Don Chisciotte della Mancia in Sierra

COMPOSITEUR Francesco Bartolomeo CONTI
LIBRETTISTE Apostolo Zeno et Pietro Pariati

Tragicommedia en cinq actes, sur un livret d’Apostolo Zeno et Pietro Pariati, d’après Don Quichotte de Cervantès (1605), représentée à la cour de Vienne le 6 février 1719.
L’oeuvre eut beaucoup de succès et fut traduite en allemand. Elle fut représentée vingt-cinq fois en dehors de Vienne, notamment à Hambourg.
Il y eut notamment des reprises à Brunswick durant l’hiver 1720, l’été 1721et en 1738, ainsi qu’à Hambourg en 1720 (avec des airs de Mattheson) et en 1722.

« Le livret conte les extravagantes aventures du chevalier Don Quichotte, amoureux imaginaire de Dulcinée, de l’infortuné Cardenio amoureux de Lucinda et de Dorotea trahie par son séducteur. Don Quichotte est considéré comme l’un des grands succès que remporta le compositeur de son vivant. À tel point populaire qu’il influença fortement celui éponyme de Telemann. Conti montre dans ses compositions un don inimitable pour dépeindre en musique les situations comiques ou dramatiques. Ainsi Mattheson notait avec admiration qu’à la seule lecture de la partition, il ne pouvait s’empêcher de rire. » (Festival de Beaune)

Représentations :

Bruxelles – La Monnaie – 29 juin 2010 – version de concert – Akademie für Alte Musik Berlin – dir. René Jacobs avec Stéphane Degout (Don Chisciotte), Inga Kalna (Dorotea), Rosemary Joshua (Lucinda), Christophe Dumaux (Fernando), Bejun Mehta (Cardenio), Mark Tucker (Lope), Johannette Zomer (Ordogno), Marcos Fink (Sancio Pansa), Judith van Wanroij (Maritorne), Dominique Visse (Rigo), Geoffrey Dolton (Mendo)

 

La Libre.be

« La version concert qui fut proposée mardi dernier au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (production Monnaie) concluait une série de représentations scéniques données au Stadschouwburg d’Amsterdam, cela s’est vu et entendu !
Musique rodée, échanges vifs entre l’orchestre et les chanteurs – ces derniers chantant de mémoire -, mise en espace efficace du Britannique Frederic Wake-Walker, on en serait venu à se dire que la meilleure mise en scène c’est quand il n’y en a pas Encore faut-il l’essentiel : des interprètes de valeur. C’était le cas, tant du côté des musiciens, les fidèles de l’Akademie für alte Musik Berlin – parmi lesquels Marie-Ange Petit, au tambour et aux castagnettes, et Shizuko Noiri, au luth, firent la joie du public -, que du côté des chanteurs, à commencer par le tenant du rôle titre, le baryton français Stéphane Degout, dont la voix semble avoir encore gagné en puissance et en beauté, et magnifique comédien.
Dans ce « Don Chisciotte » de Conti aussi pétillant et burlesque que le « Don Quichotte » de Massenet est édifiant et sentimental, les aventures du chevalier à la triste figure servent de fil conducteur à une autre intrigue, ou deux couples « nobles » et un couple « populaire », se livrent à d’âpres chassés croisés jusqu’à ce que chacun retrouve sa chacune dans la joie de l’amour retrouvé (« Cosi » à l’envers ) et Don Chisciotte, sa folie ordinaire. L’écriture musicale, essentiellement dictée par l’action, regorge d’évocations, de rebondissements, de subtilités en tous genres : Jacobs y jette son génie du théâtre, organisant de drame, mêlant le rire aux larmes, ouvrant la brèche à toutes les émotions !
Les chanteurs font le reste, qu’il importe de tous mentionner : les sopranos Inga Kalna (voix sublime), Gillian Keith, Judith Van Wanrooij et Johannette Zomer (travesti), les contreténors Bejun Mehta, Chistophe Dumaux (les stars) et Dominique Visse (le pitre), le ténor Mark Turcker, les basses Marcos Fink (Sancho) et Geoffrey Dolton. Quatre heures de bonheur total. A quand l’enregistrement ? »

