Adèle de Ponthieu

Adèle de Ponthieu

COMPOSITEUR Jean-Benjamin de LA BORDE / Pierre MONTAN-BERTON
LIBRETTISTE Jean-Paul-André Razins de Saint-Marc

 

Tragédie lyrique en trois actes, sur un livret de Jean-Paul-André Razins de Saint-Marc (*) représentée dans la seconde salle (**) du Palais Royal, le 1er décembre 1772.

(*) Jean-Paul-André des Razins, marquis de Saint-Marc, né au château des Razins à Saint-Selve, le 29 novembre 1728, mort à Bordeaux le 11 septembre 1818, dramaturge et librettiste.

 (**) La première salle du Palais Royal, où l’Académie royale était installée depuis le 17 juin 1673, avait été victime d’un incendie, le 6 avril 1763. Une nouvelle salle fut reconstruite au même emplacement, et ouvrit le 26 janvier 1770. Elle fut elle-même incendiée le 8 juin 1781, et l’Opéra se déplaça dans la salle de la Porte St Martin, construite en quatre mois.

La musique fut composée en collaboration avec Jean-Benjamin de La Borde.

Le rôle de comte de Ponthieu fut un de ceux où Henri Larrivée (*) obtint le plus de succès.

(*) Henri Larrivée, né le 9 janvier 1737, avait débuté en 1755 dans Castor et Pollux. Selon Campardon : « Cet artiste qui avait tout pour lui, une belle figure, une voix pleine et flexible et un jeu à la fois facile et intelligent, mérita pendant plus de trente années les applaudissements du public », notamment dans le rôle d’Agamemnon de l’Iphigénie en Aulide de Gluck. Il épousa Marie-Jeanne Le Mierre en 1762, et prit sa retraite en 1786, ce qui fait dire à Bachaumont : « Bien différent d’autres, le sieur Larrivée s’en va en faisant encore les délices du public, et il emporte sa gloire toute entière ». Il mourut le 7 août 1802.

Henri Larrivée

Le succès ne fut pas au rendez-vous, suscitant un bon mot : C’est un opéra de cinq marcs qui ne pèse pas une once, dit un plaisant quand le public abandonna cette pièce.
L’œuvre fut reprise en cinq actes le 5 décembre 1775, puis retransformée en trois actes par Niccolo Piccinni, le 27 octobre 1781, pour l’inauguration du théâtre de la Porte St Martin.

L’auteur explique lui-même : Les grands changements faits à cet opéra par le désir de mériter les suffrages dont l’honora le public, exigeant une nouvelle musique, et les auteurs de l’ancienne n’ayant pas voulu composer davantage pour le théâtre, monsieur Piccini, de leur aveu très-formel, et même encouragé par eux, s’est, avec quelque plaisir, chargé de les remplacer. Adèle a donc ainsi reparu sur la scène, le samedi 27 octobre 1781, pour l’ouverture d’une nouvelle salle, et comme spectacle donné gratuitement au peuple à l’occasion de la naissance de monseigneur le Dauphin.

Le succès ne semble pas avoir été au rendez-vous si on croit Castil-Blaze qui raconte : Adèle de Ponthieu, de Razins de Saint-Marc, jouée d’abord en trois actes, mise en cinq actes pour Piccinni, fut réduite à trois actes, afin d’abréger l’ennui qu’elle faisait éprouver au public. Après quelques représentations, le malencontreux opéra fut réduit à rien. Un dilettante, curieux de voir la nouvelle salle et qui redoutait Adèle de Ponthieu, vint prendre un billet. On le lui donne en le prévenant que les deux premiers actes sont joués. – Tant mieux, répond-il, tant mieux ! C’est toujours autant de gagné.
C’est en 1772 que se retira la danseuse Jeanne-Charlotte Abraham dite Mlle du Miré, née le 14 septembre 1738. Elle avait débuté en 1755, défrayé la chronique en enterrant son amant, en septembre 1764, dont on avait fait une épitaphe Mi Ré La Mi La. On disait d’elle qu’elle était meilleure courtisane que danseuse, et qu’elle était fort exigeante en amour, excitant la verve de Sophie Arnould qui disait : Ordinairement la lame use le fourreau ; mais ici c’est le fourreau qui a usé la lame.

