COMPOSITEUR | Francesco CAVALLI |
LIBRETTISTE | Giovanni Francesco Busenello |
Opera musicale, en un prologue et cinq actes (*), sur un livret de Giovanni Francesco Busenello, représenté (?) au teatro Novissismo à Venise, en 1646.
(*) dans la préface, Busenello justifie le découpage – alors inhabituel – en cinq actes, en se référant aux tragédies de Sénèque.
Cristoforo Ivanovich, dans ses Memorie teatrali donne la date de 1646, mais ce n’est qu’en 1656 que le livret fut publié par Busenello (imprimeur Andrea Giuliani), comme l’indique Drammaturgia di Lione Allacci (1755) : Dramma per musica recitato in Venezia nel Teatro della Cavallarizza (*) l’anno 1646. Poesia di Gianfrancisco Busenello Veneziano. Questo Dramma non su stampato nel tempo delle recite, ma solamente dieci anni dopo colle altre sue Poesie.
(*) il s’agit bien du teatro Novissimo. Ce petit théâtre construit en 1640 sur la Calle Torelli dite della Cavallerizza, située derrière l’abside de S. Giovanni e Paolo, fut inauguré en 1641 avec la Finta pazza de Sacrati, et on y donna aussi le Bellorofonte de Sacrati et la Deidamia de Cavalli. Il fut démoli en 1647 pour construire un manège, ce qui explique son surnom de della Cavarizza.
Le livret est intitulé : La prosperita infelice di Giulio Cesare dittatore. Opera musicale di Gio. Francesco Busenello. – In Venetia : appresso Andrea Giuliani, 1656. Si vende da Giacomo Batti Libraro in Frezzaria
L’attribution de la partition – qui est perdue – à Cavalli est mise en doute, au bénéfice de Antonio Sartorio, pour des raisons peu claires.
Le livret retrace cinq épisodes de la vie de César, à Pharsale, Lesbos, en Egypte, à Rome, avec une quarantaine de personnages. Tiraillé entre le devoir – la victoire contre Pompée – et les plaisirs – les voluptés de Cléopâtre – le héros n’a pas d’autre issue que la mort. Les actes I, III, and IV s’achèvent avec des intermèdes.
Argument (*)
Celui qui aura lu la Vie de Jules César de Plutarque et étudié les dix livres de la Pharsale de Lucain reconstituera de lui-même l’argument de ce drame, dans lequel Jules César passe des victoires sur les autres à la ruine et à la perte de soi-même. Tu observeras qu’au premier acte, nous sommes à Pharsale ; au deuxième, nous sommes à Lesbos ; au troisième, en Égypte ; au quatrième, avec Cléopâtre ; et au cinquième, à Rome. S’il y a cinq actes et non trois, souviens-toi que tous les drames antiques, et particulièrement les tragédies de Sénèque, sont divisés en cinq actes. Les changements de lieu ne doivent pas te paraître étranges : celui qui écrit ne croit pas être en faute s’il écrit à sa manière. Celui qui trouve son bonheur à se faire l’esclave des règles antiques, qu’il aboie à la lune tout son soûl, et se dise que l’auteur de ces lignes tire autant de plaisir de son propre génie que d’autres en trouvent peut-être à critiquer les œuvres d’autrui.
Tu remarqueras, transportés ici, les passages entiers les plus célèbres de l’Antiquité ; si par aventure tu voulais m’en blâmer, offre-toi le plaisir de lire les Saturnales de Macrobe sur Virgile, et les efforts du Benio1 sur le Tasse ; après quoi nous discuterons ensemble. Au demeurant, l’histoire est connue par elle-même ; et si quelque invention y est insérée, cela ne doit pas te faire froncer le sourcil, car il est nécessaire de donner quelque part satisfaction au goût du jour ; souviens-toi toujours de l’éloge que Tacite faisait de Sénèque, à savoir qu’il avait un génie tout à fait adapté aux goûts de son temps. Lis, excuse, et s’il te semble bon, aime-moi.
Personnages (*)
Le Temps (Prologue) ; Les âmes heureuses ; Astrée ; Lucius Brutus ; La Fortune.Un esclave de Pompée ; L’ombre de Julie ; Pompée ; Lentulus ; Cornélie ; Euphrosyne ; César ; Scéva ; Deux capitaines de l’armée de César ; Sextus ; Auribrilla ; Érictho (Erito), [magicienne] ; Davus ; Clodion ; Un eunuque ; Ptolémée ; Achillas ; Cléopâtre ; Un messager ; Aspasie ; Artaban ; Cicéron ; Marcus Brutus ; Cassius ; Un astrologue ; Maximilla ; La liberté ; Neptune ; Chœur de Lesbiens ; Chœur de soldats romains
Synopsis (*)
Prologue : le Temps prévient que la pièce ne respectera pas les unités de temps et de lieu.
