Les Paladins

COMPOSITEUR Jean-Philippe RAMEAU
LIBRETTISTE Jean-François Duplat de Monticourt
ENREGISTREMEN ÉDITION DIRECTION ÉDITEUR NOMBRE LANGUE FICHE DÉTAILLÉE
1978 Jean-Claude Malgoire CBS 1 français
1990 1998 Jean-Claude Malgoire Pierre Verany 2 français
1990 1998 Jean-Claude Malgoire Pierre Verany 1 français
1990 2006 Jean-Claude Malgoire Arion 2 français
2010 Konrad Junghänel Coviello 2 français

DVD

ENREGISTREMENT ÉDITION DIRECTION ÉDITEUR FICHE DÉTAILLÉE
2004 2005 William Christie BBC – Opus Arte

 

Comédie lyrique en trois actes, représenté à l’Académie royale de musique du 12 février au 20 mars 1760. La distribution (trois dessus, deux hautes-contre, une taille, deux barytons) réunissait : Pillot (Manto, Fée), Gélin (Anselme, Sénateur et Tuteur d’Argie), Sophie Arnould, alors âgée de vingt ans (Argie, jeune Italienne), Lombard (Atis, Paladin), Larrivée (Orcan, Serviteur d’Anselme, et gardien d’Argie), Mlle Lemière (Nérine, Suivante d’Argie), Muguet (un Paladin). Autres personnages : Paladins, et leur Suite, sous plusieurs déguisements, Troubadours & Ménestrels, de la Suite d’Atis, Serviteurs d’Anselme, Suivants de Manto, sous la forme de Chinois & de Pagodes.
Ballets : acte I – Pèlerins et Pèlerines (Lyonnois et Mlle Lyonnois, Mlle Riquet, Beate et Mlle Leclerc, Mrs Trupty, Rivet, Desplaces, Hamoche, Cezeron, Grosset, Mlles Martigny, Tételingre, Saron, Dornet, S. Félix, l’Escaut) ; acte II – Démons (Laval, Hyacinthe et Dupré, Mrs Hus, Rivet, Desplaces, Hamoche), ,Paladins et leurs Dames (Vestris, Mlle Vestris, Lyonnois, Mrs Lelievre, Trupty, Gardel, Mlles Demiré, Couppé, Latour), Troubadours (Lany et Mlle Lany, Mrs Levoir, Valentin, Grosset, Mlles Chaumard, Mescar, Dumonceau) ; acte III – Pagodes (Beate et Mlle Leclerc, Mrs Cezeron, Valentin, Grosset, Mlles Valentin, Basse, Rey), Paladins et leurs Dames (Vestris, Mrs Lelievre, Trupty, Gardel, Mlles Couppé, Demiré, Lacour), Chinois et Chinoises (Lany et Mlle Lyonnois, Mrs Hus, Rivet, Desplaces, Hamoche, Mlles Riquet, Lescar, Lacour, Dumonceau).
On dispose de dessins de Louis-René Boquet pour les costumes de :

Mlle Vestris et d’une autre danseuse dans un Pas de deux Paladines,

Mlle Arnould dans le rôle d’Argie, et M. Lyonnois dans un Pas seul.

Le livret est inspiré d’un conte de La Fontaine, Le petit chien qui secoue de l’argent et des pierreries, lui même tiré de l’Arioste.
Les premières représentations furent un échec, et l’opéra ne fut même pas gravé pour l’édition.
Une parodie, sous le nom Les Pélerins de la Courtille, par Le Monnier, fut donnée à l’Opéra-Comique le 22 mars 1760, sans grand succès.
Marmontel, dans ses Mémoires d’un père, évoque le librettiste Monticourt : …un certain Monticourt, railleur adroit et fin, et ce qu’on appelait alors un persifleur de première force… en s’avouant lui-même dénué de talents, il se rendait invulnérable à la critique.
La partition originale est conservée à la BNF.


Argument
L’action se passe au Moyen Age, en Vénétie, et relate l’amour du vieux sénateur Anselme pour sa jeune pupille Argie, sévèrement gardée par Orcan, cerbère aussi pleutre que ridicule.
Acte I
Le paladin Atis réussit à s’introduire avec sa troupe déguisés en pèlerins dans le château où Argie est prisonnière d’Anselme, son tuteur. Grâce à la protection de la fée Manto, il fait naître à chaque mot qu’il prononce « or, bijou, diamant ». Le garde Orcan est battu par les pèlerins et forcé de s’enrôler avec eux à l’issue d’une cérémonie d’initiation. On annonce l’arrivée d’Anselme, le tonnerre gronde.
Acte II
Argie annonce à Anselme qu’elle veut épouser Atis. Anselme feint de consentir, mais il donne un poignard et du poison à Orcan. Nérine essaye de retenir Orcan. Les paladins déguisés en démons effrayent Orcan et lui arrachent poignard et poison. Ils quittent leurs déguisements et forment un divertissement de ménestrels et troubadours. Anselme s’avance avec une armée. Les paladins se réfugient dans le château.
Acte III
Anselme se dispose à attaquer le château quant tout disparaît autour de lui. Un palais de goût chinois apparaît, avec la fée Manto déguisée en esclave qui fait des déclarations d’amour à Anselme, agrémentées de danses et de statues animées. Anselme renonce à garder Argie. Argie et Atis sont réunis. Divertissement chinois.
Livret disponible sur livretsbaroques.fr

