COMPOSITEUR | Jean-Baptiste LULLY |
LIBRETTISTE | Philippe Quinault |
Tragédie en musique, en un Prologue et cinq actes, sur un livret tiré des Métamorphoses d’Ovide, représenté le 6 janvier 1683 à Versailles, sur une scène érigée par Carlo Vigarani dans le manège de la Grande Écurie. Une dizaine de représentations eurent lieu, auxquelles le roi assista presque tous les jours. Bérain fut félicité pour les costumes.Elle fut reprise au Théâtre du Palais Royal, à Paris, le 27 avril suivant, avec des décors et des machines de Bérain, et fut jouée jusqu’au mois de janvier 1684, avec une interruption due à la mort de la reine Marie-Thérèse, survenue le 30 juillet. L’opéra était tellement apprécié des Parisiens qu’il fut surnommé « l’opéra du peuple ».Lecerf de la Viéville raconte que : Dans Phaéton, il (Lulli) le (Quinault) renvoya vingt fois changer des scènes entières, approuvées par l’Académie Françoise. Quinault faisait Phaéton dur à l’excès, et qui disait de vraies injures à Théone (…) Lulli (…) voulut que Quinault fît Phaéton ambitieux et non brutal.La scène finale fit grande impression, lorsque le char et son aurige sont précipités dans une mer en furie au grand effroi des habitants de la Terre. Phaëton fut le premier opéra joué à Avignon en juillet 1687, et choisi pour l’inauguration de l’Académie royale de musique de Lyon, le 3 janvier 1688. L’attente était telle qu’il fallut accepter des spectateurs aux répétitions. Le Mercure galant relate cet enthousiasme :Le second Opera dont il faut que je vous parle, n’est pas nouveau , puis que c’est celuy de Phaéton. Je vous ay déja dit que c’estoit le premier qu’en devoit representer à Lyon, où l’on a étably une Academie d’Opera. Il a esté joué pendant tout le Carnaval avec un succès si extraordinaire, qu’on l’est venu voir de quarante lieues à la ronde. Les décorations, les voix, les danses, les habits, tout a répondu à la beauté de la Musique , et on a beaucoup d’obligation à ceux qui pour la gloire de leur Patrie ont bien voulu hazarder cette depense. Cet établissement paroist si solide qu’il n’y a point a douter qu’il ne subsiste toujours ; et comme tout ce qui se fait dans le Royaume surpasse tout ce qu’on peut voir de beau , en quelque lieu du monde que ce soit , les Etrangers qui y entreront du costé de Lion , seront surpris , et pourront juger par ce magnifique spectacle, de la grandeur de la France. Le Public ayant demandé l’Opera de Bellerophon à ceux qui ont fait cet établissement, ils y font travailler avec autant d’empressement que de dépense, pour le donner incontinent apres les Festes de Pasques. L’on assure qu’il y aura encore plus de magnificence dans cet Opera que dans Phaéton.Phaëton fut joué quatre fois par semaine pendant six mois (sauf période pascale) dans la salle de jeu de Paume, située rue Pizay, louée par Jean-Pierre Legay et deux associés, le premier ayant obtenu un privilège de trois ans des héritiers de Lully, le 17 septembre 1687. Une reprise eut lieu dans cette même salle de décembre 1688 à février 1689 (99 représentations).Phaëton fut repris régulièrement au Théâtre du Palais Royal :
le 2 novembre 1692 ;
On lit dans le Mercure galant de novembre 1692 à cette occasion : Monseigneur passa par Paris à son retour (*) et alla voir l’Opéra de Phaëton qui n’avait pas été joué depuis plusieurs années, et qui parut avec de nouveaux embellissements. Il fut extrèmement applaudi, tant pour la musique de Mr de Lully dont on ne peut se lasser, qu’à cause de la magnificence des décorations et de la beauté des habits. (*) de Chantilly
