L’Isola d’Alcina (L’Île d’Alcine)

COMPOSITEUR Francesco SACRATI
LIBRETTISTE Fulvio Testi

 

Dramma per musica, sur un livret (*) en cinq actes du comte Fulvio Testi (1593 – 1646), représenté à Bologne, au teatro Guastavillani, en 1648.

(*) ce livret avait été utilisé en 1626 par Sigismondo d’India, en vue de la célébration du mariage entre Marie Farnèse et François d’Este, prévu pour début octobre 1626. Malheureusement, la mort de l’infante Isabelle de Savoie fit annuler ces festivités.

Le livret est dédicacé à l’illustrissime et révérendissime seigneur abbé Francesco Falconieri. Il comporte au avis au lecteur signé de Sacrati.

Au lecteur

Si la musique d’Alcine te paraît mal dégrossie, excuse-la, je t’en supplie : née dans le cadre rustique d’une villégiature, elle ne peut être que telle. Pour tromper l’oisiveté, je me suis mis à la composer alors que j’étais à Panzano, maison de campagne de l’illustrissime seigneur Cornelio Malvasia, attendant que celui-ci revienne de guerre, sans penser qu’elle pût jamais avoir l’audace de paraître sur les théâtres publics de Bologne, mais pour qu’elle reste enfermée dans un écrin, ou déposée comme un trésor extrait de la mine qu’était le génie du grand Testi, ou emprisonnée en tant que coupable de ma témérité.

Elle apparaît maintenant toute honteuse et timide sous les yeux de spectateurs si nobles et d’un tel mérite, car elle doit rougir davantage d’être couverte des haillons dont je l’ai revêtue que de se montrer dans sa nudité naturelle. Si tu la regardes avec les yeux de l’intellect comme la splendide fille d’un génie inimitable, tu t’apercevras qu’elle ne peut être amendée. Si tu la perçois avec l’entendement de l’oreille, comme un nouveau-né enveloppé dans les langes difformes de ma musique, tu ne reconnaîtras pas en elle d’autre trace de beauté que celle de l’harmonie qu’elle a héritée de la lyre paternelle.

Note en outre que si tu la vois introduite sur la scène par un Prologue différent de celui qui, aux premiers jours de sa naissance, l’avait amenée sous les yeux des princes d’Este, il s’agit d’une adaptation nécessitée par le temps et le lieu où elle doit être représentée. Tu ne devras donc pas trouver mauvais qu’à la place de l’Arioste, ce soient la Nuit, l’Aube et l’Aurore qui préludent à un ouvrage qui mérite, parmi tous les autres, le nom de soleil, d’autant plus qu’elles s’expriment avec des paroles que leur a suggérées un des plus fameux cygnes de notre siècle.

Sois indulgent pour mes erreurs, et vis heureux.
Personnages : La Nuit, l’Aube, l’Aurore

Alcine (Alcina), Lydia (Lidia), camérière d’Alcine, Roger (Ruggiero), les Sirènes, Mélisse (Melissa), magicienne, Hydraspe (Idraspe), amiral d’Alcine, un Messager (Nunzio), Astolphe (Astolfo), Chœur de chevaliers transformés par Alcine, Chœur de demoiselles d’Alcine.

Synopsis

Prologue

La Nuit, dont les sorcières utilisent parfois le manteau, va céder la place au soleil ; l’Aube va faire blanchir le ciel ; l’Aurore prépare l’arrivée du soleil, et le rideau va se lever sur le théâtre du monde.

Acte I

Sc. I : Alcine s’est levée de bonne heure pour retrouver plus vite Roger. Sa camérière Lydie l’invite à être plus mesurée. Mais Alcine a un pressentiment : Roger va la quitter. Lydie la rassérène : il ne le veut pas, et même s’il le voulait, il ne pourrait quitter l’île.

Sc. II : Alcine confie son inquiétude à Roger, qui l’assure de son amour éternel.

Sc. III : resté seul, Roger voit surgir de la mer trois sirènes qui chantent l’amour et le Carpe diem.

Acte II

Sc. I : la magicienne Mélisse atterrit avec ses dragons. À la demande de Bradamante, elle vient désenvoûter Roger.

Sc. II : Alcine est toujours inquiète. Elle donne des ordres à son amiral Hydraspe pour que toutes les issues de l’île soient surveillées.

