COMPOSITEUR | Jean-Baptiste LULLY |
LIBRETTISTE | Thomas Corneille / Fontenelle |
ENREGISTREMENT | ÉDITION | DIRECTION | ÉDITEUR | NOMBRE | LANGUE | FICHE DÉTAILLÉE |
2010 | 2011 | Christophe Rousset | Aparté | 2 | français |
Tragédie en musique, en un prologue et cinq actes, sur un livret attribué à Thomas Corneille, d’après la Théogonie d’Hésiode.
Philippe Quinault avait, en 1665, composé une tragédie sur le thème de Bellérophon, insensible aux avances de Sthénoboée, reine d’Argos, et qui vainquit la Chimère, monté sur son cheval Pégase.
C’est à la demande du roi que Thomas Corneille, que le peu de succès de Psyché avait éloigné de la scène lyrique, écrivit le livret… dont Fontenelle réclama la paternité en 1741.
L’œuvre fut représentée à l’Académie royale de musique, le 31 janvier 1679, où elle tint pendant neuf mois, avec une distribution réunissant : Gaye (Apollon), le Roy (Bacchus), Arnoul (Pan) dans le prologue, Beaumavielle (Jobate, roi de Lycie), Mlle Saint-Christophle (Sthénoboée, veuve de Praetus, roi d’Argos), Mlle Aubry (Philonoé, fille de Jobate), Clédière (Bellérophon), Nouveau (Amisodar), Le Roy (La Pithie), Mlle de La Prée (Pallas), Pulvigny (Un Sacrificateur).
Les décors étaient de Vigarani, dont ce fut la dernière collaboration avec Lully.
Les personnages les plus marquants de la cour et de la ville se pressèrent au spectacle, notamment Le Dauphin, Monsieur et Madame et leur fille, la reine d’Espagne, la duchesse d’Hanovre.
Le livret fut apprécié, et on lisait dans le Mercure galant en mars 1679 : l’action y est suivie partout, de sorte qu’il n’y a aucune scène qui n’ait de l’enchaînement avec celle qui l’a précédée, ce qui ne laisse aucun endroit languissant.
Les représentations furent interrompues pour préparer celle devant le roi, à St Germain en Laye, le 3 janvier 1680, avec Gaye (Apollon), Le Roy (Bacchus) et Arnoul (Pan) pour le prologue, Mlle La Prée (Pallas), Gaye (Jobate), Mlle Saint-Christophle (Sthénoboée), Mlle Ferdinand (Philonoé), Clédière (Bellérophon), Morel (Amisodar), Mlle Bonie (Argie), Le Roy (La Pithie). Plusieurs représentations eurent lieu jusqu’au 5 février, et on raconte que le roi faisait répéter deux fois dans chaque représentation les morceaux qu’il appéciait particulièrement.
Le succès fut tel que Lully décida de faire imprimer la partition, par C. Ballard, en typographie.
Durey de Noinville, bibliographe et historien (1683 – 1768), nota dans son Histoire du théâtre de l’Académie royale de musique : l’exposition de la première scène a passé pour la plus belle du théâtre lyrique ; le second acte est celui qui a le plus prêté au musicien, par le moyen de la magie, qui est, sans contredit, la plus plus frappante qu’on ait jamais vue au théâtre…On a trouvé les fêtes du troisième acte trop longues, et que le quatrième n’est pas assez rempli. On aurait aussi souhaité que la pièce eut fini par la mort de Sténobée. La fête qui suit a paru hors de saison après une catastrophe aussi terrible.
L’oeuvre fut reprise à Lyon, le 20 juin 1688, dans la salle du Jeu de Paume de la rue Pizay, durant six mois. Le succès était tel, depuis l’inauguration de l’Académie de musique de Lyon, le 3 janvier 1688, avec Phaëton, qu’il avait fallu accepter des spectateurs aux répétitions.
Elle fut jouée aussi à Bruxelles, au Quai au Foin, avec un prologue de Fiocco, le 8 novembre 1696, et le 14 novembre 1708.
