COMPOSITEUR | Francesco CAVALLI |
LIBRETTISTE | Pietro Paolo Bissari |
Dramma en un prologue et trois actes, sur un livret de Pietro Paolo Bissari (1585-1663), représenté à Venise (teatro SS. Giovanni e Paolo ou San Cassiano) en 1648.
Le livret, publié à Venise par Francesco Valvasense, en 1648, est intitulé : La Torilda. Dramma del Rincorato Academico Olimpico (P. P. Bissari). In Venetia, per Franc. Valvasense, 1648. Il comporte un avis aux Lettore, un Argomento, une liste des Personaggi, une liste des Abbellimenti (Embellissements).
Dans l’argument de sa Bradamante, 1650, Bissari souligne que sa Torilda a obtenu un succès inespéré : « revêtue de péripéties nouvelles, elle a obtenu des applaudissements que je n’espérais pas, et que je sais ne pas mériter. »
À la lecture du livret, il apparaît en effet que ce pouvait être un spectacle stimulant. Comme le dit la notice biographique de Treccani, « la recherche baroque du nouveau et du merveilleux se concrétise dans la richesse de la scénographie, plutôt que dans l’expression, généralement opaque.» On ne peut que souscrire à ce jugement en notant toutes les occasions de mise en scène à grand spectacle, en face d’un style souvent obscur et quelque peu ampoulé, redondant et bourré de chevilles. (L’adjectif bello revient 85 fois, par exemple ; alto, 28…)
Le livret est précédé d’un Avis au lecteur où l’auteur s’efforce de montrer, avec un déferlement de citations latines et un peu de grec que nombre de caractéristiques des « scènes modernes », notamment les opéras vénitiens, se trouvaient déjà dans le théâtre de l’Antiquité. Ce qui retient le plus son attention, ce sont les machines, dont on verra que la Torilda fait un usage considérable.
Pour une fois, l’intrigue va chercher du côté de la Scandinavie, ce qui autoriserait une réalisation avec force trolls et Vikings, même si le prologue et les scènes de transition restent fidèles à la mythologie gréco-romaine. Bissari a puisé son inspiration dans l’ouvrage d’Olaus Magnus De gentibus septentrionalibus, Rome, 1555, dont il existait une traduction en italien : Historia delle genti et della natura delle cose settentrionali, etc., Venise, 1565.
L’histoire de Thorilda se trouve au chap. XI du livre V, p. 92 de cette version. Bissari n’en a guère retenu que le thème du combat dont le prix est la main de la princesse, et les noms de Thorilda, Athérus, Grimon et Haldan ; l’esprit de l’original est beaucoup moins chevaleresque. Dans le même ouvrage se trouve aussi l’histoire d’une nommée Alvinda qui, renonçant à l’amour, « commença, changeant de vie, de devenir au lieu d’une douce pucelle qu’elle etoit auparavant, corsaire et écumeuse de mer. » Enfin, même si on associe les satyres à la Grèce, Olaus Magnus en mentionne des équivalents nordiques.
L’attribution à Cavalli est incertaine.
Argument (d’origine)
Notre Thorilda, d’après les anciennes chroniques, était fille unique d’Athérus, roi de Norvège, et héritière de son trône ; beaucoup la recherchèrent pour son royaume et pour sa beauté ; refusée à beaucoup, elle attira à son père l’inimitié de grands princes, ce pourquoi le royaume subit pendant quelque temps des guerres et des souffrances continuelles. Celles-ci ayant enfin cessé, Athérus, pour s’éviter de nouveaux dangers, fit publier que Thorilda serait l’épouse du prince qui triompherait de tous ses rivaux en combat singulier. Grimon, prince de Danemark, auparavant amoureux d’Albinda, princesse de Gothie, se présenta dans cette intention. Albinda, se voyant abandonnée pour ce motif, se rendit sous le nom d’Ermindus à Nidrosie (Trondheim), ville royale d’Athérus, pour faire échouer d’une façon ou d’une autre les nouvelles espérances de Grimon. Thorilda, qui souhaite également la défaite de Grimon, reste destinée à Adolphe, prince de Suède.
De nouveaux débats et conflits se font jour lorsqu’on découvre que Florineo, supposé être un berger, a combattu incognito à la place d’Ermindus ; Florineo est incarcéré. Grimon, outré qu’Ermindus ait confié ses armes à un homme du commun pour l’affronter, se bat contre lui ; croyant l’avoir tué, il s’aperçoit qu’il s’agit d’Albinda, et pleure sa mort. Après un bref évanouissement, Albinda revient à elle et se réconcilie avec Grimon ; ce dernier renonce à ses prétentions sur Thorilda, qui est accordée à Adolphe ; les conflits s’apaisent donc, et les noces sont fixées.
