CD Statira Principessa di Persia

STATIRA, PRINCIPESSA DI PERSIA

COMPOSITEUR

Pier Francesco CAVALLI

LIBRETTISTE

Gian Francesco Busenello

 

ORCHESTRE Capella de’ Turchini
CHOEUR
DIRECTION Antonio Florio

Statira Roberta Invernizzi soprano
Cloridaspe Dionisia Di Vico mezzo-soprano
Ermosilla, Usimano Maria Ercolano soprano
Floralba Maria Grazia Schiavo soprano
Brimonte Daniela Del Monaco contralto
Maga, Eurillo Roberta Andalò soprano
Elissena Giuseppe De Vittorio ténor
Plutone, Nicarco, Dario Giuseppe Naviglio basse
Vaffrino Rosario Totaro ténor
Mercurio, Brisante Stefano di Fraia ténor
Messo Valentina Varriale soprano

DATE D’ENREGISTREMENT juillet 2003
LIEU D’ENREGISTREMENT Centro di Musica Antica di Napoli – Chiesa Santa Catarina di Sienna
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

EDITEUR Opus 111
DISTRIBUTION Naïve
DATE DE PRODUCTION octobre 2003
NOMBRE DE DISQUES 2
CATEGORIE DDD

Critique de cet enregistrement dans :

Goldberg – août 2004 – appréciation 4 / 5

« Quel bonheur que cet opéra de la maturité de Cavalli, carrefour des styles vénitien et napolitain S’y mêlent dans un parfait équilibre des lamenti dramatiques aux chromatismes saisissants, des arias lyriques, des airs légers et populaires, et des bouffonneries de la pure tradition napolitaine, tandis que les intrigues amoureuses s’enchevêtrent en un imbroglio des plus baroques. Rien ne manque à l’histoire de l’amour tendre et pudique à la passion la plus vulgaire, la vertu, l’héroïsme, le sang, les travestissements comiques. Et son exotisme est bien actuel puisque, remarque Dinko Fabris, « les protagonistes sont tous issus d’un monde arabe cultivé et raffiné ».

Sans l’aide d’une mise en scène qui pourrait sembler nécessaire à la compréhension d’une oeuvre aussi manifestement théâtrale, Florio nous guide d’une main sûre au fil de cette musique riche et variée. Son plus grand atout est incontestablement d’avoir mis en place un continuo exceptionnel, d’une présence et d’une exigence rarement égalée en grande production, prouvant – ce qui est encore nécessaire – que ce travail est largement aussi fondamental que celui des voix. Roberta Invernizi est une fois de plus formidable en Statira, comédienne autant que chanteuse comme il se doit, la voix un peu raide de Dionisia di Vico convient bien à son rôle d’homme, Giuseppe de Vittorio, en nourrice, est épatant. Mais d’autres sont médiocres : la magicienne fait mauvais effet dans le prologue, et surtout Brimonte peine très péniblement…C’est regrettable mais finalement pas très grave quand l’ensemble est si convaincant. »

Le Monde de la Musique – avril 2004 – appréciation 3 / 5

« Proche voisin de La Calisto et de Xerse, Statira se fait entendre pour la première fois à Venise en 1656. Dix ans plus tard, à l’occasion du couronnement du roi d’Espagne Philippe IV, Naples reprend cet opéra. Comme Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, également composé sur un livret de Francesco Busenello, Statira existe donc en version vénitienne et napolitaine. S’y ajoute une partition complète conservée à la bibliothèque du Conservatoire de Milan. Antonio Florio a constitué sa propre édition à partir de ces différents éléments.

Inspiré de personnages historiques (le roi perse Darius III, sa fille Statira, seconde épouse d’Alexandre le Grand), le livret de ce dramma per musica réunit les ingrédients essentiels de l’opéra baroque : conflit militaire, amours croisées et contrariées, travestissements et déguisements. Vouloir en résumer l’intrigue constitue un défi, mais on regrette que l’éditeur n’ait pas clairement décliné l’identité de chaque intervenant.

Heureusement, la musique de Francesco Cavalli en éclaire avec justesse le caractère. Du récitatif à l’air sur une basse chromatique descendante (magnifiques lamenti d’Ermosilla, acte II, scène 12, « Menfi, mia Patria » et de Statira, acte III, scène 5, « Lassa che fo », le compositeur ne manque jamais d’idées dramatiques. A la tête de son ensemble, Antonio Florio sait parfaitement en souligner les contrastes sans quitter une ligne directrice puissamment tracée par le continuo.

