Château de Saint-Germain en Laye

On associe si naturellement le cadre de Versailles au Grand Roi et à sa cour, qu’on en oublie qu’il n’y emménagea qu’en 1682. Et avant ? Avant, la Cour était quelque peu nomade, et se transportait entre Paris, Fontainebleau et, surtout, Saint-Germain en Laye.

 

En 1682, s’il restait plus de trente-ans à vivre à Louis XIV, il n’en restait plus que cinq à son Surintendant favori, Jean-Baptiste Lully. C’est donc bien à Saint-Germain en Laye que furent données les « premières » des oeuvres de Lully : Alceste, Thésée, Isis, Bellérophon, Proserpine, Le Triomphe de l’Amour. Ces représentations eurent toutes lieu dans la même enceinte : la Salle des Fêtes du Château Vieux.

Le Château Vieux, celui qui fut restauré sous Napoléon III et que l’on admire aujourd’hui, montre encore ses parties les plus anciennes : la chapelle construite par Louis IX, petit-fils de Philippe-Auguste, qui rappelle la Sainte-Chapelle de Paris, tout en lui étant antérieure d’une dizaine d’années ; et le donjon carré construit par Charles V. C’est sous François Ier que le château prit son aspect Renaissance, en pierre et brique, et ce plan pentagonal si caractéristique. De 1540 à 1547, on construisit une Salle des Fêtes, au premier étage du bâtiment Ouest. On a pu dire de cette salle, majestueux vaisseau de quarante mètres de long, sur onze de large et douze de haut, à la voût en arcs brisés, aux remplissages garnis de brique avec des rosaces et des fleurs de lis, qu’elle était, par l’harmonie de ses proportions, la noble simplicité de son ornementation, une des plus remarquables qu’ait produites l’architecture française. Une cheminée monumentale, de brique et pierre, adossée au mur du donjon, décorée de la fameuse salamandre de François Ier, occupait toute la hauteur. La Salle des Fêtes, dite aussi Salle de Bal ou Salle des Ballets, fut inaugurée le 19 mai 1549 par un banquet, à l’occasion du baptême de Louis d’Orléans, second fils de Henri II.

En même temps qu’on achevait le Château Vieux, Henri II entreprenait la construction du Château Neuf, en contrebas, dominant la boucle de la Seine, qui fut terminé sous Henri IV. Le Château Vieux fut alors quelque peu délaissé, réservé à la troupe des enfants royaux. Ainsi, en 1611, Marie de Médicis, alors régente du fait de la minorité de Louis XIII, organisa dans la Salle des Fêtes une représentation de Bradamante, tragi-comédie de Robert Garnier (*), inspirée du « Roland furieux » de l’Arioste, à laquelle participèrent les soeurs et demi-soeurs de Louis XIII.

 

En 1639, toute la Cour fut réunie pour voir le roi Louis XIII danser au Ballet de la Félicité sur le sujet de l’heureuse naissance de Mgr le Dauphin, sur une musique d’Antoine Boësset, en l’honneur de la naissance, six mois auparavant, de Louis Dieudonné, futur Louis XIV, intervenue au Château Neuf.

C’est à partir de 1666 que la Salle des Fêtes du Château Vieux, transformée en Salle des Comédies, connut ses heures de gloire. Des gradins furent élevés sur trois côtés, en avant desquels un espace carré, occupant la largeur de la salle, formait le parterre. En avant de ce dernier, le théâtre était monté sur des tréteaux. En décembre 1666, le jeune roi organisa des fêtes qui durèrent près de trois mois. On y donna le Ballet des Muses, sur une scène construite par Carlo Vigarani, un texte d’Isaac de Bensérade et une musique de Lully, avec des pièces de Molière : Mélicerte, la Pastorale comique, le Sicilien ou l’Amour peintre.

 

En février 1670, nouvelle fête : le Divertissement royal, avec notamment la représentation des Amants magnifiques de Molière, mêlée de musique et de danses. On sait que Louis XIV, après avoir beaucoup travaillé – au point de s’en rendre malade – les rôles de Neptune et du Soleil-Apollon, qu’il devait tenir dans les ballets du prologue et du finale, laissa sa place au marquis de Villeroy, mettant un terme à une « carrière chorégraphique » de dix-neuf ans. Carlo Vigarani se distingua de façon magistrale en prévoyant notamment un nouveau décor pour chaque intermède et en ménageant des effets de machine surprenants.