Amsterdam – De Nederlandse Opera – 20, 21, 23, 24, 26, 27 juin 2010 – Akademie für Alte Musik Berlin – dir. René Jacobs – mise en scène Stephen Lawless – décors Benoît Dugardyn – costumes Lionel Lesire – chorégraphie Lynne Hockney – avec Nicolas Rivenq (Don Chisciotte), Inga Kalna (Dorotea), Rosemary Joshua (Lucinda), Christophe Dumaux (Fernando), Bejun Mehta (Cardenio), Mark Tucker (Lope), Johannette Zomer (Ordogno), Marcos Fink (Sancio Pansa), Judith van Wanroij (Maritorne), Dominique Visse (Rigo)

 

Vienne – Semperdepot – 18, 21, 23, 24, 26, 28 février 2009 – Musica Poetica Wien – dir. Huw Rhys James – mise en scène Nicola Raab – décors Duncan Hayler – costumes Linda Redlin – lumières Stefan Pfeitslinger – avec Owen Gilhooly (Don Chisciotte), Rebecca Ryan (Dorothea), Ruby Hughes (Lucinda), Clint van der Linde (Fernando), Denis Lakey (Cardenio), Giulio Mastrototaro (Sancho Pansa), Marcel Beekman (Lope), Dominik Rieger (Mendo), Ulla Pilz (Maritorne), Gottfried Falkenstein (Rigo)



Beaune – Cour des Hospices – 23e Festival d’Opéra Baroque – version de concert (première exécution en France) – 2 juillet 2005 – Festival d’Innsbruck – Tiroler Landestheater – 13, 16, 22, 24, 26 août 2005 – Akademie für Alte Musik Berlin – dir. René Jacobs – mise en scène Stephen Lawless – décors Benoit Dugardyn – costumes Lionel Lesire – avec Nicolas Rivenq (Don Chischiotte), Fulvio Bettini (Sancho), Franco Fagioli (Cardenio), Inga Kalna (Dorotea), Maria Streijffert (Fernando), Olga Pasichnyk (Lucinda), Gaële le Roi (Maritorne), Dominique Visse (Rigo), Sunhae Im (Ordogno), Johannes Chum (Lope)


Opéra Magazine – novembre 2005 – 13 août 2005

« Créée à Vienne en 1719 sur un livret de Pietro Pariati et Apostolo Zeno, les poètes de la cour, cette tragi-comédie offre une grande variété de situations et d’affects répartis entre personnages sérieux (Cardenio, Femando ou Lucinda) et comiques (Sancio Pansa, Maritome…). Quant au rôle-titre, il porte toute l’ambiguïté propre au genre, la musique qui lui est confiée s’affirmant souvent superbe quel qu’en soit le style. Les quelques (habituels) aménagements de la partition pratiqués par René Jacobs passent à peu près sans difficulté, même si le recours à l’orgue dans le continuo pourrait probablement être longuement discuté. Ils sont même efficaces, car liés à l’action scénique.
Inspiré par la célébration de l’anniversaire de la publication de Don Quijote, Stephen Lawless conçoit son spectacle comme un hommage à la littérature. Avant même le lever de rideau, nous sommes plongés dans l’ambiance une plume et un encrier géants sur le côté, le rideau lui-même reproduisant la dernière page de l’ouvrage de Cervantès. Une fois dévoilé, le décor se révèle composé de livres géants, alignés comme sur des étagères ou entassés. Sur leur tranche, les noms de Shakespeare, du Tasse ou de Kafka, mais aussi de Souvestre et Allain (créateurs de Fantômas) et de Tolkien… Certains interprètes, chanteurs ou danseurs, apparaissent par ailleurs sous les traits de personnages célèbres : Robinson Crusoé pour Cardenio, Sherlock Holmes et le docteur Watson pour Lope et Ordogno, ou, parmi les figurants, le Petit Chaperon rouge et les Trois Mousquetaires. Harry Potter fait même son apparition à la fin. Les choix du metteur en scène sont fortement affirmés et, du coup, l’oeuvre conçue par Conti semble disparaître durant les premières scènes. On craint même que la production, un peu à l’image de la ville qui l’accueille, ne soit que belle, colorée et un brin ennuyeuse… Au fil de la soirée, pourtant, l’intelligence et la finesse du propos ressortent, et les personnages retrouvent leur verité. La profondeur de leurs sentiments, comme l’ironie et le comique de certaines situations, sont très bien mis en valeur.
Sous la direction de René Jacobs, l’Akademie für Alte Musik Berlin joue avec virtuosité et brio. De la nombreuse distribution, de bon niveau mais rarement exceptionnelle, on peut tout de même distinguer la prestation brillante de la soprano ukrainienne Olga Pasichnyk, parfaitement distribuée ici, sans oublier l’incarnation simplement idéale de Nicolas Rivenq dans le rôle-titre. Après le très beau finale de ce spectacle riche, lorsque les amoureux sont de nouveau réunis et que Don Chisciotte est laissé à sa folie, nous sommes distraits, intéressés et émus. Que demander de plus ? »