le 12 janvier 1702, avec Mlle Clément (Astrée) et Dun (Saturne) dans le prologue, Mlle Moreau (Libie, fille de Mérops), Mlle Desmatins (Théone, fille de Protée), Chopelet (Phaëton), Mlle Maupin (Clymène, mère de Phaëton), Dun (Protée), Desvoyes (Triton), Thévenard (Epaphus), Hardouin (Mérops), Mlle Clément (Une Egyptienne), Dun (Un Roi indien), Labbé (Un Roi éthiopien), Boutelou (Le Soleil), Mlle Dupeyré (Une des Heures), Desvoyes (La Terre), Courteil (Jupiter) ;
le 5 janvier 1710, avec Mlle Milon (Astrée) et Hardouin (Saturne) dans le prologue, Mlle Pestel (Libie), Mlle Journet (Théone), Cochereau (Phaëton), Mlle Du Jardin (Clymène), Dun (Protée), Mantienne (Triton), Thévenard (Epaphus), Hardouin (Mérops), Mlle d’Hucqueville (Une Egyptienne), Le Mire (Un Roi indien), Perere (Un Roi éthiopien), Chopelet (Le Soleil), Le Bel (La Terre), Courteil (Jupiter) ;
le 11 novembre 1721, avec Mlle Eremans (Astrée) et Chassé (Saturne) dans le prologue, Mlle Tulou (Libie), Mlle Antier (Théone), Murayre (Phaëton), Mlle Lambert (Clymène), Du Bourg (Protée), Jacier (Triton), Thévenard (Epaphus), Le Mire (Mérops), Mlle Minier (Une Egyptienne), Mlle Lizarde (Une des Heures), Dun (L’Automne), Tribou (Le Soleil, puis Phaëton), Artaut (La Terre), Renard (Jupiter). Denis-François Tribou fit alors ses débuts, d’abord dans le rôle du Soleil, puis, compte tenu de son succès, dans le rôle-titre ; en décembre, Mlle Le Maure fit également ses débuts dans le rôle d’Astrée du prologue.
En novembre, lors de la troisième repréentation, on vit apparaître pour la première fois dans la loge royale le jeune Louis XV, âgé de onze ans.
le 21 décembre 1730, dans une chorégraphie de Michel Blondy, avec Mlle Petitpas (Astrée) et Chassé (Saturne) dans le prologue, Mlle Le Maure (Libie), Mlle Antier (Théone), Tribou (Phaëton), Mlle Eremans (Clymène), Dun (Protée), Cuvillier (Triton), Chassé (Epaphus), Dun (Mérops), Dumast (Le Soleil), Mlle Petitpas (Une Heure), Mlle Du Tillié (Une Egyptienne), Joly (L’Automne), Cuvillier (La Terre), Goujet (Jupiter). En février 1731, Mlle Eremans prit le rôle de Libie, et Mlle Pélissier celui de Théone ;
le 13 novembre 1742, Mlle Fel (Astrée) et Chassé (Saturne) dans le prologue, Le Page (Mérops), Mlle Eremans (Clymène), Mlle Chevalier (Libie), Mlle Le Maure (Théone), Jélyotte (Phaëton), Le Page (Protée), Bérard (Triton), Chassé (Epaphus), La Tour (Le Soleil), Mlle Fel (Une Heure, une Egyptienne), Alberet (L’Automne), Cuvillier (La Terre), Person (Jupiter) ;
en 1753.
Le 3 décembre 1725, la reine Marie Leszczynska inaugura ses Concerts de la Reine avec des extraits de Phaéton, pendant lesquels, selon le Mercure de France de décembre 1725, on servit des fruits, des confitures, des glaces et autres rafraîchissements, en présence du Roi.Des exécutions eurent lieu également le 18 novembre 1739 au château de Fontainebleau, et le 25 novembre 1739, chez la Reine, à Versailles. Le prologue fut joué à Versailles, sur le Théâtre des Petits Appartements, monté dans le grand escalier des Ambassadeurs, le 23 janvier 1749, avec la duchesse de Brancas (Astrée), le duc d’Ayen (Saturne).En province, des exécutions eurent lieu à Marseille en 1686, puis le 17 mai 1720, en version de concert ; à Lyon, en 1688, avec des reprises jusqu’en 1710, notamment le 9 avril 1701, pour la venue du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, dans la salle de la Place Bellecour réparée après l’effondrement de deux murs en juin 1699 ; à Rouen, en 1689, dans la salle du jeu de paume des Deux-Maures, à la suite du privilège obtenu le 15 septembre 1688 par Bernard Vaultier ; à Lille en 1718 ; à Dijon en 1732. Ainsi qu’à l’étranger : Bruxelles, au Quai au Foin, en 1696, Gand en 1708, à La Haye, le 15 décembre 1710.Le 23 janvier 1749, le Prologue fut jouée en introduction de la pastorale Acis et Galatée, au théâtre des Petits cabinets de Madame de Pompadour, logé