Ballet de la Galanterie du Temps

COMPOSITEUR Jean-Baptiste LULLY
LIBRETTISTE Francesco Buti

 

Mascarade ou « boutade » à dix entrées (LWV 7), sur un livret de Francesco Buti (?) et une musique (perdue) sans doute entièrement de Lully.

On pense que l’invention du ballet est due à Beauchamp et Lully.

Elle fut commandée par le cardinal Mazarin, et dansée par le roi au Louvre, le 19 février et le 27 mars 1656 dans le Grand Salon du Louvre, et fit l’objet de nombreuses reprises. Lully y participa, aux côtés de Tiberio Fiorelli (*), dit Scaramouche, en Trivelin, personnage inventé par Domenico Locatelli.

Trivelin

Anne de La Barre et Anna Bergerotti (**) chantèrent deux airs italiens, accompagnés par six guitaristes, dont le Roi, François Corbetta et les deux frères de La Barre, ainsi que par la Bande des Petits Violons ; le Roi incarna également le rôle principal du Galant.

(*) Tiberio Fiorelli, né à Naples en 1608, mort à Paris, en décembre 1694. Il quitta l’Italie pour la France en 1640, joua devant la cour et sut amuser le jeune dauphin, futur Louis XIV. Il créa le personnage de Scaramouche et gagna l’admiration de Molière et de Lully. Il mérita l’épitaphe :

C’est un comique san pareil.

Comme le ciel n’a qu’un soleil,

La terre n’eut qu’un Scaramouche

 Tiberfio Fiorelli dit Scaramouche

(**) Anna Bergerotti était arrivée à Paris au début du moi de mai 1655, et fut la première à faire partie du Cabinet de la Maison du Roi, créé par Mazarin pour réunir une troupe de musiciens italiens. Elle se produisit fréquemment avec Anne de la Barre et Hilaire Dupuis, dite Mlle Hilaire, que Loret appelait les trois enchanteresses.

Selon Jean Loret (La Muze historique), l’orchestre comprenait plus de vingt-cinq Instrumans. Le ballet marqua les débuts des Petits Violons de Lully.

 Castil-Blaze précise dans L’Opéra Italien de 1548 à 1856 : Dans la Galanterie du Temps, ballet danse la même année, chantaient Mlle de La Barre, Raimond, la signora Anna Bergerotti, Corbetti ; i signori Melone, Melani, Augustino, Assalone, Bordigone.

Le Gros, Lallemand, Beaumont, Vincent, Saint-Elme, de La Barre, tenaient des parties principales dans ces opéras ou ballets. Le Gros est cité comme un chantre admirable par Loret, qui dit ensuite :

Anne, cette fille étrangère, Dont la voix au Louvre est si chère; Cette aimable Bergerotti Dont maint cœur est assujetti. Figuraient, en jouant du téorbe : de La Barre, Vincent, Ytier, Grénerin, Le Moine, Hurel. En jouant de la flûte : Piesche, Descôteaux père et fils, les trois Hotteterre, Paisible, Alais et Destouches. En jouant du violon : Marchand, La Caisse, La Fontaine, Le Bret, Lapierre, Le Comte, Magny, les deux Lavigne, les deux Le Roux, Le Grès, Roulel, Huguenet.

Mlle de La Barre mit en loterie une part des riches cadeaux qu’elle avait reçus pendant un séjour de trois ans et demi dans les cours du nord. Elle était rentrée à Paris en décembre 1655 (*).

Cette fille, qui de sa voix Charme les reines et les rois, La Barre, sage aimable et belle, Ayant mainte riche vaisselle, D’un excellent vermeil doré, Artistement élaboré, Maint bassin, flambeau, vase, aiguière, Tournés d’une rare manière, Des bracelets et des colliers, Galants, jolis et singuliers, Bref, mainte et mainte pierrerie, En a fait une loterie.

(*) après s’être rendue auprès de Christine de Suède à Stockholm en septembre 1652, puis de la reine de Danemark en décembre 1654
Le Ballet fut publié sans lieu ni date. Mais c’est lui auquel fait allusion la Gazette dans son numéro du 19 février 1656 : Le 14, Leurs Majestés prirent au Louvre le divertissement de la Comédie Françoise ; puis le Roy dansa un petit ballet qui, pour avoir été inventé en fort peu de temps, ne laissa pas de paroistre des plus agréables à tous ceux qui s’y trouvèrent, entre lesquels étoient la princesse royale d’Orange et grand nombre de seigneurs et dames de qualité. Et dans le numéro suivant, celui du 26 : Le 19 de ce mois, fut encore dansé au Louvre l’agréable Ballet des Galanteries du temps, en présence de tonte la cour.