Au Palais Royal, les reprises eurent lieu :
le 10 décembre 1705, avec Thévenard (Apollon), Desvoyes (Bacchus), Hardouin (Pan) et Boutelou (Un Berger) pour le prologue, Mlle Joubert (Pallas), Hardouin (Jobate), Mlle Desmatins (Sthénoboée), Mlle Journet (Philonoé), Cochereau (Bellérophon), Thévenard (Amisodar), Mlle Poussin (Argie), Chopelet (La Pithie) ; selon Parfaict : Cet opéra qui a eu un succès si éclatant dans sa nouveauté eut le malheur d’être reçu assez faiblement à cette reprise ;
le 11 janvier 1718, avec modification du divertissement du quatrième acte, décrié, remplacé par un divertissement mieux approprié au sujet, avec Le Mire (Apollon), Buseau (Bacchus), Dun fils (Pan) et Murayre (Un Berger) pour le prologue, Mlle Milon (Pallas), Hardouin (Jobate), Mlle Journet (Sthénoboée), Mlle Poussin (Philonoé), Cochereau (Bellérophon), Thévenard (Amisodar), Murayre (La Pithie) ; mais le succès fut médiocre ;
le 6 avril 1728, avec Dun (Apollon), Cuvillier (Bacchus), Chassé (Pan) et Grenet (Un Berger) pour le prologue, Mlle Antier (Pallas), Dun (Jobate), Mlle Antier puis Mlle Eremans (Sthénoboée), Mlle Pelissier (Philonoé), Tribou (Bellérophon), Chassé puis Dun (Amisodar), Grenet (La Pithie) ; à cette occasion, on fit quelques changements… On substitua au IVe acte un nouveau Divertissement composé des peuples des campagnes de Lycie… Cette fête parut assez bien imaginée et plus satisfaisante que celle des Faunes et des Napées qui paraissaient autrefois.
Marie Sallé, âgée de vingt-et-un ans, y parut dans un pas de deux avec P. Dumoulin, après une entrée où la Camargo dansait seule.
le 1er février 1745 ;
le 17 février 1749, chez la Reine, à Versailles, en version non scénique ;
le 27 novembre 1773, à Versailles, dans une version en quatre actes de Berton et Grenier, à l’occasion du mariage du comte de Provence, futur Louis XVIII, avec Marie-Josèphe de Savoie, fille du roi de Sardaigne Victor Amédée III.
Une parodie de Dominique et Romagnesi, Arlequin Bellérophon, fut jouée au Théâtre Italien le 7 mai 1728.
Ce héros est connu dans l’Histoire poëtique, par son insensibilité pour les avances amoureuses de Stenobée, Reine d’Argos, & par la défaite de la Chimère, dont il triompha, monté sur le cheval Pégase. Cette Fable a fourni le sujet d’une Trag. composée par Quinault, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1670, & qui eut plus de réussite que ne l’ont dit quelques Auteurs ; & celui d’un Opé. dont les Paroles ont toujours été attribuées à Thomas Corneille, & cependant que Fontenelle a revendiquées & prétend avoir faites à très peu de chose près, & la musiq. est de Lully ; il fut représenté pour la premiere fois le 28 Janvier 1679, & continué pendent neuf mois de suite. Corneille rebuté par le peu de succès de PSICHE, avoit renoncé au Théatre lyrique pour s’attacher uniquement au dramatique ; mais le Roi lui ayant témoigné qu’il eût souhaité qu’il travaillât pour l’Opéra, il se rembarqua, dit-on, sur cette mer orageuse, par cette piece, dont le Prolo. est entre Apollon, les Muses, Bacchus & Pan. On a dit aussi que Despreaux prétendoit avoir une grande part à ce Poëme lyrique ; mais Fontenelle, dans une lettre adressée aux Auteurs du Journal des Savans, a assuré bien positivement qu’à l’exception du Prolo. d’un morceau qui ouvre le quatrieme Acte, & du Cannevas, il ne pouvoit y avoir rien de Despreaux dans Bellerophon, & que Thomas Corneille, qui ne se soucioit pas trop de cette sorte de travail, lui avoit envoyé à lui-même le plan de cet Opé. pour l’exécuter, ce qu’il avoit fait, & que ses vers ne souffrirent que de légers changemens. On l’a imprimé dans le tome dixieme de la derniere édition des OEuvres de Fontenelle. Cet Opé. est le 11me ; il a été imprimé en musi. puis gravé ; il a été remis en 1680, 1705, 1718 & 1728. (de Léris – Dictionnaire des Théâtres)
Personnages : Bacchus (haute-contre), Pan (basse), Apollon (basse), Les neuf Muses, Choeurs d’Aegipans, de Ménades, de Bergers et de Bergères (Prologue) ; Philonoe, fille de Jobate, roi de Lycie, Stenobée, veuve de Prétus, roi d’Argos, Argie, sa confidente, Pallas, Bellérophon, Jobate, roi de Lycie, Amisodar, prince lycien, savant en magie et amoureux de Sténobée, La Pythie (haute-contre), Sacrificateurs, Amazones, Solymes, troupe de Magiciens, Choeur de Peuples.