« L’impitoyable Charles Collé n’y va pas de main morte. A la page « Février, 1760″ de son Journal historique, on lit :  » Le mardi, 12 du courant, l’Académie royale de musique donna la première représentation des Paladins, ballet héroi-comique, musique de Rameau, les paroles d’un anonyme qui a eu l’esprit de se cacher assez bien jusqu’à présent. L’esprit et la prudence, car Monticourt, incognito, se fait ensuite traiter d' »homme qui n’a pas la première notion d’art dramatique ». C’est d’ailleurs à son poème si ridiculement détestable a que le critique attribue la chute finale de Rameau.  » Et voilà ce que c’est, conclut-il, que d’avoir eu la prétention de dire qu’on mettra la gazette de Hollande en musique ; d’avoir, sans pitié et sans raison, sacrifié comme un stupide le Poète à son orgueil musical ; d’avoir réduit le plaisir de l’Opéra à des sons. »
Echec des Paladins en 1760. Trois ans plus tard, Les Boréades n’auront même plus le loisir d’échouer. On les tuera dans l’œuf. Collé, Grimm, Rousseau, le public veulent autre chose. Rameau s’en va.
On en a donc certainement eu, de l’esprit, en confiant ce caprice oriental sans queue ni tête inspiré de La Fontaine – sorte de Turc généreux que visiterait un Enlèvement au sérail mâtiné de Comte Ory – non à quelque officier du drame mais au vidéochorégraphe José Montalvo, genial artisan de l’espace physique et joyeux démonteur de l’espace mental. Car les gens de goût s’entendent au moins sur ce point : la musique doit être sauvée. Rager Désormière, éditeur et chef, n’eut de cesse de la servir. Renée Viollier, docteur ès comédies baroques, championne des Amours de Ragonde (de Mouret) et de Platée (l’autre bouffonnerie de Rameau), libéra le damné de son enfer en 1967. Gustav Leonhardt, oreille fine s’il en reste, lui dédia un disque complet en vingt-quatre symphonies ou danses -quelles symphonies, l’Ouverture, l’Entrée des pèlerins, celle des Chinois, et quelles danses, la Sarabande, l’Air de la Furie, les menuets, la contredanse finale. » (Diapason – mai 2004)

« Contrairement à ses contemporains, Rameau n’a jamais délaissé les genres populaires. On lui connaît des canons humoristiques évoquant catins, bedaines et chopines, mais aussi des musiques (perdues) de divertissements pour le théâtre de la foire sur des textes grivois de Piron (L’Endriague, La Rose, etc.). En 1745, il ose Platée, sublime exemple d’un métissage des cultures française et italienne qui aurait dû tuer dans l’oeuf avec sept ans d’avance, le débat stérile de la Querelle des Bouffons. Mais dans une France alors aussi conservatrice, sa démarche choque. En 1760, au terme d’une vie tourmentée, remplie tout autant de succès que de désillusions, Rameau était-il prêt à faire des concessions aux bienséances sociales d’une époque à laquelle il appartenait si peu ? On mit sur le compte de la vieillesse l’accueil mitigé des Paladins. « Rameau a paru radoter ; et le public lui dit qu’il est temps de dételer », écrit ce teigneux de Charles Collé, le soir de la première.
Le livret, attribué à Duplat cIe Monticourt, situe l’action au Moyen Âge et met en scène deux trios. Le premier, de registre tragique et pastoral, est formé du paladin Atis, d’Argie et d’Anselme, vieux sénateur décidé à épouser de force sa pupille Argie. Le second trio, de registre bouffe, est constitué de la pétillante Nérine (confidente d’Argie), d’Orcan (serviteur d’Anselme) et de Manto (une fée maure de sexe indéfinissable). Au premier trio, Rameau confie des airs bouleversants comme le tout premier monologue d’Argie (« Triste séjour », I, 1) ou le duo tendre à souhait entre Argie et Atis (« Vous m’aimez », I, 5). D’Anselme, Rameau s’emploie à caractériser musicalement les deux facettes : l’une, ténébreuse comme Isménor dans Dardanus (« C’est ce poignard perfide », II, 3) ; l’autre, aussi bouffe et ridicule que Falstaff (« Tu me suivras », III, 3). Au second trio, Rameau offre des joyaux de séquences comiques. Il croque musicalement un Orcan, tel Leporello dans Don Giovanni, fourbe mais sympathique. Ainsi, quand Orcan doit poignarder Argie, sur ordre d’Anselme, Rameau traduit son trouble en le faisant s’exprimer dans un style tragique outré (« Je puis donc me venger », II, 5) pour symboliser un semblant de courage, puis dans une écriture saccadée et tremblée (« Ah !je meurs de peur ») pour traduire ses hésitations. Quant à Nérine, elle manipule Orcan en stimulant sa libido dans un duo sensuel (« Il est temps… attends », I, 3) et en le trompant dans une irrésistible déclaration d’amour fircée (II, 6) où Rameau navigue entre monologue larmoyant parodié (« Ah ! je sens mon âme prête â s’égarer ») et duo bouffe (« Quelle ardeur, quel délire »). Enfin Manto, telle la Folie dans Platée, détraque l’enjeu de l’opéra par un tour d’illusionnisme. Leurré par tant de richesses virtuellement offertes (trésors, palais chinois…) en échange d’une union avec Manto, le vieux fourbe en oublie son engagement envers Argie et se reprend, trop tard : « Tu m’aimeras, m’épouseras » crie-t-il àArgie; « Non, non », rétorque-t-elle dans un trio désopilant où Manto sème une zizanie jouissive. Airs, duos, trios et choeurs s’imbriquent dans ce marivaudage ponctué d’airs à danser, prétextes aux jeux de scène, aux illusions ou simplement au plaisir de la danse.
Ne cherchons ici ni cartésianisme ni vraisemblance. Les Paladins sont une invitation au voyage dans un imaginaire délirant. (Le Journal des Arts Florissants – septembre/décembre 2005)

« Une musique vive et sèche, dont la gaité continue devait ennuyer, malgré de charmants épisodes. » (Louis Laloy – Rameau – 1919)
Livret
http://jp.rameau.free.fr/les_paladins.htm
L’Avant-Scène Opéra – n° 219 – mai 2004


Représentations :
Düsseldorf – Deutsche Oper – 28, 31 janvier, 5, 7, 11, 14 février 2010 – Duisbourg – 29 avril, 2, 4, 6, 8 mai 2010 – Neue Düsseldorfer Hofmusik – dir. Konrad Junghänel – mise en scène Arila Siegert – décors Frank Philipp Schlößmann – costumes Marie-Luise Strandt – chef de choeur Gerhard Michalski – avec Anna Virovlansky (Argie),, Julia Elena Surdu (Nérine), Laimonas Pautienius (Orcan), Anders J Dahlin (Atis / Damon), Adrian Sampetrean (Anselme), Thomas Michael Allen (Manto / Paladin) – nouvelle production