Il fut encore dansé le jeudi 3 mars au soir, chez Mazarin. C’est à cette occasion que le gazetier Loret le décrit pour la première fois, et, quoiqu’il ne le nomme point, il n’y a pas le moindre doute, d’après les termes de son récit : Je perdrois icy mon crédit Et serois digne d’Incartade, Si j’oubliois la mascarade Qu’avant le souper on dansa, Où, sans mentir, il se passa Mainte action toute jolie, Pour chasser la mélancolie. Le folâtre et le sérieux Y parurent à qui mieux mieux : La Barre, cette belle illustre, Qui donne aux airs un si beau lustre, En fit, par un récit charmant, Admirer le commencement ; Et cette autre agréable brune, Dont l’excellence est peu commune, La signora Bergerota, Vers la fin les cœurs enchanta… Six Trivelins, tous à la fois, Armés de coutelas de bois, Par leurs naïves singeries, Souplesses et plaisanteries, Excitèrent certainement Un risible contentement ; Et l’inventeur, le sieur Baptiste, Se montra si parfait copiste De Trivelin et de ses tours, Qu’on tint de luy cent beaux discours. Ensuite les feints Scarnmouches Furent loutés de bien des bouches : Ils avoient pour auteur Beauchamp, Et s’ils eussent eu plus de champ Pour mieux compasser leurs figures, Leurs grimaces et leurs postures, Ils eussent, foy de caporal, Enchéry sur l’original. Mais quand l’original luy-mesme, Causant une surprise extrême (D’autant qu’on ne l’attendoit point), Se vit copier de tout point, Arrivant là par aventure, Dame, il détacha sa ceinture Dont le clac, redoublé souvent, Le fit driller comme le vent, Dont les assistans, à vray dire, Pensèrent étouffer de rire.
Argument :

Un galant éperdument amoureux d’une jeune beauté dont la modestie ne lui permet pas de dire le nom publiquement, ne voulant perdre aucune occasion de lui plaire, se résout à lui donner tous les divertissements que le temps peut permettre.

Synopsis détaillé

La déesse Vénus, se rendant complaisante à un si beau dessein, paraît la première, et, pour favoriser une si belle passion, s’efforce d’attendrir le cœur de cette rebelle par une harmonie pleine de charmes et d’agréments (les deux La Barre frères, Le Fèvre, Don, et les petits violons).

Récit de Vénus (Anne de la Barre (1))

Beautez, je suis Vénus qui vais cherchant le ris [….]

(1) Anne de la Barre représentait Vénus avec « de pompeux habits, bluettans partout de rubis ».

Première entrée : Cette Belle Inconnue (marquis de Genlis), invisiblement charmée de cette divine voix, fait venir son train devant elle, composé d’une Suivante (Lerambert) et de deux Pages (marquis de Villeroy, marquis de Rassan), pour lui ordonner de bien recevoir tous ceux qui viendront de la part de son galant. 

Deuxième entrée : Ce Galand (le Roi) paraît seul devant le logis de sa maîtresse, pour mieux exécuter ce qu’il a résolu, en ordonnant tout ce qu’il désire, afin que la confsion ne trouble point les divertissements qu’il donne à sa maîtresse.

Troisième entrée : Et comme les environs de son logis sont remplis d’Amours, il en trouve partout et en choisit demi-douzaine, qu’il fait marcher aussitôt, et de crainte qu’à l’abord ils effarouchent cette revèche, qui fait la mine au seul nom d’Amour, il les fait déguiser en Trivelins pour la mieux surprendre. (Du Moutier, Des-Airs, Baptiste, de Lorge, Lambert et Geoffroy, Trivelins).

Quatrième entrée : Ils sont suivis de quatre Docteurs bien fournis d’arguments pour persuader cette inflexible ; mais, afin qu’elle ne s’en défie pas, ils sont travestis en Scaramouches (Cabou, Beauchamp, Raynal et Don), dont le véritable ayant eu advis, les traite un peu rudement, pour les châtier de l’entreprise qu’ils font sur ses droits.

