CD La Catena d’Adone

COMPOSITEUR Domenico MAZZOCCHI
LIBRETTISTE Ottavio Tronsarelli

 

ORCHESTRE Scherzi Musicali
CHOEUR
DIRECTION Nicolas Achten

 

Falsirena Luciana Mancini mezzo-soprano
Adone Reinoud Van Mechelen ténor
Idonia, Ninfa Marie de Roy soprano
Ninfa, Venere Merel Elishevah Kriegsman soprano
Ninfa, Amore Catherine Lybaert soprano
Apollo, Pastore Dávid Szigetvári ténor
Oraspe, Pastore Olivier Berten baryton
Arsete, Pastore Nicolas Achten baryton

 

DATE D’ENREGISTREMENT octobre 2010
LIEU D’ENREGISTREMENT Trifolion d’Echternach – Luxembourg
ENREGISTREMENT EN CONCERT

 

EDITEUR Alpha
DISTRIBUTION Harmonia Mundi
DATE DE PRODUCTION 24 janvier 2012
NOMBRE DE DISQUES 2
CATEGORIE DDD

 

 

Critique de cet enregistrement dans :

Classiquenews

« Nicolas Achten et sa « troupe », musiciens et chanteurs de Scherzi Musicali s’intéressent au seul opéra retrouvé à ce jour du prêtre musicien, frère aîné de Virgilio (lui aussi compositeur), Domenico Mazzocchi : la Chaîne d’Adonis, La Catena d’Adone, créé à Rome en 1626 au palais Conti.
En dépit d’une honnête tentative pour caractériser le continuo selon le profil dramatique de chaque personnage, la direction s’amollit en cours d’action : trop de détails et d’application décorative nuit à la cohérence de l’ensemble ; les chanteurs son bien fragiles et souvent sans consistance pour ce qui aurait pu être une partition captivante, proche de la liberté des vénitiens à venir, disciples de Monteverdi, Cavalli ou Cesti, heureux créateurs révélés avec combien plus d’autorité expressive et d’invention musclée par René Jacobs, pionnier dans ce domaine : un exemple ? Les 3 choeurs conclusifs qui offrent la morale de l’action sont à peine ciselés et même, bien douceâtres, d’une mollesse qui efface toute aspérité à un texte d’une finesse et d’une intelligence captivante (d’après Marino) : ici Vénus est une déité qui sublime l’amour éprouvé par Adonis. Amour divin plutôt que charnel et labyrinthique… qu’incarne a contrario la trompeuse enchanteresse Falserina.
Malgré nos réserves sur la présente approche, l’ouvrage mérite absolument d’être ressuscité : son architecture dramatique et l’alternance des épisodes et confrontations égalent l’Orfeo montéverdien: puissance allégorique de la musique; récitatifs, ariosos, lamentos, conduite et écriture libre du chant toujours proche du texte, affirment ici une nouvelle individualisation des protagonistes; le visage en facettes multiples de la Magicienne comme de Vénus (au III) est fascinant, en rien fade ni prévisible; même Adonis a cette inquiétude permanente qui enrichit le rôle à travers les 3 actes: c’est une victime solitaire en quête du vrai sujet de son désir. Domenico brosse 3 portraits musicaux absolument fascinants.
Ce Mazzocchi importe à Rome, l’éloquence linguistique et dramatique du recitar cantando florentin, fixé et perfectionné par Francesca Caccini entre autres : Loreto Vittori, jeune castrat de 26 ans, créateur du personnage troublant de la magicienne Falsirena, a travaillé avec la chanteuse compositrice florentine. Il convient d’être particulièrement attentif au verbe et à sa dramatisation juste…