Goldberg – octobre 2005 – 2 juillet 2005

« …la leçon de théâtre est prodiguée, encore, toujours, par René Jacobs, ressuscitant avec son infaillible sens de la couleur Don Chisciotte in Sierra Morena de Fran­cesco Bartolomeo Conti, tragicommedia égarée en un siècle où seria et buffa ne faisaient plus bon ménage. L’invention théâtrale, musicale se trouve bridée par le concert, qui expose des récitatifs un rien hésitants. Mais la distribution, pléthorique, est solide, avec pour atout majeur, le Cardenio du jeune prodige Franco Fagioli et le tempérament étourdissant d’Inga Kalna. Dans le rôle éponyme taillé en deux clefs aux mesures de l’immense Francesco Borosini, Nicolas Rivenq trébuche souvent, mais l’emporte assurément par la conviction et la silhouette. »

ResMusica – Don Quichotte, un jeune homme de 400 ans – 16 août 2005

« Francesco Conti, virtuose du théorbe, a réalisé l’intégralité de sa carrière à Vienne au service de l’Empereur Charles VI de Habsbourg, au point qu’il était un parfait inconnu dans sa péninsule natale. Dès son entrée en fonction, en 1701, il s’est imposé comme un compositeur d’opéras et d’oratorios majeur de la ville du Danube. Composé en 1719, Don Quichotte à Sierra Morena, remporta d’emblée un grand succès et fut même repris à Hambourg en 1722 avant de tomber dans l’oubli, le compositeur, comme tant d’autres, étant victime du succès de Haendel. L’œuvre influencera même Telemann lors de l’écriture de son opéra éponyme. Il fallut attendre 1987 et une réalisation du Festival de Buxton pour retrouver l’œuvre à l’affiche. En 1992, René Jacobs était déjà à la tête d’une production de l’œuvre pour le Festival d’Innsbruck (mise en scène de Jean-Louis Jacopin et décors de Roland Topor). Cependant, en raison des exigences de la télévision autrichienne, l’œuvre fut grandement amputée pour être réduite à deux heures et demie. Cette année, le chef belge qui a coupé quelques récitatifs, nous offre une version d’une durée d’environ trois heures trente qui comporte la quasi-intégralité des airs et la totalité des ballets.
L’œuvre passe parfaitement l’épreuve de la scène. La structure dramatique est d’une redoutable efficacité alors que la musique se révèle pugnace et dynamique particulièrement dans les nombreuses scènes comiques. Les personnages sont solidement construits tant par leurs aspects humoristiques que par leurs caractéristiques tragiques. Il n’y a aucune faiblesse dans l’histoire qui nous narre les aventures de Don Quichotte amoureux imaginaire de Dulcinée mais aussi les pérégrinations de Cardeno amoureux de Lucinda et celles de Dorothea trahie par son séducteur.
La distribution composée par René Jacobs est d’un très haut niveau. Déjà réunie pour l’ouverture du Festival de Beaune, l’équipe arrive sur les bords de l’Inn particulièrement rodée. Grand triomphateur de la soirée, le baryton Nicolas Rivenq est le Don Quichotte idéal. Le timbre est rayonnant, la technique admirable et le jeu scénique parfait. Le Français, a déjà abordé le rôle en 1992, et il réussit à rendre toutes les facettes de son personnage aidé par un physique longiligne qui colle idéalement à la silhouette du héros. Son Sancho, le baryton Fulvio Bettini ne s’épargne pas : il court, il danse et il chante ! Ce chanteur ravit le public par sa maîtrise des airs les plus délicats comme dans le final déchaîné de l’acte II. Déjà remarquée pour sa prestation dans Rinaldo à Gand, Inga Kalna donne une leçon d’interprétation, toute en finesse et en psychologie, de son personnage alors que le chant est encore une fois éclatant. Le jeune contre ténor Franco Fagioli est la découverte de la soirée. Déjà engagé dans une belle carrière, il impressionne par son timbre et sa saine musicalité. Le ténor Johannes Chum n’avait absolument pas convaincu lors de ses dernières apparitions tant scéniques que concertantes, pourtant, visiblement très à son aise, il se révèle juste musicalement et scéniquement. La jeune coréenne Sunhae Im est assurément une chanteuse d’avenir, elle charme par son timbre cristallin et sa solide technique