Tolomeo ed Alessandro (Ptolémée et Alexandre)

TOLOMEO E ALESSANDRO OVVERO LA CORONA DISPREZZATA
Ptolémée et Alexandre ou La couronne dédaignée

COMPOSITEUR Domenico SCARLATTI
LIBRETTISTE Carlo Sigismondo Capece

 

Représenté au théâtre privé de la reine Marie-Casimire de Pologne, au Palazzo Zuccari, à Rome, le 19 janvier 1711.
La partition du premier acte fut découverte en 1946 chez un antiquaire de Rome.
Une copie complète a été découverte récemment dans la collection d’un des administrateurs de la Royal Academy de Haendel.

Synopsis

Acte I
Tolomeo, chassé par sa mère Cleopatra et déguisé en berger sous le nom d’Osmino, est sur le point de se jeter à la mer, désespéré par la perte de sa bien-aimée Seleuce, en réalité présente sur l’île sous le nom de Delia. Au même moment, un homme est en train de se noyer ; Tolomeo se porte à son secours et découvre qu’il s’agit de son frère Alessandro, usurpateur du trône. Il résiste à la tentation de se venger et, bon prince, lui laisse la vie sauve. Arrive Elisa, soeur du roi Araspe de Chypre, à la recherche de son berger adoré Osmino, mais tombe sur Alessandro qui s’enflamme aussitôt pour elle. Entre-temps, le tyran Araspe qui a abandonné Dorisbé tente de séduire Seleuce qui le repousse. Dorisbé, déguisée en jardinière sous le nom de Clori, révèle son identité à Seleuce qui, loin d’être une rivale l’assure de son amitié. Araspe offre l’hospitalité à Alessandro : leur amitié se scelle par un duo. Dans la scène suivante, Tolomeo chante sa peine et finit par s’endormir. Seleuce arrive à son tour et le reconnaît, mais quand Tolomeo se réveille, il croit voir le fantôme de sa bien-aimée. Leur rencontre est surprise par Araspe qui fulmine, Seleuce feint de nouveau d’être Delia et Tolomeo nie connaître cette bergère, mais ne peut s’empêcher de soupirer.
Acte II
Elisa tente de repousser les avances insistantes d’Alessandro, tandis que Dorisbe fait croire à Araspe qu’elle l’aime de nouveau, mais le roi lui explique que son amour pour Elisa est d’une force irrésistible. Dorisbe crie alors sa vengeance – par les seules armes de l’amour – et, unie à Seleuce, les deux femmes chantent un duo plaintif. Entre-temps, Elisa découvre la vraie identité de Tolomeo, ainsi que son amour pour Seleuce. Dépitée d’être ainsi rejetée, Elisa tente de convaincre Alessandro de tuer son frère pour mieux régner sur le trône d’Egypte. Celui-ci ne saurait accomplir pareil méfait et est bien décidé de sauver ses frères de ses ennnemis chypriotes. Au même moment Tolomeo et Seleuce errent dans l’île sans se voir et, lorsqu’ils se retrouvent, Araspe intervient et repart à la conquête de Seleuce. Pour la défendre, il se dévoile et est arrêté aussitôt par Araspe ; les époux se séparent et se lamentent.
Acte III
Elisa cherche à obliger Tolomeo à l’épouser, seule condition pour qu’il ait la vie sauve. Mais Tolomeo soupçonne que l’acceptation de Seleuce cache son désir d’épouser Araspe pour pouvoir régner sur Chypre. Les époux se disputent, puis se réconcilient en manifestant le désir de mourir plutôt que d’accepter le déshonneur. Alessandro apprend la nouvelle de la mort de Cleopatra, de sorte que le chemin pour le retour de Tolomeo sur le trône d’Egypte est désormais libre. Mais Araspe qui veut toujours aider Alessandro, donne l’ordre à Dorisbe d’empoisonner Tolomeo dans sa prison. Elisa rend visite à ce dernier et, croyant le voir mourant, est prise de remords. En réalité, Dorisbe avait déjoué le complot en employant un somnifère à la place du poison. Lorsque Tolomeo se réveille, Alessandro, qui a su « mépriser la couronne », lui rend son épouse et les déclare souverains d’Egypte Aussitôt le prince magnanime réitère son désir d’épouser Elisa, qui accepte, tandis que Dorisbe retrouve Araspe. Le cheour final chante la réconciliation de la gloire et de l’amour.

