Elena (Hélène)

L'Elena - frontispice du livret - 1659

COMPOSITEUR Francesco CAVALLI
LIBRETTISTE Giovanni Faustini et Niccolo Minato


DVD

ENREGISTREMENT ÉDITION DIRECTION ÉDITEUR FICHE DÉTAILLÉE
2012 2013 L. G. Alarcon Ricercar

 

 

Dramma per musica, sur un livret en un prologue et trois actes, de Giovanni Faustini, complété par Niccolo Minato, représenté au teatro S. Cassiano de Venise, le 26 décembre 1659.
La collaboration entre Giovanni Faustini et Cavalli (dix opéras) s’était achevée avec la Rosinda, après la mort du librettiste, en 1651. Marco Faustini, impresario, rechercha un librettiste susceptible de reprendre le livret d’Elena, laissé inachevé par son frère Giovanni. Il semble que plusieurs écrivains aient décliné l’offre avant qu’elle soit acceptée par Niccolo Minato. Celui-ci dut travailler rapidement : dans une lettre du 26 septembre 1659, Minato indique à Marco Faustini qu’il se retire dans une villa à la campagne pour terminer le livret.
Reprise à Palerme en 1661.
Le livret, Elena, Drama per musica nel Teatro à S. Cassano, per l’anno 1659, édité par Andrea Giuliani à Venise, est dédicacé All’Illustriss. & Eccellentiss. Sig. Angelo Morosini Procurator di S. Marco (*). Outre la dédicace datée du 26 décembre, il comporte un avis aux Lettore, un Argomento (traduction en français sur livretsbaroques.fr)
L'Elena - gravure du livret - 1659
(*) Angelo Morosini, cavalier procurator, a laissé une relation de son ambassade extraordinaire en Pologne, en 1685

La distribution se composait de Lucietta Gamba pour le rôle-titre. Inconnue comme chanteuse avant cette date, elle était une courtisane vénitienne réputée, dont Busenello disait qu’elle était la Putta che canta, et explique dans un poème :

Lucietta Vidimana (*)
A un secret de telle nature
Qu’il agrandit chaque queue
Non pas d’une manière saine
Mais par la vertu d’un écoulement particulier,
Un secret qu’il coûte cher de guérir.

(*) ce surnom vient probablement de ce que Lucietta Gamba fut la maîtresse d’un des frères Vidman, dont le plus connue était le cardinal Cristoforo Vidman. Tous deux étaient réputés pour mener une vie dissolue, et apprécier particulièrement le jeu, les fêtes, le théâtre et la compagnie des femmes.

 

On dispose d’un contrat signé par Lucietta Gamba le 18 juillet 1659, par lequel : elle s’engageait à participer à toutes les répétitions et représentations ; elle recevrait 677 ducats, le tiers après la seconde représentation, le tiers à la moitié des représentations, et le dernier tiers à la fin ; en cas de maladie, elle serait rétribuée au nombre de représentations effectuées.
Lucietta Gamba semble avoir bénéficié de la protection de Michiel Morosini, qui était ambassadeur de Venise en France, pour obtenir des conditions particulièrement favorables. Ainsi la seconda dama Elena Pasarelli ne percevait la même année que 360 ducats, et le primo uomo Giovanni Cappello 361 ducats. Gamba se maria en 1661, apportant une dot de 8 000 ducats.
Le castrat romain Giovanni Cappello tenait le rôle de Ménélas, et Anna Caterina Venutri sans doute celui d’Hippolyte. Les autres chanteurs étaient les suivants : Elena Passarelli, Niccolo Constantini, Domenico Sciarra, Carlo Vittorio Rotari, Giuseppe Ghini, Michel Angelo Amadore, Alessandro Collacioppi, Giovanani Battista Maggi, Francesco Galli. Sur douze chanteurs, trois étaient des femmes et trois des castrats.

 

Selon le livret, les actes I et II s’achèvent par un ballet : Li Cacciatori prendono gl’Orsi, e ballano, et Li Schiavi liberati, per allegrezza fanno un ballo.
Un nouveau prologue et douze arias furent ajoutés, deux pour Menelao, deux pour Menesteo, deux pour Teseo, quatre pour Ippolita, un pour Antiloco, un pour Iro, ce qui fit l’objet d’une nouvelle publication : Nuovo Prologo et Ariette aggiunte all’ Elena, Drama, che si rappresenta nel Teatro à San Cassano l’anno 1659 chez Andrea Giuliani. On ne dispose de la musique correspondante. Plus court que le premier, il ne fait intervenir que quatre chanteurs au cours d’une scène infernale : Vénus descend aux enfers pour avertir Proserpine que Thésée et Pirithoüs ont l’intention de l’enlever. Proserpine demande à Vénus d’intervenir, et celle-ci envoie Amour pour que Thésée devienne amoureux d’une autre. Proserpine envoie la Jalousie pour accompagner Amour pour s’occuper de Pirithoüs.
Le manuscrit conservé est une copie demandée par le compositeur à la fin de sa vie, à partir d’une partition utilisée lors de la création de l’ouvrage.

Personnages : La Discordia (la Discorde), Venere (Vénus), La Pace (la Paix), La Richezza (la Richesse), Giunone (Junon), La Verità (la Vérité), Amore (Amour), Pallade (Pallas), L’Abbondanza (l’Abondance), Due Furie (deux Furies) (Prologue) ; Tindaro (Tyndare), roi de Sparte ; Elena (Hélène), sa fille ; Menelao (Ménélas), prince, amant d’Elena, en habit de fille sous le nom d’Elisa ; Teseo (Thésée) ; Peritoo (Pirithoüs) ; Ippolita (Hippolyte), princesse amazone, en habit d’homme ; Eurite (Euryte), amazone, demoiselle d’Ippolita, en habit d’homme ; Erginda (Ergynde), dame d’honneur d’Elena ; Diomede (Diomède), confident de Menelao, en habit de marchand arménien ; Euripilo (Eurypyle), confident de Tindaro ; Iro (Irus), bouffon de cour ; Creonte (Créon), roi de Tégée ; Menesteo (Menesthée), son fils ; Antiloco (Antiloque), confident de Menesteo ; Castore (Castor), Polluce (Pollux), frères d’Elena ; Nettuno (Neptune), Choro di Deità Cerulee (choeur des divinités marines), Choro di Argonauti (choeur des Argonautes), Choro di Cacciatori (choeur des Chasseurs), Choro di Schiavi (choeur des Esclaves).
Décors : palais de la Paix (Prologue) ; bord de mer de Laconie, à Sparte ; palais de Tindaro ; amphithéâtre hors de la ville ; bois ; galerie de pièces du palais royal de Tégée ; galerie ; bord de mer de Tégée ; forêt royale délicieuse ; palais de Creonte.
L’opéra se passe en partie en Laconie, capitale de Sparte, en partie à Tégée.

Elena est considéré comme un véritable opéra comique. L’action centrale est délibérément comique, et les scènes de comédie, voire bouffonnes abondent, ce qui n’empêche pas la présence de personnages tragiques.
Les airs, nombreux, sont pourvus d’un accompagnement à deux voix en plus de la basse continue, ce qui était rarement le cas dans la Calisto. On relève aussi la présence de plusieurs ensembles, duos, trios et quatuors.