pour se jouer des arias les plus délicates. Certainement fatiguée et tendue par la longueur de l’œuvre, elle connaît quelques difficultés avec les aigus au dernier acte. La Française Gaële Le Roi, fait ses débuts à Innsbruck. Elle assure avec présence et éclat le rôle de Maritorne. Mention, encore très bien pour l’Ukrainienne Olga Pasichnyk adéquate dans l’interprétation de son personnage. On connaît les défauts et les qualités de l’omniprésent Dominique Visse, si le timbre n’est pas des plus séduisants, le chanteur sait les masquer par son engagement scénique. Il faut aussi saluer les très bonnes prestations de Maria Streiffert et de Titus Hollweg. À la tête d’une Akademie für alte Musik Berlin affûtée et précise, René Jacobs offre une interprétation magique. Le chef belge sait animer la partition et faire exploser les tensions pour dégager les énergies de l’opéra de Conti.
La mise en scène de Stephen Lawless est intéressante. Elle nous propose une sorte de délire dans la bibliothèque où sur fond d’une collection de livres de grands auteurs, le héros de Cervantes se débat avec ses illustres camarades. On peut ainsi reconnaître : Sherlock Holmes et son cher Watson, le petit chaperon rouge, les trois mousquetaires, Cendrillon, Carmen, Lolita … La direction d’acteur se limite à raconter l’histoire en évitant de verser dans des considérations philosophiques de bistrot hors de propos ici. Cependant le dernier tableau nous déçoit un peu. Don Quichotte se retrouve en pyjama et robe de chambre dans un asile où chaque autre personnage vêtu de blanc quitte progressivement la salle. Certes, ce n’est pas injuste au regard du livret, mais la théorie du fou fait partie des poncifs, usés jusqu’à la corde, des mises en scène modernes d’opéras. Un très beau spectacle servi par des interprètes d’exceptions pour une partition dont on espère un enregistrement. « 

Diapason – septembre 2005 – Chef-d’oeuvre à la longue figure – 2 juillet 2005

La tragi-comédie en cinq actes troussée par les poètes officiels de Vienne, Zeno et Pariati, apparaît bien un peu écartelée entre son pôle sérieux (deux couples d’amoureux déparreillés) et son pôle bouffe (Don Quichotte et Sancho, confrontés à maints adversaires). En résultent de longs récitatifs, d’une écriture mouvante, bien rendue par un continuo de luxe, dont la vigilance métrique de Jacobs n’entrave pas la liberté. On fera la même louange aux dix chanteurs qui, pour la plupart, caractérisent parfaitement lignes et ornement, glissant qui une cadence, qui un soupir, sans que le théâtre ne nuise à la musique. La trentaine d’airs n’offre pas de développements mélodiques bien marquants, mais un riche apparat rhéthorique et une ravissante orchestration (qui marie traverso, hautbois et basson aux cordes). S’y ajoutent les divertissements séparant les actes, tantôt chorégraphiques (chaconne et sarabande d’ascendance française), tantôt, selon le modèle napolitain, ancillaires — des deux duos opposant une Maritorne déchaînée (Gaëlle Le Roi) à un Sancho rétif (Fulvio Bettini) l’on retiendra le premier, étourdissante variation sur le thème des Folies d’Espagne ! Le rôle de Don Chisciotte, écrit sur mesure pour l’impressionnant baryténor Borosini (qui créera cinq ans plus tard le Bajazet de Haendel) revient à Nicolas Rivenq, à l’aise dans la vaillance, moins dans le legato, capable d’un expressionnisme de bon aloi (l’« air de magie » de l’acte IV !) mais non de chanter piano. Pour les amoureuses, René Jacobs a fait choix de timbres sensuels (Olga Pasichnyk et Inga Kalna, à la diction confuse), tandis que les amants devaient échoir à des contre-ténors. L’un d’eux a cédé sa place à la poussive alto Maria Streijffert, seul point faible de la distribution ; l’autre, c’est Franco Fagioli, dont la voix androgyne justifie le succès davantage qu’une vocalisation encore raide. Bons apports du baryton Fulvio Bettini, du ténor Johannes Chum, et du soprano piquant de Sunhae Im dans un rôle travesti ; volcanique prestation de l’Akademie for Alte Musik qu’on a rarement entendue aussi engagée. »

