CD La Verita in Cimento

COMPOSITEUR Antonio VIVALDI
LIBRETTISTE Giovanni Palazzi

 

ORCHESTRE Ensemble Matheus
CHOEUR
DIRECTION Jean-Christophe Spinosi
Damira Nathalie Stutzmann contralto
Rosane Gemma Bertagnoli soprano
Melindo Sara Mingardo contralto
Rustena Guillemette Laurens mezzo-soprano
Zelim Philippe Jaroussky contre-ténor
Mamud Anthony Rolfe-Johnson ténor
DATE D’ENREGISTREMENT Septembre 2002
LIEU D’ENREGISTREMENT Eglise de Daoulas
ENREGISTREMENT EN CONCERT non
EDITEUR Opus 111
COLLECTION Naïve
DATE DE PRODUCTION mai 2003
NOMBRE DE DISQUES 2
CATEGORIE DDD

Édition Vivaldi – Opere teatrali – volume 2 Critique de cet enregistrement dans :

  • Diapason – novembre 2004

« La verità in cimento de Spinosi déborde de vie ; en dépit de Rolfe Johnson, d’une stature certes dramatique, mais pathétique dans les récits, une restitution électrique, dominée par Stutzmann, sublime dans les affetti tortueux, la flexible Bertagnolli et le tendre Jaroussky. »

  • Goldberg – septembre 2003 – appréciation 5 / 5 – Retenu parmi le « Meilleur de 2003 »

« Les interprètes de Spinosi jouent tout au long de l’oeuvre avec une finesse et une vigueur surprenantes, et l’on a la nette sensation que cela fait partie intégrante de leur compréhension de la musique et n’est pas quelque chose de purement décoratif. Les chanteurs sont également tous excellents, même si j’avoue qu’à mon avis la voix de Nathalie Stutzmann n’est pas vraiment idéale pour cette musique, tout en étant indéniablement virtuose. Guillemette Laurens, dans le rôle de Rustena, chante avec une combinaison idéale d’intensité et de retenue, et l’autre voix qui frappe particulièrement est celle du haute-contre Philippe Jaroussky. Son sens dramatique, sa sensibilité et sa virtuosité vocale en font un choix évident pour un rôle d’opéra aussi exigeant et brillant que celui-ci. Absolument remarquable. »

  • L’Avant-Scène Opéra – novembre/décembre 2003

« À la tête de son Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi opte pour un climat coruscant et crépitant, avec un jeu d’orchestre toujours sur le fil : à la limite de la rupture et du maniérisme, il a le grand mérite de faire des instruments des partenaires à part entière, des acteurs du drame, et non de simples accompagnateurs. Il dispose pour relayer cette théâtralité débridée, de voix au diapason, en particulier l’exceptionnelle Sara Mingardo, dont le timbre d’alto est l’un des objets les plus précieux que l’on puisse admirer aujourd’hui. Même celui de Nathalie Stutzmann, d’une androgynie parfaitement artificielle, est ici à sa place, dans un rôle de fourbe où elle s’en donne à cœur joie. La fraîcheur de Guillemette Laurens, la spontanéité de Gemma Bertagnoli constituent, malgré quelques limites vocales, les atouts supplémentaires d’un enregistrement où les quelques interventions du contre-ténor Philippe Jaroussky confirment les espoirs placés dans l’une des voix les plus stupéfiantes apparues sur la scène baroque ces dernières années. Un enregistrement à marquer d’une pierre blanche, malgré un Anthony Rolfe- Johnson qui n’en peut plus. »