dans l’escalier des Ambassadeurs, avec la duchesse de Brancas (Astrée) et le duc d’Ayen (Saturne). Phaëton suscita plusieurs parodies sous les noms de Phaëton et Arlequin Phaëton : la première, une comédie agrémentée de chansons, de ballets et de machines de Palaprat et Gilliers (musique), créée le 4 février 1692, à l’hôtel de Bourgogne ; la seconde, de l’Abbé Macharti, en un acte en prose & en vaudevilles, donnée sur le nouveau Théâtre Italien le 11 décembre 1721 ; la troisième, de Dominique & Romagnesi, aussi en un acte mêlé de vaudevilles & de divertissements jouée sur le même théâtre le 22 février 1731 ; la dernière, par Riccoboni, donnée le 21 janvier 1743. Phaéton connut plusieurs éditions : en 1683 par Christophe Ballard, en 1709 par H. de Baussen, par Michel Charles Le Cène, à Amsterdam (exemplaire sans date conservé à la Bibliothèque de Toulouse). Personnages : Phaëton, fils du Soleil et de Clymène (ténor), Clymène, fille de l’Océan et de Thétys (soprano), Mérops, roi d’Egypte, a eu une fille, Libye, d’un premier mariage, puis a épousé Clymène (basse), Protée, dieu marin, conducteur des troupeaux de Neptune (baryton-basse), Théone, fille de Protée (soprano), Libye, fille de Mérops (soprano), Triton, dieu marin, frère de Clymène (haute-contre), le Soleil (haute-contre), la Déeese de la Terre (ténor), Saturne (baryton-basse), Epaphus, fils de Jupiter et d’Isis (baryton), Jupiter (basse)
Synopsis détaillé
PrologueLa déesse Astrée, qui a conservé une tendresse particulière pour les humains, bien que leur méchanceté l’ait contrainte jadis à fuir la Terre, appelle de ses voeux le retour de l’Age d’Or. Saturne l’invite à revenir sur la Terre, où s’annonce une ère nouvelle de paix et de plaisirs.Acte I
Libye, fille du roi d’Egypte Mérops, se réfugie dans la solitude. Théone, fille du dieu Protée, la surprend dans sa retraite. Libye craint que son père ne l’unisse pas à celui qu’elle aime. Son destin de future reine d’Egypte lui importe moins que l’amour d’Epaphus. Elle envie la sérénité avec laquelle Théone aime Phaéton. Alors que Théone s’apprête à lui confier ses propres inquiétudes, Phaéton paraît et Libye se retire. A la recherche de sa mère, Phaéton ne remarque même pas Théone. Celle-ci lui reproche sa froideur, regrettant les premiers temps de leur amour. Arrive la mère de Phaéton, la reine Clymène. et Théone se retire.Phaéton redoute qu’Epaphus n’épouse Libye. Celui-ci deviendrait du coup roi d’Egypte et Phaéton enrage à l’idée d’être son sujet. Clymène le rassure c’est bien à lui, Phaéton, que le roi Mérops accordera sa fille. Mais elle voit dans l’amour que voue son fils à Théone un obstacle à ce destin royal. Phaèton proclame qu’il place la gloire au-dessus de l’amour. Cette résolution comblerait C]ymène si elle n’avait pas eu vent de sombres présages. Elle décide donc d’interroger Protée, le dieu devin.Protée, au sortir de la mer, se retire dans une grotte pour s’y reposer. Il compare la tempête marine aux tourments que cause l’amour. Il convient selon lui d’éviter l’une et l’autre. Il s’endort.Clymène demande à son frère Triton de l’aider à obtenir de Protée, toujours réticent à dévoiler l’avenir. de précieuses révélations concernant Phaéton.Triton, accompagné d’une troupe de divinités aquatiques, réveille Protée et l’enjoint à se divertir. Protèe décline l’invitation. Triton en vient au fait que Protée fasse à Clymène des révélations au sujet de Phaéton. Protée se dérobe en se métamorphosant en de multiples créatures.Finalement Protée reprend sa forme originaire et consent à répondre. L’ambitieuse Clymène doit trembler. Sa recherche téméraire de la gloire mènera Phaéton à la mort. Son père tentera de le sauver, mais le Ciel le punira.