Paris – Théâtre du Châtelet – 16, 17, 19, 20, 22 octobre 2006 – Tokyo – Bunkamura – 4, 5, 7, 8 novembre 2006 – Les Arts Florissants – dir. William Christie – mise en scène Jose Montalvo, Dominique Hervieu – lumières Philippe Berthomé – avec Topi Lehtipuu (Atis), Stéphanie d’Oustrac (Argie), Sandrine Piau (Nérine), François Piolino (la Fée Manto), Joao Fernandes (Orcan), René Schirrer (Anselme), Leif Aruhn-Solen (un Paladin)
ConcertoNet – 16 octobre 2006
« Après avoir connu un immense succès lors de sa création en 2004 au Châtelet puis à l’étranger, le spectacle Les Paladins revient le temps de quelques représentations à Paris avant de partir pour le Japon. Le triomphe est toujours au rendez-vous et la mise en scène pour le moins originale de José Montalvo et Dominique Hervieu ainsi que la direction attentive de William Christie contribuent à donner une image moderne de l’opéra baroque français, au risque de verser dans un certain mauvais goût.
Au risque de paraître “réactionnaire”, on ne peut pas adhérer totalement à la vision des metteurs en scène, et ce pour une raison de bon sens : l’histoire développée dans cet opéra n’est pas entièrement drôle (ce n’est pas Platée), les personnages souffrent même si l’issue est heureuse et c’est assez déroutant d’entendre une salle rire aux éclats parce qu’un métro est représenté en toile de fond et parce que de charmantes bêtes (flamants roses, lions…) envahissent cette même toile. Le décalage entre la musique de Rameau et ce qu’ils montrent sur scène est vraiment trop fondamental ! Le troisième acte, en revanche, justifie un peu de féerie et de magie parce que la fée Manto use de ses pouvoirs pour transformer le château, etc. et l’ambiance est bien respectée. En revanche rien ne justifie le métro et les danseurs dénudés. Les metteurs en scène sont issus de l’univers de la danse et, en théorie, leur travail aurait pu être très passionnant car cet opéra est composé de très nombreux ballets : ils ont voulu mélanger tous les genres de danses et leur chorégraphie est donc hybride. Reste à apprécier si esthétiquement on peut accepter des danseurs revêtus de costumes tirés de la “mode” des banlieues… Quelques idées sont toutefois à retenir : au troisième acte, les percussionnistes viennent sur scène costumés et c’est très intéressant de mettre en lumière ces instruments au lieu de les laisser dans la fosse.
La distribution est assez convaincante. La prestation de Stéphanie d’Oustrac avait été fortement saluée en 2004 et elle renouvelle aujourd’hui son exploit. Elle campe une fine Argie, ni oie blanche, ni autoritaire et surtout la voix a pris de l’assurance, elle s’est corsée dans les aigus, ce qui lui permet de nuancer davantage. S’il ne fallait retenir qu’un moment, ce serait son air au troisième acte “Je vole…”, particulièrement poignant avec des graves nourris et soutenus et des aigus doux et harmonieux. Topi Lehtipuu est brillant dans le rôle d’Atis mais sa voix n’est guère homogène: les aigus sont un peu courts et serrés. Il se rattrape dans les vocalises parfaitement exécutées. Il brosse le portrait d’un jeune homme plein de ressources pour approcher sa belle et il ne joue pas aux héros de tragédie lyrique un peu fade, grâce au jeu de scène chorégraphié et précis et à sa voix assez sombre et volontaire.
Sandrine Piau incarne la suivante d’Argie, Nérine, avec un certain aplomb. Elle semble s’amuser dans cette production car la voix, si elle manque toujours un peu de puissance, est libérée et agile. La fraîcheur du personnage est bien exprimée car la chanteuse trouve de jolies couleurs ensoleillées: elle se montre une soubrette attachante et sincère dans son hymne à l’amour. Les vocalises sont toujours nettes et précises et il est agréable de retrouver cette soprano dans ses premiers emplois, véritablement faits pour elle. Joao Fernandes prend la suite de Laurent Naouri, qui avait illuminé de sa présence la création en 2004. Le jeune chanteur ne démérite absolument pas, bien au contraire, car il possède un instrument de très grande qualité et surtout il sait l’utiliser à des fins dramatiques: il sait se montrer méchant avec un rythme haché dans son duo avec Nérine “Tu ne me fuis pas”. De même, il devient terrifiant dans l’air accompagné au clavecin, qui n’est pas sans faire penser à Purcell, car il fait sonner ses graves. Il est également très à l’aise dans les passages chorégraphiés, dans la mesure où il parvient à ne pas présenter une caricature du personnage: il lui apporte une touche comique mais pas ridicule, une certaine naïveté.
René Schirrer ne possède pas une voix à proprement parler baroque, même s’il fait un effort pour se plier à la grammaire du XVIIIe siècle. Il incarne avec justesse un vieux sénateur qui n’a pas accès à l’amour et qui est ridiculisé et joué par les autres personnages. Son chant est plein de noblesse au début pour être plus roué par la suite, voire hypocrite (il souligne les “de vous plaire” dans la scène où il consent à renoncer à Argie). Le personnage se dévoile au cours de la représentation et le chanteur insiste sur cette évolution avec des notes plus percutantes, moins élégantes. François Piolino est toujours aussi irrésistible en fée Manto, avec sa grande jupe de toutes les couleurs. Sa voix évolue car les graves sont plus fournis, les aigus un peu moins aériens et il se tourne de plus en plus vers une tessiture de ténor. Il est aussi bon acteur que bon chanteur car il agrémente sa déclaration d’amour à Anselme de gestes et d’oeillades suggestifs: il met en relief certains mots adressé au vieux sénateur comme “ta majesté” en exagérant les sons. Le phrasé est élégant et souvent, après avoir posé sa note, il l’alimente au fur et à mesure avec habileté.
Une remarque générale s’impose toutefois : il est assez difficile de suivre l’action dans la mesure où la majorité des chanteurs, pourtant français, articulent très mal et on ne comprend pas un traître mot de ce qu’ils se disent. La direction de William Christie est carrée, presque sèche, sauf dans les ballets où il prend visiblement un immense plaisir à diriger cette musique. Dès l’ouverture il insuffle une vie à ses instrumentistes et la bonne humeur va régner pendant toute la représentation.
Le spectacle fonctionne et c’est finalement l’essentiel ! Les réserves émises sur la mise en scène sont balayées par l’enthousiasme des spectateurs et par l’énergie des artistes. Il faut saluer l’audace de monter avec autant de succès une œuvre qui n’est pas, a priori, la meilleure de Jean-Philippe Rameau et se laisser porter par la musicalité et la sensibilité des exécutants. »
Operanight – 20 octobre 2006