Argument
Bellérophon, ayant tué son frère sans le connaître, s’exile, pour se châtier, à la cour de Proetos, roi d’Argos. Mais ce prince, bientôt gagné par la jalousie, expédie son hôte à son beau-frère Iobatès , roi de Lycie, avec des tablettes où, en signes mystérieux, il demande que Bellérophon soit mis à mort. Iobatès décide d’opposer Bellérophon à l’invincible Chimère, monstre dont le corps était moitié lion, moitié chèvre, avec une queue de dragon, et qui vomissait des flammes dévorantes. mais Bellérophon, monté sur son cheval ailé Pégase, tue la Chimère. En récompense, il épouse la fille du roi Iobatès, à qui il succèdera.
Synopsis
Prologue
Le théâtre représente le Mont Parnasse ; Apollon y est assis accompagné de neuf Muses qui sont aussi assises des deux côtés.
Apollon chante les louanges du Roi, par qui est venue la paix. Il convie Pan et Bacchus à se joindre aux chants d’allégresse. Bacchus entre d’un côté accompagné d’Oegipans et de Ménades, et Pan entre de l’autre côté, suivi de Bergers et de Bergères. Ils chantent le temps revenu de l’amour. Apollon invite à un spectacle en l’honneur du héros.
Acte I
La ville de Patare, capitale du royaume de Lycie
(1) Sténobée, veuve du roi d’Argos Pretus, confie à Argie qu’elle est venue en Lycie pour offrir la couronne à Bellérophon. Ce dernier avait été envoyé à la cour de Jobate, roi de Lycie, par Pretus jaloux à la suite des accusations de Sténobée. Sténobée espère que Bellérophon sera sensible à sa proposition. (2) Philonoë, fille de Jobate, annonce à Sténobée qu’un époux doit lui être désigné, et qu’elle espère qu’il s’agira de celui qu’elle aime. Sténobée comprend qu’il s’agit de Bellérophon. (3) Sténobée est désespérée et sent monter en elle le désir de vengeance. Elle décide de s’adresser au prince Amisodar capable de créer un monstre quiq ravagera les lieux. (4) Le roi Jobate annonce qu’il a choisi Bellérophon pour époux de sa fille. Sténobée lui rappelle que Prétus l’avait envoyé chez lui pour être mis à mort. Elle promet de se venger. (5) Bellérophon arrive, avec une troupe d’Amazones et de Solymes. Jobate lui annonce qu’il lui donne sa fille en mariage. Il consent par ailleurs à libérer les Amazones et Solymes de leurs fers. Chœur.
Acte II
Un jardin délicieux, au milieu duquel paraît un berceau en forme de dôme, soutenu à l’entour de plusieurs Thermes ; au travers de ce berceau, on découvre trois allées, dont celle du milieu est terminée par un superbe palais, en éloignement. Les deux autres finissent à perte de vue.
(1) Philonoé se réjouit du choix de son père. Elle demande à deux Amazones de chanter la louange de Bellérophon, le plus grand des héros. (2) Ce dernier la rejoint et partage son bonheur. (3) Philonoë laisse Bellérophon seul avec Sténobée. Bellérophon se plaint que celle-ci le poursuive. Sténobée avoue son amour. Bellérophon la quitte. (4) Argie pousse Sténobée à la vengeance. (5) Celle-ci rejoint Amisodar et lui demande de troubler les noces de Philonoë et Bellérophon. Amisodar lui propose de faire surgir un monstre furieux qui sèmera la désolation. (6) Resté seul, Amisodar fait se transformer le jardin en un une espèce de prison horrible, taillée dans les rochers et percée à perte de vue, avec plusieurs chaînes, cordages et grilles de fer qui la remplissent de toutes parts. Quatre magiciens et quatre magiciennes paraissent et témoignent, en dansant, l’ardeur avec laquelle ils se préparent à servir Amisodar. Celui-ci leur demande de faire sortir des monstres par leurs invocations. La terre s’ouvre et on en voit sortir trois monstres qui s’élèvent au dessus de trois bûchers, l’un en forme de dragons, l’autre de lion et le dernier de boue. Trois des magiciens montent dessus. Après quoi les quatre, qui ont déjà dansé, font une nouvelle entrée avec les quatre magiciennes, pour marquer leur joie de ce que le charme a réussi. Leur danse étant finie, les trois magiciens, qui sont sur les monstres, chantent alternativement avec les autres magiciens. Amisodar unit les trois monstres en un seul.