  • Crescendo – octobre/novembre 2003 – appréciation 8 / 10

« …La Verita in cimento est révolutionnaire dans le traitement de sa palette rythmique. La trame dramaturgique se teinte d’un orientalisme sous-jacent, couleur à la mode à l’époque et que Vivaldi sait exploiter avec verve et panache, à l’instar des nombreux Airs de Carnaval qu’il composa, en s’inspirant de sujets ou de personnages issus de l’Empire Ottoman. Les solistes, chevronnés dans le répertoire baroque, ne sont pas exempts de reproches bien que présentant un niveau de chant très élevé. Cette adéquate palette de chanteurs, animés par un chef engagé et servis par des instrumentistes attentifs : tous les ingrédients du succès devraient être réunis ! Pourtant, il se dégage une imperceptible frustration, en partie causée par la constante succession de récitatifs et d’airs – tardivement rompue par l’intervention du choeur à la conclusion du 3e acte. Aussi, la prise de son, bien qu’excellente et veloutée, présente quelques déséquilibres, notamment dans une réverbération intrusive des récitatifs. La Verita in cimento gagnerait davantage à briller d’autres feux, peut-être ceux que le “live” saurait lui insuffler. Souhaitons que la récente réhabilitation scénique (à Bologne en 2002, déjà sous la direction de Spinosi) se prolonge dans l’avenir et puisse déboucher sur une captation « live », car elle seule pourrait faire vibrer et palpiter cet opéra par sa captivante action que le studio seul ne fait que figer dans une relative monotonie. Cela dit, une réussite absolue sur les plans dramaturgique et musical. »

  • Opéra Mag – juillet/août 2003

« La verità in cimento s’annonce comme le nouveau volet lyrique de la monumentale édition Vivaldi en chantier chez Naïve. Treizième opéra du Prêtre roux, l’oeuvre fut représentée à Venise en 1720, alors partagée entre traditions et réformes. Très controversée puis très vite oubliée, cette Verità rencontre aujourd’hui enen Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus d’ardents défenseurs. D’une beauté immédiate, la partition s’ouvre sur une Sinfonia frénétique qui jette l’auditeur sans crier gare aux portes d’une intrigue politico-sentimentale complexe. Animé d’un appé-it féroce, l’orchestre ultra-dynamique, à la fois cinglant et racé, des Matheus domine et dévore les hardiesses de cet ouvrage bigarré. Spinosi, en dompteur inflexible, fouette, attise et apaise quand il faut, exhortant ses chanteurs (distribution bigarrée elle aussi !) à respirer dans une enivrante jungle harmonique où chacun finira par trouver sa place. Côté voix féminines, Gemma Bertagnolli prête son soprano souple à la jeune égocentrique Rosane, Guillemette Laurens son timbre touchant à la maternelle Rustena (un « Ne vostri dolci sguardi » ardent de désir…), Sara Mingardo campe un Melindo suffisant et virtuose, tandis que Nathalie Stutzmann (en grande forme) mobilise son contralto agile pour une Damira sinueuse à souhait. Les voix masculines enfin, se partagent entre l’angélique Zelim de Philippe Jaroussky (très beau « Un tenero affeto ») et le quelque peu fatigué mais honorable Sultan (Mamud) d’Anthony Rolfe Johnson. Un Vivaldi comme on l’aime. Une sensationnelle résurrection ! »