Mais au milieu des solennités arrive Baldera, qui passe pour la mère de Florineo : ayant appris son incarcération, elle vient supplier le roi de le laisser regagner libre sa pauvre cabane. Les propos de Baldera font que, par chance, Florineo est identifié comme étant en réalité Haldan, fils du roi de Suède et frère d’Adolphe ; et comme il a déjà mérité Thorilda par sa valeur, il devient son légitime possesseur.
Personnages :
Personaggi ordinari: Venere, Amore, Marte (Prologue) ; Athero, roi de Norvège ; Torilda, son unique fille et héritière ; Florineo sous le nom de Bifolco ; Baldera, que l’on croit être sa mère ; Adolfo, prince de Suède ; Grimone, prince de Danemark ; Albinda, princesse des Goths, sous le nom de Ermindo ; Scarino, son écuyer ; Rosinda, fille du jardinier royal ; Orcane, général de l’armée d’Athero.
Personnagi accidentali : Nuto, bouffon de cour ; Satiro ; Capo de Corsari (chef des corsaires) ; Guardia della Porta della Città (Gardes de la porte de la Ville) ; Il Sonno (le Sommeil) ; Amore (Amour) ; Ecate (Hécate) ; Il Sole (le Soleil) ; Il Tempo (le Temps) ; L’Inganno (la Tromperie) ; Arione (Arion) ; Cantatrice delle Comparse.
Abbellimenti : bataille de monstres contre Amour ; apparition et abattage d’un cheval à coup de sagaie ; petit ballet de chevaux ; ballet de statues
La scène se passe à Nidrosie (*).
(*) ancienne capitale de la Norvège, aujourd’hui Trondheim
Synopsis
Prologue
Dans son ciel, Vénus s’inquiète de voir Amour pleurer. C’est Mars qui trouble la paix, ayant décidé que c’est à lui de désigner l’époux de Thorilda, par une série de combats singuliers. Amour va descendre sur terre remettre les choses en ordre.
Acte I
Sc. I : Albinda, habillée en guerrier sous le nom d’Ermindus, pleure au bord de la mer : Grimon l’a quittée pour prétendre à la main de Thorilda, et elle veut l’affronter ; au pire, elle mourra de sa main.
Sc. II : Adolphe a été fait prisonnier par des corsaires, qui s’avèrent être des hommes d’Albinda ; elle les tance et leur fait délivrer Adolphe, qui vient lui aussi participer à la joute. Adolphe cherche également un frère jadis enlevé par les pirates.
Sc. III-IV : Dans la forêt, Grimon poursuit, puis fait ligoter un satyre qu’il a cru voir assaillir Thorilda pendant une partie de chasse. Orcan cherche Thorilda, qu’on a perdue.
Sc. V-VI : le berger Florineo chante la chasse et la pêche. Thorilda arrive épuisée, lui demande à boire et tombe sous son charme. Elle l’invite au palais. Baldera, mère adoptive de Florineo, se plaint de l’âge.
Sc. VII-VIII : Nuto, bouffon bègue et bossu, a retrouvé Thorilda et va annoncer la bonne nouvelle à Grimon et Orcan.
Sc. IX-X-XI : au palais, Rosinda, la fille du jardinier, chante l’amour. Elle tombe sur le satyre, que Thorilda a fait libérer et qui lui fait la cour à sa manière. Arrivent Thorilda et Florineo, que Rosinda trouve charmant.
Sc. XII : Thorilda déclare sa flamme à Florineo. Elle est réciproque, mais Florineo est conscient de la différence sociale.
Sc. XIII : Scarinus introduit «Ermindus», qui se présente comme champion d’Albinda, voulant affronter Grimon sans pour autant prétendre à la main de Thorilda. Florineo trouve Ermindus un peu frêle, et se propose pour se battre en se faisant passer pour lui.
Sc. XIV : scène d’exposition un peu tardive : le roi Athérus déplore la misère des puissants, et les guerres causées par les prétentions à sa succession ; la joute pour la main de Thorilda est apparue comme la solution.