 

Représentations :

Théâtre des Champs Éysées17 janvier 2009 – Vienne – Theater an der Wien – 18 janvier 2009 – version de concert – Il Complesso Barocco – dir. Alan Curtis – avec Véronique Gens (Tolomeo), Klara Ek (Seleuce), Roberta Invernizzi (Elisa), Theodora Baka (Araspe), Raffaela Milanesi (Alessandro), Tuva Semmingsen (Dorisbe)

 

ClassiqueInfo.com

« Ce Tolomeo ed Alessandro overo la Corona disprezzata fait donc partie d’une série de douze « drammi » – chiffre ridicule si on le compare aux œuvres du même genre du papa (une centaine) – composés entre 1703 (Domenico avait 18 ans) et 1718 à Naples, puis à Rome.
Après ses trois premiers opéras, le jeune Domenico s’installa dans la ville papale pour offrir ses services à la reine exilée Maria-Casimira de Pologne. Période propice aux découvertes et aux expériences puisque traversée par la réforme prônée par l’Académie de l’Arcadia, consistant à vouloir redonner ses lettres de noblesse à la tragédie classique au détriment du mélange des genres cher aux vénitiens et dont le Couronnement de Poppée pouvait paraître l’archétype : travestissements, grand nombre de personnages, héroïsme souvent bafoué par l’immoralité. Le contrôle de soi, la maîtrise des passions, le héros vertueux démontrant esprit de sacrifice, clémence, grandeur d’âme, devinrent les mots d’ordre de ces réformateurs. Le genre s’affermira pour donner naissance à l’opera-seria qui dominera la production lyrique tout au long du XVIIIème siècle pour mourir avec la Clémence de Titus de Mozart. Entre 1710 et 1714, ce sont sept opéras que Domenico fit donner dans le petit théâtre que la reine de Pologne avait fait construire dans son palais romain. Notre Tolomeo est le troisième de la série et fut représenté le 19 janvier 1711.
L’œuvre s’inscrit délibérément dans les nouveaux canons du drame réformé : une intrigue historique (un prince – Tolomeo – banni par sa mère), une triple intrigue amoureuse (rendant d’ailleurs la lisibilité du livret assez mal commode, surtout avec les coupes sombres pratiquées dans la représentation au troisième acte), la vertu du frère du prince – Alessandro – trouvant à s’exercer en rendant le trône à Tolomeo (Ptolémée en français), le tout constituant une jolie allégorie puisque le fils de la reine Maria-Casimira s’était vu contraint de céder le trône de Pologne à son frère aîné.
La partition conservée (le premier acte à Milan, les deux autres, récemment découverts dans une bibliothèque de Londres) indique six chanteurs (quatre sopranos et deux altos), tous castrats au temps de la création – six femmes dans notre représentation – et un orchestre comprenant flûtes, hautbois, cordes et continuo. A quelques rares exceptions près (air de Seleuce I, 9 ou au tout début du deuxième acte), Domenico Scarlatti ne confie pas de parties solistes à certains instruments, les vents se contentant, la plupart du temps, de doubler les cordes. 34 numéros vocaux dont deux duos et le chœur final.