Réussir la distribution d’un tel ouvrage ne saurait se réduire à collectionner de belles voix. Encore faut-il pouvoir les différencier. Sur ce plan, le travail de Florio, avouons-le, n’est pas totalement convaincant. Dionisia di Vico manque autant d’aisance vocale que de vaillance scénique. Daniela del Monaco n’a pas les moyens techniques pour incarner Brimante (« All’armi moi core », acte III, scène 10). La Floralba énamourée et palpitante de Maria Grazia Schiavo comme la Statira flamboyante de Roberta Invernizzi offrent en revanche d’intenses moments de théâtre. »

Classica/Répertoire – février 2004 – appréciation 8 / 10

« C’est la version napolitaine de Statira, retrouvée dans un manuscrit milanais, mais aussi dans un recueil d airs conservés a Naples, en complément de l’autographe vénitien, que restitue au disque Antonio Florio, après deux séries de concerts à Naples et Beaune. Saluons notamment l’excellence de la caractérisation du plateau vocal, sa constante vérité de l’incarnation dramatique, dans tout l’éventail du pathétique au burlesque, et la volupté sensuelle de la réalisation instrumentale. On regrettera simplement, et pas seulement dans les rôles secondaires, de trop nombreuses voix assez peu virtuoses, voire franchement frustes. Ces faiblesses finissent par nuire à l’intérêt dramatique de l’ensemble, du moins pour l’auditeur, privé de mise en scène, de ces CD. Dommage : en bien des moments, on frise souvent la réussite absolue. »

Anaclase.com / Opéra Mag – février 2004

« …une Statira de Francesco Cavalli de toute beauté, par une lecture particulièrement efficace, soucieuse de l’équilibre instrumental autant que de la cohérence dramaturgique. A ses côtés, des artistes avec lesquels il travaille depuis longtemps : Giuseppe de Vittorio qui campe au disque une vieille nourrice dans la grande tradition des rôles travestis, avec une verve comique subtilement dosée ; la soprano Maria Ercolano tout à fait crédible en Usimano, l’amant éconduit déguisé en suivante pour mieux intriguer, d’un timbre riche et particulièrement dramatique ; ou encore Giuseppe Naviglio, excellente basse ici parfaitement distribuée. L’oeuvre s’ouvre sur un récitatif de la Magicienne, confié à Roberta Andalò, tandis que Roberta Invernizzi assume une Statira d’une stupéfiante musicalité dont on admirera la généreuse vocalité. »

Opéra International – janvier 2004 – appréciation : Timbre de Platine

« Découvrir un opéra de Cavalli (Statira est le vingt et unième de quarante composés entre 1639 et 1673) promet toujours de grands bonheurs. Plusieurs plus écoutes, de plus en plus gourmandes, permettent de clamer que Statira est une grande oeuvre que de pages inoubliables, serties dans un tissu héroïco-comique grouillant de vie et toutes situées à leur juste place dans une grande forme lyrique tendue !

A ces bonheurs, s’ajoute la joie de lire un nouveau livret de Giovan Francesco Busenello, connu avant tout pour avoir écrit le magnifique libretto de « L’incoronazione di Poppea » de Monteverdi : à côté des éléments identitaires de l’opéra vénitien, Statira porte l’indéniable patte de ce maître dont l’art nous semble n’avoir pas eu d’équivalent jusqu’à Lorenzo Da Ponte. Enfin, le fascicule musicographique apporte, grâce à Dinko Fabris, de nombreuses informations sur cet étrange axe Venise-Naples, grâce auquel, pendant vingt années, de nombreux opéras créés dans la Serenissima (à commencer par la Poppea montéverdienne) se trouvaient repris, ou plutôt adaptés par des mains napolitaines telles celles de Provenzale.

La réalisation sonore tient toutes ses promesses, et même au-delà. Pour ce dramma per musica, Antonio Florio trouve toujours le juste équilibre entre le premier degré, émotionnel, et le second, où le comique n’est jamais schématique. De cette juste mesure, naît une poétique immense, à la mesure du génie de Cavalli. Tempi, vivacité dramatique et couleurs sonores (autant dans le choix des timbres vocaux que dans les options instrumentales) emportent pleinement l’adhésion. La distribution vocale est remarquable. A commencer par la soprano Roberta invernizzi dans le rôle-titre. Sa familiarité et sa convenance à ce répertoire trouvent ici leur aboutissement son timbre chaleureux et sa musicalité spontanée l’aident à modeler un style exact et limpide, et à dessiner un personnage ample et émouvant. Deux rôles masculins, à l’évidence destinés à l’origine à des castrati, trouvent ici d’excellntes interprètes féminines la soprano Maria Ercolana, au timbre assez dramatique, et la mezzo-soprano Dionisia Di Vico dans un rôle assez grave. Et des partenaires habituels d’Antonio Florio sont ici à leur meilleur le ténor buffo Giuseppe De Vittorio dans le rôle d’Elissena, vieille nourrice selon la tradition vénitienne la basse Giuseppe Naviglia, la soprano Maria Grazia Schiavo et la contralto Daniela Del Monaco. Avec pertinence mais sans jamais forcer le trait, tous font du théâtre au disque.