  • Opéra International – juillet/août 2003 – appréciation 5 / 5

« Après que cette « Verità in cimento » nous eut été révélée grâce aux représentations données par l’Arcal et Opéra en Ile de France, la parution de cet enregistrement était particulièrement attendue, d’autant plus que la distribution se voyait remaniée – seul Philippe Jaroussky a été conservé – et complétée par quelques grands noms de la scène baroque. Malgré l’excellence du résultat. on ne peut nier une relative frustration. Tout d’abord, la distribution n’est pas dénuée de toute faiblesse. On ne sait trop que dire de la presta-ion d’Anthony Rolfe Johnson (Mamud), artiste majeur auquel le disque doit de sublimes moments. Sa performance est ici marquée par un accent britannique persistant. un relatif manque de conviction dans les récitatifs et un timbre bien terne. Nous pourrions aussi parler des quelques raideurs d’émission de Gemma Bertagnolli (Rosane), mais tout cela est plus que compensé par l’engagement de Nathalie Stutzmann et de Guillemette Laurens. La musicalité de Philippe Jaroussky et, surtout l’incarnation superlative de Sara Mingardo (Melindo) timbre somptueux. voix égale, interprète idéale. Enfin, il faut souligner le rôle joué par Jean-Christophe Spinosi et l’Ensemble Matheus. Peu de chefs semblent avoir compris comme lui à quel point l’orchestre dans son ensemble et les instrumentistes qui le composent sont des acteurs majeurs du drame. D’où le relief exceptionnel de ce que l’on ne peut plus qualifier de simple accompagnement. Une belle partition, des interprètes allant du bon au remarquable, on peut alors se demander d’où provient cette légère frustration. La réponse est probablement à chercher du côté de la prise de son. Les récitatifs sont pris de près, les airs avec plus de distance, le tout dans une légère réverbération, a priori non rédhibitoire, mais nuisant tant à l’urgence de la parole qu’à la virtuosité de l’écriture et de l’interprétation et, par conséquent. à l’équilibre de l’ensemble. »

  • Répertoire – juillet/août 2003 – appréciation 9 / 10

« Jean-Christophe Spinosi avait rodé avec l’Arcal, dans une mise en scène de Christophe Gangneron, un spectacle qui avait remporté un grand succès. Des interprètes initiaux ne subsistent que le jeune sopraniste Philippe Jaroussky, qui avait été la révélation du spectacle. On le retrouve ici avec les mêmes qualités de timbre (beau, plein et angélique), de technique (tessiture homogène, aigus faciles et moelleux), et de style (maturité, legato, articulation…). Un vrai régal!Autour de lui la distribution est tout aussi exceptionnelle. Anthony Rolfe-Johnson n’a certes plus la fraîcheur vocale de ses meilleures années: la voix a perdu en chatoiements et le vibrato s’est élargi – elle n’en traduit que mieux la lassitude du sultan. Reste la perfection du style et l’autorité du chanteur. Guillemette Laurens incarne Rustena, la mère aimante, face à Damira, la mère intrigante de Nathalie Stutzmann. Le contraste des timbres est frappant. Laurens s’impose par son legato et la délicatesse de son chant ; Stutzmann, au timbre toujours aussi prenant, joue suprêmement d’effets de souffle et de timbre, de diction et d’articulation pour rendre le caractère calculateur et manipulateur de la favorite. C’est du grand art ! Dans le rôle du demi-frère Melindo, Sara Mingardo délivre une nouvelle leçon de chant. Refusant l’ostentatoire (c’est son choix mais on pourrait la préférer plus « macho » et virile, façon Ewa Podles), la contralto italienne ravit par la plénitude et la beauté de sa voix, la conduite ins-rumentale de la ligne et l’éventail de couleurs moirées. Enfin, tel un papillon insouciant et virevoltant, la soprano Gemma Bertagnolli délivre ses airs d’une voix fraîche et pleine, virtuose dans des da capo inventifs et des cadences aiguës (contre-ré dans « Tu sei sol dell’alma mia »). Elle ose, funambule sur son fil, des effets de suspensions et de vibrato, et elle enthousiasme.L’Ensemble Matheus est acéré, prompt à varier les dynamiques et l’articulation. Tout au long des récitatifs, le continuo est inventif et ponc-ue de façon très dramatique et sensible le livret. Deux moments sont vraiment exceptionnels : le trio « Aure placide e serene » où voix et instruments se fondent en un entrelacs quasi immobile de sons ; et le quintette « Anima mia, mia ben », d’une finesse psychologique rare. Un volume important de l’édition Vivaldi d’Opus 111. »