Acte III
(1) Argie se lamente des ravages causés par le monstre. Mais Sténobée ne goûte même pas sa vengeance. (2) Sténobée persuade le roi que Bellérophon est la cause des malheurs subis par la Lycie. (3) Bellérophon propose au roi venu consulter l’oracle d’Apollon, de combattre le monstre. (4) Philonoë est effrayée quand elle l’apprend. (5) Le sacrificateur invoque l’aide d’Apollon. Les signes étant favorables, le choeur du peuple marque son allégresse. L’autel qui a paru s’enfonce et la Pythie sort de son antre, les cheveux épars. En même temps, on entend de grands éclats de tonnerre : le Temple tremble et on le voit tout brillant d’éclairs. La Pythie annonce qu’Apollon va paraître. La Pythie se penche vers la terre, tandis qu’Apollon paraît en statue d’or et prononce l’oracle : un des fils de Neptune apaisera le monstre, mais la Princesse devra le prendre pour époux. La Pythie s’enfonce dans l’antre d’où elle est sortie. Apollon disparaît et le peuple se retire. (7) Bellérophon et Philonoë sont écrasés par l’oracle, et refusent d’être séparés.
Acte IV
Des rochers fort hauts et fort escarpés, couverts de sapins et d’autres solitaires. Au fond parait un rocher de la même hauteur et garni des mêmes arbres. Il est percé par trois grottes au travers desquelles on découvre un paysage à perte de vue
(1) Amisodar se réjouit à la vue des dévastations dans la mesure où il en recevra l’amour de Sténobée. (2) Argie vient lui transmettre la demande de Sténobée de faire disparaître le monstre, pour sauver Bellérophon. Amisodar ne peut s’y résoudre. Mais voilà qu’arrive le monstre. (3) Une Dryade et une napée se lamentent au spectacle du pays désolé. (4) Les Dieux des bois se joignent à elles pour déplorer le feu qui ravage leurs forêts. (5) Bellérophon annonce au Roi qu’il décidé de combattre le monstre pour l’amour de Sténobée. Il refuse d’accompagner le roi qui va sacrifier à Neptune.
Un paysage rempli de feu et de fumée, pour marquer le dégât que fait la chimère dans le pays
(6) Bellérophon se prépare à périr en combattant le monstre. (7) Pallas apparaît dans un char de nuages. En même temps paraît un autre char vide qui descend de l’autre côté. Pallas assure Bellérophon de son secours, et l’invite à monter dans le char vide. Il est enlevé avec Pallas. Le choeur, invisible, se lamente. Apparaît la Chimère, puis Bellérophon qui la combat, monté sur Pégase. A la troisième attaque, il la blesse à mort et disparaît dans les airs. Le choeur manifeste sa joie.
Acte V
Une avant-cour d’un Palais qui paraît être élevé dans la Gloire. On y monte par deux grands degrés qui forment les deux côtés de cette décoration en ovale et qui sont enfermés par deux grands bâtiments d’architecture d’une hauteur extraordinaire. Les deux degrés et les galeries qui les environnent sont remplis de peuples de la Lycie, assemblés en ce lieu pour y recevoir Bellérophon que Pallas doit ramener, après la défaite de la Chimère.
(1) Le Roi annonce que Pallas va ramener Béllérophon, que Neptune a reconnu pour fils, pour être l’époux de la princesse Philonoë. Celle-ci laisse éclater sa joie. (2) Sténobée survient et révèle qu’elle et Amodar sont à l’origine du monstre qui a ravagé la région. Elle annonce qu’elle s’est empoisonnée. Elle meurt. (3) Pallas arrive dans un char avec Bellérophon. Pallas confirme que Bellérophon est fils de Neptune et promis à la princesse. Bellérophon descend du char et Pallas est enlevée dans les airs. Le Roi annonce l’hymen et appelle aux réjouissances. Le choeur se réjouit : Le plus grand des héros rend le calme à la terre. Il fait cesser les horreurs de la guerre.