« Mais quel ennui ! Quel ennui que ce spectacle terriblement daté. La mise en scène, tout d’abord, qui s’appuie sur un décor créé par des images projetées sur un écran à trois étages derrière les comédiens. Le principe est intéressant mais il lasse très vite tant il confine à l’anecdote et à la répétition. Le paon faisant la roue, les buis se déployant, les têtes se transformant en serpent ne vous sont pas servies une ou deux fois mais des centaines de fois. Dommage en fait car certaines idées sont belles mais leur surexploitation devient pénible. Sur scène, les danseurs montrent certes un certain talent mais ces danses sont terriblement répétitives. Une fois que vous aurez compris que l’équipe de mise en scène et de chorégraphie a voulu souligner chaque chanteur par un danseur de hip-hop ou de breakdance, vous êtes assuré que cela vous sera resservi là aussi des centaines de fois. Quant aux danseurs classiques, nous dirons que le niveau n’est pas complètement digne d’une scène comme celle du Châtelet.
Les costumes vous projettent au mieux dans un défilé de Jean-Paul Goude, au pire dans une pub Benetton. En tout cas, vous vivez un revival complet des années 80 dans tout ce que leur amour de la couleur criarde pouvait avoir d’insupportable. Que tout cela est profondément vilain. Bien sûr, la lumière est à l’avenant pour souligner le criard. Et pour couronner le tout, il faut ajouter les inévitables nus. C’est très à la mode chez les modeux, les pubeux, les pseudo avant-gardistes. Il faut mettre du nu pour choquer le bourgeois. Or à force de mettre du nu à toutes les sauces, on en devient ringard. Le bourgeois n’est plus choqué mais simplement attristé devant quelque chose d’aussi convenu. Nos pubeux doivent s’amuser de tout cela mais ça sent aussi frais que le studio d’un soixante-huitard un dimanche matin. En fait, j’attendais l’arrivée de échelles, des tubes néons et des échafaudages qui constituent le corpus du parfait petit metteur en scène/décorateur à la mode.
Globalement, nous assistons à un ensemble frénétique et épuisant qui n’a ni queue ni tête : beaucoup d’agitation pour rien. Alors devant tant d’agitation, de répétition et de couleurs agressives, Rameau succombe. Rameau succombe déjà par les petits bruits stridents et agaçants des sneakers de nos danseurs qui ponctuent leurs gesticulations saccadées de grincement difficilement supportables à l’oreille du mélomane. D’une façon générale, tous ces danseurs ne connaissent pas vraiment la légèreté du déplacement : aux petits bruits stridents viennent s’ajouter de sourds sons de pas lourds. Mais cette chute est d’autant plus aisée que nous ne sommes vraiment pas en présence d’un chef d’œuvre. Un argument indigent et une partition qui, si elle reste belle, aurait mérité de sombres coupes.
William Christie se débat tant qu’il peut. D’ailleurs, les seuls moments de plaisir de cette éreintante soirée furent ceux durant lesquels je fermais les yeux pour écouter. Malheureusement, la distribution pose un sérieux problème. Premier problème, l’incapacité à articuler de ces chanteurs. Et comme le Châtelet a décidé de ne plus mettre de surtitres, nous ne comprenons strictement rien au texte. Second problème : les voix ou plutôt l’absence de voix à l’exception de Sandrine Piau et de Stéphanie d’Oustrac. Pour le reste, une catastrophe complète à fortiori ce soir où Lehtipuu déclarait forfait : son remplaçant dont je refuse de citer le nom est parfaitement inaudible, son phrasé est absent ou chaotique et sa voix terriblement fausse. D’une manière générale, ces chanteurs avaient oublié de savoir chanter ; ils se contentaient de gesticuler avec leurs acolytes breakdancers. Un exception notable : le portugais Joao Fernandez qui campe un Orcan de luxe et permet une compréhension impeccable de son français. »
ConcertClassic – 22 octobre 2006
« Retour au Châtelet avant quatre représentations début Novembre à Tokyo et après une tournée ébouriffante : Les Paladins selon Montalvo et Hervieu sont une affaire qui roule. Et les deux années et demie passées depuis la création du spectacle in loco n’ont guère défraîchie cette production toute en hip-hop et en couleurs vives qui tombe avec un naturel sidérant dans les portées ramistes. L’utilisation archi ludique de la vidéo devrait inspirer tout ceux qui ne l’emploie qu’en de mornes chromos à vocation de commentaire. Lorsqu’elle possède le rythme de la musique elle n’est pas un pis aller, loin de là.
Christie manquait un peu de pep au I et II, mais retrouvait toute son énergie au III pour les enchantements de Manto, où François Piolino, bonne fille autant que magicien ambigu émerveillait par la puissance de sa voix et la clarté de sa diction. On aurait aimé l’entendre en Atis, car si Topi Lehtippu garde toute sa fringante jeunesse son ténor s’est rétréci et projette peu. Il aurait fallu sous titrer la Nérine de Sandrine Piau, qui refuse toujours de rendre son chant français compréhensible, même en face de l’Argie de Stéphanie d’Oustrac, fine diseuse à l’instrument de plus en plus prometteur. René Schirrer peine maintenant vraiment aux graves d’Anselme, mais il y demeure irrésistible.
Révélation de cette matinée, l’Orcan de Joao Fernandes, qui succédait à la prestation assez formidable mais aussi relativement caricaturale de Laurent Naouri. Baryton noble, capable d’émouvoir jusque dans le ridicule, avec les graves impressionnants que lui demande Rameau mais aussi un vrai aigu sans passage porté par une diction impeccable. C’était la dernière de cette série, toute la troupe des danseurs se débridait, Marie-Ange Petit dansait en scène avec ses percussions, un parfum de bonheur faisait trembler le Châtelet, le sourire de Jean-Pierre Brossmann irradiait encore son cher théâtre. Les Paladins y reviendront-ils, comme la Platée de Pelly et Minkowski retrouve régulièrement les ors de Garnier ? Ils le mériteraient, même si entre les deux partitions se creuse à chaque représentation l’écart entre une partition charmante et un coup de génie. »
Forum Opéra – 17 octobre 2006
« Cette production des Paladins est la reprise presque identique (à un changement dans la distribution près) de la production de 2004 chroniquée sur ce même site. L’adage « à spectacle identique, critique identique » devrait donc pouvoir s’appliquer… et pourtant ce n’est pas entièrement vrai, deux ans ont passé entre temps !La production avait créé son petit effet à sa création avec à la clef une (mini) controverse. Le traitement de choc appliqué par le duo Hervieu/ Montalvo, à base de projections vidéos, de danses modernes allant du break-dance à la capoeira, et de jeu de dédoublement était-il adapté au très baroque Rameau ? La réponse semble aujourd’hui appeler un oui massif, les quelques huées de l’époque ayant laissé place à une vraie ovation… L’effet de surprise est donc passé en deux ans !
Il n’empêche qu’au-delà de la véritable réussite visuelle du spectacle, persistent quelques bémols : la trame narrative (déjà assez ténue il vrai dans le livret) est très difficile à suivre pour qui n’a pas lu le synopsis préalablement… Les danses sont plus représentatives des états d’âmes des personnages que d’une pseudo action et les vidéo plus ouvertement comiques qu’en rapport avec l’action : seules les scènes du palais magique chinois sont clairement illustrées fidèlement par la vidéo. Il n’empêche que l’on ne peut, au final, qu’être grisé par l’énergie électrisante des danseurs mais aussi des chanteurs qui se mêlent sans hésiter aux chorégraphies.
