballent que rarement (à l’exception de la sinfonia de bataille et de la section rapide de « Piangero »). Peut-on lui reprocher cette (relative) sagesse? La surenchère n’est pas forcément chose bonne ni, en la matière, possible. La partition donne des indications auxquelles on est bien obligé de se tenir. Reste que dans cet enregistrement, même s’il contient des passages magnifiques (pour ne citer qu’eux, le récitatif accompagné qui précède « Da tempeste », ou le violon de « Se in fiuorito ») Le chef ne « recrée » pas Jules César comme Jacobs avait su le faire. Seconde raison de notre relative déception le plateau exceptionnel réuni ici se trouve un peu en deçà de ses possibilités et ce, non pas tant d’un point de vue vocal que théâtral et expressif, ce qui est un comble avec une telle baguette et de tels tempéraments artistiques.On a parfois l’impression, à l’inverse d’Ariodante, si fouillé dans le texte et dans le détail, d’écouter davantage un magnifique concert qu’un drame qui brûle les planches. Certaines incarnations restent un peu froides et pas assez investies, pas assez sensibles au sens des mots et des situations (trait frappant : plusieurs chanteuses émettent le texte de façon parfois un peu molle). Les récitatifs sont vivants, mais on en attendait davantage. En outre les da capo, pas très inventifs, n’ont pas toujours le rôLe émoustillant qu’on aurait aimé leur voir jouer. Si l’on considère cette distribution en détail, on dira que Marijana Mijanovic offre à son Jules César une belle voix androgyne, avec de vrais graves et d’ex-cellentes vocalises, mais qu’elle manque un peu de puissance et de cette morgue pleine de panache et de virtuosité démonstrative que Larmore avait su donner à son personnage. Son empereur, comparé à celui de Larmore, Baker ou Daniels – même si on la préfère à ce dernier -, est parfois un peu terne, manquant de personnaLité et d’émotion.Promouvoir Kozena en Cléopâtre, après lui avoir fait chanter Sesto, était une excellente idée. La merveilleuse mezzo tchèque a tout ce qui faut pour relever ce défi, non seulement les vocalises et l’aigu parfois nécessaires, mais aussi un vrai tempérament artistique, indispensable pour rendre compte de toutes les facettes de ce personnage complexe, et une chaleur de timbre rêvée, susceptible de conférer davantage d’érotisme à ce rôle qu’un soprano habituel. Or, là encore, la chanteuse ne satisfait pas toutes nos attentes, du moins si on la compare à elle-même, par exemple dans ses cantates de Haendel avec le même Minkowski. Kozenà n’a pas su rendre parfaitement tous les aspects de son rôle. Surtout, si le chant est magnifique, la progression dramatique du personnage n’est pas suffisamment bien rendue. Les airs de coquetterie et de séduction manquent de charme (« Tutto puo donna vezzosa »), de piquant (« Non disperar, chi sa? ») et d’érotisme (« V’adoro, pupille »), l’air à vocalises (« Da tempeste ») d’euphorie virtuose. Restent les deux airs lents, « Se pietà » et « Piangero », déchirants, vibrants, magnifiquement chantés et qui, pour le coup, ne déçoivent en rien. Kozena est certainement la meilleure Cléopâtre de la discographie (Ludwig, Sills ou Sutherland restent des cas à part ; Schlick, chez Jacobs, était trop légère pour remplir les exigences du rôle), mais peut-être pas encore complètement mûrie.En perdant le Sesto de Kozenà, on gagne celui de von Otter, ce qui est loin d’être négligeable (surtout face à la prestation de Rorholm chez Jacobs), nouvelle incarnation parfaite – quoique un peu trop prudente – à ajouter à la longue liste de rôles qu’elle a parfaitement et un peu trop prudemment chantés si « Svegliatevi nel core » est ex-cellent, tout comme « Cara speme » et le duo avec Cornelia, « L’aura che spira »et « La giustizia » manquent singuliérement de panache et d’ampleur. Sa juvénilité parait en outre parfois trop trafiquée. Charlotte Hellekant en Cornelia est la seule à offrir une prestation irrépro-chable, sublime de bout en bout comme savait l’être Fink chez Jacobs, mais avec une profondeur dans la voix et un frémissement dans le vibrato qui n’appartiennent qu’à elle et font merveille dans le lamento. Le Tolomeo de Bejun Mehta est plus que correct, bien timbré, assez puissant, à l’aise dans la vocalise, mais Derek Lee Ragin, avec un instrument vocal de dimensions trop modestes, avait su chez Jacobs donner à son rôle davantage de perversité, de dangerosité et d’invectives. Alan Ewing en Achilla (de même, dans les petits rôles, que Bertin et Ankaoua), complète cette excellente distribution sans démériter, avec une voix plus sombre et un chant plus monolithique que Zanasi chez Jacobs, mais aussi un côté hussard qui convient bien au personnage (« Tu sei il cor »).Cet enregistrement, il va sans dire, est excellent, mais il lui manque plusieurs petites choses pour devenir la version de référence. Où est passé le souffle miraculeux qui avait porté Ariodante au firmament? »