Cinquième entrée : Mercure (Comte de Guiche), Dieu de l’éloquence, suit de près pour y joindre la force de ses persuasions, avec le secours de l’Artifice (Mollier) et de la Richesse (de Lorge), à quoi nul cœur ne peut résister.

Sixième entrée : Pierre Du Puis (2) (Dolivet) et Gilles Le Niais (3) (Le Conte) y courent à grand haste, se croyant capables de divertir celle jeune dame par leurs déguisements.

(2) Pierre du Puis était un fou qui courait les rues de Paris dans les premières années du siècle.

(3) Gilles le Niais, farceur et bouffon de bas étage, faisait la joie des badauds du Pont-Neuf sous la régence d’Anne d’Autriche.  

Septième entrée : Et pour faire que rien ne manque à cette galanterie, la sage Mathurine (4) (Joyeux), avec sa glorieuse postérité (Barbau et Cocquet, les Fils, Lambert et Dès-Airs le jeune, les Filles) veut bien contribuer de sa part, autant qu’elle peut, à cette nouvelle récréation.

(4) la sage Mathurine était la folle de Henri IV.

 Huitième entrée : Mais pour faire connaître combien les respects de ce Galand sont plus estimables que la coquetterie du siècle, il a trouvé bon que six Coquets des plus mouchés, des plus poudrés et des plus enrubantés et des plus encanonés paraissent devant sa maîtresse, espérant qu’elle aura plus de sujet de les mépriser après les avoir connus. (Marquis de Saucourt, Marquis de Richelieu, Langlois, Raynal, Le Vacher et Des-Airs).

 Neuvième entrée : Toutes choses étant ainsi bien préparées, l’Amour (Bonard) véritable et sans déguisement s’y trouve en personne, et, pour entrer plus facilement dans le Palais et dans le cœur de cette cruelle, il se fait accompagner de la Nuit (Mollier), du Silence (Cabou) et du Repos (Beauchamp).

Dixième entrée : Aussitôt ce Galand (le Roy), suivi d’une excellente musique (Corbetta à la guitare), vient donner une sérénade à sa Belle, qui l’écoute amoureusement sur le balcon, et l’assure du succès favorable de tous ses désirs. (Bontemps, Verpré, Baptiste et de Lorge)

Première Sérénade (Le Galand : Anna Bergerotti)

Pendant que ces flambeaux de lumière immortelle Veillent pour le salut de ce vaste univers, Beaux yeux, divins auteurs de ma peine cruelle, Pour moy daignez veiller et demeurer ouvers. Vous sçavez mieux que moy qu’Amour et la Fortune Sont aveugles tous deux ; Que si vous vous fermez pour ne voir non plus qu’eux, Beaux yeux, qui connoistra ma douleur non commune, Et qui soulagera mon martire amoureux ?

Réponse à la première Sérénade (La Maîtresse : Anne de La Barre)

Quand mes yeux sont fermés, mon cœur veille pour vous : Le souvenir de votre flamme M’est trop prétieux et trop doux Pour sortir jamais de mon âme. Quand mes yeux sont fermés, mon cœur veille pour vous.

Seconde Sérénade (Le Galand : Anna Bergerotti)

Loin d’avoir part aux maux dont je suis tourmenté, Vous dormez, ô beaux yeux, cette nuit mieux qu’une autre, Comme si le repos que vous m’avez osté Vous tournoit à profit et redoubloit le vostre. Dormez, pourtant, dormez, Car, après m’avoir fait une guerre si rude, Après m’avoir lancé tant de traits enflamés, Beaux yeux, vous ne pouvez estre sans lassitude : C’est avecque raison que vous estes fermés.

Réponse à la seconde Sérénade  (La Maîtresse : Anne de La Barre)

Hélas ! que c’est mal à propos Que vous me soupçonnez d’un sommeil si paisible ! Quand on a dans le sein une ardeur si sensible, Comment peut-on avoir un moment de repos ? Amour est tout extrême, et dedans son empire Sévère ou doux toujours avec excès, Ou le trop grand plaisir, ou le trop grand martyre Défend également au Sommeil tout succès.

A deux 

Les pleurs et les soupirs, le désir et la crainte Ont chassé le Sommeil de l’empire d’Amour, Et l’on ne dort ny nuit ny jour, Sitost que de ses traits on a senti l’atteinte.

(Corbetti, les deux La Barre frères, et les petits Violons)