Sc. III : Roger chante les charmes d’Alcine, et réciproquement ; mais Alcine n’est pas tranquille. Un chœur de demoiselles chante leur bonheur.

Acte III

Sc. I : Roger voit arriver Mélisse, qui a pris la forme de l’enchanteur Atlant, son tuteur, et lui reproche ses turpitudes ; elle lui remet un anneau qui doit lui permettre de voir ce qu’est réellement Alcine.

Sc. II : Roger est honteux d’avoir trahi Bradamante, qui a pris tant de risques pour lui. Il va réagir.

Sc. III : Astolphe, changé en myrte, et les autres victimes d’Alcine, interpellent Roger et sollicitent son aide. Il les invite à prier le Ciel.

Acte IV

Sc. I : Roger revient tout armé, après avoir, grâce à l’anneau, constaté la laideur d’Alcine. Mélisse lui révèle qui elle est réellement, et l’invite à monter sur un destrier noir (l’hippogriffe est trop difficile à mener) pour rejoindre un bateau qui l’emmènera. Elle l’assure qu’Astolphe et les autres seront libérés.

Sc. II : Alcine s’inquiète : il est midi, l’heure où Roger la rejoint normalement ; or, il n’est pas là. Lydie, qui revient, l’a cherché en vain, et a constaté que ses armes avaient disparu. Elle s’efforce néanmoins de tranquilliser Alcine.

Sc. III : un messager ensanglanté arrive ; il est le seul survivant de la boucherie à laquelle Roger s’est livré pour se frayer un passage.

Sc. IV : très long (123 vers) lamento d’Alcine, qui déplore notamment d’être immortelle. Elle interpelle les dieux, souhaite la mort de Roger, puis invite ses troupes à le rattraper, mais sans lui faire de mal.

Acte V

Sc. I : Mélisse crie victoire : Roger a déjà dû arriver chez la bonne fée Logistille. Elle n’a plus qu’à s’occuper des anciens amants d’Alcine.

Sc. II : Selon Lydie, Roger n’aura pu franchir l’obstacle de la mer ; mais Hydraspe qui survient raconte comment lui et ses hommes, victimes du bouclier aveuglant, ont été mis en déroute. Alcine ne peut plus recourir qu’aux puissances des ténèbres.

Sc. III : Mélisse défait l’enchantement dont sont victimes Astolphe et ses compagnons, qui lui rendent grâces. Alcine avoue sa défaite.

 

Le livret fut imprimé pour la première fois dans le recueil des Poesie liriche del conte Fulvio Testi, Modène, 1636. Ce recueil connut de nombreuses rééditions : Naples, 1637 ; Modène et Venise, 1646 ; Venise, 1683.

En 1648, soit deux ans après la mort du comte Testi, l’ouvrage est représenté à Bologne, au teatro Guastavillani, avec une musique de Francesco Sacrati, également perdue ; à cette occasion, le texte est imprimé séparément (disponible en google books, exemplaire de la Bibl. Naz. Vittorio Emanuele de Rome). Bologne fait à cette date partie des États du Pape. La représentation de 1648 a-t-elle eu lieu dans un contexte ecclésiastique ? En tout cas, on constate que l’œuvre est dédiée à un abbé et a bénéficié d’un imprimatur. Le prologue de 1626, qui faisait intervenir l’Arioste lui-même, est remplacé par un prologue d’auteur inconnu, présenté par Sacrati comme « un des plus fameux cygnes de notre siècle ». Le chœur final est coupé.

Les deux éditions comportent quelques divergences de texte. Le texte fourni par le site librettidopera.it semble privilégier la version de 1636. La traduction pour livretsbaroques.fr a été établie en comparant les deux versions et en retenant les leçons tantôt de l’une, tantôt de l’autre.

Le livret est relativement bref : environ 8700 mots (en traduction), en incluant les deux prologues et la scène finale. La pièce donne une impression de statisme : tous les moments d’action font l’objet de récits au lieu d’être montrés. Aucune indication scénique ne figure dans le texte, et on ignore si des machines étaient prévues. L’ouvrage ne comporte que 18 scènes et 94 répliques, dont une de 123 vers, soit près d’un dixième de la pièce, et un total de onze répliques dépassant les vingt vers, ce qui indique un net manque de dynamisme.

 

Livret en français disponible sur livretsbaroques.fr

Livret (en italien)