Acte II
Clymène tente de dissuader son fils de briguer le trône d’Egypte. Phaéton ne veut pas renoncer. Clymène voit désormais dans l’amour de Théone l’ultime secours pour éviter à son fils de connaître un sort fatal. Mais Phaéton refuse de la rencontrer.Théone, désespérée, accuse Phaéton de ne lui avoir promis l’amour que pour mieux la faire souffrir.Arrive Libye. Toutes deux déplorent les douleurs auxquelles l’amour expose. Epaphus paraît et Théone se retire.Epaphus est au désespoir. Le roi a rendu son verdict c’est Phaéton qui épousera Libye. Les deux amants doivent constater que leur amour est devenu illicite. Le roi Mérops annonce publiquement qu’il abdique au profit de Phaéton auquel il promet la main de sa fille. Des festivités saluent l’événement.
Acte III
Phaéton apprend lui-même à Théone qu’il va épouser Libre et lui explique qu’il s’agit là de politique et non de sentiments. Dans son désespoir. Théone implore la vengeance des dieux. Phaèton demande à ses suivants de consoler Théone lui-même doit se rendre sur l’autel de la déesse lsis afin de lui rendre l’hommage que la coutume exige. Fils d’Isis, Epaphus. ne peut tolérer que Phaéton, après l’avoir privé de Libye et du trône d’Egypte. ait l’outrecuidance de paraître dans le temple de sa mere. Dans sa colère. Epaphus met en doute que Phaéton soit bien le fils du Soleil. Phaéton, piqué au vif, lui promet de lui en apporter la preuve incontestable.Les souverains d’Egypte. Mérops et Clymène. ainsi que le futur couple royal, se rendent en cortège au temple d’Isis afin de rendre un fastueux hommage à la déesse. Epaphus fait irruption, clamant son indignation. Les portes du temple alors se referment.Les portes du temple s’ouvrent à nouveau, laissant échapper des flammes et des furies qui sèment la terreur parmi l’assemblée. Mais Phaéton s’obstine, Il somme sa mère de confirmer qu’il est bien le fils du Soleil. Clymène en fait le serment. Des vents descendent des nuages pour conduire Phaéton au palais du Soleil.
Acte IV
Les saisons et les heures du jour rendent hommage au Soleil. Celui-ci se réjouit de la visite imminente de son fils.Phaèton est accueilli par des chants et des danses. Le Soleil s’étonnant de l’air triste de son fils, Phaéton explique qu’on a mis son origine en doute et conjure son père de la légitimer. Le Soleil acquiesce à sa demande et fait le serment, prenant le Stxx à témoin, qu’il accordera à son fils ce qu’il exigera pour faire connaître au monde son orieine solaire. Phaéton demande à conduire le char de son père, dont la course éclaire l’Univers. Le Soleil, consterné, lui décrit le péril mortel auquel il s’exposerait immanquablement mais Phaéton est inflexible. Le Soleil, lié par son serment, doit s’exécuter.
Acte VLa nuit s’achève et Phaéton, qui a pris place sur le char du Soleil, s’élève à l’horizon. Clymène exulte.Epaphus, éperdu de dépit, implore Jupiter et Isis, ses parents, de le venger.Libye rencontre Epaphus et son chagrin s’exaspère. Epaphus lui laisse espérer une volte-face du destin.Mérops et Clymène ainsi que les peuples du Nil acclament Phaéton, le nouveau Soleil qui éclaire le monde.Théone invite les manifestations de joie à se changer en plaintes funèbres car son père, le clairvoyant Protée, lui a révélé la chute imminente de Phaéton.Phaéton a perdu la maîtrise du char du Soleil qui menace d’embraser la Terre. La déesse de la Terre conjure Jupiter d’intervenir. Tous redoutent une effroyable catastrophe.Jupiter apparaît qui frappe le char solaire de sa foudre. Phaéton périt dans sa chute.
