COMPOSITEUR | Niccolo JOMMELLI |
LIBRETTISTE | Pietro Metastasio |
Dramma per musica en trois actes, sur un livret de Métastase (1698 – 1782), créé à Padoue, au Teatro Obizzi, le 13 juin 1743.
L’oeuvre fut modifiée pour le Teatro Regio Ducale de Milan, le 27 janvier 1753, puis pour le Hoftheater de Stuttgart en 1764, et enfin pour le Teatro San Carlo de Naples, le 4 novembre 1770.
Le livret napolitain, imprimé par Francesco Morelli, est dédicacé à la famille royale d’Espagne : le roi Charles III, son fils Charles de Bourbon, la reine Amélie de Saxe, le prince des Asturies, futiur Charles IV, et le roi Ferdinand IV de Naples (1751 – 1825), autre fils de Charles III.
La distribution réunissait : le ténor Arcangelo Cortoni (Demofoonte), la ssoprano Marianna Bianchi, épouse Tozzi (Dircea), le castrat tarentais mezzo-soprano Giuseppe Aprile, dit Sciroletto (1732 – 1816) (Timante), le castrat contralto Pietro Santi (Matusio), Apollonia Marchetti (Creusa), Francesco-Paolo Agresti (Cherinto), le castrat soprano Tommaso Galeazzi (Adrasto), un ragazzo qui non parla (Olinto).
Les décors étaient signés de Antonio Jolli, de Modène et les ballets de Onorato Vigano.
Reprise à Lisbonne en 1775.
Personnages : Demofoonte, roi de Thrace, Dircea, épouse secrète de Timante, Creusa, princesse de Phrygie, Timante, suppposé prince héréditaire et fils de Demofoonte, Cherinto, fils de Demofoonte, Matusio, père supposé de Dircea, Adrasto, capitaine de la garde royale, Olinto, enfant, fils de Timante.
Synopsis
Démophon, roi de Chersonèse de Thrace, doit chaque année sacrifier une jeune vierge de son peuple. Il demande à l’oracle d’Apollon quand prendra fin cette cruelle exigence. L’oracle répond : « Quand l’innocent usurpateur d’un trône se connaîtra lui-même. » La suite de l’opéra donnera la solution de l’énigme. Démophon a des filles, mais il les a fait élever en lieu sûr, afin qu’elles échappent au sacrifice. Son ministre Matusio, qui a lui aussi une fille, Dircéa, veut faire de même, mais le roi, refusant le tirage au sort, condamne la jeune fille. Il ignore toutefois que Dircéa est mariée secrètement à son propre fils, Timante, héritier du trône, à qui il destine Creusa. Celle-ci est en fait aimée du fils cadet du roi, Cherinto. Creusa, offensée du dédain de Timante, veut s’en aller et repousser Cherinto. Démophon découvre alors le mariage secret de Timante et Dircéa. Il les condamne à mort, puis les gracie. Mais Matusio apprend, par une lettre de sa défunte femme, que Dircéa n’est pas sa fille, mais celle du roi : elle est donc la soeur de Timante. Heureusement, celui-ci apprend d’un document laissé par sa mère qu’il n’est pas fils du roi, mais de Matusio. Il peut donc aimer Dircéa sans obstacle, mais la prophétie se réalise : il était usurpateur sans le savoir, et le sacrifice des vierges peut donc cesser. Démophon donne Creusa pour épouse à Cherinto, son unique héritier légitime. (Dictionnaire chronologique de l’Opéra – Le Livre de Poche)
« Surprise d’emblée, avec la première aria bipartite du protagoniste, fondée sur le bithématisme dès la première section, enrichie d’interjections à l’orchestre, émaillée de pauses harmoniques recherchées, selon une articulation proche de la sonate, très en avance par rapport aux règles de l’époque en matière d’opéra. L’ampleur de la réforme jommellienne ressort dans le vertigineux deuxième acte (le premier s’était terminé sur un authentique terzetto), ouvert, dans la meilleure tradition, par un recitativo secco, mais qui se développe sur un mode narratif d’une modernité déconcertante, avec une utilisation exceptionnellement expressive du recitativo obbligato. C’est lui qui soutient le récit, qui lui donne une allure tour à tour pathétique et réaliste, les arie – pour certaines superbes -, ne s’éloignant pas des conventions de l’ère baroque. Le duetto belcantiste de la dernière scène annonce, par sa progression dans les sentiments et son pouvoir d’évocation, certans ouvrages de Rossini. » (Opéra International – juillet/août 1995)