 

On lit dans les Mélanges philosophiques et littéraires de M. Auger (1828) : A l’ouverture du recueil de M. Saint-Marc, se trouve l’opéra d’Adèle de Ponthieu : on dit que cet ouvrage, orné de jolis ballets bien exécutés sur de jolis airs de danse, étalant surtout le magnifique et intéressant spectacle d’une réception de chevalier, suivie d’un combat en champ-clos, a réussi dans la nouveauté, ainsi qu’à la reprise. En lisant le poëme, on ne peut concevoir ce succès , à moins d’avoir l’imagination assez vive, assez fertile pour se bien figurer l’effet du ballet de Psyché, d’après le seul programme de M. Gardel. Dans ce cadre à divertissements et à fêtes chevaleresques, l’auteur n’a fait qu’appauvrir et mutiler le touchant épisode de Genèvre dans Roland-le-Furieux : épisode qui avoit déjà fourni à Voltaire le sujet de Tancrède, et que de nos jours on a transporté avec beaucoup d’art sur notre second théâtre lyrique, dans l’opéra d’Ariodant.

 

Le désir de voir sur le théâtre la pompe , et les usages si respectables de la chevalerie , sans aucun mélange fabuleux, m’a fait naître l’idée de cette tragédie. Pourquoi le théâtre lyrique où tous les arts agréables s’apellent et s’unissent pour flatter , pour enchanter l’imagination, les sens et l’esprit, et même pour intéresser le coeur , ne seroit-il point aussi l’école des mœurs et de la raison ?

J’ai donc voulu reproduire ces jours où les noms sacrés d’Honneur et de Patrie, alloient retentir dans les cœurs des chevaliers , où les souverains les plus puissans croyoient moins honorer les chevaliers que s’honorer eux-mêmes en desirant un titre si glorieux, ces jours où la foiblesse opprimée, où la gloire et la vertu persécutées voyoient accourir, de tous côtés, des héros jaloux de les servir et de les venger, où le desir ardent d’obtenir une préférence si flatteuse , et la crainte de compromettre le sang, l’amour et l’amitié, donnoient une nouvelle énergie, une activité plus vigilante aux vertus des deux sexes.

J’ai voulu rappeler ces jours, peut-être trop oubliés , où les premières instructions que recevoit la jeune noblesse étoient des leçons d’amour et de respect pour les dames, de dévouement à sa religion, à sa patrie, à son souverain, des leçons de valeur, de franchise et d’humanité. Tels furent les principes de l’antique chevalerie. Ce n’étoit qu’après avoir donné des preuves éclatantes et réitérées des vertus qui constituoient cette école de l’héroïsme qu’un noble osoit se présenter pour être admis au rang glorieux de chevalier, qu’il osoit aspirer au bonheur plus doux de plaire à ce sexe enchanteur pour qui la gloire , et la vertu réunies étoient le premier attrait.

Quelle source d’émulation ! Que de regrets, hélas ! doit laisser aux âmes sensibles, aux ames élevées la chute de cette institution si belle, si respectable dans son origine, et non moins heureuse dans ses suites !

Quand j’ai cru devoir espérer quelque succès de cet ouvrage, c’est sur le choix du sujet que j’ai principalement fondé mon espérance. Pouvois-je m’en défendre , dans cette ivresse qu’il est si naturel de ressentir en parlant de sa nation, en l’entretenant d’elle-même, en lui rappelant ses vertus, ses agrémens, et sur-tout cette estime qu’elle se doit? En effet, remettre les tems glorieux de la chevalerie sous les yeux de la nation françoise , c’est sans doute lui retracer son attachement à ses devoirs, à son souverain, à la patrie ; c’est intéresser une nation aussi généreuse que guerrière par l’image de ses triomphes ; c’est intéresser l nation la plus aimable par le tableau de cette galanterie héroïque qui l’a toujours particulièrement caractérisée.