(livret Erato)
Livret disponible sur livretsbaroques.fr
Spectacles du Grand Siècle : Le vol et la chute de Phaéton
Représentations :
Beaune – Basilique – 28 juillet 2012 – Paris – Salle Pleyel – 25 octobre 2012 – Théâtre de Lausanne – 26 octobre 2012 – version de concert – Les Talens Lyriques – dir. Christophe Rousset – avec Emiliano Gonzalez-Toro (Phaëton), Gaëlle Arquez (Libye), Isabelle Druet (Théone, Astrée), Ingrid Perruche (Clymène), Andrew Foster-Williams (Epaphus), Frédéric Caton (Mérops, Automne, Jupiter), Benoît Arnould (Protée, Saturne), Cyril Auvity (Le Soleil, Triton, Déesse de la Terre), Virginie Thomas (une Heure, Bergère égyptienne)
intégrale audio – 2 CD Premiereopera
Opéra Magazine – septembre 2012
« Autre événement, et non des moindres, Phaëton, « tragédie en musique » de Lully, sur un livret de Philippe Quinault – sauf erreur, on ne l’avait plus entendue en France depuis les représentations données lors de la réouverture de l’Opéra de Lyon, en 1993. Sa création eut lieu à Versailles devant Louis XIV, le 6 janvier 1683 ; le compositeur, surintendant de la musique de la cour et directeur de l’Académie royale de Musique, était alors en pleine gloire. Pourquoi l’ouvrage fut-il aussitôt aimé et admiré, au point d’être nommé « d’opéra du peuple» ? Inutile de chercher : le livret est une merveille d’habileté dramatoqie; les sentiments sont vrais et justes, et la musique révèle une imagination sans cesse en mouvement. N’hésitons pas : on tient là l’égal d’Atys, en efficacité théâtrale et en poésie musicale. Christophe Rousset, ses Talens Lyriques, l’excellent Chœur de Chambre de Namur et la brochette de solistes réunie pour l’occasion sont, ce soir, en état de grâce. La direction musicale évite toute emphase et s’interdit le moindre temps mort, et l’orchestre fait assaut de raffinement et luminosité. Tout naturellement, la partition et les mots qu’elle pare de couleurs inouïes ouvrent les portes du vaste théâtre de l’univers ; les parties chorégraphiques sont irrésistibles, et le dernier acte bouleverse par . sa tension et sa concision. On s’en voudrait de citer un interprète plus qu’un autre tant l’équipe, dont l’élocution française est remarquable, se distingue par son unité, sa solidarité et son engagement. Au-delà de la technique, qui n’encourt aucun reproche, au-delà de la qualité du chant et du style, tous, jusque dans les plus petits rôles, s’entendent à trouver la part d’humanité qui donne aux personnages leur vérité, et suscite la compassion de l’auditeur. Si le public fait un triomphe à ce Phaëton, c’est que, privé des attraits d’une mise en scène, il donne malgré tout à voir au plus profond des cœurs. Le fils du Soleil éblouit ; sa chute n’est pas pour demain. »
Forum Opéra
« A part Roland à Lausanne en 2004, Christophe Rousset a-t-il eu l’occasion de diriger une production mise en scène d’un opéra de Lully ? Si l’on peut regretter que ce privilège soit échu à d’autres chefs mais pas à lui, il faut reconnaître que le fondateur des Talens lyriques est parfaitement capable, par ses seuls efforts, d’animer une tragédie lyrique d’une authentique vie théâtrale. En témoigne ce Phaéton donné d’abord en juillet dans le cadre du festival de Beaune et à présent repris pour une bien courte tournée. Alors qu’il dirigeait Renaud de Sacchini à Versailles et à Metz quelques jours auparavant, Christophe Rousset s’est aussitôt replongé dans l’univers lulliste pour ce concert : le tragique parcours du fils du Soleil sera également chanté à Lausanne le 26 octobre, et à Londres le 8 mars. Sous la direction de Christophe Rousset, le théâtre est partout, d’abord dans l’orchestre, où l’on admire la fluidité extrême du discours, la souplesse avec laquelle les musiciens passent d’un rythme à l’autre, sans à-coups, sans jamais rien de heurté, mais en ménageant les contrastes nécessaires, comme entre la chaconne et l’air rapide qui la suit immédiatement, à la fin du deuxième acte. Le Chœur de chambre de Namur est un des protagonistes de l’action, et l’on remarque en particulier la fraîcheur du pupitre de dessus, d’où se détache la charmante Virginie Thomas pour les duos du prologue et les airs des différents divertissements qui ne manquent pas d’émailler la tragédie. Surnommé « l’opéra du peuple » à cause de l’immense popularité que justifiait peut-être en partie la machinerie spectaculaire du dernier acte, Phaéton se dépouille ici de ses charmes adventices et tire toute sa force du drame, le livret de Quinault étant riche en amours contrariées et en passions contradictoires, qu’expriment à merveille les chanteurs réunis pour l’occasion.On est d’abord frappé de constater la prédilection que manifestent aujourd’hui plusieurs chefs pour des voix féminines plus graves que cela n’était de coutume il y a vingt ans dans ce répertoire. Quel parcours que celui d’Ingrid Perruche ! Celle qui fut « Révélation de l’année » lors des Victoires de la musique en 2005 et qui présentait alors des airs mettant surtout en valeur ses aigus nous offre aujourd’hui une incarnation de la reine Clymène qui laisse entrevoir que, pour ces rôles nobles, la succession de Lorraine Hunt est assurée, pour le dramatisme comme pour la richesse du timbre, ce qui ne fait somme toute que confirmer les grandes qualités déjà remarquées dans Bellérophon dirigé par le même Christophe Rousset. Isabelle Druet est elle aussi une habituée de cette musique, on connaît la séduction de cette voix habile à rendre les nuances de la rhétorique baroque ; Gaëlle Arquez se présente désormais elle aussi comme mezzo-soprano, ce qui correspond aux couleurs charnues et cuivrées de son timbre. Toutes deux brillent dans ces airs où les deux héroïnes exhalent leur infortune, et dans les duos qui les opposent aux demi-dieux auxquels elles ne peuvent unir leurs jours. Tout en conservant le timbre juvénile qui sied à un écervelé ambitieux comme Phaéton, Emiliano Gonzalez Toro réussit la prouesse d’offrir un timbre de haute-contre à la française doté d’une réelle consistance, et l’on regrette que son rôle soit finalement assez peu développé. Andrew Foster-Williams, à la voix très sonore, produit un peu l’impression d’un éléphant dans un magasin de porcelaine ; heureusement, il se modère bientôt et adopte une diction moins emphatique. D’abord Triton virevoltant digne d’un opéra de Monteverdi, Cyril Auvity affronte avec aplomb la tessiture tendue du soleil au quatrième acte, puis prononce au dernier les quelques répliques de la déesse de la Terre. Hélas dotés d’une projection moindre, Frédéric Caton et Benoît Arnould assurent les courtes interventions des basses.Bonne nouvelle : Aparté enregistrera et commercialisera prochainement ce Phaéton, qui sera l’un des rares opéras de Lully à exister en plusieurs versions intégrales puisque, après avoir donné l’œuvre en 1993 pour la réouverture de l’Opéra de Lyon, Marc Minkowski l’avait enregistrée pour Erato. »
Saarbrucken – Saarländisches Staatstheater – 11, 17, 29 décembre 2010, 5, 13, 22 janvier, 6, 26 février, 27, 30 mars 2011 – dir. George Petrou – mise en scène Christopher Alden – décors Marsha Ginsberg – costumes Doey Lüthi – scénographie: Marsha Ginsberg – chef de choeur Jaume Miranda – avec Johan Christensson (Phaëton), Sofia Fomina (Théone), Tereza Andrasi (Libye), Judith Braun (Clymène), Stefan Röttig (Epaphus), Hiroshi Matsui (Mérops/Saturne), François-Nicolas Geslot (Le Soleil/La Déesse de la Terre), Algirdas Drevinskas (Triton), Guido Baehr / Olafur Sigurdarson (Protée/Jupiter), Elizabeth Wiles (Astrée/Une des Heures/Une Bergère Égyptienne) – nouvelle production
ResMusica
« Lully en Allemagne ? La province allemande a beau ne jamais être à court d’idées, la présence d’une de ses œuvres en terre germanique demeure une absolue rareté qui avait de quoi susciter la curiosité. C’est largement à partir de ses forces propres que le Théâtre national de Sarrebruck a fait le choix de monter Phaëton, une œuvre dont la complexité dramaturgique avait parfaitement de quoi satisfaire les hautes exigences que le public allemand est habitué à porter au théâtre musical. Cette audace, certes, se paie sur un point précis : à moins de très bien connaître le livret de Quinault, il vaut mieux être en mesure de suivre les surtitres allemands, car la diction des solistes et du chœur ne permet en général de comprendre que quelques lambeaux de phrases – à l’exception du seul francophone de la distribution, François-Nicolas Geslot, qui double sa leçon de diction d’une