Concernant la distribution, le seul changement est le remplacement de Laurent Naouri par João Fernandes. C’est l’heureuse surprise du spectacle, ce chanteur alliant une prononciation excellente et une voix homogène et bien timbrée à un vrai sens comique. Contrairement à l’impression de Placido Carrerotti à l’époque, le grande triomphatrice de la soirée est sans conteste Stéphanie d’Oustrac. Le problème de diction soulevé à l’époque ne m’a pas semblé problématique. En revanche que de plaisirs : le timbre charnu de la mezzo demeure mais on découvre une facilité et une légèreté dans l’aigu qu’on ne lui connaissait pas jusqu’à aujourd’hui (2) … Cette Argie flamboyante n’a aucun mal à éclipser la pâle Nérine de Sandrine Piau décidément bien décevante sur scène : la voix sonne étriquée et sans aucune projection… Quelle déception pour cette artiste pourtant si attachante au disque !
Chez les hommes, René Schirrer demeure aussi décevant qu’il y a deux ans : la voix est usée aux deux bouts, l’absence de grave et d’aigus étant remplacés par des aboiements du plus mauvais goût. Topi Lehtipuu ne semble pas au soir de cette représentation très à l’aise avec la tessiture très aiguë du rôle. Si la diction reste correcte et la présence scénique réjouissante, la voix manque de brillant et semble fatiguée au terme du spectacle. Cette fatigue est également très marquée chez la fée Manto de François Piolino qui semble, après une entrée très séduisante, être constamment au bord de l’accident dans l’aigu, ce qui semble inquiétant pour un rôle aussi court…
Enfin un mot des Arts Florissant et de William Christie. L’orchestre m’a semblé plutôt brillant et la direction animée. Dommage que des cuivres catastrophiques viennent massacrer notamment le final )…Au final cette production a bien évolué depuis sa création. Si en deux ans l’effet de surprise a disparu, il reste une production très réussie dans laquelle chanteurs et danseurs par leur énergie communicative prouvent qu’une réinterprétation moderne et audacieuse, ne trahit pas en rien l’esprit de Rameau. »
Operanight – 20 octobre 2006
« Mais quel ennui ! Quel ennui que ce spectacle terriblement daté.
La mise en scène, tout d’abord, qui s’appuie sur un décor créé par des images projetées sur un écran à trois étages derrière les comédiens. Le principe est intéressant mais il lasse très vite tant il confine à l’anecdote et à la répétition. Le paon faisant la roue, les buis se déployant, les têtes se transformant en serpent ne vous sont pas servies une ou deux fois mais des centaines de fois. Dommage en fait car certaines idées sont belles mais leur surexploitation devient pénible. Sur scène, les danseurs montrent certes un certain talent mais ces danses sont terriblement répétitives. Une fois que vous aurez compris que l’équipe de mise en scène et de chorégraphie a voulu souligner chaque chanteur par un danseur de hip-hop ou de breakdance, vous êtes assuré que cela vous sera resservi là aussi des centaines de fois. Quant aux danseurs classiques, nous dirons que le niveau n’est pas complètement digne d’une scène comme celle du Châtelet. Les costumes vous projettent au mieux dans un défilé de Jean-Paul Goude, au pire dans une pub Benetton. En tout cas, vous vivez un revival complet des années 80 dans tout ce que leur amour de la couleur criarde pouvait avoir d’insupportable. Que tout cela est profondément vilain. Bien sûr, la lumière est à l’avenant pour souligner le criard.
Et pour couronner le tout, il faut ajouter les inévitables nus. C’est très à la mode chez les modeux, les pubeux, les pseudo avant-gardistes. Il faut mettre du nu pour choquer le bourgeois. Or à force de mettre du nu à toutes les sauces, on en devient ringard. Le bourgeois n’est plus choqué mais simplement attristé devant quelque chose d’aussi convenu. Nos pubeux doivent s’amuser de tout cela mais ça sent aussi frais que le studio d’un soixante-huitard un dimanche matin. En fait, j’attendais l’arrivée de échelles, des tubes néons et des échafaudages qui constituent le corpus du parfait petit metteur en scène/décorateur à la mode.
Globalement, nous assistons à un ensemble frénétique et épuisant qui n’a ni queue ni tête : beaucoup d’agitation pour rien. Alors devant tant d’agitation, de répétition et de couleurs agressives, Rameau succombe. Rameau succombe déjà par les petits bruits stridents et agaçants des sneakers de nos danseurs qui ponctuent leurs gesticulations saccadées de grincement difficilement supportables à l’oreille du mélomane. D’une façon générale, tous ces danseurs ne connaissent pas vraiment la légèreté du déplacement : aux petits bruits stridents viennent s’ajouter de sourds sons de pas lourds. Mais cette chute est d’autant plus aisée que nous ne sommes vraiment pas en présence d’un chef d’œuvre. Un argument indigent et une partition qui, si elle reste belle, aurait mérité de sombres coupes.
William Christie se débat tant qu’il peut. D’ailleurs, les seuls moments de plaisir de cette éreintante soirée furent ceux durant lesquels je fermais les yeux pour écouter. Malheureusement, la distribution pose un sérieux problème. Premier problème, l’incapacité à articuler de ces chanteurs. Et comme le Châtelet a décidé de ne plus mettre de surtitres, nous ne comprenons strictement rien au texte. Second problème : les voix ou plutôt l’absence de voix à l’exception de Sandrine Piau et de Stéphanie d’Oustrac. Pour le reste, une catastrophe complète a fortiori ce soir où Lehtipuu déclarait forfait : son remplaçant dont je refuse de citer le nom est parfaitement inaudible, son phrasé est absent ou chaotique et sa voix terriblement fausse. D’une manière générale, ces chanteurs avaient oublié de savoir chanter ; ils se contentaient de gesticuler avec leurs acolytes breakdancers. Un exception notable : le portugais Joao Fernandez qui campe un Orcan de luxe et permet une compréhension impeccable de son français. »
Athènes – Megaron – Alexandra Triadi Hall – 12, 13 juillet 2006 – Les Arts Florissants – dir. William Christie – mise en scène Jose Montalvo, Dominique Hervieu – décors et vidéo Jose Montalvo – costumes Dominique Hervieu, Julie Scobeltzine, Emilie Kindt-Larsen – lumières Philippe Berthome
Cherbourg – Le Trident – 24 novembre 2005 – Opéra de Lyon – 27 novembre 2005 – Pampelune – Baluarte – Palais des Congrès – 29 novembre 2005 – Madrid – Auditorio Nacional – 30 novembre 2005 – Baden-Baden Festspielhaus – 2 décembre 2005 – Berlin – Konzerthaus – 4 décembre 2005 – Budapest – Palais des Arts – 7 décembre 2005 – Auditorium de Dijon – 9 décembre 2005 – Bruxelles – Palais des Beaux-Arts – 11 décembre 2005 – version semi-scénique – les Arts Florissants – dir. William Christie – avec Anders Dahlin (Atis), Katia Velletaz (Argie), Danielle de Niese (Nérine), Joao Fernandes (Orcan), Matthieu Lécroart (Anselme), Emiliano Gonzales-Toro (la Fée Manto)