L’année suivante, en décembre 1671, le Roi décida d’organiser un spectacle pour célébrer le second mariage de Monsieur, son frère, avec Elisabeth-Charlotte de Bavière, dite la Palatine. Ce fut le Ballet des Ballets, au cours de laquelle la Comtesse d’Escarbagnas était destinée à enchaîner les extraits des meilleurs divertissements représentés en la présence du roi depuis plusieurs années, dans une mise en scène de Carlo Vigarani. En janvier 1672, Madame de Sévigné pouvait écrire à sa fille : Il y a tous les soirs des bals, des comédies et des mascarades. Mais trop de réjouissances tuent-elles les réjouissances ? Deux ans après, elle se lamentait : Les bals de Saint-Germain sont d’une tristesse mortelle, faisant écho au Roi lui-même, qui disait : Quand je ne donne point de plaisir, on se plaint ; et quand j’en donne, les dames n’y viennent pas…

Puis vinrent les premières des tragédies en musique de Lully : Thésée en janvier 1675, Atys en 1676, Isis en 1677, Proserpine en 1680, et le dernier des grands ballets de cour : Le Triomphe de l’Amour en janvier 1681. Il faut se représenter le roi, la canne à la main, se tenant à la porte de la salle de spectacles pour recevoir ses invités qui prenaient place sur les estrades, seule la famille royale et les princes du sang occupant les fauteuils du parterre, face à la scène.

Il y eut ainsi cent quarante représentations théâtrales, dont la dernière fut celle de Bajazet, de Racine, en 1682. Les travaux entrepris par Mansart pour accoler cinq gros pavillons aux angles du Château rendant ce dernier très incommode, Louis XIV alla s’installer chez son frère , à Saint-Cloud, avant d’emménager définitivement à Versailles, au grand désespoir de la population.

 

Sept ans plus tard, Saint-Germain redevint résidence royale, mais pour un roi sans couronne, Jacques II d’Angleterre. L’heure n’était pas à utiliser la Salle des Fêtes. Ne disait-on pas que Le roi Jacques second, sans ministres et sans maîtresse, le matin allait à la messe, et le soir allait au sermon ? C’est à Saint-Germain que s’éteignit la branche des Stuart, avec Charles III, en 1756.

Prison durant la Révolution, hôpital sous le Consulat, École de cavalerie sous l’Empire, caserne durant la Restauration, le Château Vieux ne devait pas fournir avant longtemps l’occasion de faire revivre les fastes de la Salle des Fêtes. Il fallut attendre 1832 pour qu’une fête y soit donnée par le duc d’Orléans et son frère le duc de Nemours. Sans lendemain, car le château retourna dès 1836 à une vocation moins festive, celle de pénitencier militaire.

En 1855, lorsque ce dernier fut transféré à Alger, le Château Vieux était une grande bâtisse désaffectée, fortement dégradée, dont l’avenir était plus que sombre. Le premier miracle est qu’elle fut sauvée par le goût de Napoléon III pour César, dont il avait entrepris une Histoire, pour les besoins de laquelle on avait entrepris des fouilles dans la région d’Alésia. Un décret de mars 1852 en fit un Musée des Antiquités celtiques et gallo-romaines, pour abriter le résultat des fouilles. Le second miracle est que l’architecte Millet fut chargé de débarrasser le Château des verrues que constituaient les pavillons d’angle ajoutés par Mansart. L’inauguration officielle du Musée des Antiquités nationales eut lieu en mai 1867. La Salle des Fêtes de Louis XIV y était devenue la Salle de Comparaison, consacrée à l’exposition de monuments trouvés hors de Gaule, présentant de l’intérêt à titre d’éléments de comparaison, où trônait toujours, fortement remaniée il est vrai, la cheminée monumentale dit de Castille, avec la salamandre de François Ier.

En 1910, Henri Hubert fut chargé de concevoir une nouvelle présentation de la salle, mais il mourut avant de pouvoir la mettre en oeuvre, et la salle resta fermée au public jusqu’à la fin des années soixante-dix. Elle réouvrit en mai 1984, avec le titre de Salle d’Archéologie comparée, ce qu’elle est toujours aujourd’hui, bien éloignée des fastes d’antan.

 

(*) Poète et dramaturge, né à La Ferté Bernard en 1545, mort au Mans en septembre 1590, avocat au Parlement de Paris, auteur de tragédies à l’antique