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Représentations :
Vienne – Theater an der Wien – 25 janvier 2011 – Les Talens Lyriques – Arnold Schoenberg Chor – dir. Christophe Rousset – avec Cyril Auvity (Bellérophon), Céline Scheen (Philonoé), Ingrid Perruche (Stenobée), Jean Teitgen (Amisodar), Evgueniy Alexiev (Jobate), Jennifer Borghi (Argie), Robert Getchell (La Pythie)
Beaune – Basilique Notre Dame – 24 juillet 2010 – Paris – Cité de la musique – 16 décembre 2010 – Opéra royal du château de Versailles – 17 décembre 2010 – Les Talens Lyriques – Choeur de Namur – dir. Christophe Rousset – avec Cyril Auvity (Bellérophon), Ingrid Perruche (Sténobée), Céline Scheen (Philonoé), Jennifer Borghi (Argie/Pallas), Evgueniy Alexiev, (Jobate/Pan), Jean Teitgen (Amisodar/Apollon), Robert Getchell (La Pythie/Bacchus) – recréation en première mondiale
Le Monde – Bellérophon » retrouve vie à Beaune
L’édition 2010 du Festival de Beaune a atteint son apogée, samedi 24 juillet, avec la « re-création » en version de concert de Bellérophon. Septième des quatorze tragédies lyriques de Lully (1679), elle restait la dernière à avoir échappé à la remise sur le métier du « renouveau baroque » lullyste, initiée dans le dernier quart de notre XXe siècle.
On peut à bon droit s’interroger : pourquoi a-t-on fait passer en dernier le héros corinthien qui vainquit la Chimère et chevaucha Pégase ? Après Atys, mais aussi Alceste et Phaéton, puis, tout au long des années 2000, Persée, Isis, Roland, Amadis, Proserpine, Thésée, Psyché, Armide, et même Cadmus et Hermione.
Une seule raison, semble-t-il : Bellérophon est la seule tragédie lyrique, avec Psyché (réduction de la pièce de Molière à un livret d’opéra), qui ne soit pas de la plume de Philippe Quinault (1635-1688), librettiste attitré de Lully, mais de Thomas Corneille, le petit frère du grand Pierre. Tout ça par la faute d’Isis, dont la création en 1677 avait provoqué une véritable cabale organisée par les détracteurs de la tragédie en musique. Un scandale public qui, assimilant le roi à Jupiter et la jalouse Junon à sa maîtresse en titre, Mme de Montespan, précipita l’exil de la belle nymphe Io, alias la dernière favorite du roi, Marie-Elisabeth de Ludres, ainsi que la disgrâce du malheureux librettiste. Lully dut se résoudre à choisir un autre compagnon de tragédie.
Certes, Thomas Corneille (1625-1709) n’a pas le savoir-faire quinaultien. La genèse de l’opéra est même fort laborieuse, l’implacable exigence du compositeur mettant son nouveau librettiste « à tout moment au désespoir », témoigne Lecerf de la Viéville dans sa Comparaison de la musique italienne et la musique française. « Pour cinq ou six cents vers que contient cette pièce, M. de Lisle (alias Thomas Corneille) fut contraint d’en faire deux mille… », précise-t-il. Corneille dut même se résoudre à demander de l’aide à trois auteurs. Lesquels, devant le triomphe remporté à la création de l’oeuvre, le 31 janvier 1679, à l’Académie royale de musique, revendiquèrent la paternité du livret – Boileau et Fontenelle, qui prétendirent chacun avoir tout réécrit, et… Quinault, lequel aurait en effet restructuré la tragédie.
Car Bellérophon est un des grands triomphes de Lully. L’opéra resta à l’affiche du 31 janvier au 27 octobre, faisant même l’objet de deux représentations officielles, le 31 mai pour M. le Dauphin et le 6 septembre pour la reine d’Espagne. Avant d’être repris l’année suivante, les 3 et 15 janvier à Saint-Germain devant le roi, qui « a trouvé des endroits si beaux, qu’il les fit répéter deux fois dans chaque représentation » (Le Mercure Galant de janvier 1680), puis à Lyon en 1688, et enfin à Paris en 1705, 1718 et 1728.