La présente réalisation phonographique semble être l’aboutissement de trente ans de recherches interprétatives dans l’opéra vénitien au XVIIe siècle et proposer un modèle interprétatif. Puisse Antonio Florio continuer longtemps dans cette voie. »

Diapason – décembre 2003 – appréciation 4 / 5 – technique 7 / 10

« OEuvre de maturité, Statira offre un résumé des techniques que Cavalli adopta successivement : les récitatifs hardis et les lamentos sur basse chromatique de Giasone rencontrent le « canto di garbo » propre à La Calisto ainsi que les airs da capo apparus dans Xerse. Partition protéiforme, donc, mise au service, hélas !, du plus faible texte de Francesco Busenello (l’auteur du Couronnement de Poppée et, pour Cavalli, déjà, de La Didone), succession d’intrigues de cour riches en travestissements qui annoncent davantage Marivaux qu’elles ne rappellent Shakespeare. Confronté à ce livret en demi-teintes, ne possédant ni le tragique de Didone ni la drôlerie de Xerse, Cavalli mise presque tout sur un rôle-titre dramatiquement sans intérêt, mais royalement servi en airs. On s’en réjouit, puisqu’en Roberta Invernizzi il trouve une interprète idéale, dont la voix corsée et bien assise sait multiplier les prises de risques ornementales tout autant que les inflexions expressives. On n’en dira pas autant de ses deux soupirants, et l’on regrettera que le rôle le plus intéressant, d’un point de vue théâtral, ait été confié au soprano instable de Maria Ercolano, le mezzo court de Dionisia di Vico ne se montrant guère plus satisfaisant.

D’une façon générale, on retrouve au disque les mérites et manques constatés lors du concert de Beaune, en juillet dernier : magnifique travail de troupe, surtout sensible dans la ductilité du continuo, la tension jamais relâchée, l’attention portée au texte, le naturel des enchaînements et ruptures, accompagné de quelques faiblesses vocales. Si la basse Naviglio et, surtout, le ténor de caractère Totaro sont irréprochables, les deux rôles travestis (Vittorio, nourrice-ténor, et del Monaco, général-alto) apparaissent plus appliqués. Un Cavalli alla napolitaine, qui n’affiche pas le lyrisme de ceux de Jacobs, mais la verdeur ébouriffante propre à la Cappella de’ Turchini. »

Forum Opéra

Dix ans après avoir été créé au Théâtre San Giovanni e Paolo de Venise (1656), ce vingt-et-unième opéra de Cavalli a fait l’objet de remaniements considérables pour sa reprise à Naples. Certes, on reconnaît la griffe de Cavalli dans un récitatif gorgé de vitalité, souple et expressif, une puissante architecture dramatique et des lamenti de toute beauté ; mais un autre compositeur, sans doute Provenzale (il adaptera également Xerse et Artemisia) a enrichi de violons l’écriture des accompagnements, introduit de nouveaux airs et surtout développé la dimension comique chère au public sicilien au travers d’intermèdes bouffes. Il en résulte un ouvrage hybride et déroutant, trop expérimental pour faire l’unanimité, mais qui ne laissera personne indifférent. Antonio Florio s’est livré à un savant travail de reconstitution en puisant à la fois dans la partition de la Bibliothèque Marciana de Venise, essentiellement autographe, mais lacunaire, et dans une édition plus complète conservée à la Bibliothèque du Conservatoire de Milan où figure, notamment, le prologue mythologique et le choeur final de l’ouvrage.