Synopsis détaillé

Acte I
Rivage de Laconie
Sc. 1 – Thésée et Pirithoüs voguent avec la protection de Neptune, père de Thésée, vers la Laconie où règne Tyndare qui se croit le père d’Hélène alors qu’elle est fille de Jupiter qui avait la forme d’un cygne. Ils viennent pour enlever Hélène, à laquelle Thésée veut s’unir. Ils projettent ensuite de faire remonter Proserpine au jour pour l’unir à Pirithoüs.
Sc. 2 – Pirithoüs décrit comment ils projettent d’enlever Hélène, dans un amphithéâtre où elle s’entraîne à la course. Ils s’accordent pour apprécier les plaisirs des femmes que l’on force.
Salle du palais royal de Tyndare en Laconie
Sc. 3 – Ménélas, habillé en femme, souffre d’amour. Il rappelle à Diomède, son confident, qu’il doit se fait passer passer pour un marchand de Corinthe qui tient captive une Amazone destinée au roi Tyndare pour entraîner Hélène à la course.
Sc. 4 – Irus, bouffon de la cour, explique à Diomède et Ménélas que sa situation est fort enviable. Il se propose de les introduire auprès du roi.
Sc. 5 – Diomède offre au roi Tyndare Ménélas, présentée comme une Amazone, fière lutteuse. Tyndare est immédiatement séduit par Ménélas et le fait délivrer. Il demande à son confident Eurypyle de la mener à sa fille Hélène.
Sc. 6 – Tyndare avoue qu’il est tombé sous le charme de l’amazone. Diomède tente de le dissuader en le prévenant que l’amazone n’a rien de féminin.
Sc. 7 – Irus recommande de goûter les plaisirs avant que l’âge ne vienne.
Un amphithéâtre hors de la ville
Sc. 8 – Hélène attend l’amour avec impatience. Ergynde, sa dame d’honneur, l’encourage dans cette voie.
Sc. 9 – arrive Eurypyle qui présente Ménélas à Hélène. Celle-ci est immédiatement touchée par sa beauté. Elle l’interroge, mais Ménélas tergiverse à avouer vers qui se porte son coeur. Hélène ne veut plus l’écouter, et veut passer aux exercices, mais Ménélas s’en déclare incapable car Hélène ressemble trop à celle qu’il aime. Hélène finit par s’impatienter et le somme de lutter.
Sc. 10 – Thésée et Pirithoüs sont parvenus près de l’amphithéâtre où Ménélas et Hélène luttent. Ménélas tombe, mais se justifie par la ressemblance d’Hélène avec son aimée. Thésée et Pirithoüs passent à l’action et enlèvent Hélène et Ménélas. Eurypyle et Ergynde ne peuvent rien, mais Eurypyle a reconnu les ravisseurs. Ergynde regrette de ne pas avoir été enlevée.
Sc. 11 – Irus appelle aux armes pour retrouver Hélène.
Sc. 12 – Tyndare enrage et menace. Il lance Eurypyle, Diomède et Irus à la recherche d’Hélène et de l’amazone qu’il aime.
Un bois
Sc. 13 – Thésée annonce à Hélène qu’il les emmène à Tégée. Hélène le menace de la colère de son père. Pirithoüs se dit prêt à aimer Ménélas, et Thésée de même pour Hélène.
Sc. 14 – Eurypyle et Diomède n’ont pas réussi à retrouver les fugitifs. Tous deux soupirent qu’il est folie de tomber amoureux.
Sc. 15 – Irus, habillé d’une façon bizarre, retrouve Diomède et Eurypyle, et leur révèle avoir vu les fugitifs franchir l’Eurotas pour se rendre à Tégée chez le roi Créon. Eurypyle envoie Irus à Tégée comme espion, et retourne auprès de Tyndare.
Sc. 16 – Irus revient, suivi de deux ours. Arrive un chœur de chasseurs. Les ours lâchent Irus. Les chasseurs s’emparent d’eux et dansent.
Acte II
Cour devant les chambres du palais royal de Tégée
Sc. 1 – Créon accueille Thésée et Pirithoüs qui les remercient. Ménesthée, fils de Créon, leur propose d’épouser les captives.
Sc. 2 – Ménesthée est désespéré de devoir cacher qu’il est tombé amoureux d’Hélène.
Sc. 3 – Hélène se dit séduite par la retenue de Thésée, au désespoir de Ménélas qui tente en vain de la dissuader.
Sc. 4 – Ménélas est désespéré et songe à la mort.
Sc. 5 – Hippolyte, soeur d’Antiope reine des Amazones, donnée par Hercule à Thésée, croit que celui-ci lui sera fidèle. Euryte, sa confidente, la met en garde, et lui propose d’essayer de savoir où est Thésée.
Sc. 6 – Pirithoüs déclare sa flamme à Ménélas qui se résout à feindre d’aimer en retour.
Sc. 7 – Irus a assisté à la scène, et imagine ce que penserait Tyndare de l’attitude de l’amazone.
Sc. 8 – Irus est supris par Euryte en habit masculin, et lui annonce que Tyndare arrive avec une armée pour venger le rapt de sa fille par Thésée. Euryte le croit fou.
Sc. 9 – Ménesthée tente de susciter l’amour d’Hélène, en vain. Arrive Thésée qui déclare à Hélène qu’il lui suffit d’atttendre que naisse l’amour. Hélène lui donne des raisons d’espérer.
Sc. 10 – Hippolyte trouve normal que l’amour provoque aussi la souffrance. Elle se cache alors qu’arrivent Ménesthée et son confident Antiloque.
Sc. 11 – Ménesthée veut supprimer son rival Thésée. Antiloque tente de l’en dissuader. Ménesthée projette de faire tomber Thésée dans un guet-apens.
Sc. 12 – Hippolyte est horrifiée par ce qu’elle a entendu, et cherche comment sauver Thésée.
Sc. 13 – Euryte vient apprendre à Hippolyte que Thésée a accosté à Sparte, et qu’il est amoureux de la belle Hélène. Hippolyte enrage contre son infidélité.
Sc. 14 – Ménélas n’en peut plus, et veut se dévoiler. Voyant arriver Hélène, il feint le sommeil.
Sc. 15 – Ménélas parle dans son sommeil feint : il déclare son amour pour Hélène, puis révèle qu’il est Ménélas en habit féminin. Hélène le réveille, et rit de ce qu’elle a entendu. Ménélas confirme ce qu’il a laissé échapper. Hélène se montre hésitante, et s’en remet à Amour pour décider qui elle aimera.
Bord de mer
Sc. 16 – Irus se cache en voyant débarquer des soldats emmenés par Castor et Pollux. Il se montre, eete leur apprend que Thésée a enlevé leur soeur Hélène. Les deux frères crient vengeance.
Acte III
Bosquet royal
Sc. 1 – Hélène annonce à Ménélas que c’est lui qu’Amour a choisi. Ménélas décide de fuir avec elle.
Sc. 2 – Thésée pense à Hélène, et s’assoupit.
Sc. 3 – Hippolyte tombe sur Thésée endormi, et ne sait que faire. Elle songe à le tuer, mais, attendrie, décide de le laisser dormir, et s’allonge à côté.
Sc. 4 – surviennent Ménesthée et Antiloque. Ménesthée prend Hippolyte pour Thésée. Celui-ci se réveille et blesse Ménesthée. Thésée reconnaît Hippolyte et croit que c’est elle qui a voulu l’attaquer. Il lui confirme qu’il ne l’aime plus et la chasse.
Sc. 5 – Hippolyte rumine les dures paroles de Thésée à son égard.
Sc. 6 – Antiloque est revenu sur les lieux. Il y rencontre Euryte qui est à la recherche d’Hippolyte. Euryte reste inquiète.
Sc. 7 – Hélène et Ménélas échangent des paroles d’amour.
Sc. 8 – Pirithoüs fait la cour à Ménélas/Elisa qui joue le jeu.
Palais de Créon
Sc. 9 – Hippolyte interpelle Thésée qui feint d’abord de ne pas la connaître, puis la repousse. Hippolyte est désespérée. Euryte l’invite à chercher le bonheur dans d’autres bras.
Sc. 10 – Ménesthée reste décidé à tuer son rival. Créon entend ses paroles et s’indigne contre son fils. Il fait arrêter Ménesthée et Antiloque.
Sc. 11 – Hélène feint d’aimer Thésée, tout en rassurant Ménélas.
Sc. 12 – Pirithoüs survient annonçant l’arrivée de Castor et Pollux à la tête de soldats. Thésée et Pirithoüs s’apprêtent au combat. Ménélas craint d’être découvert.
Sc. 13 – menés par Irus, Castor et Pollux arrivent auprès d’Hélène et Ménélas. Ils décident de fuir.
Sc. 14 – surviennent Pirithoüs et Thésée qui les en empêchent.
Sc. 15 – Hippolyte survient, qui demande vengeance.
Sc. 16 – Thésée réplique qu’elle a tenté de le tuer. Créon rétablit la vérité et désigne les coupables. Ménesthée reconnaît avoir voulu le tuer par amour pour Hélène. Thésée, séduit par l’attitude d’Hippolyte, reconnaît tous ses torts envers elle. Hippolyte feint de le quitter, puis se laisse convaincre. Thésée s’excuse pour le rapt d’Hélène. Castor et Pollux acceptent. Pirithoüs est dépité d’apprendre que Ménélas n’est autre que le petit-fils du roi de Crète et qu’elle l’aime.

 

 

Livret en français disponible sur livretsbaroques.fr

Livret original

http://daten.digitale-sammlungen.de/~db/0004/bsb00048081/images/index.html?id=00048081&fip=qrsfsdrxdsydeayaeayaxdsydeayaeayaeayayztsfsdr&no=5&seite=7 (Rome – Istituto Storico Germanico)
http://www.urfm.braidense.it/rd/00729.pdf (Milan – Biblioteca Nazionale Braidense)

Thèse de Kristin Aviva Nelson Kane, à la Cornell University – Francesco Cavalli’s Elena (1659) – A study and edition – avril 2010 – contient la partition restituée

 


Représentations :

Sablé – 27 août 2014 – Nantes – Théâtre Graslin – 2, 4, 6, 8 novembre 2014 – Grand Théâtre d’Angers – 14, 16 novembre 2014 – Opéra de Rennes – 23, 25, 27 novembre 2014 – Cappella Mediterranea – dir. Monica Pustilnik – mise en scène Jean-Yves Ruf et Anaïs de Courson – décors Laure Pichat – costumes Claudia Jenatsch – lumières Christian Dubet – avec Giulia Semenzato ( Elena et Venere), Kangmin Justin Kim (Menelao), Fernando Guimarães (Teseo), Gaia Petrone (Ippolita et Pallade), Carlo Vistoli (Nantes) & Rodrigo Ferreira (Angers) (Peritoo), Emiliano Gonzalez Toro (Iro), Anna Reinhold (Menesteo et La Pace), Krzysztof Baczyk (Tindaro et Nettuno), Mariana Flores (Erginda, Giunone et Castore), Milena Storti (Eurite et La Verita), Brendan Tuohy (Diomede et Creonte), Christopher Lowrey (Euripilo, La Discordia et Polluce), Job Tomé (Antiloco)

 