Sc. XV-XVI : Mars a mandaté le Sommeil pour s’emparer d’Amour et le retenir loin de la Norvège ; mais Amour réussit à se libérer et s’enfuit malgré l’intervention d’Hécate.
Acte II
Sc. I : préparatifs du tournoi ; quatre airs successifs par des personnages sur les machines, puis la joute a lieu. Florineo, sous l‘armure d’Ermindus, vainc Grimon et s’empare du portrait de Thorilda qui était l’enjeu du combat. Adolphe, qui estime lui devoir la vie, refuse de se battre contre lui : ce serait de l’ingratitude.
Sc. II-III : Ermindus (le « vrai », cette fois, c’est-à dire Albinda) fait assaut de générosité avec Adolphe, qui, dit-elle, aurait certainement gagné, et lui cède ses droits sur Thorilda. Il accepte ; Thorilda est froissée, mais son père est enchanté.
Sc. IV à VII: Florineo, qui a gardé le portrait conquis, le cache dans son lit. Rosinda réclame ses baisers ; il la repousse. Le satyre se propose en remplacement ; Rosinda le rejette ; il lui fait violence, mais Florineo l’en empêche. Pour se venger, le satyre vole le portrait et va dénoncer l’imposture.
Sc. XI-XII : Grimon ne digère pas sa défaite. Thorilda essaie de le consoler, et lui reproche d’être infidèle à son premier amour.
Sc. XIII-XIV : Athérus a appris que c’est Florineo qui s’est battu : comme il n’est pas chevalier, c’est un crime, qui doit être puni. Grimon et Adolphe se lancent dans des arguties juridiques : le combat, avec toutes ses conséquences, sera-t-il censé ne pas avoir eu lieu ? Grimon réclame un nouveau combat. Athérus est atterré. Le satyre s’estime vengé.
Sc. XV-XVI : Vénus convoque le Temps, puisque son rôle est de dévoiler la vérité : il faut en finir et révéler qui est Florineo. La Tromperie prétend que cela va entraîner des catastrophes, et prophétise que Gustave de Suède descendra de lui.
Acte III
Sc. I : sur le fleuve, le satyre veille à ce que la sortie de la ville soit bien gardée, car Florineo s’est évadé.
Sc. II : Rosinda arrive sur une barque chargée d’un coffre, dans lequel on trouve Florineo. Tous deux sont arrêtés.
Sc. III-IV-V : Ermindus et Scarin, déguisés en pélerins, ne peuvent quitter la ville. Arrive Grimon, qu’Ermindus essaie d’apitoyer sur les souffrances de la pauvre Albinda. Grimon reste froid. Ermindus décide de se battre à nouveau contre lui.
Sc. VI : Thorilda argumente pour refuser à la fois Adolphe et Grimon. Arrivent les prisonniers ; pendant que Florineo est envoyé au cachot, Atherus fait avouer à Rosinda que c’est Thorilda qui l’a fait évader. Thorilda reconnaît les faits.
Sc. VII : Baldera, qui a quitté sa campagne pour retrouver Florineo, arrive en ville.
Sc. VIII : le satyre dénonce Ermindus à Grimon comme étant celui qui a prêté ses armes à Florineo. Grimon l’agresse, ils se battent, Ermindus est blessé ; Adolphe lui ôte son casque, Grimon reconnaît Albinda. Hélas, elle est morte ! Adolphe part préparer le tombeau.
Sc. IX: Albinda revient à la vie, et Grimon à son premier amour.
Sc. X : Nuto fait la cour à Rosinda, en pure perte ; mais elle l’accompagne en apprenant qu’il va chercher Florineo.
Sc. XI-XII : dans le couloir où donne le cachot de Florineo, lui et Thorilda se préparent à mourir ensemble. Florineo emmené, Thorilda se lance dans une longue déploration (65 vers).
Sc. XIII-XIV: Adolphe apprend qu’Albinda va bien. Athérus est heureux pour le couple reconstitué. Grimon se désiste de ses éventuels droits sur Thorilda au profit d’Adolphe, qui accepte.
Sc. XV : Florineo se résigne à la mort. Baldera révèle sa provenance ; elle l’a entendu nommer Haldan. C’est le frère enlevé que recherchait Adolphe ! Puisqu’il est noble, sa victoire est homologuée, et Thorilda lui revient de droit.
Sc. XVI : sur un dauphin, Arion chante l’amour et les villes maritimes. Ballet de statues.