  • Classica – juin 2003 – appréciation Recommandé

« Jean-Christophe Spinosi revient dans un opéra oublié de Vivaldi mais dont le retentissement fut considérable à l’époque. A la jonction d’un style hérité de Monteverdi et de celui, nouveau, ouvrant sur l’opera seria récupéré par les Napolitains, Vivaldi tente d’éviter les querelles. Il sert la musique dans une histoire au sens dramatique renforcé. Spinosi et son orchestre accompa-gnent un plateau exceptionnel de chanteurs, rompus aux dernières techniques du chant italien. Pas de minauderies ici, seulement de la science, de l’effet et du feu. L’orchestre fait grincer ses cordes, accentue les nuances à l’extrême. Que dire des solistes sinon qu’ils tiennent toutes leurs promesses? Le timbre chaud de contralto de Nathalie Stutzmann constitue une réponse idéale aux accents émouvants de la mezzo Guillemette Laurens, ainsi qu’à Mingardo et Jaroussky. L’impact de cette Verità in Cimenta réside surtout dans son exemplaire réalisation globale. Tout est réuni, instruments, voix, passion, attention et fougue pour redorer le blason d’un Vivaldi stéréotypé. »

  • Le Monde de la Musique – juin 2003 – appréciation CHOC de la Musique

« Philippe Jaroussky, jeune contre-ténor à suivre, est le seul rescapé de la première équipe. La grâce naturelle d’un style jamais affecté, l’aisance vocale et la plénitude d’un timbre solaire donnent mille fois raison à cette seconde collaboration. Son interprétation cerne la digne personnalité de Zelim que sa noble naissance révélée ne rend nullement arrogant. Il aime toujours son demi-frère et découvre sa véritable mère. A l’opposé, Melindo, renfrogné et méfiant, refuse de perdre su splendeur (faussement) héritée. Sara Mingardo lui prête sa voix charbonneuse qu’elle truffe de soupçon et mépris. Guillemette Laurens et Nathalie Stuttmann présentent tout aussi justement l’affrontement des méres respectives : la première tendre et maternelle, la seconde inflexible et intrigante, voire malicieuse. La voix par-fois fatiguée d’Anthony Rolfe Johnson traduit fort bien les remords et les épreuves qu’endure Mamud, déchiré entre ses deux femmes et ses deux fils. La Rosane de Gemma Bertagnoli, tout sourire et allégresse papillonne au-dessus de ce nid de guêpes. Jean-Christophe Spinosi s’emploie à travailler la partition de Vivaldi sur une très large échelle dynamique (un élément dramatique trop souvent négligé) et obtient de son Ensemble Matheus d’impalpables pianissimos. Si le marquage des premiers temps s’accompagne parfois de brutalité, l’enregistrement bouillonne d’une intense activité théâtrale, entretenue par un continuo de braise. La musique est superbe, interprétée avec fougue et passion. Cette Verita in cimento méritait bien qu’on la libère de son mutisme. »