Res Musica

« Après l’opéra de Lyon en novembre dernier, c’est Dijon, ville natale du compositeur, qui accueille, sur la scène de l’Auditorium sis à deux pas du conservatoire…Jean-Philippe Rameau, ces Paladins en version de concert. On se souvient du franc succès obtenu par les Arts Florissants, avec une tout autre distribution, sur la scène du Châtelet au printemps 2004 ; succès à peine tempéré par la controverse que suscitait le côté « déjanté » de la mise en scène voulue par le tandem Montalvo / Hervieu. Pour mémoire, rappelons que l’histoire, d’époque vaguement médiévale, mélangeant allègrement tragi-comique, lyrisme et bouffe façon Platée, fait intervenir et illustre les personnages en situation suivants : un vieux barbon jaloux (Anselme) servi par le fanfaron et pleutre geôlier Orcan, une jeune beauté (Argie) séquestrée dans un triste château et éprise du jeune et beau chevalier-paladin Atis, une suivante complice (la pétulante et rouée Nérine), et la fée maure (de sexe indéfini) Manto qui, de l’austère château d’Anselme fera un somptueux et bluffant palais exotique entouré de jardins paradisiaques, avec naturellement au bout du…conte, l’amour triomphant dans l’union d’Argie et Atis.
L’absence de décors et de costumes spécifiques (mais sera fait ici un intéressant et habile usage de foulards de couleur), ne porte pas préjudice à la compréhension des péripéties de l’action. Le jeu infiniment expressif des chanteurs-acteurs, les mimiques, jeux de scène et chorégraphies – même simplifiées – palliant aisément le manque de figuration matérielle, l’imagination fait le reste…
Du plateau vocal de cette soirée, nous ne pourrons que louer qualité et engagement. Il est rare de constater, dans une production d’opéra, une implication collective à ce point éclatante et une aussi belle homogénéité. Il est vrai que ces chanteurs, en dépit de leur jeunesse (tous se situent dans la fourchette 25 / 35 ans), présentent déjà un passé scénique et un CV impressionnants. Nous soulignerons tout particulièrement les prestations de la basse puissante, profonde, magnifiquement timbrée de João Fernandes (Orcan), du délicieux soprano de Katia Velletaz (Argie), qui fait songer à Barbara Bonney, nous saluerons l’extraordinaire présence – et le charme ! – de Danielle de Niese qui, séduisant ses partenaires, vampe littéralement la salle entière ! Et si le ténor Anders Dahlin manque peut-être un peu de puissance, si l’émission semble parfois chez lui un tantinet nasale, la justesse de style et l’articulation ne sont jamais en défaut et sa présence est rayonnante. Mais tous, sans exception, ne méritent qu’éloges dans cette production. Des louanges qui s’adressent tout autant à l’orchestre des Arts Flo, irréprochable de bout en bout, présentant lui aussi une agréable homogénéité de tous les pupitres, avec une mention spéciale au corniste Claude Maury, souverain dans ses interventions, de même qu’au continuo parfait de David Simpson, Anne-Marie Lasla et Bertrand Cuiller, ainsi qu’aux percussions de Marie-Ange Petit.
Quant au chœur, plaisamment « chorégraphié » et vivement boosté par le duo Montalvo / Hervieu, ses interventions sont un enchantement chaque fois renouvelé et attendu. Tout ce beau monde est dirigé par un William Christie impérial, « sur un nuage », qui respire un visible bonheur à faire jouer cette musique. Il insuffle à sa troupe euphorique, entraînée dans une irrésistible pulsation (et qui ne manque pas d’humour), une énergie confondante. Quelle musique… ! Et quels interprètes ! En fait, un pur bonheur…partagé.
C’est tant à l’égard de son compositeur fétiche qu’à celui de ces interprètes d’exception, que le public dijonnais reconnaissant, réjoui et comblé, fait un triomphe… ô combien mérité. »
Théâtre de Bâle – 16 décembre 2004 – Chor des Theater Basel – La Cetra Barockorchester Basel – dir. Konrad Junghänel – mise en scène Nigel Lowery et Amir Hosseinpour – décors et costumes Nigel Lowery – chorégraphie Amir Hosseinpour – lumières Hermann Münzer – dramaturgie Bettina Auer – avec Tom Allen (Manto / Paladin), François Lis (Anselme), Maya Boog (Argie), Jeffrey Thompson (Atis / Démon), Thomas J. Mayer (Orcan), Sunhae Im (Nérine) – danseurs