Livret en français disponible sur livretsbaroques.fr
Livret (en italien) : http://www.liberliber.it/biblioteca/m/metastasio/index.htm
Livret original (Naples – 1770)
Représentations :
Salzbourg – Haus für Mozart – 29, 30, 31 mai, 1er juin 2009 – Palais Garnier – 13, 16, 18, 20, 21 juin 2009 – Ravenne – Teatro Alighieri – 3, 5, 7 juillet 2009 – Orchestra Giovanile Luigi Cherubini – dir. Riccardo Muti – mise en scène Cesare Lievi – décors Margherita Palli – costumes Marina Luxardo – lumières Luigi Saccomandi – avec Dmitry Korchak (Demofoonte), Josè Maria Lo Monaco (Timante), Valentina Coladonato (Cherinto), Antonio Giovannini (Matusio), Maria Grazia Schiavo (Dircea), Eleonora Buratto (Creusa), Valer Barna-Sabadus (Adrasto), Ginevra Mazzoni (Olinto) – version de 1770 – nouvelle coproduction avec Festival de Ravenne – Opéra National de Paris
Forum Opera – 13 juin 2009 – Muti imperatore
« Inspirée par la tragédie antique, l’histoire de Demofoonte roi du Chersonèse de Thrace qui doit chaque année sacrifier une jeune vierge de son peuple, comprend comme cela se devait dans l’opera seria une fin heureuse et une morale qui glorifie la justice des souverains. Elle connut un succès tel qu’elle fut utilisée par Vivaldi, Leo, Caldara, Gluck et Mozart qui, dans un courrier adressé de Naples à sa soeur, disait de Jommelli : « son style est beau mais trop élaboré et démodé pour le théâtre ».
Pour raconter cette intrigue sur fond d’oracle, de sacrifice humain, d’amour caché et de fausses identités, jusqu’à cette lieta fine attendue, Jommelli invente une partition exigeante au style sûr et très personnel. Si la forme où alternent récitatif accompagné et aria s’avère parfois contraignante, la spécificité de chaque morceau longuement développé et redoutablement écrit, dépeint avec acuité la psychologie des personnages, sans que les vocalises n’apparaissent artificielles ou décoratives.
A la fois serein et concentré, Riccardo Muti sait utiliser le potentiel des jeunes musiciens de l’Orchestre Luigi Cherubini (qu’il a fondé en 2004) réunis sur ce projet : on admire le geste constamment fluide et précis, la pâte, la technique grâce à laquelle le maestro imprime à ses pages ses intentions et sa forte personnalité, soutient chaque interprète et éclaire la musique de sa lumineuse intelligence. Dmitry Korchak, entendu en septembre 2007 à la Bastille dans Nemorino, s’empare ici du rôle-titre avec beaucoup de courage et affronte sa partie avec une voix à l’émission franche et une vocalisation adroite. Aussi honorable scéniquement que son ennemi, le Matusio du contre-ténor Antonio Giovannini se joue avec habilité des difficultés dont hérite ce personnage, à la différence de Valer Barna-Sabadus (Adrasto) dont l’instrument aigrelet et la technique précaire frisent l’amateurisme. Sans être exceptionnelle, la distribution féminine tient dignement son rang. Maria Grazia Schiavo ne possède pas un timbre unique, mais cette jeune artiste parfaitement préparée, défend avec assez d’émotion et de sang-froid Dircea, la jeune épouse secrète de Timante, confié à la fougeuse mezzo-soprano José Maria Lo Monaco qui peut compter tout au long de la soirée sur la générosité et le soutien sans faille du chef napolitain. La Creusa d’Eleonora Buratto parait souvent acide dans l’aigu mais malgré quelques incertitudes vient au bout de sa prestation, tout comme le valeureux Cherinto de Valentina Coladonato à l’expressivité parfois hésitante.