Pour ce Bellérophon 2010, la directrice artistique du Festival de Beaune, Anne Blanchard, a fait appel à un fidèle de la première heure, le chef d’orchestre et claveciniste Christophe Rousset, déjà auteur d’une re-création lullyste à Beaune en 2001 avec Persée, dont témoigne un enregistrement pour Naïve. Ce 24 juillet, le faste royal en moins mais la ferveur en plus, la réussite musicale a rejoint la légende de la création il y a plus de 300 ans, donnant à cette partition « perdue » un éclat, un relief et une jeunesse incomparables.
Car il y a belle lurette que le mythe de Bellérophon a cessé d’émouvoir nos maigres fantasmes allégoriques. D’autant que le vainqueur de Chimère et des Amazones (et surtout de la « princesse incomparable », Philonoé) ne connaît pas avec Lully la crise dont parle Horace dans le livre IV de ses Odes. Bellérophon, pour avoir voulu s’égaler aux dieux, fut puni par Zeus : un taon opportunément envoyé sous la queue de Pégase précipita le cavalier céleste sur la terre, où il finit ses jours aveugle, estropié et solitaire. C’est au contraire en glorifiant à outrance son Louis XIV-Bellérophon, héros de la guerre et de la paix, que Lully put paradoxalement reconquérir le doit à user de son librettiste favori, Quinault.
Pourtant l’oeuvre parvient à nous parler, autrement. Servie par une brillante et homogène distribution (où rivalisent le Bellérophon vaillant et juvénile de Cyril Auvity, la Sténobée grand style d’Ingrid Perruche et l’époustouflant Amisodar de Jean Teigten), par un Choeur de chambre de Namur et un orchestre des Talens lyriques visiblement inspirés. Et par un Christophe Rousset des grands jours, qui donne à entendre mieux qu’une belle exhumation, une véritable exultation musicale. Nul besoin de Dauphin ou de reine d’Espagne pour courir sus à ce Bellérophon, qui sera cet automne à la Cité de la musique, à Paris, avant l’Opéra royal de Versailles. »
Télérama – Lully ressuscité en majesté
« Créée à Paris en janvier 1679, Bellérophon, septième tragédie en musique de Lully — et l’une des plus accomplies — n’avait jamais été redonnée en France depuis la fin du XVIIIe siècle. Sa résurrection, en primeur au festival de Beaune, samedi 24 juillet, était l’un des événements musicaux majeurs de l’été. Et la consécration du soutien que, depuis presque trois décennies, le festival dirigé par Anne Blanchard apporte à ce répertoire, et aux interprètes qui le servent — en particulier aux Talens lyriques de Christophe Rousset, hôtes réguliers de la cité bourguignonne.
Avec Isis, tragédie lyrique créée deux ans plus tôt, Lully a senti passer le vent du boulet. Croyant se reconnaître dans le personnage de Junon, la belle Françoise-Athénaïs de Rochechouart, marquise de Montespan, s’est déchaînée contre le librettiste, le doux Quinault, que l’ire de la favorite a contraint à un exil temporaire. Le docile Thomas Corneille, frère de Pierre, assure l’intérim, sur un sujet mythologique qui, cette fois, ne prête à aucune ambiguïté satirique : la victoire de Bellérophon, fils secret de Neptune, sur la Chimère, un monstre qui dévaste les royaumes. Du prologue au chœur final, musique et paroles célèbrent à l’envi « le plus grand des héros », « le plus grand prince de l’Univers », au moment où les traités de Nimègue, imposés à l’Espagne et à la Hollande, consacrent Louis le Grand maître et arbitre de l’Europe.
En dramaturge consommé, Thomas Corneille double l’enjeu guerrier d’une intrigue amoureuse. Eprise sans succès de Bellérophon, qui lui préfère la jeune princesse Philonoé, la reine Sténobée, pour s’en venger, appelle à son secours le magicien Amisodar, qui a ses entrées aux enfers. Des flots du Styx et de ses affluents, le Cocyte et le Phlégéton, surgissent trois monstres ressoudés en un seul – la Chimère, corps de chèvre, tête de lion et queue de serpent. Son souffle carbonise forêts et campagnes.