Vocalement, les airs, presque tous de forme ABA’, donnent souvent place aux « affetti », comme dans l’air de Dorisbe (II, 3) où les changements de tempi d’une section à l’autre illustrent l’évolution des sentiments du personnage, de la vengeance au remords. Nous ne sommes pas non plus dans l’opéra haendélien de Londres où les castrats seront devenus de telles vedettes que les compositeurs n’auront de cesse de leur offrir toutes les ressources de la virtuosité. C’est une atmosphère « agréable, poétique et plaisante « (pour reprendre certains commentaires de l’époque) qui préside plutôt que de grands éclats virtuoses.
On ne saurait trop remercier Alan Curtis, à la tête de son Complesso Barocco, de poursuivre sa quête dans ce répertoire, si important en nombre d’œuvres et si capital à connaître pour comprendre l’évolution du genre opéra au début du XVIIIème siècle. Il est pourtant dommage que ses recherches semblent se limiter à la découverte des partitions et n’aille pas jusqu’à en rendre toutes les beautés. Si nous ne supportons guère les spécialistes du baroque qui font un sort à chaque note, à chaque mesure (Spinosi, par exemple), nous n’avons pas plus de goût pour le genre d’exécution que Curtis porte à sa « perfection » : le baroque débité au mètre, à la minute, au kilo (vous laissant le choix de l’unité), toutes les notes étant égales, sans l’ombre d’une surprise. Quand un air part sur un tempo donné, vous pouvez déclencher le métronome, ça tombera pile poil à la double barre de mesure finale. Si encore l’ensemble instrumental était parfait ! Mais on est assez loin du compte, avec de fréquents décalages dans les cordes, les trop rares parties solistes étant assez peu élégantes. Bref, un ennui moins que discret nous aurait gagné s’il n’y avait eu la partie vocale.
Là, c’est le bonheur quasiment parfait. Si Ann Hallenberg (Tolomeo au timbre chaud et prenant), Véronique Gens (remplaçante de luxe en Alessandro, avec sa légendaire distinction, une juste projection de la voix qui transforme le moindre mot en émotion) et Roberta Invernizzi (Elisa, sœur du roi Araspe, amoureuse du berger qu’était devenu Tolomeo, mais aimée d’Alessandro – vous suivez ? – pétillante, drôle, cherchant presque à rompre la placidité du chef) nous sont bien connues et ne firent que confirmer tout le bien que l’on pense d’elles, la grande découverte de la soirée fut, à notre sens, la Seleuce (la bien-aimée de Tolomeo et qui subit les assauts amoureux d’Araspe) de la jeune suédoise Klara Ek. Une voix peu baroque (pas mal de vibrato) mais un style très châtié et une capacité d’expression très supérieure à la moyenne.
En dépit d’une grippe qui rendit son émission un peu trop nasale ou engorgée, l’Araspe de Theodora Baka fut de qualité (rôle sans doute le plus virtuose des six). Seule la Dorisbe (amante abandonnée d’Araspe) de Tuva Semmingsen nous parut un ton légèrement en-dessous, avec ses minauderies pas toujours contrôlées vocalement. Une découverte très intéressante et la confirmation que le chant baroque se porte bien et a de bien beaux jours devant lui. »