Altamusica – Renaissance d’un chevalier à la joyeuse figure

« Don Chisciotte regarde-t-il vers le passé, une liberté lyrique perdue ? Adapter un roman espagnol selon les canons rigoureux de l’opéra seria était chose impossible, même pour le réformateur rigoriste qu’était Apostolo Zeno, secondé par son habile versificateur Pietro Pariati. L’Opéra de Cour viennois s’inspire donc, pour le Carnaval de 1719, de l’opéra vénitien du Seicento condamné au tournant du siècle pour son immoralité et son manque de scrupules à mêler personnages comiques et tragiques. Le sous-titre, d’ailleurs, ne s’en cache pas : il s’agit d’une tragicommedia mettant en scène, fidèlement à Cervantès, un imbroglio de personnages peinant à garder leur sérieux, gravitant autour de la triste figure de Don Chisciotte. Même la malheureuse Dorotea, lâchement abandonnée par l’infâme Fernando, se prête docilement au jeu parodique dont le but d’une incontestable noblesse est de délivrer le misérable chevalier de ses errances.
La frontière toujours ténue entre seria et buffa finit par voler en éclats à la fin des deuxième et quatrième actes, en forme d’intermèdes virevoltants entre Sancio et la servante Maritorne. Un tel foisonnement d’intrigues appelle indubitablement la scène, et le Festival d’Innsbruck en sera l’hôte privilégié à partir du 13 août prochain.
La musique éminemment théâtrale de Francesco Bartolomeo Conti, dont ses contemporains louent la veine comique irrésistible, n’en est pas moins digne d’intérêt. La diversité des situations et des personnages de Don Chisciotte lui permet d’explorer une multitude de styles, avec une prédilection pour la parodie d’airs héroïques, particulièrement originale dans le traitement du rôle éponyme écrit en deux clés pour la voix exceptionnellement longue et expressive de Francesco Borosini, pour lequel Haendel composa le rôle de Bajazet dans Tamerlano. Entre pathétique et ridicule, le chevalier à la triste figure déploie sa folie douce, son héroïsme émerveillé dans des airs virtuoses où l’harmonie prend quelques détours inattendus.
Illusions chevaleresques – Si sa longue silhouette et sa science du récitatif l’y prédisposent, Nicolas Rivenq manque autant de grave que d’aigu, mais son manque d’aisance dans la vocalise enrichit les illusions chevaleresques du personnage. En authentique primo uomo d’opera seria, le jeune contre-ténor argentin Franco Fagioli investit Cardenio d’une indéfectible fougue amoureuse, triomphant d’une colorature héroïquement calibrée.
Sa douce et constante Lucinda a la voix lumineuse et charnue d’Olga Pasichnyk. D’une revigorante ironie, Inga Kalna se lance avec toute l’énergie de sa voix corsée dans les tourments de Dorotea. Mais la traîtrise de Fernando ne trouve en Maria Streijffert qu’une expression placide dans des vocalises sans assise. Les tournures savantes du sage Lope bénéficient en revanche du ténor évangélique de Johannes Chum, flanqué du soprano piquant de Sunhae Im, Ordogno prodigue de suraigus. Trop sage, Fulvio Bettini ne distingue guère son Sancio par la vis comica, un rien émoustillé par la fraîche Maritorne de Gaële Le Roi. Il est vrai que d’une phrase, d’une mimique, Dominique Visse sait imposer un personnage, jonglant du contre au ténor.
Si la scène saura épanouir un chant parfois troublé par une partition fraîchement apprise, René Jacobs impose déjà un théâtre de couleurs et de rythmes, folklore bondissant de la Follia et attention constante aux détails les plus signifiants d’une orchestration habile. Secondé par un continuo riche de deux théorbes et d’un archiluth, l’Akademie für Alte Musik Berlin est l’instrument profus des incessants changements à vue d’une partition exaltante.
Par amour de la découverte, du bel canto, du théâtre, de Cervantès, de René Jacobs, ou de qui sait-on encore, un détour par Innsbruck s’imposera le mois prochain. »