Opéra International – février 2005 – 16 décembre 2004
« La création uisse des Paladins de Rameau a séduit un public germanophone pourtant réputé réfractaire à ce style de musique. Le mérite em revient d’abord à Konrad Junghänel qui obtient des instrumentistes de son orchestre baroque un accompagnement riche en sonorités inattendues. Loin d’insister sur la rigueur rythmique du langage ramélien, Le chef en souligne au contraire l’originalité par l’attention qu’il porte aux audaces harmoniques, aux effets d’allitération ou d’onomatopée enrichissant le chant ; flexible à l’extrême, le jeu instrumental se substitue presque aux personnages pour narrer les péripéties d’une action où les intermèdes dansés deviennent partie intégrante du récit, non pas simple ornement.
La distribution séduit par son engagement sans faille, même si quelques voix peinent à convaincre : Sunhae Im en Nérine se révèle certes une parfaite styliste, mais le timbre reste trop souvent aux confins de l’audible, alors que l’Atis du ténorJeffrey Thompson souffre d’une émission incertaine, d’un médium entaché de notes creuses et d’une tendance à attaquer les notes exposées systématiquement en dessous. Maya Boog est, elle, une Argie parfaite : la prononciation du français comme la clarté et la précision de chaque nuance font de son hymne à l’amour du deuxième acte le moment fort de la soirée. Thomas Mayer s’avère un Orcan au chant discrètement bouffon, François Lis un Anselme rugissant sans excès et Tom Allen un Manto légèrement dépassé par les exigences stylistiques peu communes de son rôle. Le choeur paraît un rien trop solennel dans ce contexte de comédie légère, alors que les danseurs exécutent avec aplomb une chorégraphie d’Amir Housseinpour qui ressemble à un plagiat – certes réussi de celle qu’a conçue Edward Lock pour la récente production lyonnaise des Boréodes.
La mise en scène de Nigel Lowery transforme l’intrigue des Paladins en un show télévisé regardé par un téléspectateur enclin à zapper. C’est ainsi que des nonnes (les pèlerins) se transforment d’abord en joueurs de foot (les nobles chevaliers guerroyant), puis en peaux-rouges sanguinaires (les vils méchants) et enfin en danseurs de salon (les amis de la noce). Une délirante parodie de vie quotidienne à l’école précède une séquence de western, puis un spectacle de marionnettes sur le mode sicilien, prélude au strass et aux paillettes d’une soirée de réveillon. On l’a compris : Rameau sert ici de bande sonore à un divertissement de luxe où l’oeil doit avant tout être séduit. La réaction enthousiaste du public prouve que le but a été atteint. »
Théâtre de Caen – 12, 14 octobre 2004 – Londres – Barbican Centre – 19, 21, 22 octobre 2004 – Festival de Shanghaï – 31 octobre, 1er, 3 et 4 novembre 2004 – Les Arts Florissants – dir. William Christie – mise en scène, vidéo et scénographie José Montalvo – Emilie Kindt-Larsen – costumes : Dominique Hervieu, Julie Scobeltzine et Emilie Kindt-Larsen – chorégraphie : José Montalvo et Dominique Hervieu – lumières Philippe Berthomé – avec Topi Lehtipuu, haute-contre (Atis), Stéphanie d’Oustrac, soprano (Argie), Danielle de Niese, soprano (Nérine), François Piolino, haute-contre (Manto), Joao Fernandes, basse (Orcan), René Schirrer (Anselme), Emiliano Gonzalez-Toro, haute-contre (Un Paladin)
Théâtre du Châtelet – 14, 16, 17, 19, 22, 24, 26 et 28 mai 2004 – nouvelle production – Les Arts Florissants – dir. William Christie – mise en scène, vidéo et scénographie José Montalvo – Emilie Kindt-Larsen – costumes Dominique Hervieu, Julie Scobeltzine et Emilie Kindt-Larsen – chorégraphie José Montalvo et Dominique Hervieu – lumières Philippe Berthomé – avec Topi Lehtipuu, haute-contre (Atis), Stéphanie d’Oustrac, soprano (Argie), Sandrine Piau, soprano (Nérine), François Piolino, haute-contre (Manto), Laurent Naouri, basse (Orcan), René Schirrer (Anselme), Emiliano Gonzalez-Toro, haute-contre (Un Paladin) – danseurs du Centre chorégraphique de Créteil et du Val-de-Marne – Compagnie Montalvo-Hervieu