Acte I
Sc. I : aux Champs Élysées, les âmes heureuses chantent leur béatitude. Astrée, déesse de la justice, vient chercher Lucius Brutus (Brutus l’ancien) pour qu’il aille en Thessalie remettre son épée à Pompée, champion de la juste cause ; mais la Fortune intercepte l’épée.
Sc. II : un esclave de Pompée se plaint de son sort.
Sc. III : l’ombre de Julie (fille de César et quatrième épouse, défunte, de Pompée) apparaît à Pompée, lui annonce sa mort et l’invite à ne pas combattre. Pompée refuse de la croire et exprime son scepticisme quant aux songes. Il se battra.
Sc. IV : Lentulus annonce la bataille, où Jupiter devrait soutenir la bonne cause. Pompée se voit vainqueur, mais envoie quand même son épouse Cornélie à l’abri sur l’île de Lesbos. Cornélie pleure, mais obéit.
Sc. V : Euphrosyne, vieille nourrice de Cornélie, chante les malheurs de la condition féminine, pour conclure qu’il vaut mieux épouser un lâche.
Sc. VI : dans son camp, César est outré qu’on veuille le combattre et lui refuser les honneurs que ses conquêtes auraient dû lui valoir. Le centurion Scéva lui garantit la victoire.
Sc. VII : deux capitaines de César s’exposent mutuellement leurs friponneries et les gains que leur procure la guerre.
Sc. VIII-IX : Sextus (fils de Pompée et de sa troisième épouse) et son amie Auribrilla chantent leur amour, fusionnel et éternel. Ils consultent ensuite la magicienne Érictho, qui force un mort à lui révéler l’avenir : les méchants seront vainqueurs, la Fortune vaincra, la liberté de Rome disparaîtra. (scène tirée de la Pharsale de Lucain).
Acte II
Sc. I : Pompée arrive à Lesbos. Lentulus conseille d’aller demander de l’aide au roi d’Égypte Ptolémée, qui est l’obligé de Pompée. Celui-ci retrouve Cornélie et lui annonce sa défaite. Cornélie l’invite à résister. Les Lesbiens lui offrent leurs trésors et des troupes.
Sc. II : l’esclave Davus invite Pompée à se défier de Ptolémée, enfant entouré de mauvais conseillers ; Pompée refuse de le croire.
Sc. III à V : Sextus a retrouvé Auribrilla qui, après Pharsale, est passée par de nombreuses mains, sans que, d’après elle, sa vertu en ait souffert. Davus est sceptique : pour lui, Auribrilla est une fille vénale, et Sextus doit la quitter pour suivre son père. Sextus chante son amour désespéré.
Sc. VI-VII : Auribrilla accepte sans trop de résistance les offres généreuses de Clodion. Davus stigmatise la fausseté des femmes vénales.
Acte III
Sc. I : en Égypte, un conseiller de Ptolémée l’invite à tuer Pompée vaincu pour se concilier les bonnes grâces du vainqueur ; selon lui, reconnaissance, loyauté, ne servent qu’à détruire les monarchies. Ptolémée, malgré les objections d’Achillas, donne l’ordre, au nom du bien public. Achillas obéira.
Sc. II : César débarque ; il ne craint plus Pompée. Quand Achillas lui présente sa tête, il joue l’indignation&nbs;: il aurait préféré faire preuve de grandeur en lui pardonnant. Il s’inquiète par ailleurs des caprices de la Fortune.
Sc. III : Cornélie suppliante demande et obtient que lui soit remise la tête tranchée de son époux.
Sc. IV : long monologue de Cornélie, qui n’est pas dupe de la générosité de César ; elle ordonne que la tête soit incinérée, et se sent déshonorée de survivre. D’outre-tombe, la voix de Pompée l’invite à regagner Rome, où un juste destin attend César.
Acte IV
Sc. I : Cléopâtre est en extase devant un portrait de César. Que sera-ce devant l’original ? Justement, il demande audience. La suivante Aspasie conseille d’être à la fois séduisante et réservée, et de ne pas craindre d’user de flatteries.