Opéra de Lille – 7, 9, 10 avril 2014 – Ensemble Cappella Mediterranea – dir. et clavecin Leonardo García Alarcón – assistant musical et clavecin Ariel Rychter – mise en scène Jean-Yves Ruf et Anaïs de Courson – décors Laure Pichat – costumes Claudia Jenatsch – lumières Christian Dubet – avec Giulia Semenzato (Elena/Venere), Kangmin Justin Kim (Menelao), David Szigetvàri (Teseo), Giuseppina Bridelli (Ippolita/Pallade), Rodrigo Ferreira (Peritoo), Mariana Flores (Erginda/Giunone/Castore), Majdouline Zerari (Eurite/La Verita), Brendan Tuohy (Diomede/Creonte), Jake Arditti (Euripilo/La Discordia/Polluce), Job Tomé (Antiloco) – production de Festival d’Aix-en-Provence; Marseille-Provence 2013; Opéra de Montpellier; Angers Nantes Opéra; Opéra de Rennes; Calouste Gulbenkian Foundation


Classiquenews.com

« Elena de Francesco Cavalli, ressuscité l’année dernière à Aix après 350 ans, reparaît en avril 2014 à l’Opéra de Lille pour ravir le cœur et l’intellect d’un public davantage curieux. Le chef et claveciniste argentin Leonardo Garcia Alarcon dirige son ensemble baroque Cappella Mediterranea et une pétillante distribution des jeunes chanteurs. Jean-Yves Ruf signe la mise-en-scène, efficace et astucieuse.
Francesco Cavalli (1602-1676), élève de Monteverdi, est sans doute un personnage emblématique de l’univers musical du XVIIe siècle. A ses débuts, il suit encore la leçon de son maître mais au cours de sa carrière il arrive à se distinguer stylistiquement, défendant sa voix propre, pionnière dans l’école vénitienne. Son style a un caractère populaire et, comme Monteverdi, il a le don de la puissance expressive. Avec lui, l’ouverture et surtout l’aria prendront plus de pertinence. De même, il annonce l’école napolitaine, non seulement par l’utilisation des instruments libérés du continuo, mais aussi par les livrets qu’il met en musique, souvent très comiques, particulièrement riches en péripéties. C’est le cas d’Elena, crée en 1659, donc après La Calisto mais avant L’Ercole amante parisien. Le livret de Nicolo Minato s’inspire, avec une grande liberté, de l’histoire de Thésée épris de la belle Hélène.
Dans cette unique production, il y a des dieux, des princes, des amazones, des héros, un bouffon, des animaux… Peu importe, puisque le but n’est autre qu’un théâtre lyrique bondissant et drôle, pourtant non dépourvu de mélancolie. Dans ce sens, le décor unique de Laure Pichat est très efficace, une sorte de palestre avec des murs mobiles qui fonctionnent parfois comme des portes.
Après l’entracte, le décor enrichi de lianes n’est pas sans rappeler les suspensions ou sculptures kinétiques (“Penetrables”) du sculpteur vénézuélien Jesus Soto, le tout doucement accentué par les belles lumières de Christian Dubet. Les costumes de Claudia Jenatsch sont beaux et protéiformes, mélangeant kimonos pour les déesses aux habits légèrement inspirés du XVIIe des humains, nous remarquons les belles couleurs et l’apparente qualité des matériaux en particulier. Jean-Yves Ruf, quant à lui, se distingue par un travail dramaturgique de qualité. La jeune distribution paraît très engagée et tous leurs gestes et mouvements ont un sens théâtral évident. Ainsi, pas de temps mort pendant les plus de 3 heures de représentation.
Les 13 chanteurs sur le plateau ont offert une performance plutôt convaincante. Certains d’entre eux se distinguent par leurs voix et leurs personnalités. Le Thésée de David Szigetvari, a un héroïsme élégant, une si belle présence sur scène. Un Thésée baroque par excellence, affecté ma non troppo, mais surtout un Thésée qui ne tombe pas dans le piège du héros macho abruti et rustique, si loin de la nature du personnage mythique qui fut le roi fondateur d’Athènes. Justin Kim en Ménélas étonne par l’agilité de son instrument et attise la curiosité avec son physique ambigu ; si nous pensons qu’il peut encore gagner en sensibilité, il arrive quand même à émouvoir lors de sa lamentation au troisième acte. Giuseppina Bridelli en Hippolyte a un beau chant nourri d’une puissante expressivité. Mariana Flores en Astianassa, suivante d’Hélène, captive aussi avec sa voix, au point de faire de l’ombre à la belle Hélène de Giulia Semenzato. Cette dernière captive surtout par son excellent jeu d’actrice, aspect indispensable pour tout opéra de l’époque. Que dire du Pirithoüs de Rodrigo Ferreira, à la belle présence mais avec un timbre peut-être trop immaculé ? Ou encore du beau chant d’un Brendan Tuohy ou d’un Jake Arditti (Diomède et Euripyle respectivement) ? Sans oublier la prestation fantastique de Zachary Wilder dans le rôle d’Iro le bouffon, un véritable tour de force comique ! (NDLR: Zachary Wilder a été lauréat du très select et très exigeant Jardin des Voix 2013, l’Académie des jeunes chanteurs fondée par William Christie).
Et l’orchestre de Cavalli ? S’il n’avait pas accès à l’orchestre somptueux de Monteverdi à Mantoue, le travail d’édition de Leonardo Garcia Alarcon traduit et transcrit la partition avec science et vivacité. L’ensemble Cappella Mediterranea l’interprète donc avec brio et sensibilité, stimulant en permanence l’ouïe grâce à une palette de sentiments superbement représentés. »

Versailles – Opéra Royal – 6, 8 décembre 2013 – Cappella Mediterranea – dir. Leonardo García Alarcón – mise en scène Jean-Yves Ruf – décors Laure Pichat – costumes Claudia Jenatsch – lumières Christian Dubet – avec Emöke Barath (Elena, Venere), Kangmin Justin Kim (Menelao), Fernando Guimaraes (Teseo), Rodrigo Ferreira (Peritoo), Solenn’ Lavanant-Linke (Ippolita, Pallade), Zachary Wilder (Iro), Scott Conner (Tindaro, Nettuno), Anna Reinhold (Menesteo, La Pace), Mariana Flores (Erginda, Giunone, Castore), Majdouline Zerari (Eurite, La Verita), Brendan Tuohy (Diomede, Creonte), Christopher Lowrey (Euripilo, La Discordia, Polluce), Job Tomé (Antiloco)

 