ConcertoNet

« Lorsqu’on cite le nom de Domenico Scarlatti (1685-1757), on pense immédiatement à ses plus de cinq cents sonates pour clavecin, chefs-d’œuvre du genre, au risque de complètement oublier le reste de ses compositions au nombre desquelles figurent notamment plusieurs opéras. Le virus le prit très tôt… Dès ses jeunes années passées à Naples, il fait en effet représenter ses trois premiers opéras, Il Giustino, Ottavia restituita al trono et L’Irene (respectivement donnés en 1703 pour les deux premiers et 1704 pour le troisième). Après être brièvement passé par Rome, ville où « la musique vit de mendicité » pour reprendre les mots de son père Alessandro (1660-1725), Domenico fut envoyé par ce dernier à Venise, en 1705, afin que son talent puisse véritablement s’épanouir.
Ayant sympathisé avec Francesco Gasparini (1661-1727), connu comme ayant été un grand compositeur d’opéras, et ayant croisé le jeune Haendel (né en 1685 comme lui), Domenico Scarlatti développa dans La Sérénissime son goût pour la voix avant de reprendre le chemin de Rome, en 1709, où il devient un des familiers du cardinal Ottoboni. Faute d’avoir été reçu lui-même (et contrairement à son père) à l’Académie de l’Arcadie, il bénéficia du soutien de la reine Maria Casimira de Pologne qui, elle en revanche, en était membre et qui développait une forte activité de mécénat dans son palais romain. C’est dans ce contexte que Scarlatti fit jouer sept opéras de sa composition entre 1710 et 1714 : La Silvia, L’Orlando, overo la gelosa Pazzia, Tolomeo ed Alessandro, Tetide in Sciro, Ifigenia in Aulide, Ifigenia in Tauri, Amor d’un ombra, e Gelosia d’un aura. Tolomeo ed Alessandro overo la Corona disprezzata a été créé le 19 janvier 1711 sur un livret de Carlo Sigismondo Capeci (1652-1722), qui fit par la suite office de matériau de première main pour Nicola Francesco Haym dont le livret, sur le même thème, servira à Haendel pour composer son propre Tolomeo, créé en avril 1728 à Londres.
L’histoire est complexe. Ptolémée IX Sôter II, fils de Cléopâtre III, régna sur l’Égypte et sur Chypre de 116 à 81 avant Jésus-Christ tout en devant partager à plusieurs reprises le trône tant avec sa mère tyrannique qu’avec son frère Ptolémée X Alexandre Ier (ce dernier ayant d’ailleurs vraisemblablement fait assassiner Cléopâtre III en 101 avant Jésus-Christ). Alors même que la trame historique serait sujette à bien des livrets mêlant à la fois sentiments humains, gloire militaire et réflexion sur le pouvoir (à l’instar de ce composeront Haendel dans son Giulio Cesare in Egitto et Mozart dans La Clemenza di Tito), le librettiste Capeci s’en tint à de strictes histoires de cœur ! Ainsi, contrairement à ce que peut laisser entendre le titre de l’opéra, les rapports entre Ptolémée et Alexandre sont quasi inexistants et leurs confrontations sont d’ailleurs des plus rares… L’action se situe à Chypre. Ptolémée est amoureux de Seleuce qu’il croit morte à la suite d’un naufrage, elle-même courtisée par le tyran Araspe, roi de Chypre, au détriment de la belle Dorisbe. Alexandre, frère de Ptolémée, échoue (au sens propre du terme) sur l’île de Chypre : alors qu’Araspe lui offre hospitalité et amitié, Alexandre tombe amoureux de la sœur du tyran, Elisa, qui refuse ses avances. Sans entrer dans les détails, il suffit de savoir que tout se termine de la façon la plus heureuse puisque Ptolémée et Seleuce se retrouvent, Alexandre (qui renonce au trône d’Egypte au profit de son aîné) s’unit à Elisa et Araspe accepte finalement de se marier avec Dorisbe…