L’argument réunit les ingrédients habituels du drama per musica vénitien : des amours contrariées sur fond de guerre exotique, avec cortège de princes, généraux, suivantes et valets, frivoles ingénues et nobles coeurs, travestissements et rebondissements – un parfum d’inceste aussitôt dissipé – couronnés par un lieto fine sans surprise. Sur le point de tirer sa révérence, Busenello trousse un ultime livret, assez conventionnel et sans grand relief. Emblématique, la scène où le Page Eurillo lutine et moque la vieille nourrice Elissena, manque de sel et d’originalité : nous sommes loin, très loin des répliques vachardes et lestes échangées par le Petit Satyre et Lymphée dans La Calisto ! Il faut dire aussi qu’on a connu Giuseppe de Vittorio plus en verve. Par contre, si son page ne manque pas d’espièglerie, Roberta Andalò n’est absolument pas crédible en Magicienne (prologue). Ses imprécations devraient nous donner la chair de poule, or, on frôle le comique involontaire tant ses poitrinages maladroits évoquent les rodomontades d’un gamin sans poil au menton qui bombe le torse et joue les durs…

Avant de se lancer dans cette belle aventure, Antonio Florio aurait peut-être dû se séparer, momentanément, de la troupe qui l’accompagne dans son exploration du répertoire napolitain. A commencer par Giuseppe Naviglio, élégant baryton qui n’a vraiment pas l’étoffe d’une basse ni la carrure des rôles qu’il est censé endosser. D’emblée, son Pluton, poussif et à la diction pâteuse, affadit le prologue. Curieusement, c’est un usage fort répandu aujourd’hui sur la scène baroque que de confier à des barytons aux graves malingres et sans éclat, sinon à l’émission engorgée (Antonio Abete), des parties de basse. C’est vraiment absurde : on imagine sans peine Daniele Carnovich, par exemple, superbe basse profonde, mais singulièrement sous employée, incarner le dieu des Enfers. Est-ce pour des raisons d’économie – mais alors pourquoi engager une chanteuse pour l’apparition furtive du Messager ? – ou parce que son timbre est assez impersonnel ? Il n’en demeure pas moins que la crédibilité, même au disque, en prend un sacré coup lorsqu’on quitte Naviglio en roi de Perse (Darius) pour le retrouver, deux minutes après, sous les traits de Nicarco, usurpateur du trône d’Arabie…

Heureusement Statira nous ragaillardit – à dire vrai, on n’en attendait pas moins de Roberta Invernizzi : quel bonheur de retrouver la plénitude et la rondeur sensuelle de cette voix au grain délicieusement corsé, cette vocalité frémissante et radieuse ! Seule étoile de cette distribution, la soprano italienne confirme, si besoin en était, d’immenses qualités de musicienne et de belcantiste. On aimerait pouvoir en dire autant de ses prétendants. Prince égyptien travesti pour approcher l’objet de sa flamme, Ermosilla est sans doute le rôle le plus richement doté de l’opéra, héritier de pages sublimes et d’une épaisseur qui fait défaut à la plupart de ses partenaires. Émouvante dans l’élégie (« Amor che mascherasti », « Menfi, mia Patria, Regno »), Maria Ercolano est cependant desservie par un chant instable et fragile. Étrangère à la troupe de Florio, Dionisia de Vico aurait dû le rester : mezzo chétif et râpeux, privé de tout mordant, elle ânonne sans conviction un rôle surdimensionné pour des moyens extrêmement pauvres. En revanche, si sa palette d’affetti semble réduite, Maria Grazia Schiavo campe une Floralba piquante et fraîche à souhait, qui plus est capable de finesse. Alors que le madrigal met en valeur la couleur sombre et charnelle de son contralto (obsédant « Crudeltà rimproverata » de Lotti chez Virgin Classics), le général – même d’opérette – Brimonte surexpose les limites dynamiques et virtuoses ainsi que le volume confidentiel de Daniela del Monaco (« All’armi mio core, all’armi, o guerrieri » tiède et sans une once de pugnacité). Signalons tout de même l’excellent ténor de caractère, Rosario Totaro, qui nous régale en Vaffrino, éclipsant la nourrice, répétons-le, étonnamment bien sage de Giuseppe de Vittorio, pourtant abonné à ces figures hautes en couleur.

Même avec une prise de son flatteuse, les carences d’un plateau inégal, souvent fruste et sans ardeur, nous laissent un goût de trop peu, sinon une impression de négligence et de désinvolture. Au fil des redécouvertes, Cavalli apparaît pourtant comme le digne successeur de Monteverdi : il aurait fallu le prendre au sérieux et lui offrir, comme René Jacobs a su le faire, des interprètes à la hauteur de son génie et, en l’occurrence, du splendide écrin que tisse la Cappella de’Turchini. »