Au clair de la lune : légende ou réalité ?

C’est une bien belle histoire que celle qui ferait de Lully le compositeur de la musique de la plus célèbre des chansons enfantines françaises, et de celle-ci le premier tremplin du Florentin vers la gloire que l’on sait. Une histoire tellement invraisemblable qu’on a envie d’y croire !

Elle réunit, en 1646, un jeune marmiton à l’accent italien, un petit mitron, un pâtissier-poète, et un écrivain public.

Le marmiton s’appelait Gianbattista Lulli. Ramené de Florence par Roger de Lorraine, à la demande de la duchesse de Montpensier, cousine de Louis XIV, qui s’était mise dans la tête d’apprendre l’italien, il s’était retrouvé…aux cuisines.

Il se désolait de sa situation et s’en entretenait avec un jeune garçon, fils de boulanger, qui livrait chaque matin des petits pains aux Tuileries. Bonne pâte, ce mitron du nom de Philippe Quinault, ne demandait pas mieux que lui venir en aide, lui qui bénéficiait de la protection du poète Tristan Lhermite. Il suggéra à Lulli d’écrire une supplique à la duchesse.

Pourquoi pas, mais qui allait l’écrire ? On conseilla à Lulli de s’adresser à un écrivain public du nom de Pierre Janrat, rue de Grenelle, dont l’échoppe jouxtait celle d’un pâtissier nommé Crêpon, qui était réputé autant par son habileté à manier les vers que pour la qualité de ses gâteaux.

Un soir, tard, après son service, Lulli vint solliciter l’écrivain public ou le pâtissier-poète, mais trouva porte close. Qu’à cela ne tienne ! il tira de son violon une sérénade qui eut le don de charmer le pâtissier, qui se résolut à aider le jeune garçon. Mais ne trouvant pas de quoi écrire, et sa chandelle ayant été éteinte par un courant d’air, il alla frapper chez son voisin l’écrivain public. Celui-ci, irrité d’être ainsi réveillé, demanda ce qu’on lui voulait. Crêpon déclama alors en vers :

« Au clair de la lune, Mon ami Pierrot, Prête-moi ta plume, Pour écrire un mot,

Ma chandelle est morte, Je n’ai plus de feu, Ouvre-moi la porte, Pour l’amour de Dieu. »

Ce à quoi Janrat répondit :

« Au clair de la lune, Vite déguerpis, Je n’ai pas de plume, Je suis dans mon lit.

Va chez la voisine, Je crois qu’elle y est ! Car dans sa cuisine, On bat le briquet ! »

Pour consoler le pâtissier dépité, Lulli lui fit répéter son couplet, et l’accompagna d’une mélodie improvisée : la chanson était née.

L’histoire pourrait s’arrêter là, mais elle a une suite, tout aussi improbable…

C’est ainsi que, le lendemain, dans les cuisines de la duchesse de Montpensier, alors qu’on s’affairait pour préparer le dîner auquel celle-ci avait invité le cardinal Mazarin, Lulli, à la demande de Quinault, tira son violon pour jouer la fameuse chanson qui lui trottait par la tête. Bien vite, tous les cuisiniers, marmitons, gâte-sauces et autres vaisselières se joignirent à eux, en sorte que le dîner en fut complètement oublié, provoquant la colère de la duchesse. Le coupable fut bien vite traîné devant les invités pour y être réprimandé. Mais c’était sans compter sur la protection du comte de Nogent qui intercéda en sa faveur et lui permit de reprendre son violon. Faut-il préciser que le jeune Florentin sut déployer tous ses charmes, jouant, chantant et dansant, obtenant son pardon et faisant ainsi son entrée dans le grand-monde…pendant que, dans les cuisines on improvisait à la hâte un nouveau dîner.

Il y a toujours des briseurs de rêves. Ainsi certains soutiennent que la chanson « Au clair de la lune » ne vit le jour que dans les années 1790, et que la musique est dérivée d’une contredanse intitulée « La Rémouleuse », puis « En roulant ma brouette »… Beaucoup moins poétique !

Certains poussent même le vice juqu’à prétendre que les paroles de la chanson ne seraient pas si innocentes, notamment le deuxième couplet. « Battre le briquet » ne signifierait pas seulement frapper un silex avec une pierre à feu pour obtenir une étincelle, mais désignerait aussi les ébats amoureux.

C’est bien possible, mais…pourquoi dans la cuisine ?

Jean-Claude Brenac – Septembre 2005

d’après « Lully, petit violon du roi » – G. Guillemot-Magitot – 1959