Muse baroque

« Qu’est-ce que l’amour ? Telle est la question après celle de Dieu et de l’être qui intrigue le plus la philosophie. Si le rapport à autrui dans nos sociétés contemporaines semble quelque peu se déliter, il est un lien certain qui est devenu l’obsession et la quête de jeunes et vieux : l’Amour.
Dans la nébuleuse des mentalités, cette notion se confond souvent avec le désir ou le sexe. Fini le temps de l’hypocrisie puritaine héritée du XIXème siècle romantique, la chair et l’abandon aux sens n’est plus répréhensible, c’est une source d’inspiration pour des œuvres d’émotion. Mais peut-être que la fascination de notre époque pour le plaisir est à la source de cette assimilation émotive de la sensualité. Puisqu’il faut ressentir et exprimer, consommer, il est vrai que l’évocation, la contemplation et même le sentiment tout court est de plus en plus rare. Des sites de rencontres, d’infidélités, de sexe facile ou d’amitiés passagères ainsi que la télé réalité du divertissement sensuel, ont totalement levé les carcans du désir. Comme un lion de feu, le désir a terrassé la fragile structure de l’ineffable amour. Mais que ceci soit clair, ce n’est ni un mal ni un bien, c’est un fait, le divertissement dans toute son étendue a pris la tête de la société, ce n’est pas un novice, c’est un revenant. Effectivement au XVIIème siècle, pas de Rihanna, de Lady Gaga ou d’Ile de la Tentation, mais le monde des hétaïres et des étalons sur les planches mythologiques de l’opéra. Le voile des amours divines était aussi transparent que celui qui couvre Cypris. La volupté s’exprimait différemment, c’est tout.
Dans la codification antique, une des figures mêmes de la sensualité irrépréhensible est Hélène, la fille du cygne Olympien et de Léda, la sœur de la fébrile Clytemnestre et des jumeaux divins. Depuis l’antiquité elle est l’âme damnée des moralistes et la divinité des poètes libertins. Mais la musique n’a pas manqué de lui vouer un culte entre fascination et raillerie. Et c’est au grand maître de l’opéra sensuel qu’il revenait d’en faire une protagoniste, Francesco Cavalli créé en 1635 cette Elena qui nous transporte dans la jeunesse du trésor secret de Vénus.
Si l’histoire retrace assez succinctement en prologue l’histoire de la pomme d’Eris, les saillies sont désopilantes et même on peut y retrouver une certaine dose de cynisme dans la conception de l’amour. Un livret tout en finesse que la mise en scène retranscrit avec une énergie enthousiasmante et même envoûtante. Jean-Yves Ruf réveille les écarlates, les rouges, les couleurs froides fondent au contact de la fable et les cœurs embrasés ne peinent pas à incendier toute la scène, les protagonistes deviennent des burins harmonieux dans une explosion sensuelle extraordinaire.
Et que dire de l’orchestre ! Si la subtilité des brasiers que Cavalli a parsemé dans cette Elena est splendide, le concours de Leonardo Garcia Alarcon et de la Cappella Mediterranea apportent nuances, volume et précision à chaque mélodie, chaque écart harmonique et une création d’ornements et de tempi aux accents fluides. Une réelle pulsion de sang tiède dont la musique est le cœur. La passion ne déborde pas, elle est contenue mais elle bout à feu doux, encore plus fascinante, comme un volcan avant l’éruption annoncée.
L’étincelle ultime est la Elena chantée par une Emöke Barath insurpassable. Cette jeune soprano a débuté son parcours international comme lauréate de la Compétition Pietro Antonio Cesti du Festival d’Innsbruck et elle demeure une des meilleures voix dans la splendeur, la couleur et la maîtrise intelligente de l’ornement. Nous sommes ahuris par son incarnation. Elena subit une initiation à l’amour. Elena est tout d’abord une jeune fille, innocente, qui joue, attirée par la force et le physique de Thésée d’abord, puis charmée par les feux de sa concupiscence et enfin elle succombe à la flamme sincère de Menelas. Un voyage dans l’univers sensible de cette Carte du Tendre tellement chère au baroque.
Grande surprise de cette soirée est Valer Barna-Sabadus, qui n’était pas présent lors des représentations de Montpellier. S’il est vrai que nos propos ont été plus sévères lors de ses prestations passées, ici le jeune contreténor roumain se surpasse et excelle. Il est tour à tour d’un comique désopilant, d’une langueur touchante avec des ornements empreints d’équilibre et de poésie. Il améliore sa ligne qu’un vibrato trop présent obstruait dans les autres répertoires. Il s’investit théâtralement et nous révèle une sensibilité à la fois marquée par l’élégance et la passion.
En opposition dramatique, Fernando Guimaraes en Teseo soudard à la Velazquez et Lope de Vega. Il devient la concupiscence incarnée, avec des moments d’un élégiaque splendide. La bravoure, l’héroïsme et la continence au service de la pulsion et de l’affect, nous sommes envoûtés par cette prise de rôle où le registre de Fernando Guimaraes se déploie dans toute la gamme de ses capacités. A la fois lyrique à l’extrême et piqué par la fureur d’aimer, le Teseo de Fernando Guimaraes ressemble aux amoureux transis des temps contemporains, ceux qui s’entichent d’un désir d’un soir et qui ne s’engagent pas. Encore une fois Jean-Yves Ruf a tellement compris les subtilités du texte qu’il nous reflète un peu de nous dans ce Teseo magistral.
Remplaçant l’inénarrable Emiliano Gonzalez Toro en Iro, le jeune ténor Zachary Wilder est incroyable. L’humour transparaît tout du long et à chaque intervention. D’une voix affirmée et belle, Zachary Wilder s’impose comme un ténor qui peut à la fois divertir et toucher. Une belle énergie et personnalité sur scène font un mélange riche de rebondissements.
Avec un léger désappointement, nous avons découvert l’Ippolita de Kitty Whately. Si le rôle est un des plus intéressants puisqu’il possède les airs les plus déchirants, les plus touchants et vibrants de l’opéra, nous sommes étonnés que Mlle Whately soit restée tout le temps sur la même émotion. Digne ancêtre des Bradamante (Alcina) et de Amastre (Serse) haendéliennes, l’Ippolita vindicative et blessée ici elle n’est qu’une furie. Dommage pour ce rôle en or qui ponctue d’une musique splendide les scènes libertines des autres personnages. Une amazone au rabais en définitive.
Pour les petits rôles nous mettons en avant la vibrante prestation du jeune contreténor Christopher Lowrey, excellent et génial. Les Nettuno et Tindaro splendides de Krzysztof Baczyk est d’une élégance et d’une profondeur incroyables, cette jeune basse polonaise mérite le détour. De même la charmante soprano Francesca Aspromonte et le Menesteo vindicatif d’Anna Rheinold.
Réservons le pire pour la fin. Tout comme dans l’intrigue da pontienne, l’ami de Teseo qui le suit dans toutes ses frasques est l’insolent Peritoo. Mais Cavalli a composé pour ce Peritoo haut en couleur et passionné, une musique délicate, ravissante et solaire. Partageant des duetti avec le Menelao travesti et Teseo, le rôle de Peritoo est finalement un dupé. Pour tenir un rôle pareil, plus que de la performance vocale ou physique, le charme opère par la simplicité. Et nous regrettons que ce rôle fut dévolu à Rodrigo Ferreira. Certes, le contre-ténor possède des capacités vocales indéniables, et présente bien dans le saltimbanque et l’acrobatie. Mais l’opéra n’est pas une affaire de pirouettes. M. Ferreira a du mal lire le nom de son personnage, au lieu de Peritoo il nous a donné Pirouetoo. Blague à part, nous dépliorons l’absence de sentiment dans sa prestation, des suraigus inexpliqués, des lignes vocales embrumées, un grave quasiment absent et des mimiques parfois trop appuyées ou sans réel argument dramatique. C’est bien dommage. Sic transit opera mundi.
Au fond, l’opéra, la musique et tout art vivant est une affaire d’amour, de passion, pulsion, de sensibilité. Et si elle fascine, interpelle, réveille et émeut c’est la conjugaison de tout ce mystère qui peut advenir quand au creux de la poitrine la bombe à sang explose de battements. On peut en tirer les leçons de Elena, comme celles des airs désabusés de l’Orpheus de Telemann, ou bien les cruels émoluments de l’Orlando de Händel, ou la philosophique fin de l’Orlando Paladino de Haydn.
Etonnamment la Elena rend justice à la constance, et se rapproche davantage d’une comédie romantique que de ces tragédies lyriques qui ont des rebondissements finaux tellement complexes. S’il n’y a pas de malheureux dans cette Elena, c’est parce que l’amour est un poison distillé avec patience et qu’il ne tue que celui qui lui succombe. »

Classiquenews.com

« Dans la très belle saison de l’Opéra royal de Versailles, la production d’Elena, dramma per musica de Cavalli, était très attendue depuis son succès aixois cet été. C’est grâce en partie au travail de défricheur de Jean-François Lattarico (voir son excellent livre sur Busenello sorti cet été) et d’autres chercheurs passionnés, que petit à petit reviennent sur le devant de la scène, des œuvres injustement oubliées. Après Caligula de Pagliardi et Egisto de Cavalli tous deux recréés par le Poème Harmonique, c’est à nouveau un opéra de Cavalli que nous redécouvrons ainsi. Outre la merveilleuse musique de ce dernier, Elena se révèle être ce que l’on peut à juste titre considérer comme l’un des premiers opéras comiques de l’histoire. Certes, la tragédie est ici également présente. Mais comme dans la Commedia dell’Arte, à qui Elena doit beaucoup, elle apporte surtout sa part de poésie jubilatoire et mélancolique, qui permet au lieto fine de trouver sa voie et sa raison d’être.
Tombée dans l’oubli depuis sa création en 1659 au Teatro San Cassiano à Venise, – avec toutefois une première production en 2006 aux Etats-Unis sous la direction de Kristin Kane qui a consacré une thèse à cet opéra – Elena a retrouvé grâce à une collaboration fructueuse entre Leonardo García Alarcón à la direction et Jean-Yves Ruf à la mise en scène, tout son pouvoir de séduction.
Ici bien avant Hélène de Troie, c’est Hélène la plus belle jeune fille du monde que nous découvrons, celle dont la beauté est un rêve digne des dieux.
Après un prologue où sous les manigances de la Discorde déguisée en Paix, trois déesses se disputent le sort d’Hélène fille de Tyndare, roi de Sparte (en fait de Jupiter), débute le drame ou … la comédie.
Ici les portes ne claquent peut-être pas, mais se nouent et se dénouent des relations amoureuses bien inconstantes. De travestissements en fourberies au machiavélisme bien insouciant, le trouble érotique se joue de ceux et celles qui le découvre. Les chagrins d’amour ne durent pas plus qu’un songe. Hélène la plus belle des femmes, ne demande qu’à aimer et capte les cœurs de tous ceux qui la croisent. De Ménélas qui entre à son service en se déguisant en amazone pour l’approcher, à Thésée, son rival qui enlève la jeune femme et sa (fausse) suivante, au prince Menesteo, fils de Creonte et jusqu’au bouffon, tous en tombent amoureux et quand ce n’est pas d’elle, c’est de sa fausse suivante. Car Elena, comme bien d’autres dramma per musica, joue aussi sur le trouble homohérotique dont la scène vénitienne était si friande, tout comme se trouvent entremêlés le trivial aux plus nobles des sentiments, le comique au tragique. Après bien des quiproquos, où le Bouffon de Tyndare, Iro, à sa part et non des moindres, tout finit par rentrer dans l’ordre, enfin presque.
La mise en scène de Jean-Yves Ruf est profondément élégante et raffinée, respectueuse de l’œuvre, manquant du coup parfois d’audace et de fantaisie. Des décors sobres, évoquant une arène, quelques accessoires, de belles lumières et costumes évoquant le XVIIe siècle, offrent un très beau cadre à une distribution excellente et équilibrée, pleine de jeunesse et de vitalité, très légèrement différente de celle d’Aix-en-Provence.
La jeune soprano hongroise Emöke Barath, dans le rôle-titre est la plus belle perle baroque qui soit. Son timbre sensuel, son impertinence scénique en font une Hélène aux charmes incomparables. Le contre-ténor Valer Barna-Sabadus est un Ménélas mélancolique et ardent tandis que le ténor Fernando Guimaraes révèle un timbre séduisant dans le rôle de Thésée. On retiendra également, dans le rôle d’Iro, le bouffon, un irrésistible et truculent Zachary Wilder. L’ensemble des autres chanteurs relèvent avec panache les rôles parfois multiples qui leurs échoient. On a pu remarquer la très belle basse Krzystof Baczyk dans les rôles de Tyndare et Neptune ou la superbe mezzo anglaise Kitty Whately dans le rôle de l’épouse délaissée de Thésée, Ippolita.
L’autre belle surprise de cette production est la Capella Mediterranea, qui redonne à la musique de Cavalli d’onctueuses couleurs et de savantes nuances, même si l’on peut regretter quelques soucis de justesses du côté des cornets à bouquin. Leonardo Garcia Alarcón fait chatoyer son ensemble et se montre ici très attentif aux voix. Pari réussi pour cette renaissance. A Versailles, le public s’est montré conquis. »

