Autour de la Pastorale d’Issy

On le sait, la Pastorale d’Issy, poème de Pierre Perrin et musique de Robert Cambert, fut représentée un jour d’avril 1659, dans la maison de campagne – on disait alors maison des champs – de monsieur de la Haye.

Arthur Pougin, un des premiers à s’être penché sur les débuts de l’opéra français (1), s’est demandé qui pouvait être ce monsieur de la Haye. Après avoir éliminé trois porteurs de ce nom – un ancien ambassadeur à Constantinople, un prévôt de Chateau-Thierry, et un commis du grand arpenteur – il s’est résolu à retenir comme meilleure hypothèse le fils de François de la Haye, maréchal des salles des filles damoiselles d’honneur de la reine Anne d’Autriche (sic). Il appuyait ce choix en évoquant certains chroniqueurs – il est bien dommage qu’il ne dise pas lesquels ! – qui donnent au possesseur de la fameuse maison d’Issy le titre de maître d’hôtel de la reine-mère.

Selon Pougin, le fameux M. de la Haye serait donc maître d’hôtel d’Anne d’Autriche, et serait le fils de François de la Haye, maréchal de salles des filles d’honneur de cette même Anne d’Autriche.

Ce beau raisonnement est maheureusement infirmé par une note rappelant que Charles Perrault, dans ses Mémoires, relate que la Pastorale fut chantée dans la maison d’un orfèvre.

Le débat est lancé : maître d’hôtel de la reine ou orfèvre ?

Quelques années après Pougin, Charles Nuitter et Ernest Thoinan (2), plutôt bien informés, optent pour la seconde qualification : De La Haye, orfèvre du Roi, comme son père. Ils seront suivis par Jean Gourret (3).

A l’inverse, Lionel La Laurencie (4) reprend l’hypothèse du maître d’hôtel de la reine Anne d’Autriche.

Le débat n’est toujours pas tranché, et aujourd’hui, selon les auteurs, l’une et l’autre des hypothèses reviennent indifféremment.

On peut apporter à ce débat les éléments d’information qui suivent.

Au XIVe siècle, était présente à Issy, depuis trois siècles, une famille de bourgeois, nommée Vaudétard. Elle s’illustra notamment par la personne de Jean de Vaudétard, valet de chambre du roi Charles V, et anobli par lui en 1371. Elle acquit des droits seigneuriaux de l’Abbaye de Saint-Magloire qui lui confia l’administration de son fief (5). En 1538, la lignée des Vaudétard s’éteignit, et le domaine fut dévolu à un Conseiller du roi, François de la Haye, qui s’empressa d’ajouter à son nom celui de Vaudétard, en signe de sa réussite sociale.

Jean de la Haye, qui était orfèvre du roi, se sépara du domaine en 1609, lorsque Marguerite de Valois, la fameuse reine Margot, première épouse de Henri de Navarre, voulut agrandir son premier château, qui était voisin. Le domaine changea encore de mains en 1622 au profit de Jean de Choisy, père du fameux abbé de Choisy, puis en octobre 1659 au profit de M. de la Bazinière. Le site est actuellement occupé par le Séminaire St Sulpice.

Selon les sources réunies par la commune d’Issy les Moulineaux, la propriété où fut chantée la Pastorale (6) appartenait à René de la Haye, orfèvre du roi, et portait le nom de Petit Logis de Vaudétard, à l’emplacement de l’actuelle école Saint Nicolas. On peut donc supposer que Jean de la Haye n’avait pas vendu la totalité de son domaine et en avait conservé une partie, qui demeura dans la famille de la Haye.

René de la Haye était-il le même que celui qui réalisa, en 1623, la châsse de Saint-Éloi, qui fut exposée sous le maître-autel de la cathédrale de Noyon ? Sans doute pas, mais il est établi que les De la Haye était orfèvres de père en fils. En 1711, on trouve encore la trace d’un Pierre de la Haye, marchand orfèvre joaillier et graveur de sa Majesté, dont la fille épouse aussi un orfèvre.

On est donc enclin à privilégier l’hypothèse selon laquelle le propriétaire de la maison d’Issy où fut chantée la Pastorale était orfèvre du roi, comme le mentionne Charles Perrault. Mais que faire de l’hypothèse selon laquelle il était maître d’hôtel de la reine-mère ?

Un élément est apporté par l’examen des membres de la Maison de la reine-mère et de la reine. En 1663, on ne trouve aucun de la Haye comme maître d’hôtel dans la Maison de la Reine-mère. En revanche, on trouve dans la Maison de la reine Marie-Thérèse, un M. de Vaudetar servant comme maître d’hôtel par quartier (premier trimestre de l’année). Il est encore présent en 1674 et en 1683 sous le nom de M. de la Haye de Vaudétar (ou Vaudétard).

Il est regrettable qu’on ne dispose pas du détail de la Maison de la reine-mère avant le mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse d’Autriche. M. de Vaudétar peut très bien avoir été maître d’hôtel chez la reine-mère, puis passer au service de la reine. Par ailleurs, les états des Maisons de la reine ne mentionnent malheureusement pas les prénoms.

Faut-il trancher ? Pas forcément. Les cas abondent de personnages de la cour titulaires de plusieurs charges. M. de La Haye peut très bien avoir été orfèvre du Roi et maître d’hôtel d’Anne d’Autriche, puis de la Reine.

Reste à expliquer comment M. de La Haye fut conduit à héberger dans sa propriété d’Issy les représentations de la Pastorale de Perrin et Cambert. C’est une question que peu se sont posé, et qui n’a encore trouvé aucun début de réponse.

Jean-Claude Brenac – Mai 2011

 

(1) Les Vrais créateurs de l’opéra français – 1881

(2) Les Origines de l’opéra français – 1886

(3) Ces hommes qui ont fait l’opéra – 1984

(4) Les Créateurs de l’opéra français – 1930

(5) le fief de Vaudétard s’étendait autour de l’actuel hôpital Corentin Celton. Une rue Vaudétard en rappelle aujourd’hui l’existence.

(6) A noter que il existe aujourd’hui à Issy les Moulineaux, une rue de la Pastorale d’Issy, voie moderne ainsi baptisée en avril 1987.