Note sur l’Avis au lecteur
Bissari indique ses sources en marge ; malheureusement, certaines références sont trop abrégées pour permettre l’identification des ouvrages utilisés. Inversement, il a beaucoup plus emprunté à la Poétique de Jules-César Scaliger qu’il ne le dit.
Les mots grecs sont souvent difficiles à lire, et au moins dans un cas, le mot est simplement impossible. Il n’est pas possible de préciser si les déformations sont imputables à Bissari ou à son imprimeur.
Outre Scaliger, consulté dans sa seconde édition, Genève, 1581, j’ai utilisé l’ouvrage classique d’Octave Navarre : Dionysos : étude sur l‘organisation matérielle du théâtre athénien, Paris, Klincsieck, 1895, téléchargeable sur Gallica.
Au lecteur
Les exigences d’anciens protecteurs et l’usage des théâtres modernes ont, à part égale, conduit l’auteur à transgresser les préceptes de l’art aussi bien qu’à surmonter sa réticence. La donnée et l’intrigue de ce drame, qui sont sœurs en tant que filles d’une seule et même plume, s’unissent pour revêtir l’action d’un habit qui puisse rendre plus plaisante à regarder leur apparition sur des scènes carnavalesques.
C’est moins une opinion personnelle qu’un avis universel, que de dire que ce ne sont pas les scènes modernes qui se transforment, mais que ce sont les anciennes qui revivent ; ainsi le veut la circularité des vicissitudes humaines, ainsi l’attestent les ouvrages d’histoire les plus sérieux ; au lieu de s’excuser de suivre telle nouveauté récemment introduite, on devra plutôt accuser ceux qui ont négligé l’Antiquité, et professer que, même si nombre d’auteurs de notre siècle l’ont ensevelie, elle est ressortie du tombeau et que c’est ainsi, et non autrement, que les Anciens ont représenté leurs actions dans les théâtres romains.
Parmi les curiosités les plus notables de nos modernes drames, nous avons la variété des décors qui, soit tournants, soit coulissant sur des glissières en bois, avec une machinerie qui les change en un instant, ouvrent de tous les côtés de nouvelles perspectives ; mais si on en demande autant au théâtre antique, il y aura quelqu’un pour répondre : scena, aut versatilius [sic, pour versatilibus] cum machinis quibusdam subito versebantur, aut ductilis cum tractis tabulatis, hac atque illac speties [sic] interioris pictura nudabatur (1).
(1) En marge : De ant. Ro. l. 5, c. 4, référence à lire sans doute Des antiquités de Rome, livre 5, ch. 4 ; ce qui n’est pas suffisant pour identifier l’ouvrage. Le latin signifie exactement la même chose que le français qui le précède, à partir de « décors ».
Aux matières tragiques et graves viennent à présent s’en mêler d’autres qui peuvent paraître plus plaisantes ; mais même cela, Martial le dispute à l’usage moderne : Iuvat ad Tragicos soccum transferre cothurnos (2).
(2) Martial, Épigrammes, VIII, 2 ; mais dans l’original, c’est la Muse qui s’adresse au poète, et de façon interrogative : »Serait-ce que tu voudrais échanger le brodequin [caractérisant la comédie] contre le tragique cothurne ? »
Une histoire unique se voit ornée avec nombre d’inventions diverses ; mais nous lisons aussi bien à ce sujet l’antique précepte : ex notis nominibus uno vel duobus assumptis reliqua confinguntur (3).
(3) En marge : Arist. Poet. « Dans certaines tragédies, seuls un ou deux noms font partie des noms bien connus, les autres étant inventés. » Aristote, Poétique, 1451 b, trad. Magnien, Poche 1990, p. 117.
Si nous traitons de nouveauté les plaisanteries qu’on a coutume d’intercaler entre les idées sérieuses, Claudien signale que les tragiques de l’Antiquité laetis risum salibus movisse (4).
(4) « ont provoqué le rire par de de joyeuses plaisanteries ». Claudien, Panégyrique sur le consulat de Mallius Theodorus, v. 312. Le passage décrit de façon assez détaillée une représentation théâtrale.
Il n’est pas non plus étranger à l’ancien usage de représenter le drame avec de la musique, puisque Phrynichos fut désigné comme capitaine pour avoir fait chanter ses tragédies cum melis et melopeis (5), qui étaient des sons convenables à la bataille.