Montpellier – Opéra Comédie – 10, 12, 13, 15 novembre 2013 – Cappella Mediterranea – dir. Leonardo García Alarcón – mise en scène Jean-Yves Ruf – décors Laure Pichat – costumes Claudia Jenatsch – lumières Christian Dubet – avec Emöke Baráth (Elena), Kangmin Justin Kim (Menelao), Fernando Guimaraes (Teseo), Rodrigo Ferreira (Peritoo), Zachary Wilder (Iro), Anna Reinhold (Menesto/La Pace), Majdouline Zerari (Eurite/La Verita), Kitty Whately (Ippolita/Pallade), Brendan Tuohy (Diomede/Creonte), Krzysztof Baczyk (Tindaro/Nettuno), Francesca Aspromonte (Erginda/Giunone/Castore), Christopher Lowrey (Euripilo/La Discordia/Polluce), Job Tomé (Antiloco) – coproduction avec Festival d’Aix en Provence; Marseille Provence 2013; Opéra de Lille; Angers Nantes Opéra; Opéra de Rennes; Fondation Calouste Gulbenkian, Lisbonne

Midi Libre – Une séduisante “Elena” met l’opéra en fête

« Auréolé de son récent succès à Aix-en-provence, Elena est donné ce soir à Montpellier. Ce « feu d’artifice baroque » suggère parfaitement ce que pouvait être une fête à Venise en 1659. La distribution exceptionnelle est magnifiquement accompagnée par la Cappella Mediterranea.
L’opéra de Cavalli redécouvert par Leonardo García Alarcón est un feu d’artifice baroque qui suggère fort bien, hors contexte, ce que pouvait être une fête à Venise, en 1659. A Aix-en-Provence, malgré sa longueur, l’opéra a rencontré un large succès. Jean-Yves Ruf adapte sa mise en scène à toutes les situations, dans des dispositifs élégants et épurés, rythmant les déplacements. Il y a toujours un fil pour lier les extravagances, passer d’un raffiné à une chasse à l’ours, du tragique au burlesque.
Le travail d’Alarcón dans cette riche partition est admirable. Il dirige chaque musicien dans l’accompagnement de la voix – tout en tenant l’orgue et un clavecin… C’est assez inédit, et la musicalité est multipliée. On ne se lasse pas d’écouter la Cappella Mediterranea, ses sensuels violons, ses flûtes et cornets, la basse bien calée. Le chant se devait d’être exceptionnel. Il l’est. On n’entend que des belles voix dans la nombreuse distribution des personnages mythologiques qui entourent Hélène de Sparte, ravie par Thésée et désirée par Ménélas (Pâris n’est pas encore là).
L’héroïne est superbement campée par Emöke Baráth, au timbre voluptueux, mêlant ardeur et humour. Les ravisseurs, Fernando Guimaráes et Rodrigo Ferreira, se complètent à merveille, abordant avec vaillance les péripéties du drame. Tous ont une personnalité vocale marquée, et l’on apprécie la basse Krzystof Baczyk, ainsi qu’Anna Reinhold, qui est Menestée ou Kitty Whately, impressionnante reine des Amazones. Zachary Wilder est un irrésistible bouffon, indispensable.
Dominant cet explosif mélange où contre-ténors et mezzos jouent une ambiguïté piquante, le jeune Kangmin Justin Kim incarne un fascinant Ménélas déguisé en amazone. Aussi féminin que viril, et doté de talents de sopraniste rarement égalés, il a un art des nuances et une flexibilité vocale qui étonnent. Il touche les cœurs – « plutôt mourir que vivre muet » – plus séduisant encore, s’il est possible, que la Belle Hélène. »

Ch’io mi scordi di te

« …. Ce théâtre drolatique, qui s’appuie sur une mythologie joyeusement azimutée, jouait aussi des situations réelles. Les spectateurs pouvaient-ils manquer de prendre en compte que le titulaire du rôle de Menelao était un castrat, alors que le rôle-titre, Lucietta Gamba était connue comme étant « la putain qui chante ». Cette dernière était l’une des courtisanes de haut vol de la Sérénissime… ce qui éclaire d’un jour particulier le rôle d’Hélène, jeune fille encore candide dans le livret, mais qui est ici contaminée par l’opinion générale qu’on avait du personnage : trop belle pour être totalement innocente des rapts qu’elle subit et malheurs qu’elle entraîne… Ceci donne une tonalité particulière à l’œuvre, qui loin de se confiner dans une dialectique noble, est souvent une attaque en règle contre les personnages dont il faut (aussi) rire, tout en compatissant à leurs émois amoureux.
Hélas, la mise en scène de Jean-Yves Ruf se cantonne dans un seul registre. Ce dernier connaît bien son Shakespeare (témoin son Troïlus et Cressida à la Comédie-Française), mais semble avoir été étonnamment contraint par cette perception : l’arène dans laquelle se déroule l’action rappelle évidemment les salles de théâtre élisabéthaines… Si la sobriété du dispositif permet des changements de lieux adroitement évoqués à l’aide d’une voile carguée, quelques meubles (trône, lits…) ou encore un tombé de franges qui creuse les plans entre les protagonistes et crée le mystère, il ne suscite pas totalement la fantaisie qui devrait irriguer le spectacle. C’est du sérieux, du terriblement sérieux, alors que l’accélération des péripéties, les commentaires déjantés du bouffon de service (un Iro bondissant et caustique, gaillardement campé par Zachary Wilder) auraient mérité un peu plus de second degré… Par contre les très beaux costumes de Claudia Jenatsch jouent sur différents degrés picturaux, des portraits de Cour à la fantaisie exotique, avec une séduisante palette.
L’énergie et le baguenaudage sont néanmoins servis par une troupe homogène de jeunes interprètes. Distinguons les héros principaux de ces amours plus ou moins heureuses… Elena (Emöke Barath), blonde et gironde comme il se doit, enchante par sa malice et sa vivacité ; elle possède également la voix du rôle, trempée de sucre et de miel, distillant des frétillement de fille de bonne famille qui ne rêve que de jeter son bonnet par-dessus les moulins. Kangmin Justin Kim est un Menelao ambigu à souhait, tout aussi touchant dans ses lamentations élégiaques que dans son exultation d’avoir gagné sa belle. Kitty Whately laisse une impression durable par sa noblesse et la beauté de son timbre chaleureux. Les deux kidnappeurs malchanceux, Teseo (un Fernando Guimarães conquérant et impérieux) et Peritoo (Rodrigo Ferreira, dont on admire l’aigu et la conduite du chant) sont idéalement appariés. Anna Reinhold convainc vocalement plus en Paix lénifiante qu’en adolescent à problème (Menesto), mais n’en manque pas moins d’aplomb scénique. Quant à Krzysztof Baczyk, il ne manque pas de l’autorité requise, ni en monarque (quoique cacochyme et ridicule), ni en dieu…
Cet ensemble cohérent et enthousiaste (tous les « petits rôles » sont bien en place) ne serait rien sans le soutien attentif et diapré, robuste et terrien de la Cappella Mediterranea qui accompagne peines de cœur, mélancolie et jubilation, jeux de cache-cache, moralités et danses, d’un continuo festif et souple.
Une bien belle découverte, tant de répertoire que d’interprètes. »

Le nouveau Montpellier

« Leonardo Garcia Alarcón, à la direction musicale, joue en même temps de son clavecin. Il semble tout au long du spectacle avoir les mains qui volent, tantôt sur le clavier, tantôt donnant ses ordres aux musiciens qui l’entourent. Ce spécialiste de la musique baroque dirige là sa Capella Mediterranea, un ensemble qu’il a créé pour produire avec exigence dans ce style pas toujours prisé. La musique de Francesco Cavalli s’y prête.
L’ensemble de jeunes chanteurs qui se produisent sont tous extrêmement talentueux et offrent des performances vocales absolument remarquables ! Certains tiennent plusieurs rôles, leurs costumes, faits par Claudia Jenatsch, permettant de savoir quel personnage ils interprètent. Kangmin Justin Kim et Rodrigo Ferreira impressionnent par leurs voix aiguës, que l’on voit davantage attribuées à des femmes. Le clavecin et ses sonorités particulières peuvent rebuter des profanes mais les merveilleuses interprétations vocales livrées ici sont à encenser. Car en plus de chanter, tous jouent vraiment leur rôle avec justesse.
Malgré un décor rappelant davantage une arène avec un callejón et du sable au sol qu’un décor d’opéra, la mise en scène de Jean-Yves Ruf parvient à régenter l’espace avec tous ces chanteurs qui officient. De bonnes idées très agréables. Mais il est toujours difficile de meubler une scène avec un seul personnage et, malheureusement, on ne passe pas à côté des scènes qui paraissent souvent interminables. Ces scènes où un personnage dit au public pendant cinq longues minutes combien il est amoureux slash malheureux slash suicidaire…
Pour tous ceux qui n’ont pas peur du clavecin et de quelques touches de tambourin disséminées de-ci, de-là, cet opéra offre un spectacle, certes baroque, mais de grande qualité ! Nos oreilles n’en attendaient pas moins de cette coproduction. »