  • Opéramag – septembre/octobre 2003

« Giulio Cesare in Egitto, l’opéra tellement voulu, et rodé sur scène avant d’être gravé sur le vif. Une dizaine de coffrets entretenait depuis 1950 une confusion à peu près totale sur le chef-d’oeuvre italien de Haendel : jusqu’à la version de René Jacobs, il y a dix ans chez Harmonia Mundi, les contours en étaient édulcorés, les typologies maltraitées, et les disques historiques ne valaient que pour quelques incarnations isolées et parfois enivrantes. Le premier mérite, une fois encore, de Marc Minkowski est de faire table rase des conventions qui prévalent à l’attribution des rôles (même lorsque la tentation est forte de faire appel à des têtes d’affiche « glamoureuses »…) et de repartir tout autant du texte que de la dramaturgie « vocale » de l’oeuvre, de ses symétries, de ses antagonismes, de ses effets de miroir baroques. Et la moindre surprise de cette distribution n’est évidemment pas la Cleopatra de la mezzo slovaque Kozena portraiture en effet ce parangon de féminité en usant d’un nuancier d’émotions autrement plus complexe que l’afféterie hédoniste professée par certains sopranos légers avec sa voix forcément centrale, délicate et somme toute ailée (comme, chez Karl Richter en 1970, la plus opulente Tatiana Troyanos), elle s’abandonne à la vision de son chef avec un flair qu’on ne lui connaissait pas encore. Ne manquent à cette incarnation persifleuse, autoritaire et vulnérable qu’un peu de sex-appeal, de cette peau douce qui s’exhibe, se refuse et par quoi Cleopatra règne aussi ; seul « V’adoro, pupille », concédons-le, n’est ni assez envoûtant ni assez planant (on gardera sa nostalgie de Lisa Della Casa et Lucia Popp, reines de l’artifice vocal même dans l’allemand d’Oscar Hagen), alors que « Se pietà » est inouï de proporfions et de variété dans son da capo, et que l’exubérante partie centrale de « Piangero » trouve la chanteuse proprement déchaînée. Mais c’est surtout dans un « Da tempeste » sans suraigu à la Beverly Sills que Kozena, paradoxalement, s’impose avec une ironie orageuse et désarmante. Elle est surtout très proche de tessiture, sinon de couleurs et de vibrato, de la Cornelia tout aussi inattendue de Charlotte Hellekant, chanteuse irrégulière ici totalement apprivoisée on en a entendu de plus belles qu’elle (Maureen Forrester et Christa Ludwig savent ce que chanter legato veut dire), mais aucune n’y met cette vigueur doloriste — c’est qu’aucune autre Cornelia n’est dirigée par un chef qui ressente et anime autant le lamento haendelien. Qui dit que les miracles n’ont lieu qu’une fois ? On placera quasiment au même niveau suprême que certain « Scherza, infida ! » d’Ariodante le duo qui clôt l’acte premier, « Son nota a lagrimar », où le pianississimo sans vibrato d’Anne Sofie von Otter s’unit au voile élégiaque de Hellekant et que Minkowski pare encore d’un astinato d’éternité. Sesto d’un sérieux impassible, Von Otter ne résiste d’ailleurs pas, sous la férule de son chef, à murmurer la reprise de « Cara speme » dans un silence en apesanteur. Et le hic de tant d’enregistrements, l’empereur romain en personne, dont la voix seule, sans tambours ni trompettes, devrait en imposer tout au long de l’opéra ? Peine perdue ? Vrai petit Senesino, l’alto bien campé de Marijana Mijanovic sonne ici viril et altier, du grave très timbré à l’aigu « mâle » et un peu droit. Avec un panache androgyne, cette voix rare assume son ambivalence sexuelle dès « Empio, diro, tu sei », porté par des Musiciens du Louvre qui ne tiennent pas en place — et passe alors le frisson des fastes recomposés de l’opéra seria… Jusqu’à « Al lampo dell’armi », Mijanovic a l’allure (et la vocalise) superbe de son rôle, soutenue par les « sonneries » de violons très en verve. Un mot encore sur la basse assez tonnante d’Alan Ewing, Achilla pas du tout générique, et le Tolomeo savamment barbare (et pour une fois juste d’intonation) d’un Bejun Mehta capable du meilleur comme du pire. Et tout ce butin vraiment live (au Konzerthaus de Vienne l’année dernière), sans raccord qui éteigne la flamme de chanteurs chauffés plus de trois heures durant… Des affetti comme s’il en pleuvait d’un air à l’autre, des intrigues derrière chaque récitatif, des querelles entre des personnages enfin délivrés du respect timoré un Giulio Cesare pour se rêver soi-même spectateur du King’s Theatre de Londres en 1724. »