Attention : la succession des scènes II à V fait apparaître des contradictions ou des incohérences. Nous conservons ci-après l’ordre du livret original, mais nous invitons à faire l’expérience de lire en intervertissant la scène II et la scène IV.
Sc. II (originale) : Cléopâtre et César font assaut de compliments ; César déclare son amour ; Cléopâtre l’invite à venir se reposer dans ses appartements ; ils sortent, en invoquant Amour.
Sc. III : Achillas révèle à Artaban que Ptolémée souhaite maintenant se débarrasser également de César, qui l’a menacé ; ils pourraient profiter de ses ébats avec Cléopâtre pour passer à l’action.
Sc. IV (originale) : Aspasie sollicite pour sa maîtresse un entretien avec César ; celui-ci déclare ne l’avoir jamais vue et l’adorer sur sa réputation. Aspasie l’invite à revenir au milieu de la nuit ; elle reçoit un diamant en récompense, et chante les louanges du métier d’intermédiaire.
Sc. V : Artaban et Achillas ont tout entendu (mais quoi ?) et se méfient, car César est soutenu par la fortune.
Sc. VI à VIII : César, au lit avec Cléopâtre, ne peut dormir, partagé entre l’amour et le désir de grandeur. Artaban l’attaque, il se défend, et, irrité contre les Égyptiens, décide de partir pour Rome au plus vite.
Intermède : Astrée reprend son épée à la Fortune.
Acte V
Sc. I : à Rome, le peuple accueille César triomphant avec force hyperboles. Cicéron, ancien ennemi de César, le couvre de louanges, que César impute à la peur. César lui accordant tout ce qu’il veut, Cicéron n’hésite pas à l’égaler à Jupiter.
Sc. II : Brutus vit à l’écart de la vie politique ; Cassius le pousse à l’action, il se décide, pour mettre fin à toutes les tyrannies. Astrée lui confie son épée.
Sc. III-IV : un astrologue, qui a annoncé la mort de César pour les Ides de Mars, s’indigne du peu de considération qu’on lui accorde. César rejette son art : les dieux ne se soucient pas tant des hommes.
Il est ensuite assassiné. Brutus et Cassius sont persuadés que Rome restera libre. Le chœur chante la liberté.
Sc. V : Cornélie et Sextus savourent leur vengeance. Cornélie invite Sextus à prendre les armes contre quiconque voudra marcher sur les traces de César. Sextus, honteux de ses amourettes passées, se conduira désormais en guerrier.
Sc. VI : Brutus propose sa fille Maximilla comme épouse pour Sextus. L’alliance de leurs familles éradiquera la race des tyrans. Cornélie accepte le mariage, Maximilla aussi, et la vieille nourrice espère voir leurs enfants grandir.
Sc. VII : la Liberté craint de ne pas être si bien accueillie à Rome ; Neptune l’invite dans une autre cité, qui s’appellera Venise et règnera sur la mer.
Les derniers vers célèbrent la famille Grimani, propriétaire du SS Giovanni e Paolo (nel Teatro Griman famoso al Mondo), ainsi que la ville de Venise (Viva Venetia viva).
(*) traduction Alain Duc
Livret en français disponible sur livretsbaroques
Livret original : http://daten.digitale-sammlungen.de/~db/0004/bsb00047987/images/index.html?id=00047987&fip=193.174.98.30&no=&seite=1 (Rome – Istituto Storico Germanico)
http://www.urfm.braidense.it/rd/03310_4.pdf (Milan – Biblioteca Nazionale Braidense)
« La prosperità infelice di Giulio Cesare dittatore est le seul des livrets de Busenello dont la musique, écrite par Cavalli, n’a pas été conservée. C’est aussi la seule écrite en cinq actes et c’est sans doute son œuvre la plus ambitieuse. Puisant de nouveau dans l’Histoire de la Rome antique (le sujet est inspiré, comme il est dit dans l’Argomento, des Vies de Plutarque), Busenello bâtit une tragédie digne de Shakespeare, en suivant les préceptes poétiques du théâtre espagnol (mélange des registres et surtout absence totale d’unité de temps et de lieu : chaque acte correspond à un lieu différent). Le livret est une parfaite illustration des vicissitudes de la Fortune, et décrit la triste déchéance de César. » (Les représentations de la Fortuna dans les melodrammi de Gian Francesco Busenello – Jean-François Lattarico)