(5) En marge : Elian.var.ist. «Phrynichus avait inséré dans une de ses tragédies quelques vers, dont le rythme militaire convenait aux mouvements de la danse pyrrhique. Toute l’assemblée en fut frappée; et les spectateurs enchantés l’élurent sur-le-champ pour général, ne doutant pas qu’un homme capable de faire des vers si parfaitement assortis au génie guerrier, ne fût également propre à conduire des opérations guerrières avec succès. » Élien, Histoires diverses, III, 8.
Les scènes modernes tirent leur plus grande fierté des divinités qu’elles font apparaître de façon si spectaculaire ; mais Cicéron atteste que cet usage, non plus que sa cause, ne sont nouveaux : cum explicare argumentum non potestis ad Deum confugitis(6). D’où sans doute la locution grecque signifiant Deus ex machina.
(6) En marge : De nat. Deor. « (Vous faites comme les poètes tragiques) : ne pouvant trouver un heureux dénouement, vous recourez à un dieu. » De Natura Deorum, I, XX.
Il semblera que ce soit une admirable invention que de faire voler les divinités, leur faire traverser les airs, remplir l’air de tonnerre et de flèches, à l’aide d’excellentes machines ; et pourtant, il n’est rien de cela que l’Antiquité ne nous montre avec les termes afférents. Le Bronteion était une grande urne pleine de petits cailloux, sur l’usage de laquelle on lit In aeneum dejiciebantur vas(7). Avec cela, ils produisaient le tonnerre ; avec l’eunoscope(8), la foudre.
(7) En marge : Rod.ant.lect. l. 5 c.4, sans doute l’ouvrage déjà cité plus haut, qui semble paraphraser Pollux, et dont on trouve l’équivalent dans Scaliger, p. 88. Bronte est le mot grec pour « tonnerre ». La citation se traduit : « Ils étaient jetés dans un vase en bronze ».
(8) Le mot n’existe pas, Bissari, ou son imprimeur, a estropié le mot keraunoscopeion, à rattacher à kéraunoskopia, « observation de la foudre pour en tirer des présages ». La description et la forme correcte sont dans Scaliger, p. 88 ; cf. Navarre, p. 133.
On appelait Theologion un locus extraordinarius quo numina introducebantur (9): de nos jours, ce sera la partie plus haute de la perspective, où siègent surtout les divinités, mais où apparurent aussi Ajax chez Sophocle, Hippolyte chez Euripide.
(9) À partir de logeion, « endroit où on parle », on a formé théologéion, « endroit où parlent les dieux. » Trad. : « un lieu extraordinaire où étaient introduites les divinités. » Le passage adapte légèrement Scaliger, p. 89.
Le mot grec, qui en notre langue se dit machine, est le mot qui désigne par excellence celle avec laquelle les dieux et les héros se montraient dans l’air, non moins libres et suspendus que les nôtres, puisque on lit à propos du crochet qui les soutient, qu’ils appelaient Cradè : Quo victi tenentur, qui pendent(10). Tels apparurent dans les antiques tragédies Tlépolème, Médée, Persée, Bellérophon. Les mêmes s’élevaient aussi en un vol des plus rapides avec la machine qu’ils appelaient Geranion(11). C’est avec elle que l’Aurore et Orithye étaient enlevées. Et il n’y manquait pas des câbles bien tendus pour se tirer en l’air de la plus grande distance ; on appelait Aeroas quibus per aerea ferri videbantur(12).
(10) En marge : Rod.Ibi. Trad. : « par lequel sont tenus attachés ceux qui sont suspendus»
(11) C’est-à-dire « grue », aussi bien l’oiseau que l’engin, le second par métaphore du premier, en grec comme en latin, italien et français. L’idée et les exemples qui suivent sont dans Scaliger, p. 88.
(12) En marge : ibid. Trad. « câbles par lesquels (les personnages) semblaient être emportés en l’air. » La source initiale est Pollux : « On appelle aiôrai les cordages qui pendent d’en haut pur soutenir les héros et les dieux qui semblent se mouvoir dans l’air. » (Navarre, p. 131).
De même, le stropheion (13) qui élevait les hommes dans le ciel, cuius usus in Hercule Oetao (14); de même, l’encyclème, l’acrobatique, et autres machines diverses et spécialisées, qu’il serait trop long d’énumérer.
(13) Le stropheion montrait l’apothéose des héros montant au ciel. Navarre, p. 139, d’après Pollux.
(14) En marge : Scal.ibid. Cit. « dont il est fait usage dans Hercule sur l’Œta », tragédie de Sénèque. Scaliger, p. 88.