  • Classica – septembre 2003 – Recommandé

« Marc Minkowski s’est fait attendre dans Jules César. Si le chef a progressé depuis ses premiers opus, il s’est surtout laissé le temps, ici, de réunir son casting rêvé (des valeurs confirmées comme Von Otter et Kozena, des révélations comme Mijanovic et Mehta), qu’il a testé et entraîné à la scène. Et les sensationnelles impressions produites l’an passé au Palais Garnier se devaient d’être réitérées au disque. Minkowski devait se mesurer à Jules pour en découdre une bonne fois avec la discographie de l’ouvrage. Autrement dit : il devait affronter René Jacobs, dont le César est synonyme, depuis sa parution en 1991, de version idéale, et de « meilleur enregistrement jamais réalisé d’un opéra de Haendel ». Lourd défi. Car dans le César de Jacobs, musique et théâtre fusionnaient dans des entrelacs d’airs et de récitatifs tempétueux, et la gravure semblait tout avoir pour elle…Avec Minkowski, c’est une respiration permanente, des brassées de théâtre en musique, un rythme haletant qui ne se relâche jamais : derrière chaque mesure, le chef pousse le drame, rend suffocantes les conventions de l’opera seria. Quitte à laisser surgir ses travers habituels : préférer l’énergie à la couleur, le dionysiaque à l’apollinien, et alourdir la tornade orchestrale, tant le trait pourra ici ou là paraître forcé. Mais d’où vient ce souffle? Du live? De l’expérience de la scène? De la connivence entre le chef et ses chanteuses, toutes dotées de plastiques vocales canoniques, de techniques tirées au cordeau, d’accointance stylistique hors pair (cf. les reprises des da capo)? Si c’était pour Minkowski que vous vouliez ce César, c’est pour Marijana Mijanovic, tenante du rôle-titre, que vous ne le lâcherez plus : authentique contralto avec cette chair dans le timbre (voix paradoxalement plus androgyne que celle d’un contre-ténor), autorité de l’accent, précision dans la vocalise, carrure guerrière et flambante du personnage ( » Va tacito « >. Un vrai César d’opéra, d’une totale authenticité musicale (à côté, Larmore chez Jacobs semblera mécanique). Kozena, elle, chante une Cléopâtre à l’opposé de Barbara Schlick, reine égyptienne égarée chez Bach mais dont les faiblesses faisaient le prix même. Ici, elle est une Cléopâtre mezzo, et immense voix d’opéra : de l’or et de la lumière, des furies, des murmures et une mélancolie d’où s’élève le plus beau « Se Pieta  » jamais entendu. Ainsi va l’ensemble de la distribution, caractérisée par des prouesses vocales grandioses, toujours au service du drame, mais privée sans doute de la pudique immédiateté de la version Jacobs (on pourra ainsi être agacé par la sophistication de Sesto/Von Otter). Pour autant, la première écoute de cet opéra passera désormais par Minkowski. Avant d’aller à l’école buissonnière de Jacobs, et de (r)ouvrir les portes de l’imperfection sensible. »