Le contexte intimiste et galant imposé par le livret implique immédiatement un orchestre en conséquence : une dizaine d’instruments à cordes, deux théorbes, un hautbois, un basson, une flûte traversière et un clavecin forment en tout et pour tout l’accompagnement des chanteurs. Il Complesso Barocco s’avère être un excellent ensemble, mené avec attention par Alan Curtis dont on regrette néanmoins que la direction ne soit parfois pas plus dynamique… Le manque de richesse mélodique (a contrario, dans son Tolomeo, Haendel fait appel à des flûtes à bec, des cors, un second hautbois…) qui en découle est compensé par les talents d’orchestrateur de Domenico Scarlatti. Ainsi, dans l’air « de la tourterelle » (« La tortorella, mentre si lagna ») chanté par Dorisbe à la scène 7 du premier acte, les vents miment le volettement d’un oiseau qui, en duo avec la voix, en font un moment de pur délice. De même, les hésitations des cordes forment un parfait écho aux tourments de Ptolémée dans son air « Torna sol per un momento » qui conclut le premier acte. On remarque également les doux arpèges de la flûte qui, servant d’écrin à Alexandre lorsqu’il chante l’air introductif du deuxième acte « Turbato, o mia signora », instillent un climat propre à décrire la campagne dans laquelle la scène est censée se passer. L’accompagnement orchestral, si délicat et orné qu’il soit, est néanmoins parfois emprunt d’une touchante « scolarité » : ainsi, dans l’air d’Elisa « Voglio amore o pur vendetta », si le mot « amore » est seul accompagné de la flûte, le reste du vers est, en revanche, joué par l’orchestre tout entier avec force et vivacité. L’instrument fait ici plus qu’accompagner la parole : il en est le double parfait, quitte à ce que la surprise et l’originalité ne soient pas les leitmotivs de la partition…
Ces faiblesses se retrouvent fatalement dans le chant. Chaque personnage étant représenté par une voix, six voix féminines se partageaient donc la scène entre trois sopranos et trois mezzo-sopranos. Le premier rôle-titre était tenu par Ann Hallenberg, qui chante également le rôle de Tolomeo dans l’opéra de Haendel dirigé au disque par Alan Curtis (chez Archiv Produktion). Sa voix chaude et techniquement impeccable fit merveille même si les plus beaux airs n’étaient généralement pas dévolus à son personnage… De même, et sans que cela nuise à leurs prestations, on regrette que la partition ne mette pas davantage en valeur Dorisbe et Alessandro. Si la jeune danoise Tuva Semmingsen joue habilement son rôle, on soulignera surtout l’exceptionnelle prestation de Véronique Gens : altière, magnifiquement dessinée par sa robe noire en fourreau, elle donne une leçon de chant, qu’il s’agisse de son duo bondissant avec Araspe au premier acte (« Verdi piagge, selve amene ») ou de son air magnifique « Pur sento (oh dio) che l’alma », où sa voix doit habilement jouer avec les silences. Moment de grâce absolue ! En dépit de son état quelque peu grippé, Theodora Baka tint son rôle avec talent. Sa technique vocale lui permit sans encombre de rendre aux airs dévolus à Araspe tout leur panache, la plupart étant fortement ornementés à l’image du beau « Destrier che spinto al corso » (acte 2, scène 3). Au-delà des prestations précédemment soulignées, on retiendra surtout celles de Klara Ek (Seleuce) et de Roberta Invernizzi (Elisa). A voir leurs mouvements et leurs emportements, on regrette que cet opéra ait été donné en version de concert et non en version scénique, ce qui leur aurait sûrement permis de déployer leurs talents de comédiennes. Leurs voix furent admirables, adoptant toujours le juste ton en fonction du message à délivrer, donnant lieu à des duos d’une finesse remarquable (à la quatrième scène de l’acte 2 par exemple) et des airs qui, sans atteindre ce que l’on peut entendre chez d’autres compositeurs, plongèrent parfois le Théâtre des Champs-Elysées dans une atmosphère quasi irréelle (ainsi lorsqu’Elisa chanta « Su, su, mio core » à la scène 6 du deuxième acte).
Alors que l’œuvre reste on ne peut plus confidentielle (elle ne connaît aucun enregistrement à ce jour et Piotr Kaminski ne fait que la mentionner au détour de la notice biographique qu’il consacre à son auteur dans sa somme Mille et un opéras parue chez Fayard), force est de constater que le public était au rendez-vous. C’est donc un Théâtre des Champs-Elysées quasiment complet qui put acclamer une équipe de musiciens et de chanteurs totalement engagée : de quoi les encourager à récidiver ! »