Les Echos.fr

« L’événement de ces premiers jours festivaliers, ce fut donc ce « Don Chisciotte in sierra Morena » de Conti, dont c’était bel et bien la première française. Une résurrection qu’avait déjà tentée voici une douzaine d’années, à Innsbruck, le chef d’orchestre René Jacobs, imbattable lorsqu’il s’agit de déterrer des partitions délaissées. Celle-ci fut créée en 1719 à la cour impériale de Vienne, un foyer lyrique dont on ne saurait mésestimer la qualité. Musicien officiel, le Florentin Conti servait de son mieux Charles VI de Habsbourg. Il ne fait certes pas partie des génies de l’art lyrique ; mais ses oeuvres, outre la qualité de leur facture, donnent une idée des goûts de ses contemporains (ceux des Viennois étaient largement tournés vers l’Italie), et des capacités des interprètes. L’orchestration est fournie, brillante et virtuose – ce qui n’est pas pour effrayer les membres de l’Akademie für Alte Musik de Berlin d’un dynamisme à toute épreuve.
Duos ébouriffants – L’écriture vocale souligne à larges traits le caractère des protagonistes, passant du comique de l’opéra-bouffe pour Sancho et la servante Maritorne, auxquels sont dévolus d’ébouriffants duos qui terminent deux des cinq actes en feu d’artifice, à la vaillance exubérante de l’opéra seria. Plus fouillé, le rôle de don Quichotte cerne un personnage ambigu, drôle et émouvant. Les chanteurs doivent surmonter d’innombrables chausse-trapes, au fil de très longs récitatifs qu’ils doivent animer (Jacobs en a coupé quelques-uns mais a conservé tous les airs ; l’ensemble dure plus de trois heures) et d’arias habilement variées, exprimant une multitude de sentiments. Dominique Visse, qu’il soit barbier ou aubergiste, est le roi du comique et son timbre de contre-ténor est toujours aussi claironnant. Contre-ténor aussi, mais plus large et plus grave, l’excellent Franco Fagioli (Cardenio). Maria Streijffert incarne l’autre amoureux, Fernando, engagée et vibrante mais parfois fragile dans les vocalises. Les amoureuses, ce sont Inga Kalma (Dorotea), pulpeuse et sensuelle, et Olga Pasichnyk (Lucinda), lumineuse. Lope, ami de Quichotte, c’est Johannes Chum, ténor d’un bel impact ; il est toujours escorté de son fidèle Ordogno, la jeune et délicieuse Coréenne Sunhae Im. Face au Sancho truculent de Fulvio Bettini, Nicolas Rivenq campe un don Quichotte de fière allure, à la voix longue, facile, chaleureuse, comédien adroit qui ne tombe pas dans la charge, et chanteur rigoureux formé par une longue pratique baroque. René Jacobs, qui fête ses vingt ans de présence à Beaune, tient ses troupes en main avec enthousiasme.