  • Diapason – septembre 2003 – appréciation Diapason d’or – technique 8,5 / 10

« C’est au Giulio Cesare avec lequel Jacobs écrivait, il y a douze ans, une page déterminante de la discographie haendélienne, que se mesure Minkowski. Pouvoir comparer de tels trésors, sans considération sur le texte employé (ou coupé), sans devoir choisir entre un orchestre flegmatique et une brochette de stars belcantistes : un luxe qui ne nous est pas offert depuis bien longtemps ! Question plateaux, le bilan serait assez simple si la perspective n’était pas déformée par l’opposition de ce pur live (deux soirées, sans session de rattrapage, dans l’acoustique du Konzerthaus de Vienne, guère idéale mais très bien restituée) et d’un studio, dont certains chanteurs n’auraient pas pu assumer les rôles sur scène. La Cléopâtre de Barbara Schlick était, on le sait, un remplacement de dernière minute, adroit mais contre-nature. Le rôle semble taillé sur mesure pour Kozena, qui décline avec un naturel confon-dant l’évolution du personnage.Grande forme d’Anne Sofie von Otter, paradoxalement idéale en adolescent révolté, qui laisse loin derrière le Sesto de Marianne Rorholm. Lubrique à souhait, sans mauvais goût, Alan Ewing éclipse l’Achilla esquissé par Furio Zanasi, et Pascal Bertin le Nireno de Dominique Visse. Impossible de préférer le Tolomeo de Derek Lee Ragin à celui de Bejun Mehta. Et vice versa : l’un et l’autre sont fascinants de perversité falsettiste. Seule Cornelia conserve un net avantage à Jacobs : Charlotte Hellekant ne démérite pas, loin de là, mais ne trouve pas toujours le simple désespoir qui rend Bernarda Fink insurpassable.Pour le rôle-titre intervient l’opposition live/studio. Larmore compose, magnifiquement, sa plus grande incarnation au disque, quand Mijanovic est César. « Presti o mai » gravé dans le cuivre, en deux minutes, l’effigie d’un empereur conquérant – l’identification du timbre et du caractère aveugle d’emblée…Scories, aussi, dans certains forte d’orchestre, et dans les violons mis à nu par » Piangero « – la sinfonia du parnasse est en revanche infiniment plus sensuelle que celle de Concerto Kôln, et le violoncelle de Guido Larisch, digne partenaire de von Otter dans un « Cara speme » d’anthologie, offre à chaque personnage un miracle de justesse émotionnelle.Il est vrai que la direction de Minkowski, qui demande tout à ses Musiciens du Louvre mais n’impose rien, introduit une irréductible part de risque. Comment lui en tenir rigueur ? Car c’est ici qu’apparaît le plus grand fossé qui sépare sa lecture de celle deJacobs. Concerto Köln semble un instrument, vif, rutilant, à l’aide duquel Jacobs cadre les passions, affûte les articulations dramatiques, délimite le champ de bataille sur lequel s’affrontent Egyptiens et Romains. L’orchestre de Minkowski découle des personnages. Il devient leur chair, un corps mouvant où circule le sang du drame, une mer troublée par des torrents de larmes, un volcan de désir, une étoffe tissée dans les pulsions de mort et de séduction. Tragédie acérée ou mélodrame flamboyant, digne de Douglas Sirk, Jules César, chef-d’oeuvre d’impureté (un livret vénitien mis à la mode londonienne n’y est pas pour rien), est sûrement tout cela ; ce n’est que par sa sensibilité, ou pour les voix, que l’on saura trancher. »