Quand, comme il nous arrive également, le lieu ne permettait pas de montrer les mers lointaines, montagnes, fleuves ou châteaux, qui étaient nécessaires à l’action, ils disposaient de ces ingénieuses perspectives que nous voyons chez nous, quo certis pensilia machinis statuebantur(15). Aux temples élevés et majestueux qui étaient souvent représentés, correspondaient ces escaliers chaoniens(16) unde simulacra emittebantur.
(15) « Qui descendaient en étant suspendues par une machinerie. » Citation de Scaliger, p. 89.
(16) Sic ; en réalité, escaliers charoniens ou de Charon, échelles de bois par où montaient des personnages censés venir des Enfers. Latin : « par où on introduisait des fantômes» (citation de Scaliger, p. 89). Cf. Navarre, p. 138.
Aux jeux et ballets qui sont introduits dans les représentations modernes répondaient ces antiques (17) qui rendaient moins ennuyeuses leurs tragédies, ou parfois le (18 )qui charmait de la plus ravissante manière, dans lesquels, tout comme il se fait aujourd’hui, ils ornaient avec variété les danses aut thirso, aut calatho, aut hasta(19).
(17) « La danse de la tragédie était l’emméléia, sorte de marche rythmée, lente et solennelle. » Scaliger, p. 66 ; Navarre, p. 214.
(18) Mot parfaitement lisible, mais totalement impossible en grec (et en plus, il y a un accent circonflexe sur l’epsilon, autre impossibilité). Il faut sans doute lire sikinnis, qui est la danse des drames satyriques.Cf. Scaliger, p. 66 ; Navarre, p. 214.
(19) En marge : Demp.dant.lib.5.c.10. (référence non décryptée). Trad. : « avec un thyrse, ou avec une corbeille, ou avec une lance ». Même énumération en plus long et en donnant leurs noms, d’accessoires utilisés lors de danses et leur donnant leur nom chez Scaliger, p. 66.
À ces appartements que nous voyons parfois s’ouvrir dans les palais répondaient ces (20), qui […] étaient destinées à ces choses qua patrata est in aedibus(21); Sophocle dans son Œdipe et Plaute dans Amphitryon, y ont eu recours. On ne dira pas non plus que les nouvelles scènes, équipées de ces machines, sont dépourvues des habituels chœurs, qui se produisaient surtout dans les ballets ; et les danses avec accompagnement chanté et instrumental ne sont pas différentes de cette Hyporchematica(22) dont parle Athénée et qui se distinguait par le chant et la musique.
(20) Cinq mots incompréhensibles : adornate di stupor le sedi, mot-à-mot « les sièges [étant] ornés de stupeur » ; j’en viens à soupçonner que Bissari commet un contresens sur le texte de Scaliger, en donnant un sens psychologique à des mots purement concrets. Scaliger, p. 88, dit exactement : « Erat haec sedes sublicis elata, strata longuriis, super quibus sella. » : [l’encyclème ou exostra] était un dispositif élevé sur des pilotis, recouvert de planches, sur lequel se trouvait un siège ». elata peut effectivement avoir un sens psychologique, « exalté, étonné ».
(21) Les exostrae sont des machines tournantes servant aux changements de décors. Passage emprunté à Scaliger, p. 88, en estropiant la citation. « Destinabatur locus is ad ea recitanda, quae secreto patrata essent in aedibus, qualia in Oedipode Sophoclis, Plauti Amphitryone. » (Ce lieu était destiné au récit des actions accomplies secrètement à l’intérieur des édifices; comme dans l’Œdipe de Sophocle ou l’Amphitryon de Plaute.)
(22) « L’hyporchème […] était une gesticulation vive, passionnée, exprimant l’exaltation de la joie ou le triomphe. » Mentionné chez Scaliger, p. 72, d’après Athénée, XIV, p. 631. Cf. Navarre, p. 214.
Et si pour cela ils jouaient dans l’endroit alors appelé logion(23), in adversum theatri propectum, qui ne voit que même l’emplacement moderne des musiciens répond à l’usage antique ?
(23) En marge : Rod. c.8. Grec logeion, « l’endroit où l’on parle », parfois identifié au proskenion). in adversum theatri prospectum : face aux spectateurs.