leçon de chant lulliste qui montre que la voix de haute-contre n’est pas condamnée à être privée de couleurs. Une fois passé cet important écueil, la représentation ne réserve pour ainsi dire que des satisfactions, largement dues aux deux maîtres d’œuvre du spectacle. S’il n’a pu leur apporter les subtilités de la langue française, le chef grec George Petrou a su apporter aux forces sarroises la juste saveur de la tragédie lyrique française : rien ou presque ne vient rappeler à l’oreille que l’orchestre est le fruit d’une heureuse fusion entre l’orchestre de la maison, habitué du grand répertoire, et d’instrumentistes baroques pour le clavecin, les théorbes ou les remarquables flûtes à bec : à aucun moment on n’a eu à regretter les ensembles spécialisés célèbres dont la France, à juste titre d’ailleurs, s’enorgueillit. Sa direction est admirable de tension dramatique tout autant que de couleurs et de style. Cette saveur de l’original, malgré les limites de leur diction, se retrouve dans l’interprétation des chanteurs : sans aucune véritable faiblesse, la distribution est dominée par Johan Christensson dans le rôle-titre : sans doute le rôle n’est pas sans susciter quelques tensions dans sa voix, mais hors ces quelques moments difficile, son chant convainc par sa franchise et son souci du style en même temps que par sa manière très pertinente de varier l’émission et d’animer la ligne de chant. L’accessit ira sans conteste à Sofia Fomina, dont le chant est sans doute moins parfait, mais qui a su remarquablement se couler dans le ductus lulliste pour offrir à son personnage d’amoureuse blessée quelques-uns des apogées émotionnels de la soirée.La mise en scène de Christopher Alden n’est pas en reste. Moins connu en France que son collègue et frère jumeau David Alden, il avait présenté il y a quelques années à Lyon son interprétation très sombre et très forte de Djamileh de Bizet. Ici, on admire l’intensité de son travail sur les ressorts dramatiques d’une œuvre très politique. À aucun moment l’illusion n’est permise : les aspirations de Phaëton ne sont que celles d’un héritier trop gâté, qui loin de chercher l’absolu et le divin ne cherche pas même le pouvoir, mais seulement les signes du pouvoir. C’est bien le livret de Quinault qui place au cœur de l’enjeu théâtral la valeur de l’ascendance divine comme élément de légitimation de la distinction sociale : si Alden décrit Épaphus et Phaëton en duo ennemi d’héritiers au fond identiques, où seule la force de volonté sans scrupule permet à Phaëton de prendre le dessus, c’est en guise de trait d’union entre l’univers de Quinault et un monde contemporain qui offre des parallèles trop évidents pour qu’il soit besoin de les citer. Quinault n’est ni Corneille ni Racine : son univers est celui de la froide politique, celui du calcul qui s’avoue, celui où même la plus cruelle douleur reste lucide. La récente floraison de mises en scène lullystes à Paris, du trop-plein décoratif (Cadmus par Benjamin Lazar ou Thésée par Jean-Louis Martinoty) à l’élégance design (Armide par Robert Carsen), ne fait que mieux prendre conscience de l’intelligence profonde du travail sobre de Christopher Alden, à tel point qu’il paraît presque superflu de parler de la haute tenue de la direction d’acteurs, qui trouve en Johan Christensson un interprète inspiré et virevoltant. Il n’est pas si fréquent de voir réunis un chef-d’œuvre oublié, une mise en scène aboutie et une interprétation musicale aussi vivante et précise. On finit par être presque soulagé que les faiblesses de la diction évitent au critique le soupçon d’avoir écrit un exercice d’admiration et non un compte-rendu. »
Opéra de Lyon – 20, 26, 31 mai, 1er et 6 juin 1993 – Les Musiciens du Louvre – Choeur Sagittarius (dir Michel Laplénie) – Centre chorégraphique national de Caen – dir. Marc Minkowski – mise en scène et chorégraphie Karine Saporta – décors Jean Bauer – costumes Sylvie Skinazi – avec Jennifer Smith (Théone), Véronique Gens (Libye), Virginie Pochon (Astrée), Rachel Yakar (Clymène), Florence Couderc (Une Bergère), Howard Crook (Phaëton), Jean-Paul Fouchécourt (La Déesse de la Terre), Philippe Huttenlocher (Mérops), Gérard Théruel (Epaphus)
Kassel – 1985 – mise en scène Herbert Wernicke