Classique et d’une grande élégance, la production de Cesare Lievi, proche dans son esthétique et son raffinement des spectacles de Pier-Luigi Pizzi et du couple Herrmann, avec ses colonnades et ses portiques blancs inversés, ses lumières somptueusement tamisées (Luigi Saccomodi), ses feuillages venus des cintres, offre un admirable contrepoint visuel à cette pièce majeure dont on se plait à suivre chaque rebondissement – jusqu’aux plus improbables – et que l’on quitte plus que satisfait : conquis. »
Concertclassic – Demofoonte au Palais Garnier – Jommelli ou la fin d’un monde
« Riccardo Muti est l’un des plus grands chefs d’orchestre actuels et il faut féliciter Gerard Mortier d’avoir réussi à l’attirer pour la première fois à l’Opéra de Paris pour sa dernière saison. On regrettera seulement que l’illustre maestro napolitain ne soit pas à la tête des forces vives de la maison pour quelque grand opéra du répertoire à la mesure de sa juste réputation. Au lieu de cela, il est venu à Paris avec un spectacle clef en main qui tourne en Europe du Festival de Pentecôte de Salzbourg à celui de Ravenne cet été, Demofoonte de Niccolo Jommelli, compositeur napolitain célèbre de son vivant dans toutes les cours d’Europe.
En Napolitain cocardier, Muti a opté pour la dernière version de l’ouvrage destinée au Théâtre San Carlo de Naples en 1770. N’empêche que ces 3h30 paraissent interminables et explique que quatre ans plus tard Gluck venu à Paris à l’invitation de son élève Marie-Antoinette, lancera sa fameuse réforme de l’opéra. Dix ans plus tard, en 1780, c’est Mozart qui révolutionnera et enterrera définitivement le vieil opera seria avec son Idoménée. Si le sujet des livrets reste toujours des princes et des reines qui ont des malheurs, la musique parvient enfin à individualiser les sentiments et à affirmer leur vérité au détriment des coups de théâtre téléphonés et de ces airs de fureur obligés.
Ce Demofoonte illustre donc à merveille l’état de décadence où était tombé en près de deux siècles l’opera seria italien depuis l’Orfeo de Monteverdi en 1607 ! Riccardo Muti est à la tête de son Orchestre de Jeunes Luigi Cherubini qui joue avec style et élégance, mais sur des instruments modernes ce qui, par comparaison, accentue encore l’aspect « vieillerie » d’une partition défendue par une distribution jeune et fraîche, certes, mais dont la voix la plus grave est le ténor qui défend le rôle-titre ! Ici, les princes sont travestis, les rois des hautes-contre dont les timbres se confondent fâcheusement avec ceux des sopranos et autres mezzos qui incarnent les héroïnes. A croire que Muti s’est converti à la mode baroque !
L’interminable succession d’arias da capo débouche sur la monotonie et l’ennui tout court. Si le palais classique renversé qui sert de décor unique témoigne d’une authentique élégance italienne, il demeure un cadre vide en raison de l’absence cruelle de direction d’acteurs. Mais l’action de Demofoonte le permettrait-elle ? Quand on se souvient des tragédies lyriques de Gluck ou de Cherubini retrouvant la vigueur de leur jeunesse révolutionnaire sous la baguette de feu de Muti au Mai de Florence, on enrage du choix d’un ouvrage aussi faible pour ses débuts à l’Opéra de Paris. »
Classique.news – Triomphe pour Muti
« … Le chef italien défend cette oeuvre avec une calme autorité, offrant à travers l’esthétique qu’il impose, un retour à une conception instrumentalement plus grandiose – voire romantique – de la musique dite baroque, loin de ceux qui, à travers une mode, s’en sont faits les défenseurs exclusifs à coup d’effectifs réduits et d’ensembles instrumentaux secs et rachitiques. Créé par le maestro, cultivé par lui, l’orchestre, composé uniquement de musiciens de moins de trente ans, affiche une superbe homogénéité et une ductilité de son rare, d’un équilibre tout classique, comme l’on n’en avait plus entendu dans ce répertoire depuis bien longtemps. Une esthétique aussi peu commune de nos jours peut malgré tout se voir reprocher les défauts de ses qualités: son léger manque de dynamisme et une certaine uniformité sonore.