Nos ouvrages sont conformes aux anciennes règles de quantité, en représentant en général les événements d’un seul jour dans la limite statutaire de quatre heures ; et aussi aux règles de qualité : à la protase qu’ils montrent au début succède bientôt l’épitase ; et si, pour satisfaire le désir de variété, ils se montrent si différents dans les catastases, c’est dans tous les cas pour arriver de la plus merveilleuse façon à la catastrophe(24). Ni dans le pathétique, ni dans la péripétie ils ne se trouvent en défaut. On a donc bien raison de dire que dans nos ouvrages, les antiques institutions semblent ressuscitées plutôt qu’interrompues.
(24) Ces concepts sont de Scaliger, p. 35-36.
En attendant, ne le prends pas mal si cet ouvrage se présente à toi tel qu’il est ; pardonne-lui ses imperfections en le considérant comme un passe-temps de son auteur, ne lui refuse pas ta sympathie ; et sache que les mots habituels des poètes : Fatum, Destin, et autres semblables, ne font nul tort à ses devoirs de bon chrétien.
Les sources de la Torilda
On trouvera ci-après les passages pertinents dans la traduction française de l’époque : Histoire des pays septentrionaus, écrite par Olaus le Grand, Goth, Archevêque d’Upsale, et Souvrain de Suecie et Gothie. En laquelle sont brievement, mais clerement deduites toutes les choses rares ou étranges, qui se treuvent entre les Nations Septentrionales, traduite du latin de l’Auteur en Français. A Paris, chez Martin le Jeune, 1561.
Grimmon et Haldan
« Ayant aussi entendu que Grimmon un fort vaillant et puissant combatant, demandoit Thorilde fille du Roi Hathere Roi de Norwegue, deffiant tout le monde qui voudroit lui empêcher, et que le Roi fort marri et indigné de cela, promettoit sa fille à quiconque le defferoit, [Haldan], combien qu’il fût ja fort vieil, et n’eût oncques eu envie de soi marier, s’en vint au lieu du combat assigné, non tant par espoir des promesses du Roi, qu’indigné de la brave façon de ce combatant. Venus qu’ils furent au combat, Haldan s’adressant à Grimmon, lui coupa un pan de son haubert, avec le bas de son bouclier. Dequoi fort émerveillé, Grimmon dit : Il ne me souvient d’avoir jamais rencontré un si rude vieillart, et si bien frapant. Parquoi boutant l’épee au poing, et s’adressant à Haldan, le pensa meurtrir, mais rencontrant le bouclier mit fort avant son épee dedans, et ainsi qu’il tâchoit à la retirer, Haldan lui coupa la main : puis lui donnant d’un coup d’estocq dedans la cuisse, le rendit estropiat toute sa vie, et l’eût mis à mort, sinon que Grimmon rachapta ce qui lui restoit de sa misérable vie, avec une grande somme d’argent. » p. 87
Le même récit figure dans Saxo Grammaticus, Historiae Danorum, p. 62, et c’est sans doute là qu’Olaus Magnus l’a pris ; mais il est plus probable que Bissari se soit servi d’Olaus Magnus.
Alvida
On rencontre également une Alvida poursuivie par un nommé Alphon : « mettant arriere l’affection qu’elle avoit eue au prince de Dannemarch, elle changea le cœur et habillement de femme en cœur et habillement d’homme, et commença, changeant de vie de devenir au lieu d’une douce pucelle qu’elle etoit auparavant, corsaire et écumeuse de mer. » p. 94. P. 98 v°, la même se retrouve capitaine de corsaires.
Les satyres du septentrion
« Parce que les Anciens étoyent tormentés d’une infinie sorte de ces esprits, comme de farfadets, luittons, faunes, satyres, lamies, stryges, Panes, manes, et un nombre infini de telles illusions, dont les uns faisoyent bonne chere, et applaudissoyent aux hommes pour les tromper : les autres les faisoyent mourir cruellement, il m’a semblé bon écrire par quel moyen les Aquilonaires y remedioyent, tant par armes que par autres inventions. On tient pour certain que les anciens vaillans chevaliers de la Gothie, ont souvent combatu avecq les bêtes cruelles, et monstres, tant pour la deffence du pauvre populaire, que pour essayer leurs forces, et ne vouloient être accompagnés d’homme vivant en leurs combats. Regnier du païs de Suece, et depuis Roi, combatit une nuit entiere contre un infini nombre de ces monstres nocturnes, que sa marâtre Thorilde avoit fait venir contre lui, pour le deffaire ; et le jour venu, on trouva un grand nombre de ces monstres morts par les champs, de diverses sortes et manieres, entre léquels on trouva la face de Thorilde blessée en plusieurs endroits. Ce qu’étant connu par tout le païs, il acquit un fort grand bruit, et trouva le moyen avec ses amis de recouvrer sur ses ennemis le royaume de son père.