Opéra de Lille – 7, 9, 10 avril 2013 – Aix en Provence Théâtre du Jeu de Paume – 7, 9, 11, 15, 17, 19 juillet 2013 – Martigues – Théâtre des Salins – 25, 27 juillet 2013 – Cappella Mediterranea – dir. Leonardo García Alarcón – mise en scène Jean – Yves Ruf – décors Laure Pichat – costumes Claudia Jenatsch – lumières Christian Dubet – réalisation de la partition par Leonardo Garcia Alarcon, d’après l’édition de Kristin Kane – avec Emöke Barath (Venere/ Elena), Valer Barna-Sabadus (Menelao), Fernando Guimaraes (Teseo/ Choeur), Rodrigo Ferreira (Peritoo), Anna Reinhold (La Pace/ Menesteo), Mariana Flores (Giunone/ Erginda / Castore), Solenn’ Lavanant (Pallade / Ippolita), Majdouline Zerari (La Verita / Eurite), Christopher Lowrey (La Discorde/ Euripilo/ Polluce), Brendan Tuohy (Diomede / Creonte), Emiliano Gonzalez Toro (Iro / Choeur), Job Tomé (Antiloco / Choeur), Scott Conner (Tindaro/ Nettuno/Choeur)





enregistrement audio (Aix en Provence – 11 juillet 2013) – La Maison de la Lirique

enregistrement audio disponible – 3 CD – Premiereopera Italy
enregistrement audio (Aix en Provence – bande son d’un enregistrement vidéo) – CD House of Opera
Présentation

« Avant d’être « de Troie », Hélène était fille de Sparte et déjà la plus belle femme du monde. A ce titre, elle fit tourner les têtes dès sa prime jeunesse, lorsqu’elle négligeait les jeux de l’amour pour privilégier ceux du stade. A seule fin de l’approcher, le roi Ménélas n’a donc rien trouvé de mieux que se travestir en Amazone adepte de la lutte olympique ! Mais il a des rivaux : le roi Thésée et le prince Ménestée brûlent aussi de désir pour la belle. C’est à qui l’enlèvera le premier, fût-ce au prix d’une course-poursuite sur terre et sur mer.
Dans la Venise du Seicento, la collaboration entre le librettiste-impresario Giovanni Faustini et le compositeur Francesco Cavalli engendra dix ouvrages lyriques dont l’immortelle Calisto. À sa mort en 1651, Faustini laissa plusieurs livrets à l’état d’ébauche, dont une Elena que Niccolo Minato se chargea de compléter. La création de cet ouvrage tragi-comique eut lieu à Venise en 1659 et semble avoir rencontré un grand succès. D’une sensualité intense et d’une inépuisable inventivité, la partition de Cavalli est à la fois divertissante et profonde. On y trouve une bonne humeur communicative, un goût immodéré pour les travestissements, d’étonnantes scènes d’ensembles. Or Elena n’a plus été représentée depuis le siècle qui l’a vue naître. De sorte que le spectacle du Festival d’Aix-en-Provence constitue sa première production scénique depuis le XVIIe siècle. C’est pour ressusciter ce jeune chef-d’oeuvre de 350 ans que treize chanteurs mis en scène par Jean-Yves Ruf et la Capella Mediterranea dirigée par Leonardo García Alarcón nous rejouent l’enivrante mélodie du désir tout-puissant. »

Anaclase

« Lumière fauve (Christian Dubet), décor léger et imprécis qui favorise de multiples changements rapides (Laure Pichat), composition ciselée des personnages, un rien de sentiment pour un peu de gaudriole, il fallait bien ça pour représenter Elena de Cavalli,ouvrage oublié depuis sa création vénitienne, il y a quelques trois cent cinquante-quatre ans ! Jean-Yves Ruf ne s’y trompe pas, qui livre une mise en scène enjouée, à la fraîcheur inventive. Ici jamais le trait n’est forcé, par même dans des commentaires et tribulations bouffonnes dont la grivoiserie n’est pas surlignée. On voit une production qui équilibre les caractères avec simplicité sans omettre des échappées poétiques – comme l’incroyable danse du ventre des ours charmeurs de chasseurs, par exemple.
Les nombreux rôles à peupler cette Elena bénéficient d’une distribution jeune qui fait merveille (certaines voix firent partie de l’Académie européenne de musique). Le contre-ténor généreusement projeté de Christopher Lowrey transmet aisément la joie mauvaise de La Discordia, mais aussi les atermoiements moins accusés d’Euripilo. Majdouline Zerari campe d’un riche mezzo-soprano une Verita impérative et une Eurite d’une franche humanité. Pace plus terne, Anna Reinhold (mezzo léger) donne un Menesteo de saine facture, quand Brendan Tuohy est tour à tour Diomede et Creonte, d’assise solide. La basse américaine Scott Conner impose un timbre coloré par une émission expressive à Nettuno puis à Tindaro, le vieux roi amoureux. Enfin, le ténor Emiliano Gonzalez Toro, souvent entendu au fil des festivals et concerts baroques, investit d’une verve des plus théâtrales la partie d’Iro (bouffon de Tindaro), à la fois irrésistiblement drôle et vocalement efficace.
Le coin des amoureux – entreprenants, plein d’espoir, transits, découverts, déçus, etc. – n’est pas en reste, avec le Teseo clair de Fernando Guimarães et l’Ippolita incisive de Solenn’ Lavanant Linke, mais encore le très attachant Peritoo de Rodrigo Ferreira, alto onctueux et musical qui occupe le plateau comme personne. D’abord déguisé en lutteuse afin de pouvoir approcher Elena, Menelao (Ménélas) est enlevé avec elle ; ainsi travesti, « Elisa » fait battre le cœur et les sens du gentil Peritoo, ne révélant son sexe qu’au final, lorsque la situation politique se solutionne. Imaginez une voix à l’inflexion étonnamment angélique, un contre-ténor au physique fin, ayant à prendre vêture féminine sans pour autant donner à croire quelque féminité que ce soit : le défi n’est pas mince ! À Innsbruck l’été dernier, nous entendions Valer Barna-Sabadus ; il est ce soir un Menelao d’une simplicité inespérée, portée par un chant de grande tenue qui ne se limite pas à la maîtrise mais construit plus haut une incarnation admirable. Également abordée dans la capitale tyrolienne l’an dernier où elle était une remarquable Poppea, la voix agile du soprano Emoke Baráth se révèle idéale en Elena, servie par un art fascinant.
Cette recréation, nous la devons tant à l’initiative du Festival d’Aix-en-Provence qu’aux recherches passionnées menées par Leonardo García Alarcón, claveciniste et chef baroque qui déjà pratiqua beaucoup la musique de Cavalli. À la tête de sa Cappella Mediterranea, le musicien argentin dessine soigneusement les caractères et soutient minutieusement les voix, brosse l’action et fait rayonner les affects, sans céder à la tentation d’un brio trop livré. »

Webthea

« Ce 9 juillet, au Théâtre du Jeu de paume, à Aix-en-Provence, Elena (1659) a été un éblouissement. En un prologue et trois actes (plus de trois heures de musique), ce dramma per musica s’appuie sur un livret de Giovanni Faustini, lequel se tient sur le même Himalaya que ses collègues Busenello (Monteverdi et Cavalli), Da Ponte (Mozart) ou Hofmannsthal (Richard Strauss).
Dans Elena, le malicieux Faustini a convié, sur le plateau ou dans les répliques, le Who’s who de la Grèce antique : dieux, semi-dieux et mortels, presque tous répondent à l’appel. Dans cette joyeuse mêlée, Elena est largement convoitée par Menelas, Thésée, Ménestée (fils de Créon), le roi Tyndare et le bouffon de ce dernier, tandis que la logique narrative est plutôt accessoire. L’essentiel y est un portrait de ce que, vers 1660, la nature humaine était dans la cité des doges : alors que l’État vénitien avait perdu son rang international et qu’une société civile affairiste prenait le pouvoir, Faustini s’amusa à rappeler que le désir dirige et oriente la marche du monde. Et à peindre ce monde, il entrelace toutes les identités et attirances sexuelles, en de joyeuses ambivalences ; il y ajoute de bouleversants moments où, au premier degré de son expression, le sentiment amoureux l’emporte.
Avec ses confondantes beautés mélodiques comme avec sa virtuose succession de récits, ritournelles instrumentales, airs et scènes, Elena est une partition vive, chatoyante, tantôt sarcastique, tantôt élégiaque. Parmi ses innombrables richesses, signalons le discret glissement de registre : le portrait, vibrionnant et gaillard, de la société vénitienne laisse progressivement la place au lyrisme de l’amour. Oui, cette partition est inoubliable.
Dans sa mise-en-scène, Jean-Yves Ruf s’est arrangé du charmant Théâtre du Jeu de paume, dont le plateau tient du théâtre-de-poche. Disposées en amphithéâtres discontinus, deux profondeurs de panneaux mobiles tiennent lieu de décor. Quoique sage, la direction d’acteurs est alerte et parie sur la spontanéité de ces jeunes interprètes. Ce plateau vocal a réjoui par sa débordante vitalité, sa générosité théâtrale et son bon standard vocal. Quoiqu’il soit délicat d’y privilégier l’un d’eux, seront mentionnés Emöke Baráth (vive et fraîche Elena), Fernando Guimarães (Teseo, intéressant ténor) et Rodrigo Ferreira (Peritoo, bien mieux à son aise que, il y a trois mois, à l’Opéra de Lyon, dans le rôle d’Albin dans Claude d’Escaich).
À la direction musicale de sa Capella mediterranea, Leonardo García Alarcón a été un chef de bande efficace et a arrangé, avec pertinence, les récits cavalliens. Trois réserves toutefois. S’il est un talentueux stimulateur et coordinateur d’énergies et sait organiser des tempi vifs et des rythmes scéniques alertes, il demeure démuni les moments aux tempi lents et suspendus où s’épanouit le pur et extatique lyrisme du sentiment amoureux. En outre, une connaissance plus approfondie de la langue italienne eût évité de subordonner certains phrasés (vocaux et instrumentaux) à l’action théâtrale et de faire de menus contresens musicaux. Enfin, un systématisme – partir d’un tempo lent et l’accélérer – installa une certaine monotonie. Ce ne sont toutefois que de faibles bémols à l’égard d’une passionnante production. »