Comme elle, Lully est un composé, la résultante de plusieurs forces musicales : le compositeur officiel des fanfares de batailles et autres pompes royales, l’invocateur farouche des plongées aux enfers, et le chantre élégiaque des désespoirs amoureux. Chaque acte illustre une facette de son talent. Au deuxième et au troisième, opère l’ordonnateur des sabbats diaboliques – dont l’écho se prolonge, via le Zoroastre de Rameau, jusqu’au chœur des prêtres de Pluton, au final des Troyens de Berlioz …
Le quatrième acte, lui, exhale les tendres plaintes, avec le lamento poignant de Bellérophon, résolu à périr (« Heureuse mort ») et le douloureux quatuor de dryades et de dieux des bois, déplorant les ravages commis par la Chimère (« Joignons nos soupirs et nos pleurs »). Godillot inconditionnel du pouvoir royal, Lully aurait-il été un humanitaire compatissant secrètement à la détresse des territoires nettoyés au karcher louis-quatorzien par les mercenaires de Versailles – mise à sac du Palatinat, exactions et autres dragonnades dans les fiefs huguenots des Cévennes ou du Poitou…
La république d’aujourd’hui n’ayant plus les moyens financiers de la monarchie d’autrefois, la distribution vocale de Beaune se réduit à sept chanteurs, pour plus de quinze rôles. Ce qui est perdu en diversité de timbres et de caractères est regagné en unité de style. Dominent le Bellerophon aussi vaillant que stylé de Cyril Auvity, un des ténors fétiche de Beaune, et la Sténobée, très Champmeslé, d’Ingrid Perruche. Mention particulière pour les pupitres masculins du Chœur de chambre de Namur, sollicités pour les basses-œuvres infernales.
La marine anglaise avait baptisé « Bellérophon » le navire de guerre qui, après la défaite de Waterloo, expédia Napoléon captif à Sainte-Hélène. Christophe Rousset et sa grande armée des Talens lyriques ont lavé l’affront infligé à l’orgueil national. Bellérophon est désormais synonyme d’une victoire musicale digne du soleil d’Austerlitz. »
Diapason – septembre 2010 – Ivres de Bellérophon
« A sa création, le triomphe du Bellérophon de Lully fut tel qu’il fallut interrompre les représentations au bout de neuf mois. Pour le jouer enfin devant le roi qui en fit, dit-on, rejouer plusieurs sections. Notre siècle prompt à exhumer n’a guère témoigné d’empressement à l’égard de cette tragédie en musique, alors que Lully fait jaillir du livret de Thomas Corneille un théâtre concentré et un orchestre acteur. Il était donc temps que le Festival de Beaune réveille le bel endormi, ses maléfices ou sa Chimère. Et plus encore Sténobée, figure digne de Phèdre dont la démesure inspira au surintendant des fulgurances rhétooriques inouïes.
Pour cette dernière, le métal presque anonyme d’Ingrid Perruche se féminise, frémit, se fend avec une vérité, une modernité de sentiment qui jamais ne contrarie le style. Exemplaire pour sa franchise de timbre et sa dicction, Cyril Auvity en vient pourtant à paraître univoque dans l’héroïsme comme dans la tendresse du rôle-titre. D’autant que Céline Scheen cisèle les courbes de Philonoé avec la légèreté d’une plume. Evgueniy Alexiev ne met pas tant de soin à Jobate, qu’il débite le nez dans ses notes, en voix de bois et accent exotique. Jean Teitgen déploie à l’inverse des harmoniques somptueux. Mais son chant a plus d’impact dans l’énigmatique oracle d’Apollon que dans les invocations du magicien Amisodar, où manque un tranchant qui en révélerait l’efffroyable ironie.
Ivres de cette recréation, les Talens Lyriques ont l’agile vélocité de Pégase quand Christophe Rousset, d’un geste qui est la concision même, exalte l’allégresse parfois redondante du divertissement, la claire vitalité du discours. Ceux qui n’ont pu voir renaître Bellérophon se précipiteront à Paris ou Versailles pour rencontrer enfin le héros. »
Opéra Magazine – septembre 2010
« Comme l’écrit si joliment et justement Vincent Borel dans le programme de la soirée : « Bellérophon naît du destin le plus honni des courtisans : la défaveur» – entendez par là la disgrâce qui frappa le librettiste favori de Lully, Philippe Quinault, accusé d’avoir brocardé la toute-puissante Montespan dans Isis. Ce qui amena le compositeur à collaborer avec Thomas Corneille (et Fontenelle, sans oublier, semble-t-il, Boileau !). À la création, en 1679, le succès fut au rendez-vous, et il perdura. Jusqu’à ce que l’oubli engloutisse le fougueux cavalier de Pégase.