La mise en scène imaginée par Cesare Lievi s’accorde parfaitement avec l’imaginaire sonore duquel elle s’inspire. Sobre, épurée, donnant à voir un splendide décor de palais antique déstructuré, quasi-surréaliste – miroir des tourments sentimentaux où se débattent les protagonistes –, elle se montre au service de la musique, parti-pris auquel le public actuel est peu habitué, mais qui s’avère indispensable au bon déroulement du projet imaginé par le chef. La direction d’acteurs est à l’avenant, permettant aux solistes de se concentrer avec sérénité sur leurs parties vocales, hérissées de difficultés et de pièges techniques.
La distribution affichée, réunie pour un soir seulement, composée exclusivement de jeunes chanteurs, s’avère plus discutable. Le Demofoonte du ténor Mario Zeffiri, au médium superbement timbré, affiche un registre aigu pour le moins étrange, émis dans un falsetto puissant et impressionnant, mais en totale rupture avec le reste des registres. Pour autant la témérité du chanteur, qui parvient, avec une superbe scénique digne du souverain qu’il incarne, vient à bout de ce rôle à l’écriture inhumaine pour un ténor moderne. L’écriture est en effet à mi-chemin entre le ténor aigu et le baryton, authentique baritenore, annonçant déjà les rôles qu’écrira plus tard Rossini pour cette tessiture. On ne peut s’empêcher de rêver et d’imaginer à ce que cette oeuvre aurait donné servie par de vrais gosiers de l’ampleur de Joan Sutherland ou de Chris Merritt – dont la tessiture ahurissante aurait convenu parfaitement à la démesure tragique et lyrique du personnage de Demofoonte.
La soprano Giacinta Nicotra, très crédible en Timante, s’en tire avec les honneurs de son rôle hybride – d’ailleurs confié à une mezzo dans la première distribution –, déployant une belle ligne de chant, malgré un vibrato un peu trop prononcé, et incarnant avec émotion ce prince éperdu d’amour. Cherinto, le jeune frère de Timante, est bien campé par Irini Kyriakidou, mais manque singulièrement de relief physique, à l’instar de l’Adraste de Pamela Lucciarini. Le contre-ténor Nicola Marchesini, dans le magnifique rôle du ministre Matusio, se révèle dans la lignée des falsettistes italiens, à l’étendue vocale stupéfiante, mais au timbre strident et dépourvu de toute rondeur, loin de la finesse musicale d’un Nicholas Spanos ou d’un Angelo Manzotti. Les deux seuls rôles de femmes de cet ouvrage sont, de très loin, les mieux servis. Barbara Bargnesi, donnant vie à la belle Dircea, peu en voix au début de la représentation, voit son chant s’embellir au fil du spectacle, se dotant peu à peu de superbes couleurs, et faisant montre d’un art consommé du pianissimo. Son incarnation scénique est par ailleurs d’une élégance et d’une finesse remarquable. Sa rivale, l’arrogante – mais sensible – Creusa, incarnée par Auxilidora Toledano, attire les regards dès son entrée par sa présence physique indéniable. Son timbre est beau, sa technique merveilleusement accomplie lui permet d’afficher une facilité éblouissante lors de ses périlleuses interventions vocales, et sa musicalité fait merveille. Un nom à suivre assurément.