  • Diapason – juin 2003 – appréciation 5 / 5 – technique 6,5 / 10

« Soumettre ses conceptions intimes de l’opéra à l’épreuve de la vérité des us artistiques de la Venise de 1720 était, pour Vïvaldi, l’enjeu de cette Verità in cimento. Jean-Christophe Spinosi a eu l’intuition lumineuse de choisir le premier jet, antérieur à toute concession. La Sérénissime ne sut pas écouter le prophète, qui proclamait que l’opéra à la vénitienne pouvait être sauvé d’un inexorable déclin, ligoté par les codes réducteurs des réformateurs, pour périr bientôt noyé sous un déluge des trilles napolitaines, si les voix naturelles trouvaient une juste place, si les caractères étaient subtilement écrits, et surtout si l’orchestre, en contrepoint du chant, devenait acteur à part entière des sentiments humains. Et l’apport capital et inouï de Matheus à l’opéra de Vivaldi est justement de nous le révéler pour la première fois. Récits acérés et palpitants. Sinfonia convulsive, qui n’invite pas à la fête, mais sur le divan. Avec Spinosi, l’inconscient est dans la fosse. Ces nuances dynamiques alambiquées, ces subito, ces liaisons étranges existent bien sur la partition, dès qu’il s’agit d’évoquer Damira la tortueuse (Stutzmann, sublime de perversité). Quand Mamud (Rolfe Johnson, digne et pathétique) assume douloureusement son destin de souverain, une basse farouche et obstinée l’évoque, inexorable. Pour l’orgueilleux, faible et paranoïaque Melindo, les cuivres rutilent. Mais là, il y a ambiguïté. Mingardo, tragédienne révoltée, violentée par la rythmique haletante, par les fats mélismes, n’est pas une enfant naturelle de Stutzmann. Le clinquant la dépasse. Rosane, flexible Bertagnolli, n’est guidée que par la pulsion de l’instant. Une enfant égoïste, à peine effleurée par les caresses d’archets en valeurs courtes. Rustena, mère poule naïve, touchante Laurens, berce sa nichée cajolée par de douces flûtes. Le pur Zelim, tendre Jarousski, est bien son fils. Un trio et un quintette seulement, mais divinement écrits, et comme l’ensemble, fiévreusement restitués. »