Les Échos – Bien sage, cette Hélène

« C’est une des découvertes de cette édition 2013 : un opéra oublié d’un compositeur très estimé, Francesco Cavalli (1602-1676), proche de Monteverdi et compositeur prolifique pour la scène vénitienne. Alors que « La Calisto », « La Didone » ou « Il Giasone » ont connu plusieurs productions et enregistrements, « Elena » dormait dans le silence des bibliothèques depuis sa création en 1659.
Le livret ne manque pourtant pas d’intérêt et mène le spectateur dans une Grèce antique tourneboulée par les charmes de la belle Hélène. Ménélas, son futur époux, mais aussi le prince Ménesthée et Thésée s’éprennent de l’accorte spartiate. Enlèvements, trahisons, menaces de mort, travestissements et quiproquos ponctuent cette histoire abracadabrante comme l’aimait l’opéra vénitien qui, comme le théâtre de Shakespeare, aime mêler le trivial à l’aristocratique et le comique au tragique.
« Elena » bénéficie d’un traitement musical à la mesure de la diversité du livret et compte parmi les réussites de son auteur. Les ensembles, notamment le quatuor final réunissant les couples Hélène et Ménélas, Thésée et Hippolyte, et les plaintes, souvent construites sur des basses obstinées, constituent les moments les plus intenses de la partition. Mais, conformément à l’esthétique de l’opéra vénitien d’alors, il ne faut pas espérer de grands airs lyriques, tels qu’en offrira le siècle suivant. Comme l’explique fort justement Leonardo García Alarcón : « A l’époque de Cavalli, on ne cherchait pas des chanteurs, mais des comédiens. »
Heureusement pour nos oreilles habituées aux chanteurs qui chantent bien, la distribution, constituée de jeunes artistes, dont certains ont fréquenté l’Académie européenne de musique du Festival d’Aix-en-Provence, se révèle excellente. Citons ainsi l’Hélène sensuelle d’Emöke Baráth, le Ménélas vaillant de Valer Barna-Sabadus, l’Hippolyte blessée de Solenn’ Lavanant Linke ou le bouffon Irus irrésistible d’Emiliano Gonzalez Toro. Avec dix musiciens (l’orchestre vénitien était réduit), la Cappella Mediterranea emplit de sonorités capiteuses et bigarrées le merveilleux théâtre du Jeu de Paume. On regrette alors que Jean-Yves Ruf, dont on avait apprécié l’« Agrippina » de Haendel à Dijon, se soit contenté d’une terne mise en place des personnages, négligeant les contrastes et l’humour qui pimentent un genre, il est vrai, difficile à appréhender. »

Le Monde – « Elena » à Aix-en-Provence, un miracle de sensualité

« C’est une très vieille mais très belle Hellène que le Festival d’Aix-en-Provence a délivrée de son sommeil : l’opéra de Francesco Cavalli (1602-1676) Elena n’avait plus été joué depuis sa création vénitienne, le 26 décembre 1659, au Théâtre San Cassiano, nonobstant une reprise à Palerme, en 1661. Inexplicable oubli, n’était la nonchalance des éditeurs italiens, bien moins soucieux de leur patrimoine que leurs homologues allemands ou anglo-saxons.
Avec un délice croissant, nous avons assisté ce 7 juillet au rapt d’Hélène, cette fois par Thésée, la belle Spartiate n’en étant pas encore, si l’on en croit le livret que Nicolo Minato a tiré d’un argument de Giovanni Faustini, au berger Pâris ni a fortiori à la guerre de Troie. Ménélas lui-même n’est pour l’heure qu’un amoureux transi travesti en Amazone pour approcher celle à qui il prétend enseigner la lutte. Les deux « femmes » se feront donc enlever par le vainqueur du Minotaure et son ami Pirithoüs, amoureux de la fausse Amazone, tandis que Thésée a délaissé son amante Hippolyte.
La mythologie grecque n’a pas attendu Offenbach pour donner lieu à sarcasmes et comédie et cette Elena n’a rien à envier à La Belle Hélène, avec ses chasses érotiques, trahisons et coups de foudre, ses scènes d’euphorie vengeresse et de désespoir amoureux. Au-delà des héros qui ont bercé nos rêves d’Antiquité, ces dieux-là sont plus que nos familiers, ils sont comme nous porteurs de désirs fous, de frustrations, de bonheurs et de peines.
Pas plus que la mythique Hélène de Sparte, la musique n’a pris une ride, tour à tour légère ou grave, languissante ou vive. Grâce à des tournures mélodiques, à la finesse des ruptures de style, tourments passionnés des lamentos, causticité des rythmes, joliesse des ritournelles, l’arsenal cavallien révèle un talent digne du successeur de Monteverdi.
On doit au chef d’orchestre argentin Leonardo Garcia Alarcon, fondateur du merveilleux ensemble Cappella Mediterranea, un petit miracle de sensualité et un art consommé de la dynamique théâtrale, dont la mise en scène de Jean-Yves Ruf – dans un simple décor d’arène tauromachique – suit avec alacrité les mille et un ressauts. Les costumes, d’un baroque revisité, sont tous très réussis. Quant aux jeunes chanteurs – cinq voix de femmes pour huit voix d’hommes, dont trois contre-ténors –, ils sont tous craquants : le ténor Fernando Guimaraes (Thésée), la mezzo Solenn Lavanant Linke (Hippolyte), le ténor Emiliano Gonzalez Toro (Iro), Rodrigo Ferreira (Pirithoüs), Anna Reinhold, Scott Conner et Mariana Flores, dont la belle vitalité est toujours un bonheur.
Le couple qui mène cette danse d’une nuit d’été aux couleurs shakespeariennes est la délicieuse Hélène de la soprano hongroise Emöke Barath, tout en charme et naturel, et le contre-ténor roumain Valer Barna-Sabadus, Ménélas aux accents moins virils que poético-mélancoliques, comme s’il pressentait que sa victoire amoureuse serait de courte durée. Longue, au contraire, la destinée de cette Elena dont la liste des coproducteurs annonce des reprises d’ores et déjà à Lille, Montpellier, Angers et Nantes, ainsi qu’à Rennes. »