Hélas, reconnaissons que le niveau des chanteurs réunis autour de Nicolas Achten pêche souvent par manque de justesse et une articulation hasardeuse, sans compter une technique aléatoire (Luciana Mancini ne convainc guère dans le rôle central de la Magicienne amoureuse du bel Adonis: verbe mou, justesse des plus bancales, absence d’incarnation dramatique…: quelle déception). Quant à la Vénus de Merel E. Kriegsman, c’est l’autre erreur du cast: voix petite et linéaire, sans aucune ambivalence ni sensualité triomphatrice en fin d’action (III).
Plus convaincu, donc captivant a contrario l’Adone de Reinoud Van Mechelen: sa très belle entrée en scène, âme errante (fuyant dans la forêt, l’époux de Vénus, Mars), inquiète et effrayée d’une juste hypersensibilité, dialoguant avec Echo dans la caverne mystérieuse, rehausse très nettement ce théâtre édifiant et moral où l’articulation incantatoire du verbe poétique, reste cruciale.
Au final qu’avons nous? A part Adone (Reinoud Van Mechelen), un collectif d’interprètes qui se cherche encore en cours d’enregistrement; même les choeurs sonnent confus (prise peu scrupuleuse dans l’équilibre des voix entre elles, comme des voix et des instruments?). Même le chef chanteur, Nicolas Achten, en « Arsete » ou « Areste » (les indications de la notice ne tranchent pas) manque de simplicité articulée, paraissant bien maniéré dans la première scène du III: son commentaire hautement moral quant à la folie de la Magicienne Falsirena, perdue par ses sens (récit moral là encore), sonne contorsionné, finalement peu respectueux d’une projection plus claire et naturelle du texte. C’est d’autant plus regrettable que l’interprète possède une belle voix de basse chantante, fluide et colorée. Le style gâche tout. Et pour Pluton, l’interprète n’arrive pas à caractériser différemment le personnage. Plus loin, comme le duo Vénus et Amour (III,3) est mièvre et minaudant. Et l’épreuve finale où Adonis doit discerner Vénus de la trompeuse et usurpatrice Falserina, manque de trouble comme de sensualité … magicienne ! Les vertigineux contrastes émotionnels entre la descente au martyr de Falserina, l’éloquence solaire de Vénus, l’humilité palpitante d’Adonis… sont trop absents. Que l’incarnation de Vénus est dure, serrée, sans aucun souffle, appliquée et sans aucune grâce.
Les instrumentistes sont bien peu inspirés par les nuances et le raffinement musical d’une partition qui morale dans sa construction, mérite plus de caressant sensualisme, d’opulence nuancée, de… poésie (seul se détache le geste plus nettement cohérent de Lambert Colson, flûte et cornet). Le trio Adonis, Vénus, Amour, véritable victoire de l’amour sincère est bien prosaïque, là encore, serré, guère qu’appliqué et méticuleux.
L’approche aurait mérité plusieurs sessions complémentaires pour nettoyer tout ce qui nous paraît ici indécis, expédié, trop avare en muscle et ardeur sanguine (lenteur laxative de l’introduction du II), en épanchement, langueur, douleur extatique (où excelle effectivement l’écriture de Domenico). Partout, la lecture ignore cette élégance suave du livret: le répertoire choisi exige une maîtrise absolue des accents, des nuances, sans compter l’articulation, et nous ne parlons pas de vision dramatique générale. La lecture reste inaboutie. La qualité de l’oeuvre serait-elle hors de portée pour les interprètes (il est vrai un peu trop jeunes et verts pour un tel ouvrage…)? Au lieu d’un scintillement ciselé d’affects, idéalement articulés et mis en musique, une grisaille pâle et confuse affadit l’éclat d’un opéra romain particulièrement éblouissant. Dommage. »