Libération.fr – Un « Don Quichotte » restitué avec fidélité – entretien avec René Jacobs

« Ouvert vendredi soir par l’Alcina de Haendel, le festival de Beaune, qui accueille la crème des ensembles baroques jusqu’à la fin du mois, fait événement samedi avec la création française du Don Chisciotte signé, en 1719 à Vienne, par le Florentin Francesco Bartolomeo Conti, virtuose du théorbe et compositeur attitré de la cour de Charles-VI de Habsbourg. Le chef et musicologue René Jacobs a découvert cette partition il y a quinze ans, et l’a déjà donnée à Innsbruck il y a douze ans, dans des décors de Roland Topor. Il fait le point sur la version du concert qu’il dirige dans la cour des Hospices de Beaune, prélude à une nouvelle production au festival d’Innsbruck en août.
Comment avez-vous découvert Don Chisciotte ? Dans une édition américaine, comprenant 40 fac-similés d’opéras italiens. Pour moi, on est dans la configuration des Noces de Figaro : un grand compositeur, Conti, un grand librettiste, Pariati, qui collaborait également avec Caldara, et un chef-d’oeuvre littéraire restitué avec une grande fidélité. Sauf qu’il est plus facile d’adapter une pièce de Beaumarchais, déjà découpée en scènes et dialogues, qu’un roman aux intrigues multiples comme Don Quichotte, dont Pariati a retenu la première des deux versions écrites par Cervantès. J’ai été attiré par la mélancolie de ce personnage, enfermé par les habitants de la Mancha et privé de ses livres. Pour Don Quichotte, pas de happy end.
Pour ce qui est de la musique, j’ai été séduit par cette synthèse de Scarlatti et Vivaldi. Scarlatti pour le caractère imprévisible de ses mélodies et récitatifs aux nombreuses modulations, et par le fait qu’on ne sait jamais quelle sera la note suivante, au contraire d’un Haendel qui voulait que le public lui-même commence à chanter la mélodie ; et Vivaldi, pour certaines tournures très vénitiennes, pour les airs à bassetto, où les parties basses de l’orchestre sont jouées par les altos, ce qui donne l’impression que l’orchestre s’envole, surtout sur les airs des sopranos. Conti avait composé les parties vocales du Chevalier triste pour Borosini, un ténor barytonnant de l’époque. Outre son physique, le baryton Nicolas Rivenq, qui chante à Beaune, a les aigus du rôle carrément noté dans deux clés, une de ténor et une de basse.
La version que vous donnez cette année est plus longue qu’il y a douze ans. Avez-vous fait de nouvelles découvertes ? L’oeuvre durait cinq heures, on avait dû la réduire à deux heures et demie, format imposé par la télévision autrichienne. Du vivant de Conti, elle était donnée en deux soirées. Pour Beaune et Innsbruck, cette année, on a coupé dans les récitatifs, mais on donne la quasi-totalité des airs, et surtout les musiques de ballet, proches de Rameau ­ puisque le ballet français s’imposait alors dans tous les spectacles de cour. Ce Don Chisciotte connut une belle fortune européenne et inspira le sien à Telemann. Las, Haendel a éclipsé tous les compositeurs de la première moitié du XVIIIe siècle. Bien avant Massenet, le roman de Cervantès inspira une bonne quinzaine d’opéras signés Paisiello, Salieri, Traetta ou Bodin de Boismortier, eux aussi oubliés. »

Caramoor International Music Festival – Etats Unis – 23 juillet 2005 – Venetian Theater – dir. Juan Carlos Rivas – mise en scène Melanie Helton – avec Steven Tharp, Dennis Blackwell, Jessica Bowers, Ryu-Kyung Kim, Kelly Sawatsky, Inna Dukach

 

Salamanca – Ciclo de Opera Barroca – Teatro Liceo – 11 novembre 2002 – Orchestre Baroque de l’Université de Salamanque – dir. Wieland Kuijken

 

Utrecht – Festival de Musique Ancienne – 19 avril 2002 – Utrechts Barok Consort – dir. Jos van Veldhoven – avec Anne Grimm (Lucina, Maritorne), Keren Motseri (Ondogno), Nicola Wemyss (Dorotea), Sytse Buwalda (Cardenio, Rigo), Hugo Naessens (Fernando), Niek Idelenburg (Lope), Bernard Loonen (Don Chisciotte), Matthew Baker (Mendo), Marc Pantus (Sancio) – mise en espace

 

Festival d’Innsbruck – 1992 – dir. René Jacobs – mise en scène Jean-Louis Jacopin – scénographie Roland Topor

 

Festival de Buxton – 1987 – dir. Anthony Hose – mise en scène Michael Geliot – scénographie Roger Dutlin