La distribution est inégale, mais riche de promesses. Reste Riccardo Muti : le véritable maître d’œuvre de cette soirée, très attendu et au triomphe mérité. Porteur et acteur du défrichement patrimonial napolitain, Riccardo Muti importe ainsi son savoir faire de Naples dont il est natif (il y est né en 1941), à Salzbourg et donc Paris. La production a été présentée précédemment lors du Festival de Pentecôte de Salzbourg, en mai 2009. Doté d’un charisme hors du commun, il tient véritablement les rênes du projet tout entier. De ses gestes amples et mesurés, il soutient les chanteurs comme les musiciens, les conduit, les guide en véritable maestro concertatore, usant de son pouvoir ensorcelant pour obtenir d’eux le meilleur de leur talent. »
Diapason – septembre 2009
« … Il n’est pas dit que cette lecture rendra à Jommelli la réputation qui était alors la sienne. Le peu d’atttrait de Muti pour la révolution baroqueuse est notoire et, pour des oreilles désormais habituées à une autre esthétique, son approche legato cantabile sonne étonnamment passéiste. On admire un temps la rondeur sonore des jeunes virtuoses de l’Orchestre Luigi Cherubini, toutefois cette plastique dénuée de tout affect génère vite l’ennui. La distribution, moyenne, d’où se détachent Dmitry Korchak et Maria Grazia Schiavo, aurait pu briller davantage, en compagnie d’un chef baroque, mais se trouve étouffée sous une direction sans contraste ni raptus. »
Opéra Magazine – septembre 2009
« … ce dramma per musica est d’un abord nettement plus difficile que les burlette de Cimarosa et de Paisiello qui ont précédé. Transposée de la Haus für Mozart au centre de la scène nettement plus grande d’ouverture de Garnier, l’œuvre prenait aussi le risque d’être perçue de plus loin, au propre et au figuré, dans un contexte artistique et culturel complètement différent. Moins pour la grandeur même de la salle pourtant (le San Carlo de Naples n’est pas moins vaste, où la quatrième version de Demofoonte retenue par Muti a été créée en novembre 1770, dans des conditions hautes en couleur rapportées par Charles Burney : «La grandeur du bâtiment et le bruit de l’auditoire sont tels que l’on ne peut entendre distinctement ni les voix ni les instruments»), que parce que l’opéra métastasien, malgré ses ascendances cornéliennes, est aussi éloigné de la tradition française que de l’esprit parisien d’aujourd’hui. On l’a bien vu quand le public, après être resté plutôt déconcerté à l’exposé du drame, s’est esclaffé aux retournements de situation du II et aux péripéties de reconnaissance du III, comme devant les ficelles trop voyantes d’un gros mélo, alors qu’il s’agit d’un topo du genre, qui a ses lois et ses convenances, tout comme la tragédie lyrique à la française, dont personne ne rit plus.
Sur le plan visuel, le spectacle avait pourtant de gros atouts, avec le très beau décor de Margherita Palli, dont la boîte scénique citait une estampe célèbre de Maurits Cornelis Escher et ses perspectives d’architeccture paradoxales (Autre Monde, 1947), pour offrir une pièce unique à fond et côté variables – dont on aurait attendu pourtant qu’elle se mette en mouvement et pivote sur ses axes, là où le statisme a au contraire prédominé, de même qu’une volumétrie nettement affirmée qui pesait par moments, malgré les éclairages très raffinés de Luigi Saccomandi. La mise en scène de Cesare Lievi n’a pas tiré parti de ce que lui offrait ainsi généreusement sa décoratrice, et les costumes tout aussi pertinents de Marina Luxardo.
Dans une conception d’ensemble trop sage, suivant fidèlement la lettre du livret, mais sans s’attacher à ses audacieuses virtualités (mariage et maternité illégitimes, inceste apparent, situations cruelles vécues non sans complaisance … ), une direction d’acteurs plus vigoureuse (les combats et bouleversements de la fin du II sont restés bien timides) aurait sans doute aidé aussi à faire vivre des airs généralement très longs, qui pouvaient apparaitre comme autant de tunnels. En souffrait particulièrement le rôle-titre, dont la personnalité est restée incertaine, et qui peinait notamment à faire passer sa grande aria allégorique du II, au texte ingrat célébrant les mérites du cultivateur, en déambulant seul face à la salle.