Muse baroque

« Le mystère d’Adonis, qui est au sources même de la régénération de la nature dans toutes les nuances de son printemps. Si l’amour poursuit jusqu’à la fleur l’indifférent et le cruel, c’est dans ces amours infidèles que la plus sensuelle des Déesses épanche toute sa volupté.
Domenico Mazzocchi est l’un des compositeurs fondateurs de l’Ecole romaine qui, sous le couvert de la Contre Reforme, vit l’opéra se développer et Rome devenir la capitale du baroque. A partir du pontificat d’Urbain VIII (1623 – 1644), malgré la condamnation de Galilée qui vit le pape Barberini quasiment opposé à la Curie, Rome est au cœur d’une révolution intellectuelle et culturelle sans précédent. En 1626, la puissante famille Barberini occupe la première place de mécène et parmi ses protégés pointeront Le Bernin, Domenico et Virgilio Mazzocchi, Marco Marazzoli, Luigi Rossi, Stefano Landi et un certain Giulio Mazarini.
La Catena d’Adone fut l’un des chefs d’œuvre de ce style romain qui sut conjuguer les influences vénitiennes héritées de Monteverdi, les polyphonies curiales de la liturgie et bien entendu le dramatisme hérité du théâtre espagnol et marque l’arrivée de l’opéra à Rome en 1626. Et le thème était cher aux poètes du Siècle d’Or, de Don Luis de Gongora à Calderon en passant par les sublimes allusions des lamentations de Cervantes ou de Shakespeare. Parce que, outre le fait que l’histoire retrace l’amour fou de la divine Cypris pour le berger farouche et bien entendu la métamorphose de la peau éburnée des roses en rouge carmin passionné et languissant, le mythe d’Adonis renferme néanmoins tout le mystère de la métamorphose et de la régénération végétale. Et la chaîne d’Adonis qui le lie à la mythologie occidentale le rattache à la profonde humanité de ses affects. En composant cet opéra, Domenico Mazzocchi ne fait pas simplement appel à l’esthétique baroque de l’opéra romain, ni aux formes chorales , mais rend cette « Favola boschereccia » extrêmement proche de ce que peuvent ressentir les passions humaines toutes manières et castes confondues.
Disons-le tout net : nous avons été pleinement conquis par cette production qui a enfin fait justice à ce grand génie de la musique romaine, et recèle bien de trésors. Cette Catena d’Adone qui obtint un succès incroyable durant tout le XVIIème siècle et qui fit la fortune de Mazzocchi retrouve nos oreilles contemporaines dans une lecture raffinée, faisant montre d’un souci constant de la clarté et de l’ornement sous la baguette de Nicolas Achten, insatiable, qui en sus de tenir le pupitre de chef, s’octroie un triple rôle dans cette recréation. L’orchestre, comme son patronyme l’indique, maîtrise à merveille le style de cet opéra et ajoute à l’interprétation une imagination infinie pour l’ornementation. Dans la palette des Scherzi Musicali se déclinent les mêmes couleurs que celles de la toile d’Artemisia Gentileschi qui illustre si bien la pochette de l’album, avec notamment un continuo moiré et ductile.
Les chanteurs sont extrêmement homogènes, et stylistiquement rompus à ce langage particulier. Dans le rôle titre de cet Adone enchaîné par les tendres liens de l’amour, Reinoud Van Mechelen décline avec une douceur élégiaque les mélismes de cette très belle partition. Que ce soit dans le recitar cantando ou dans les courts airs madrigalesques le style est respecté, la prosodie est parfaite et lisible, les ornements sont beaux, nous aimerions que cette chaine fleurie ne soit jamais rompue.
Face à lui la splendide Vénus de Merel Elishevah Kriegsman porte en elle le pathos des divinités baroques issues directement de la conception féminine médiévale. Si Christine de Pizan a bien défini l’éternel féminin qui allait hanter les arts des siècles postérieurs, la Vénus de Mme Kriegsman développe dans les magnifiques et sensuelles mélodies de Mazzocchi, toute cette sensibilité, cette pureté et ce désir qui se cristallisent dans sa voix et sa prestation.
Saluons aussi Luciana Mancini, dans le rôle très beau et éloquent de Falsirena, qui développe avec finesse cette ambivalence entre les choix de l’humanité. Sur le même ton, elle n’est pas sans nous rappeler la divine Cidippe du Vénus et Adonis de Henri Desmarest, chef d’œuvre reposant sur le même mythe. Enfin, les prestations de Marie de Roy, David Szigetvari et de Catherine Lybaert délicieuse en Amour, de même que l’Oraspe de Olivier Berten sont également à louer.A la fin des fables d’Adonis, sur nos sens envoûtés des soupirs de Vénus, nous ne pouvons que penser que le cœur des Dieux est humain; et que c’est la musique et non point l’ambroisie qui les rend plus forts et plus beaux. Les portes du printemps sont encore loin, mais dans le jardin de la déesse de Chypre, les roses sont toujours cramoisies. »

Les enchantements baroques

« Si la Catena d’Adone avait fait l’objet d’une première résurrection à la scène par René Jacobs au Festival d’Innsbrück en 1999, elle n’avait encore jamais connu d’enregistrement intégral. C’est donc désormais chose faite grâce à l’audace de jeunes musiciens certes parfois montrant quelques failles mais qui pour l’essentiel nous en offrent une très belle version.
Pour leur quatrième enregistrement, – dont des pièces sacrées de Giovani Felice Sances à se damner et une Euridice de Caccini à marquer d’une pierre blanche, tous deux chez Ricercar,- les Scherzi Musicali nous reviennent avec la même fraicheur et le même bonheur de la redécouverte dans leur interprétation. Fidèle à l’esprit de troupe, qui au XVIIe siècle déjà présidait aux représentations d’opéra, Nicolas Achten qui nous avait offert en concert cette Catena d’Adone dans le cadre du Festival de Pontoise en octobre 2010 (voir ma chronique de ce concert sur Anaclase), nous revient avec la même distribution au disque.
De cette distribution très homogène, aux voix certes encore un peu vertes mais avec de belles personnalités, ressort tout particulièrement l’Adonis de Reinoud Van Mechelen. Son timbre solaire irradie et sa déclamation sensible souligne la poésie du texte, exprimant avec beaucoup de subtilité, tous les tourments que connait son personnage. Le timbre cuivré de Luciana Mancini convient bien à Falsirena. Elle est toutefois plus à l’aise dans la plainte que dans les passages dramatiques.
Le somptueux continuo vient enrichir le caractère de chaque personnage et révèle des ors et des pourpres, plus que des clairs obcurs, digne de cette Rome qui aimait l’apparat et le luxe. La direction de Nicolas Achten respire la joie de vivre et de partager, de découvrir et d’expérimenter.
Je ne peux que vous recommander ce très beau Cd, car si les voix sont encore un peu jeunes, un peu trop pour en exprimer le dolorisme, ils nous permettent de vivre cette recréation de la Catena d’Adone, avec l’état d’esprit qui dû régner sur sa création. Emotion, sensibilité et enthousiasme sont les maîtres mots qui président ici. »