  • Forum Opéra

« Un huis-clos oriental – Première surprise, et non des moindres : le livret se révèle d’une excellente qualité. Pour cette production qui devait marquer son retour sur la scène vénitienne après trois ans d’absence, il semble bien que Vivaldi ait pu choisir ses chanteurs – il s’est fait plaisir, privilégiant les voix naturelles et féminines, même si le castrat de service se voit attribuer le rôle clé de l’intrigue (Zelim) -, ainsi que son librettiste, Giovanni Palazzi, jeune auteur peu connu, mais remarquablement doué. Ce choix audacieux révèle à la fois l’indépendance artistique et l’intelligence dramatique du compositeur, une intelligence encore largement mésestimée, contrairement à ses talents d’orchestrateur ou son sens du rythme et de la couleur. Pour sceller la réconciliation de deux sultanats rivaux, Roxane, héritière du sultanat de Joghe, doit épouser Melindo, fils de Mamoud, sultan de Cambaja. Toutefois, celui-ci, pris de remords et mu par l’intérêt supérieur de l’état, décide de révéler la substitution qui fut opérée à la naissance entre ses deux fils, nés de son épouse, la sultane Rustena, et de sa favorite, Damira. Zelim est le fils de Rustena et donc l’héritier légitime du trône, mais il passe pour celui de Damira, dont le fils est en réalité Melindo qui passe pour celui de la sultane. Au moment où le rideau se lève, Mamoud vient de révéler à Damira son intention de rétablir la vérité. Il va sans dire que l’intrigante ne l’entend pas de cette oreille. Assoiffée de pouvoir, retorse et férocement déterminée, cette nouvelle Agrippine est prête à tout. Ombrageux et caractériel, Melindo est sans nul doute son vrai fils et tout l’oppose au doux et pur Zelim, champion de l’abnégation qui renoncera à Roxane par amour pour la belle et pour son frère, offrant au drame un lieto fine inattendu, mais finalement moins artificiel que bien des dénouements d’opéra. Rustena est la bonté même, candide et docile jouet de sa rivale, tandis que Mamoud campe la figure peut-être la plus complexe de l’opéra : torturé par sa conscience, déchiré entre ses fils et leurs mères, noble et touchant dans sa faiblesse, il finit par se faire violence et impose un chantage cruel à sa favorite. L’éblouissante composition de Nathalie Stutzmann – Les autres personnages sont également moins manichéens qu’il n’y paraît. Motivée par une ambition dévorante, Damira l’est aussi par l’amour qu’elle porte à son fils, sans qu’il soit possible de mesurer leur influence respective ; frivole et inconséquente, Roxane semble obnubilée par son seul plaisir, mais ses déclarations, ambiguës, laissent entrevoir une nature plus profonde, en proie à un vrai dilemme. De cette richesse psychologique, peu commune dans l’opera seria, procède une action dense et redoutablement efficace – sans ours, tremblement de terre ni scène de folie, n’en déplaise à Marcello -, de bout en bout captivante. L’intérêt ne faiblit jamais, même dans les longues scènes de récitatif, contrairement à ce qui se produisait à l’écoute de L’Olimpiade (Opus 111), alourdi par les développements parfois laborieux de Métastase. On reste suspendu aux lèvres de Nathalie Stutzmann qui travaille au corps le sultan, déploie les ruses les plus sournoises et nous commente, en aparté, les progrès de son entreprise. Comment ne pas s’abandonner aux sortilèges de ce timbre noir et vénéneux, à ces inflexions tour à tour mielleuses et impérieuses ? Vivaldi semble lui réussir – il faut entendre le crépusculaire et envoûtant Salve Regina RV 616 que vient de publier Hypérion – et l’on se prend à rêver qu’elle retrouve rapidement le chemin des studios et plus encore celui des théâtres, trop longtemps désertés, du moins sous nos latitudes. Les contraltos féminins ne sont pas légion, loin s’en faut, mais la présence de Sara Mingardo dans la distribution laisse perplexe. Pénélope, Ottavia, Cornelia, Orfeo, etc., lui sont naturellement destinés, mais l’hystérique Melindo, certainement pas. Hormis la tessiture, tout lui fait défaut : l’éclat du timbre (désespérément mat), le mordant, la projection arrogante et l’abattage, la prise de risque, l’imagination… La partition requiert un volcan, pas un feu de Bengale ! Laissez-vous brutaliser… Que dire de Guillemette Laurens ? Sinon que le métier, l’attention portée au mot compensent en partie l’érosion flagrante des moyens – elle devrait désormais se tourner vers un répertoire moins exigeant vocalement, dans la lignée de ses magnifiques enregistrements consacrés à Belli et Castaldi (Alpha). Avare d’aigus et de contrastes dynamiques, Anthony Rolfe Johnson s’économise, mais sa nonchalance, son approche superficielle d’un rôle passionnant agaceront et frustreront le mélomane comme le fan du ténor. Par contre, Gemma Bertagnolli signe sa meilleure performance au disque, nettement plus en situation que dans Il trionfo del Tempo e del Disinganno (Haendel, Opus 111) – sans parler des motets de Bonporti [Dynamic] ou du Stabat Mater de Pergolesi [Opus 111]), erreurs ou errances de jeunesse. La voix s’est épanouie, la technique affirmée et l’artiste traduit avec finesse les états d’âme variés de son personnage. Unique rescapé de la troupe qui ressuscita l’opéra en 2002, Philippe Jaroussky semble parfois en retrait, comme si ses nouveaux partenaires l’intimidaient (« Tu m’offendi » moins frémissant, moins habité que lors du concert donné à la Salle Gaveau le 18 mars 2002), mais la grâce de son timbre, la délicatesse de son chant, ses accents suaves et vulnérables (« Un tenero affetto ») nous font chavirer… Quant au fauve lâché dans ce théâtre intime, multipliant les coups de griffes (écoutez seulement l’allegro initial, d’une brutalité, d’une sauvagerie inouïe) et prodiguant quelques caresses (le trio extatique, à la fois voluptueux et angélique, de l’acte I où les cordes effleurent les amants), il consacre le climat fébrile et instable, lourd de menaces, dans lequel baigne l’ouvrage. Anguleuse et volontiers extravagante, la direction de Spinozi ne ménage pas les nerfs de l’auditeur, mais ce traitement de choc est de loin préférable à la tiédeur édulcorée d’un Curtis (Giustino). Chez Vivaldi, pour paraphraser Wilde, « la modération est désastreuse », l’excès jouissif et salutaire. Voilà un précieux coffret à acquérir de toute urgence, pour rugir de plaisir ! »