Télérama

« C’est la révélation très attendue de cette édition 2013 : Elena, un opéra vénitien de Cavalli qui, depuis sa création dans la cité des doges, au Théâtre San Cassiano, le 26 décembre 1659, n’avait plus été repris. C’est peu dire que cette résurrection nous comble : on sort euphorique de ces trois heures d’imbroglios et de chassés-croisés amoureux, inspirés de la mythologie grecque. Etourdi par ces volte-face de fausses trahisons et de vrais coups de foudre. Transporté par ces scènes de séduction lascive ou de désespoir incendiaire.
Troublé et conquis, enfin, par tous ces personnages – Hélène, Ménélas, Thésée, Pirithoüs – auréolés de prestige littéraire, porteurs de lointaines légendes civilisatrices, et soudainement si proches de nous, dans l’aveu passionné de leurs désirs ou de leurs frustrations, de leur félicité ou de leur tourment. Plaisir d’amour comme chagrin d’amour durent plus qu’un moment : ils traversent les siècles indemnes, sans cesser d’exciter notre ferveur ou notre compassion.
De la maturité de Monteverdi à celle de Cavalli, son successeur à la basilique Saint Marc et dans les théâtres privés de la Sérénissime, Venise connaît au XVIIe siècle un véritable âge d’or musical. Elena en est l’une des pépites les plus précieuses. Comment expliquer sa disparition du répertoire lyrique ? Précarité des sources (partitions manuscrites succinctes, enfouies dans les bibliothèques), négligence des éditeurs italiens, peu soucieux de sauvegarde patrimoniale…
Surtout, évolution de la forme de l’opéra, qui, au siècle suivant, sous l’influence des écoles romaine, napolitaine ou viennoise, s’éloignera irréversiblement des particularités si singulières du « dramma per musica » vénitien. Celui-ci ne comporte ni air ni ensemble tels qu’on les rencontre chez Haendel ou chez Mozart, mais privilégie une déclamation musicale ininterrompue, en prise directe avec les mots du livret, et accompagnée, enrobée, de toutes les ressources colorées du continuo instrumental – clavecin et petit orgue régale, théorbe et archiluth, violon, guitare et viole de gambe, flûtes graves…
Le chef d’orchestre argentin Leonardo García-Alarcón est aujourd’hui l’un des maîtres absolus dans cet art de soutenir, d’envelopper et de relancer la déclamation théâtrale des chanteurs, en particulier dans les « lamenti » , morceaux de bravoure rhétorique de l’opéra vénitien, équivalent musical des monologues du théâtre classique, où des héroïnes malheureuses exhalent leur souffrance (le « Mon mal vient de plus loin », de la Phèdre de Racine). Et le livret d’Elena est particulièrement riche en « lamenti », tant les rebondissements de l’intrigue défont les idylles amoureuses aussi rapidement qu’ils les ont nouées.
Ainsi d’Hippolyte, reine des Amazones, aimée puis délaissée par Thésée, et qui retrouve son infidèle, alors qu’il courtise Hélène de Sparte, qu’il a enlevée, aidé par son complice Pirithoüs. Lequel est tombé, lui, sous le charme d’Elisa, la suivante d’Hélène, qui a été enlevée également, mais qui n’est autre que le roi Ménélas, qui recourt au subterfuge du déguisement pour s’introduire auprès de la belle Hélène…
Dans l’opéra vénitien comme dans les comédies les plus sophistiquées de Shakespeare (Comme il vous plaira, La Nuit des rois), s’éprendre c’est se méprendre, se tromper sur l’identité véritable de l’objet aimé, se laisser abuser par l’apparence falsifiée, piéger par la ruse du travestissement. Comme à la fin de Certains l’aiment chaud, Pirithoüs aura beaucoup de peine à renoncer à l’objet de sa flamme, rétabli dans sa véritable identité sexuelle. Comme il faudra beaucoup de péripéties, de poignards dégainés puis rangés dans leur fourreau, pour que Thésée (le ténor Fernando Guimaraes) cède aux supplications d’Hippolyte (la mezzo-soprano Solenn’ Lavanant Linke), pour que Ménélas-Elisa (le sopraniste roumain Valer Barna-Sabadus, aux demi-teintes oniriques) triomphe de l’indifférence d’Hélène (la capiteuse Emöke Baràth).
Ce n’est pas le moindre mérite de la mise en scène très pure de Jean-Yves Ruf de démêler sans cesse l’écheveau des ambiguïtés et des revirements, sans s’interdire des touches d’humour goguenard – les jumeaux Castor et Pollux sortis d’un film des Monty Python. Hélène de Sparte est « l’otage du destin » déclare l’un des personnages de Jean Giraudoux, dans La guerre de Troie n’aura pas lieu. Merci au festival d’Aix que l’Elena de Cavalli ne soit plus désormais l’otage de l’oubli. »

ConcertClassic

« Pour séduire Hélène la belle, Ménélas se déguise en Amazone et propose de lui donner des leçons de lutte. Mais Thésée et son ami Pirithoüs s’éprennent des deux « femmes », et les enlèvent… Ce n’est que le début : durant trois actes (précédés d’un prologue mettant en scène le crêpage de chignons autour de la pomme de la discorde), une vingtaine de personnages va multiplier les tentatives de viol, vrais combats, faux songes, déguisements et entourloupes diverses pour faire triompher le désir, la grande affaire de l’opéra vénitien.
Sur un scénario de Giovanni Faustini (l’auteur de Calisto, Ormindo, Egisto), Nicolo Minato, librettiste de la période tardive de Cavalli, a troussé un livret un peu chargé en rôles comiques (parmi lesquels un Iro tout droit échappé du Retour d’Ulysse, de Monteverdi) et clichés (on retrouve l’assassinat manqué de Giasone, les rapports saphiques de Calisto, le double enlèvement d’Ormindo), mais désopilant et éminemment théâtral.
L’extraordinaire partition de Cavalli le nimbe de sa constante sensualité : en 1659, à cinquante-sept ans, un an avant d’être appelé à Paris pour composer l’opéra des noces de Louis XIV (le fastueux Ercole amante), le compositeur est au faîte de ses moyens. Sans renier ce récitatif modulant qui fait le cœur de l’opéra vénitien, il dispense airs ternaires ou vocalisants (entrée de Ménélas), lamenti (ceux de Tyndare, Ménesthée, Hippolyte) et autres basses obstinées (l’entrée d’Hélène), et, surtout, multiplie les ensembles d’une prodigieuse inventivité (duos voluptueux, étonnants trios et quatuors « d’action »).
Le chef argentin Leonardo García Alarcón saisit à bras le corps cette musique charnelle – jamais réentendue depuis 350 ans ! -, animant du clavecin sa bien-nommée Cappella mediterranea (une douzaine de musiciens pour une vingtaine d’instruments). On pourra certes ergoter sur quelques détails de réalisation – des percussions parfois invasives, des violons parfois grinçants, une tendance à « trop » diriger des ariosos il est vrai complexes – mais, au théâtre, en tout cas, l’approche expressionniste d’Alarcón paie comptant.
Elle épouse harmonieusement la fine direction d’acteurs de Jean-Yves Ruf qui, tout en enfermant ses héros dans l’arène d’une corrida, veille à ne pas tirer l’action vers la gaudriole ou le mélodrame, mais plutôt à découvrir la labilité des rapports affectifs. On sera plus circonspect au sujet des costumes hétéroclites, vaguement XVIIe mais peu seyants, de Claudia Jenatsch et des lumières de Christian Dubet – le spectacle va heureusement beaucoup tourner (Lille, Versailles, Montpellier) et certains ajustements seront sans doute effectués.
La jeune distribution (treize chanteurs pour vingt-trois rôles) se montre globalement enthousiasmante, à l’exception d’un insuffisant Pirithoüs et de deux mezzos (Solenn’ Lavanant et Anna Reinhold) assez ternes. La superbe basse de Scott Conner (Tyndare) nous a particulièrement séduit mais le grand triomphateur de la soirée reste le sopraniste Valer Barna-Sabadus, ardent Ménélas en dépit d’une diction encore floue. L’Iro plein de verve d’Emiliano Gonzalez Toro et l’Hélène langoureuse (mais au timbre pauvre en harmoniques) d’Emöke Barath contribuent au succès de cette production – entendue, en ce qui nous concerne, non pas au Jeu de Paume d’Aix mais au Théâtre des Salins de Martigues : une salle à la programmation et à l’acoustique excellentes, qui profitait cette année de l’expansion du Festival d’Aix, en synergie avec Marseille, « Capitale européenne de la culture ». Espérons que de telles « délocalisations » deviennent à l’avenir monnaie courante ! »

Diapason – avril 2013 – Une chaste Elena

« Inlassablement, Francesco Cavalli a mis le désir en musique, reprenant le flambeau de son maître Monteverdi. Dans l’opéra La Calisto bien sûr, qui fait sa gloire depuis quatre décennies, mais aussi jusqu’au vertige, dans Elena, enfin délivrée d’un silence aussi long qu’inexplicable.
Pour cette résurrection attendue, la mise en scène de Jean-Yves Ruf joue la, carte de la lisibilité. Au risque, sinon d’affadir le livret de Niccolo Minato, du moins de le priver de ressort, notamment comique. Le décor de Laure Pichat et les costumes de Claudia Jenatsch ont beau évoquer le théâtre shakespearien – non sans contradiction avec une intemporaalité revendiquée – cet artisanat plus fluide que virtuose se refuse à cultiver les quiproquos teintés d’homo-érotisme dont la scène lyrique vénitienne du XVIIe siècle était friande. Car si l’on s’y dénude parfois pour se travestir, cette Elena n’en reste pas moins chaste, voire sérieuse.
C’est donc dans la fosse qu’il faut chercher la fantaisie d’une partition débordante de sensualité. Et le chef Leonardo Garda Alarcon en regorge, qui obtient de la Cappella Mediterranea une palette infinie.
Au sein d’une distribution sans faille, distinguons Emöke Barath en Elena, blonde fille de Léda dont les attraits sont plus frais que sulfureux, et le Ménélas du sopraniste Valer Barna-Sabadus, même si Ruf n’exploite qu’à demi son androgynie troublante. Révélée par l’apparition tardive d’Hipppolyte, Solenn’ Lavanant Linke captive par son instinct du recitar cantando, insufflant aux lamentos de l’amazone trahie une émotion intensément vraie. Mais Elena n’était-elle pas d’abord censée faire rire ? »

Cornell University – Barnes Hall – État de New York – 28 février 2006 – version de concert – Cornell Collegium Musicum – dir. Kristin Kane – avec Laura Heimes (Elena), Jennifer Ellis Kampani (Menelao), Meg Bragle (Ippolita), Thom Baker (Teseo), Marc Molomot (Peritoo), Julia Madden (Astianassa, Castore), Zarko Cvejic (Menesteo), Jonathan Ivers (Euripilo, Antiloco), Emily Green (Polluce), John Rowehl (Nettuno, Creonte)