La Libre Belgique

« René Jacobs avait eu le nez fin qui, voici plus de dix ans, avait programmé en son festival d’Innsbruck (mais sans le diriger lui-même) ce magnifique opéra créé à Rome en 1626 : inspiré d’un poème de Marini, contemporain du Tasse, cette « Chaîne d’Adonis » conte l’amour passionné d’Adonis pour Venus, contrarié par la magicienne Falsirena. Dans le prolongement de quelques représentations données à l’automne 2010, voici une très belle première discographique signée du jeune chef, luthiste (et chanteur ici) Nicholas Achten. Tous ceux qui aiment Monteverdi ou Cavalli adoreront l’œuvre, et cet enregistrement coloré, servi notamment par la très belle voix de Reinoud Van Mechelen dans le rôle titre. »

Forum Opéra

« Plus que tout autre label, Alpha a pour ses disques le souci de choisir une iconographie faisant écho à la partition qu’il entend mettre en valeur. Ici, la toile choisie, due à Orazio Gentileschi, est strictement contemporaine de la partition de Domenico Mazzocchi. L’on y observe avec justesse que la clarté de son exposition, la didactique de sa mise en scène sont héritières en droite ligne du Caravage. D’après le livret, ces caractéristiques seraient à mettre en parallèle avec la réforme de l’opéra à Rome qu’initie La Catena d’Adone, réforme qui aurait brisé la monotonie florentine du récitatif pour le faire entrer de plain-pied dans le bain du drame baroque. Mais à dire vrai, nous n’avons pas trouvé dans cet enregistrement la vie et l’urgence renouvelées que nous promettaient à la fois jaquette et livret. La raison en est sans doute multiple.
D’abord notre réticence à n’appréhender ces œuvres « primitives » que par l’oreille, alors que l’œil, et à travers lui l’esprit seraient dix fois plus stimulés par une version scénique. Par elle, le verbe épouse nécessairement le geste, tandis que la lecture cursive d’un livret trilingue fausse le jeu et sans doute aussi l’écoute. Pour preuve, le choc critique que fut le Sant’Alessio de Landi remonté par William Christie, opéra romain de cinq ans le cadet de notre Catena. De même pour la redécouverte de l’opéra vénitien, Cavalli en tête. Qui se satisferait encore aujourd’hui de les aborder seulement au disque ?
Peine également nous a été donnée de voir dans cette œuvre la véritable pierre de touche stylistique annoncée, si ce n’est son pedigree de premier opéra romain. Alors oui, on approche de l’aria (ce sont des mezz’arie nous dit-on), on touche du doigt l’ébauche d’un ensemble, on apprécie telle nuance ou dissonances nouvelles. Mais l’impression d’ensemble est davantage celle d’un crépuscule que d’une aurore, comme disait Claude. Le tout baigne encore très profondément dans ce recitar cantando venant du fond de la Renaissance, admirable mélodie mélancolique, pourtant encore loin de ce qui arrivera ne serait-ce que vingt ans plus tard ailleurs en Italie. Un trait d’union sans doute, en tout cas – à nos yeux profanes – pas une pièce maîtresse.
La troupe réunie met beaucoup d’ardeur dans ce travail de longue haleine qu’est la regravure d’un opéra oublié. Le tout jeune Nicolas Achten y va de tous ses talents : luthiste, harpiste, claveciniste, chef, chanteur même ! Son ensemble Scherzi Musicali accompagne avec attention, mais trop mollement et sans doute se perdant un peu trop dans le détail, un ensemble de solistes que l’on sent complices, mais pas forcément du niveau que l’on aurait souhaité pour une telle entreprise. Le rôle titre est habité avec émotion par le ténor Reinoud van Mechelen, remarquable de sensibilité et de diction. A noter également au dessus du lot la Falsirena de Luciana Mancini, grave et solaire. Ces deux-là nous donnent à vivre les vrais beaux moments de ce disque. « 