O nation charmante , ô nation qui, dans les loisirs de la paix , ne cesseras jamais de plaire par la bonté, l’esprit et les grâces, ô toi qu’on voit souffrir si gaîment comme triompher si généreusement dans les horreurs de la guerre, ô nation qu’il est si doux, si flatteur de gouverner, daigne recevoir un hommage que te rend même sou vent un peuple dont la politique, et la rivalité ne peuvent du moins t’arracher l’estime , lorsque des François , des enfants dénaturés de la patrie , cherchent sans cesse à te dégrader ! Garde-toi bien du malheur, du danger plus affreux de croire ces détracteurs impies. Non , quelques moments de sommeil n’ont jamais fait que suspendre en toi les effets de ce caractère distinctif, de ces vertus dont la nature t’a constamment douée. Nobles enfants, héros de la patrie, vous Du Guesclin, Bayard, oui, vous retrouveriez dans cette patrie toujours si chère à vos cœurs, ces vertus qui l’honorèrent en vous, et dont elle vous avoit offert des modèles dans tous les âges. Oui, vous triompheriez sans doute en voyant jusqu’à quel point les François ont approfondi cet art cruel, mais l’art nécessaire qui fit votre gloire , en les voyant instruire l’univers par des ouvrages de tous les genres, et lui présenter des modèles dans tous les arts agréables qui font la consolation, le charme, et le bonheur le plus constant de la vie.

Si je n’ai pas pleinement surmonté toutes les difficultés que me présentoient le genre et la dangereuse simplicité du sujet d’Adéle, du moins n’ai-je rien négligé pour y parvenir. Aussi bientôt ai-je goûté la satisfaction de voir cet opéra, mis en ballet pantomime, faire les plaisirs de la ville de Londres, des cours de Vienne, de Milan, et de plusieurs autres cours d’Italie. Aussi, malgré les défauts du poëme, à sa première mise, ai-je recueilli dès-lors un prix bien flatteur de mes soins, l’indulgence, les applaudissements du publie qui, lorsque l’on a remis cet ouvrage au théâtre, a semblé me savoir gré de tous les efforts que j’ai faits pour changer avantageusement ce qu’avoit proscrit sa critique aussi juste que modérée, ce qui m’avoit paru ne pas mériter assez son suffrage , ou ses bontés.

(Avant-propos – Œuvres de M. de Saint-Marc)

 

Personnages : Guillaume III, comte de Ponthieu ; Adèle, fille du comte ; Raymond de mayenne, parent du comte, écuyer ; Alphonse d’Est, chevalier ; Gérard d’Alzace, Enguerrand de Couci, Renaud de Sarcus, vieux chevaliers, juges du camp

La scène est dans un château du comte de Ponthieu, près d’Abbeville. 
Argument :

L’argument est résumé dans le Dictionnaire dramatique de Joseph de Laporte, Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort :

Adèle , offensée & soupçonnée par l’injuste jalousie d’un Prince qui veut devenir son époux, & dont elle rejette les vœux, ne peut recouvrer l’honneur, que par la mort de son accusateur. Rémond , son parent, s’offre de venger l’innocence outragée. Le Comte de Ponthieu, père d’Adèle , prêt de combattre pour sa fille, n’osant confier de si grands intérêts à la faiblesse de son bras, accepte la défense de Rémond, & l’arme Chevalier. Adèle elle-même met entre ses mains le fer vengeur. Le combat entre les deux Rivaux se fait en champ-clos, devant les Juges. La Princesse est présente, & tremble à la fois pour fon Amant & pour sa juste vengeance. Enfin Rémond triomphe ; le sort du combat justifie Adèle. Son père l’accorde aux voeux du Vainqueur : leur gloire et leur bonheur font célébrés par des Fêtes.
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