Le Roy Gormon acompaigné de deux vaillants hommes, dont l’un étoit nommé Broder, l’autre Bachi, entreprint un fait d’une étrange hardiesse, fort bien resentant l’ancienne race des Rois des Goths, déquels il étoit successeur. Car pour connoitre les secrets de nature, il entreprint un voiage sans avoir crainte aucune de passage, tant fût-il estimé dangereux, et du tout inaccessible, et s’embarquant sur la mer Oceane, laissant le soleil et les étoiles en l’autre hemisphère alla jusques en la Biarmie, à l’endroit où jamais le Soleil ne donne, ains y vit on en perpétuelles ténèbres, et là lui et ses compaignons se combatirent avec une infinité de monstres de diverses sortes. Et combatoyent ces luittons et farfadots, qui les venoyent assaillir à coups de dars, de fleches, et de fondes, et en firent un tel carnage que c’étoit horreur à voir ces monstres, comme vous pourrez voir au huitième livre des Histoires de Dannemarch, écrites par Saxon diligent écrivain, là où il parle du Roi Gormon. On trouve aussi aux vieilles histoires comment Hother fils du Roi de Suece une nuit ainsi qu’il veilloit, tout fâché et ennuyé qu’advisant l’umbre d’un Satyre, qu’ils nomment Memminge, prés de sa tente, il le poursuivit avec une hache, et le rua par terre tellement qu’il eut le moyen de le lier, et qu’en fin, après l’avoir menassé de le faire mourir, avec une rude et effroyante voix il eut de lui, ce qu’il demandoit : qui étoit une épee, et quelques bagues. Voilà comment toutes choses fuyent à la mort, et n’ont rien si cher que la vie. » P. 52, pdf 122 : Du combat contre les Faunes.
Là aussi, l’histoire se trouvait déjà dans Saxo Grammaticus, p. 21 A-B.
Tournoi, joute, comparse, carrousel
Comparse, féminin (italien comparsa) est pris ici dans son premier sens d’ « apparition », et plus précisément, « entrée des quadrilles lors d’un carrousel ». « Lorsqu’elle [la marche] sera finie, la comparse commencera, c’est à dire l’entrée des Quadrilles dans la Carriere dont elles feront le tour, pour se faire voir aux Spectateurs, & iront ensuite se rendre aux postes qui leur seront destinez. » Le Carrousel des galans Maures, Lyon, 1685, p. 37.
La même publication comporte, p. 2, un intéressant développement sur le mot carrousel : « Il est à propos de marquer icy, que ce mot est plus Italien, & Espagnol, que François, & qu’il signifie partout également un jeu et un spectacle représenté sur des charriots ; mais comme le temps augmente et diminuë toutes choses, & qu’il est rare de les voir après plusieurs siecles dans le mesme état qu’elles ont esté au commencement de leur institution, on a retranché peu à peu les Machines et les Chars des Carrousels, & l’adresse des Cavaliers et la magnificence des Habits ayant suffy, on a appellé toute Cavalacade, Joute, Course, Exercice Militaire, & Marche nombreuse, Carrousel. Mais si dans ces derniers temps ces sortes de spectacles semblent avoir diminué à cause du retranchement des Machines, ils ont augmenté d’une autre maniere, puis qu’au lieu d’une seule Personne qui couroit autrefois, on en voit présentement quatre dans la Carriere, qui en quatre endroits diférens attirent les regards des spectateurs, & forment un spectacle plus attachant, plus continu, plus noble et où l’adresse des Chevaliers se fait plus remarquer aux yeux des Personnes qui aiment les choses solides, que toute la pompe des Chars, qui n’ébloüissent que le Vulgaire. »
Livret original
http://daten.digitale-sammlungen.de/~db/0004/bsb00047990/images/index.html?id=00047990&fip=193.174.98.30&no=&seite=1 (Rome – Istituto Storico Germanico)
http://books.google.fr/books?id=kv5DAAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=la+torilda&source=bl&ots=Z9AYIBd3wY&sig=v3nGyrRPjHgoaP_4dqciwFj_0yQ&hl=fr&sa=X&ei=EyVkUJr1BvOU0QWTw4GIBQ&ved=0CDMQ6wEwAA#v=onepage&q=la%20torilda&f=false