Lully ayant, désormais, retrouvé le chemin des scènes lyriques, la résurrection s’imposait, d’autant que l’ouvrage était le seul à manquer à l’appel. Disons-le d’emblée: pas un instant, au cours du Prologue et des cinq actes de Bellérophon, on ne s’ennuie. Déjà, à l’époque, le Mercure de France soulignait, non sans raison, la solidité de l’intrigue. Amour (celui du héros pour Philonoé, fille du roi Jobate), jalousie (celle de Sténobée, éprise du jeune homme), fantastique (avec l’arrivée du mage Amisodar, auquel Sténobée demande de faire disparaître celui qui l’a repoussée, et qui, pour cela, fait naître la Chimère), suspense (qui va délivrer le pays du monstre ?), fin heureuse : comment mieux soutenir l’attention de l’auditeur ? Le Prologue, on s’en doute, par la bouche d’Apollon en personne, loue « le plus grand roi de l’unwers », autrement dit, Louis XIV.
Rien d’inutile dans tout cela, mais une nécessité dramatique constante. On sourit, on frémit, on s’émeut. L’opéra n’a sans doute pas la profondeur d’Atys, mais sa séduction est plus immédiate, et propre à séduire qui ne connaîtrait pas l’art du Florentin. La musique semble couler de source, variée, expressive dans la peinture des affects, colorée, irrésistible dans ses parrties chorales et chorégraphiques, animée dans les récitatifs, souple et flexible dans les airs. Lully est à son meilleur, qui n’ignore rien de l’aspect jubilatoire du théâtre. Christophe Rousset l’a bien compris, auquel on doit cette renaissance, bientôt enregistrée. Brillante et fine, la sonorité des Talens Lyriques illumine la parrtition, lui donne le lustre, l’éclat, la vie qu’elle mérite. Une ombre au tableau dans la distribution: Evgueniy Alexiev, sans cesse aux prises avec l’intonation et le style. Céline Scheen, Ingrid Perruche, Jennifer Borghi : le trio féminin est homogène, les voix sont fraîches, suffisamment différenciées, la caractérisation des personnages intelligente, en l’absence de l’aide qu’apporterait une mise en scène. Robert Getchell, Bacchus déluré, pourrait nimber la Pythie d’un plus grand mystère. Jean Teitgen, basse magnifique, à la ligne vocale parrfaitement contrôlée, campe un noble Apollon ; il est aussi Amisodar, un rôle qu’il ne charge jamais, mais auquel il pourrait conférer encore plus de noirceur. De ce chanteur, en pleine possession de ses moyens, on est en droit d’attendre beaucoup, dans des réperrtoires étendus et pourquoi pas jusqu’à Wagner ? Cyril Auvity trouve en Bellérophon un emploi idéal. Véritable haute-contre à la française, au registre aigu négocié avec une aisanœ déconcertante, diseur subtil, il possède la fougue, la jeunesse, l’aura poétique du fils de Neptune.
A quand, maintenant, le retour sur les planches? Les machines, les apparitions, les décors : on peut toujours rêver ! »
ResMusica
« L’équipe musicale est à la hauteur de cet enjeu. Le plateau vocal est dominé par Ingrid Perruche : disposant d’un registre grave charnu, cette talentueuse soprano compose une magnifique figure de femme ; elle sait en rendre les complexes facettes, agissant plus par petites touches successives qu’elle ne les brosse à grands traits. Parmi les autres membres de cette distribution, on signalera Céline Scheen, évidemment musicienne, même si, ça et là, demeurent de menues affèteries. On saluera la forte prestation qu’a proposée le Chœur de chambre de Namur : homogène, bien timbré, très dynamique et offrant une élocution impeccable, il est, assurément, l’autre chœur belge, avec le Collegium vocale Gent. Comme il en a la si remarquable habitude, Les Talens lyriques agit, non en ensemble, mais en véritable orchestre, au sens plein du terme. Christophe Rousset a livré une grande interprétation : cet ouvrage lyrique, que nous découvrions, est rendu avec un naturel si confondant qu’il est déjà un classique. »
extrait vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=P5SouOW4FEE
Rouen – Théâtre des Arts – 7 juin 1911 – extraits – dir. Charles Anfry – arrangement Julien Tiersot – avec June Damry (une Dryade, Pallas), Chardy (Bellérophon)