  • Le Monde de la Musique – septembre 2002 – appréciation 4 / 5

« C’est ce rival de taille – René Jacobs – qu’affronte aujourd’hui Marc Minkowski après avoir étrenné l’oeuvre sur scène, en particulier, à la rentrée dernière, au Palais Garnier. Flamboyant comme à son habitude, entraînant dans son enthousiasme un orchestre opulent aux timbres riches, celui-ci se démarque d’emblée de Jacobs, dont la direction plus analytique confère à l’ouvrage un tout autre aspect et lui offre d’autres prolongements. C’est plutôt dans le choix des chan-teurs, dans l’alchimie des alliages vocaux que réside l’originalité de cette nouvelle version. Minkowski a réussi le tour de force de réunir quatre mezzos, y compris pour le rôle de Cléopâtre que l’on confie généralement à une soprano, sans que jamais l’on confonde les timbres ni les personnalités. La jeune Marijana Mijanovic, découverte au Festival d’Aix dans Le Retour d ‘Ulysse de Monteverdi, est un César au timbre masculin et à l’humeur vindicative, Charlotte Hellekant une Cornelia à la sensualité envahissante, Anne Sofie von Otter un Sesto à la fiévreuse détermination, et Magdalena Kozena une Cléopâtre subtilement ambiguë. A ce quatuor de luxe vient s’ajouter le contre-ténor Bejun Mehta, que l’hystérie du personnage de Ptolémêe n’empêche pas de chanter somptueusement. Ainsi incarnée, l’intrigue politico-amoureuse dont la complexité, lors de la création en 1724, a tant décontenancé le public londonien, s’éclaire considérablement, et l’enfilade d’airs à da capo perd de sa raideur. L’enthousiasme de Minkowski fait le reste. »

« Après la révolution Ariodante et l’excellent Hercules, on attendait beaucoup de le sortie de Giulio Cesare par le maître grenoblois…Minkowsky imprime à son Giulio Cesare sa touche habituelle : vivacité et contraste des tempi sont au rendez-vous. L’ennui est que René Jacobs était déjà passé par là dans une version de référence et que cet enregistrement a bien du mal à rivaliser avec celui du Concerto Köln. En effet, Jacobs possède autant de fougue mais sa lecture est infiniment plus subtile, plus nuancée, plus équilibrée. L’orchestre de Minkowsky est massif et lourd par rapport à celui de Jacobs qui, tout en étant aussi énergique et présent (cf. le premier air de César « Empio, dirò, tu sei »), garde un espacement des pupitres et une différenciation des timbres remarquables. Les violons du Concerto Köln sont plus grainés, plus saillants, mieux définis (l’ingénieur du son y est aussi pour quelque chose). Le continuo et le reste des instruments ne sont pas totalement submergés par l’océan violinistique. A l’inverse, les Musiciens du Louvre font plus « charge de cavalerie » et les cors du célèbre « Va tacito e nascosto » sonnent de façon affreusement bouchée. On croirait entendre les tâtonnements des années 70. L’ensemble est surjoué et sur-ornementé. Les da capos sont méconnaissables tant ils croulent sous les trilles, les appogiatures et autres fioritures. L’orchestre semble même parfois dérouté par tant de changements de mesure. Par exemple, le « Se in fiorito » du second acte est défiguré par les cadences acrobatiques du violon et les prouesses vocales de Mijanovic. Jacobs était discret (trop peut-être) sur les ornementations des reprises mais Minkowsky s’est laissé aller à l’excès. La trame narrative s’en trouve considérablement affaiblie et les récitatifs sont jetés en hâte dans l’attente du prochain air de bravoure. Tout cela est fort dommage vu que la qualité du plateau. Magdalena Kozena, Marijana Mijanovic ou encore Anne Sofie von Otter sont toujours aussi irréprochables et les autres chanteurs sont tous bons voire magnifiques dans leurs rôle respectifs. Encore une fois, c’est l’ensemble qui est boursouflé, parfois caricatural. Il manque à Minkowsky une fraîcheur, une spontanéité et un naturel qui font tout le charme de la version de Jacobs. Et l’on ne peut s’empêcher de s’exclamer « cette fois-ci, il en fait trop ! ». Néanmoins, en dépit de ces réserves, l’enregistrement brille par son homogénéité et garde la marque d’une réalisation de grande classe. Un bel essai, en somme. »