Anaclase.com

« Fidèle à sa vocation de découvreur de joyaux oubliés, Alan Curtis nous fait entendre ce soir un dramma per musica créé à la fin de l’année 1711 à Rome, Tolomeo ed Alessandro ou La Corona disprezzata, écrit par Domenico Scarlatti sur un livret de Carlo Sigismondo Capeci. L’introduction de Jean-François Lattarico, publiée dans la brochure de la soirée, invite à considérer l’œuvre comme une métaphore politique portant sur la succession royale polonaise, un éclaircissement parfaitement défendable sous la protection romaine de la reine Maria Casimira en exil.
Vraisemblablement chanté à sa première par une distribution exclusivement masculine se partageant les rôles des deux sexes selon leur registre, Tolomeo ed Alessandro est ici donné par une équipe intégralement féminine dont on saluera dans son ensemble la prestation. Les choix de casting paraîtront judicieux durant toute l’exécution, révélant peu à peu leurs atouts. Profitons-en, au risque de paraître enfoncer des portes ouvertes, pour saluer le talent dévoué d’artistes qui s’essaient à des rôles qu’elles ne chanteront peut-être que quelques soirs, pour le seul plaisir de la redécouverte. Cet exercice exige une assimilation rapide et une musicalité hors pair.
En Dorisbe, nous goûtons la délicate sensualité de timbre de la jeune norvégienne Tuva Semmingsen dont le chant s’affirme sagement conduit. Si La tortorella (acte I) paraîtra charmant, Vorrei vendicarmi (acte II) oppose vigoureusement rage et tendresse. D’une voix indéniablement agile, le soprano Klara Ek livre une Seleuce à l’aigu avantageux, bien que d’une inflexion assez froide dans È un grave martire (acte I). Au fil de la soirée, elle libère une expressivité moins sévère, jusqu’au fulgurant Hai vinto du dernier acte. D’abord relativement imprécise, Roberta Invernizzi (Elisa) retrouve la superbe qu’on lui connait dès l’acte médian, avec un Su, su, mio core hale-tant de furie, et, mieux encore, l’air Voglio amore o pur vendetta (acte III) qu’elle nuance subtilement.
Côté messieurs – pour ainsi dire -, bien que grippée Theodroa Baka n’a pas décommandé son Araspe dont elle assume précautionneusement la partie. Dans le second air du 2ème acte, elle surmonte soudain les encombrements de sa petite forme dans un Piangi pur, ma non sperare tout à fait probant. Au III, elle se jouera avec souplesse et inventivité de Sono idee d’un alma sciolta. De prime abord, Véronique Gens ne convainc pas dans Alessandro. Sa prestation est habile et d’une belle tenue, mais, tout en bénéficiant de cette couleur infiniment gracieuse qu’on lui sait, souffre d’une diction assez floue et d’une conception plutôt contrite. L’air Pur sento che l’alma est magnifiquement chanté, incontestablement, l’émotion étant au rendez-vous de ce petit bijou du concert. Enfin, l’excellente Ann Hallenberg prête son timbre chaleureux, son émission précise et son sens remarquable du drame à Tolomeo. La souplesse du chant fait merveille dans Rendimi, o crudo fato, dignement investi (acte I), l’élégance jamais abusive de l’ornementation séduit dans Cielo ingiusto, la saisissante retenue de Torna sol per un momento signe une interprétation d’une sensibilité précieuse. L’on savait que Händel, avec la complicité de Haym, avait utilisé la trame de Capeci dans son Tolomeo Re d’Egitto ; on le surprend ici à s’être également inspiré du Stille amare de Scarlatti (acte III), dix-sept ans après sa composition, dans son Stille amare plus célèbre qu’il décline dans un envol au lyrisme nettement affirmé.
À la tête du Complesso Barocco, Alan Curtis s’ingénie à la fluidité et à l’équilibre, profitant toutefois peu des timbres, dans une conception qui gagnerait à oser plus de tonicité. »

Asciano – Chiesa di San Francesco – Festival di Montisi – 21 juillet 2007 – Santiago de Compostella – Festival Iglesia de San Domingo – 23 juillet 2007 Il Complesso Barocco – dir. Alan Curtis – avec Ann Hallenberg (Tolomeo), Klara Ek (Seleuce), Roberta Invernizzi (Elisa), Theodora Baka (Araspe), Marta Vandonilorio (Alessandro), Mary Ellen Nesi (Dorisbe)