Jommelli nous est aujourd’hui en partie connu par le disque. Demofoonte nous a montré un compositeur bien différent du préclassique ou néoclassique encore décrit dans les livres, mais pas non plus un baroque aux reliefs puissants et à l’énergie conquérante d’un Haendel, auquel le public français est aujourd’hui ‘acclimaté. Un musicien très typique au contraire de l’Empfindsamkeit du milieu du siècle, multipliant les inflexions et les sautes d’humeur, pour une peinture psychologique raffinée de ses héros, Dircea et Timante avant tout. La date de 1770 est ici très trompeuse (les remaniements de Jommelli ont d’abord consisté à couper largement les airs et à tenter de s’adapter à un public nouveau et moins cultivé, en inclinant à la comparaison avec le Mitridate mozartien et en accenttuant injustement le passéisme de l’œuvrev; c’est bien à 1743, année de la première version, qu’il faut remonter et l’on est souvent très proche en effet, dans la légère et presque joyeuse sinfonia pour commencer, de l’intermezzo voisin dans le temps (1749) Don Trastullo, révélé par Antonio Florio chez Opus 111. Cette erreur de perspective explique sans doute un succès relatif. Dans la distribution, on donnera la palme à la vibrante Dircea de la soprano Maria Grazia Schiavo, pour sa voix richement timbrée, une expressivité de tous les instants et une impeccable vocalisation. Idéalement accordée avec elle, la mezzo José Maria Lo Monaco est également une actrice enngagée et persuasive. Eleonora Buratto a su traduire avec autorité le revirement de Creusa, d’abord d’une fureur outragée puis apitoyée et révélant sa tendresse, Valentina Coladonato incarnant un Cherinto au timbre velouté, d’une belle et noble virilité. Le ténor russe Dmitry Korchak a suscité d’abord quelques réserves injustes, sans doute en raison d’une vocalisation moins facile et l’exploitation sans compter d’un aigu percutant, pour rallier finalement les suffrages. Les contre-ténors, en revanche, ont paru un peu légers.
Pour son entrée paradoxale à l’Opéra de Paris, où on l’attendait depuis longtemps pour un grand Mozart ou un grand Verdi, et qui lui aura valu au contraire quelques éreintages bien parisiens eux aussi, Riccardo Muti enfin, avec son jeune orchestre ardent et dévoué (Orchestra Giovanile Luigi Cherubini) nous a une fois de plus comblés par la pertinence d’une direction à la fois ferme et fluide, à l’écoute de la fine sensibilité de l’œuvre. »
XIIe Festival de Crémone – Teatro Ponchielli – 3 mai 1995 – Festival de Schwetzingen – 22 et 23 mai 1995 – version de concert – dir. Fred Bernius – avec Martina Borst (Timante), Petra Hoffmann (Dircea), Helene Schneidermann (Creusa), Robert Expert, Peter Grönlund (Demofoonte), Randall Wong, Max Emanuel Cecic
« Le plateau, homogène, est dominé par le superbe Timante de Martina Borst (véritable protagoniste de l’opéra sur le plan musical avec deux récitatifs presque beethovéniens au dernier acte), sous la baguette toute de vitalité passionnée de Frieder Bernius qui, toujours sur instruments anciens, a déjà dirigé, à Stuttgart, un autre chef-d’oeuvre méconnu de Jommelli, Vologeso. On retient encore la jolie Dircea de Petra Hoffmann, l’élégant Demofoonte du ténor Peter Grönlund, la délicate Creusa de la soprano Helene Schneidermann, et le trio techniquement sûr, des jeunes contre-ténors Randall Wong, Robert Expert et Max Emanuel Cecic. » (Opéra International – juillet/août 1995)