Diapason – avril 2012 – appréciation 4 / 5

Avec le Sant’Alesssio (1631) de Landi, cette Chaîne d’Adonis (1626) est l’un des tout premiers opéras romains. A mi-chemin de L’Orfeo montéverdien (1607) et des chefs-d’oeuvre de Cavalli, la «fable sylvestre» de Mazzocchi reste fidèle à ses modèles florentins et manntouan : cinq actes brefs, pauvres en action mais riches en récits « à l’antique », précédés d’un prologue allégorique, ponctués de divertissements choraux, visite aux enfers et « scène d’écho ». Malgré le sujet mythologique inspiré du Cavalier Marin, le sous-texte – Rome oblige – s’avère chrétien : Adonis, retenu par la chaîne magique de la lascive Falsirena (« sirène trompeuse »), c’est le Pécheur lié à la concupiscence, mais racheté par l’Amour divin (Vénus). Dans la lignée de La Représentation de l’âme et du corps de Cavalieri, Mazzocchi opte pour un récitatif plus pompeux, moins libre et mélodique que celui des Vénitiens, et dont il rompt « l’ennui» (selon ses propres termes) par des vers-refrain,« demi-airs» et autres ravissants ensembles trop rares à notre goût.
Nicolas Achten tire le meilleur parti d’une musique un peu décevante : il joue la carte de la troupe (huit chanteurs campent les quinze personnages comme le choeur), varie autant que posssible la composition du continuo et saupoudre ce drame statique de sublimes sinfonie de Kapsberger. Certes, l’effectif de la création était trois fois plus imporrtant ; certes, on frôle ici le « service minimal », sachant qu’Achten tient non seulement la baguette mais encore l’archiluth, la harpe, le clavecin et assume trois rôles (dont celui, trop grave, de Pluton)! Mais le jeu alerte de Scherzi Musicali se devait d’être proportionné à une distribution modeste, où brille l’Adonis sensible, frémissant, à l’italien encore vert («venditta ») de Reinoud Van Mechelen. Si les ensembles sont équilibrés (belle déploration de l’acte III, superbe trio final) et les rôles masculins plutôt bien chantés, les parties féminines apparaissent plus difficiles à défendre : comme pour le concert donné à Herblay, on déplore ici l’élocution filandreuse, l’émission grinçante et l’intonation incertaine de Luciana Mancini, redoutable erreur de casting… Comme toujours chez Alpha, l’édition est somptueuse. »

Classica – avril 2012 – appréciation 3 / 4

« L’opéra apparaît à Rome en 1626 avec cette favola boschereccia (traduisons par « fable pastorale») créée au Palais Conti sur un livret adapté d’un épisode de l’Adone du Cavalier Marino relatant les amours agitées d’Adonis, Vénus et Falsirena. Il reste qu’à la sensualité du sujet répond ici une morale chrétienne qui est comme la marque de la Contre-Réforme. Cette Catena d’Adane, pour être solidaire de la réforme mélodramatique de la Camerata florentine, décline subtilement sa différence. Domenico Mazzoccchi y rompt avec bonheur l’uniformité des récitatifs en’ les entremêlant d’arie, mezz’arie et morceaux polyphoniques, appportant ainsi une contribution remarquée à la saga du jeune opéra, dont le magique Orfeo monteverdien de 1607 signait en quelque sorte l’acte de naisssance. Pour autant, quelques accrocs, dans le style et le son, y viennent tempérer notre enthousiasme, à l’exception de trois chanteurs de qui émane une vraie présence mélodique, expressive : la mezzo Luciana Mancini dans le rôle de la fantasque magicienne Falsirena éprise d’Adonis, la soprano Merel E. Kriegsman qui, avec des moyens limités, donne une émouvante image de la « Belle Mère d’Amour» face à l’Adonis du ténor Reinoud Van Meechelen, sans doute le meilleur du lot, âme inquiète fuyant la colère de Mars, l’époux de Vénus, et dont le verbe, tour à tour rêveur et incantatoire, reste un modèle de recitar cantando, scellant idéalement l’union de l’armania et de l’oratiane. Et Nicolas Achten, occasionnelleement chanteur lui-même, dirige voix et instruments en chef avisé, porté par l’entendement des mots, à deux ou trois approximations près, sans conséquence pour la musique.
On ne négligera pas cette reconstitution, sans doute perfectible sur plus d’un point, mais – et c’est là l’essentiel – comblant une lacune majeure du catalogue du premier baroque. »