ResMusica – 18 mai 2004 – Rameau rock’n roll
« Rameau refleurit en ce printemps mais contrairement aux « Boréades » qui se donnent simultanément à l’Opéra de Lyon, ces « Paladins » que présente le Châtelet dans une réalisation confiée à William Christie et aux chorégraphes José Montalvo et Dominique Hervieu, pêchent par un excès de couleurs, d’intention, de gestes. Mais ne boudons pas notre plaisir car c’est une façon de sauver de l’ennui une œuvre dans laquelle la partie chorégraphie prédomine et au propos dramatique et même musical bien mince.
C’est bien connu, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ! Et qui aurait cru que la représentation d’une comédie-ballet oubliée de Rameau, si mince d’intrigue et si pauvre en morceaux de bravoure, allait déclencher une telle folie scénique et des réactions si contrastées dans le public. Car si Montalvo et Hervieu, tandem de chorégraphes pressenti pour reprendre le Ballet du Nord et actuellement à la tête d’une compagnie basée dans le Val-de-Marne et responsable artistique pour la danse dans le plus huppé Théâtre national de Chaillot, ont été acclamés par le très parisien public des premières du Châtelet, ils ont été copieusement hués par celui plus conservateur des sacro-saintes matinées du dimanche. Avec trois spectacles désormais cultes et qui font le tour du monde, « Paradis » (1997), « Le Jardin Io Io Ito Ito » (1999, Laurence Olivier Award en 2000) et « Babelle heureuse » (2002) ces deux chorégraphes français ont créé un style utilisant l’image vidéo et la danse en direct sur des images préenregistrées avec une virtuosité étonnante, le mélange des genres et des origines parmi les danseurs et le vocabulaire utilisé. La danse de rue, le hip-hop ont acquis ainsi leurs lettres de noblesse dans des représentations qui mélangent allègrement le Rap et Vivaldi. On imagine bien les limites de ce procédé, la difficulté d’en renouveler le propos mais c’est la première fois qu’il est appliqué à l’opéra. S’agissant d’une comédie-ballet du dix-huitième siècle, l’effet de surprise est garanti et fonctionne plutôt bien pour les intermèdes dansés qui, dans « Les Paladins », prédominent sur les interventions chantées. Il eut cependant été préférable de ne pas laisser la chorégraphie envahir à ce point le chant, même si dans le cas des « Paladins » il n’y a pas de numéros inoubliables, car il est difficile avec tous ces niveaux de lecture, entre les nombreuses images vidéos qui se superposent et auxquelles les danseurs participent, tous les accessoires utilisés, la débauche de couleurs et de costumes, de se concentrer quand chant il y a. On a même renoncé au surtitrage, probablement pour ne pas ajouter une couche de plus à cet épais mille-feuilles qui s’apparente parfois, avec ses couleurs criardes, ses baudruches, ses animaux de tous poils, ses danseurs en patogas et ses nudités à une publicité pour les vêtements Benetton.
William Christie à la tête de ses Arts Florissants donne imperturbablement vie à une partition d’une grande fraîcheur inventive et la distribution réunie, en partie pour des qualités plastiques et une capacité supposée à s’adapter à la frénésie générale, à laquelle elle participe avec plus ou moins de bonheur, comporte des éléments très divers allant de l’excellence comme le jeune finlandais Topi Lehtipuu (Atis), déjà acclamé sur la même scène dans « Les Troyens », Stéphanie d’Oustrac (Argie) malgré une fatigue perceptible lors de cette représentation très rapprochée de la première et l’impayable fée Manto de François Piolino, au pire avec des interprètes chantant au mépris du style comme Laurent Naouri (Orcan) et Sandrine Piau (Nérine). Les formidables vingt-huit danseurs de la Compagnie Montalvo-Hervieu et du Centre chorégraphique national du Val-de-Marne donnent avec une générosité totale et dans des styles très variés, une performance originale que l’on n’oubliera pas de si tôt ! Enregistré pour une exploitation vidéographique, ce spectacle est appelé par le biais des coproductions et partenariats à voyager : Caen, Londres et même Shanghai où la Compagnie Montalvo-Hervieu est appréciée à sa juste valeur. »
Crescendo – été 2004 – 16 mai 2004
« Les Paladins sont l’avant-dernière oeuvre de Rameau, contrastant du tout au tout avec les ultimes Boréades. Elles ne possèdent certes ni la profondeur expressive, ni l’ampleur grandiose de cette tragédie lyrique, mais cette comédie-ballet, dont le sujet complètement fou n’est qu’un prétexte à déchaîner la fantaisie et la verve les plus débridées atteint peut-être aux sommets de l’audace, tant dans l’invention rythmique, sans doute sans rivale avant Stravinski (changements incessants de mesure et de tempo et même, rarissimes au XVIIIe siècle, des accelerandi notés !) que dans celle des timbres : la rapide alternance dialoguée des cordes en pizzicati, des flûtiaux stridents. des cors de chasse coruscants dans l’Entrée très gaie des Troubadours est sans équivalent avant Berlioz ! La réalisation scénique de José Montalvo est évidemment aux antipodes de celle de Laurent Pelly pour les Boréades, et accuse la bouffonnerie presque surréaliste du propos. L’omniprésence de la danse, confiée au Centre chorégraphique national de Créteil, composé en grande partie de jeunes immigrés virtuoses du hip-hop, confère au spectacle un rythme endiablé, qui est d’ailleurs celui de la partition, mais aux rares moments de détente, lors des Ariettes lyriques, cette présence gigotante se fait presque excessive. Costumes et décors sont des plus amusants, la troupe des Paladins débarquant… du métro (dont on se demandait depuis un moment la raison des incessants va-et-vient), tandis que toute la moitié supérieure de la scène est livrée aux fantasmes d’une incroyable ménagerie de chameaux, chevaux, éléphants et autres lions et tigres défilant à toute vitesse grâce aux ressources de la vidéo (ah, si on en avait disposé au temps de Rameau!…), que Montalvo, metteur en scène à casquettes multiples, scénographe, chorégraphe, manie avec une insolente maîtrise : c’est une fête de couleurs et de mouvement, un bain de jouvence. Et la musique n’est pas de reste, avec des Arts Florissants littéralement déchaînés sous la houlette dionysiaque de William Christie. Distribution soliste exemplaire, avec l’irrésistible Nérine de Sandrine Piau et la désopilante (ou le désopilant, le personnage est androgyne, rare audace au temps de Rameau) Fée Manto de François Piolino. On devrait jouer Rameau aussi souvent que Mozart, et bien davantage que Vivaldi ou Haendel, ce ne serait que justice… et plaisir ! »
Classica – juillet/août 2004 – 22 mai 2004
« Délire parfaitement voulu dans la production, au Châtelet, des Paladins confiés au chorégraphe José Montalvo et à Dominique Hervieu. Certes, on s’est laissé un moment prendre à leur imagination visuelle, portée par des projections vidéo frontales surprenantes, souriantes, très branchées, et par une chorégraphie déjantée, qui montre combien le hip-hop s’accommode des rythmes de Rameau, et vice-versa. Quelques moments de pure poésie (comme le ballet des pagodes), quelques détournements amusants n’empêchent pas cependant que cela tourne hélas très vite à la répétition ennuyeuse et vide, quand dans cette comédie — ballet à l’argument déjà fort mince — il ne reste qu’un propos délibéré de divertissement auto-satisfait. Pire, cela laisse, faute de direction d’acteurs, les chanteurs comme abandonnés dans un univers autre. On s’accroche alors au chant magnifique de Iopi Lehtipuu (Atis), aux belles démonstrations de Stéphanie d’Oustrac et de Sandrine Piau, même si William Christie semble plus porté à animer la chorégraphie d’une battue vive que les grands élans lyriques moins engagés. Un événement vite futile, pas une résurrection en tout cas. »
Le Monde de la Musique – juillet/août 2004
« …Dans cette compétition de l’imaginaire, la mise en scène de Jasé Montalvo des Paladins, au Théâtre du Châtelet, remporte la palme. Son spectacle, conçu avec la chorégraphe Dominique Hervieu, bouscule les conventions de l’interprétation baroque, préférant le street-wear des rappeurs et le hip-hop des banlieues aux robes à paniers et aux danses de cour. Si le procédé n’a pas fait l’unanimité, il respecte pourtant l’esprit irrévérencieux. On peut, certes, reprocher à Montalvo la présence systématique de danseurs du Centre chorégraphique national de Créteil qui parasite les airs mélancoliques, mais le spectacle recourt avec ingéniosité à la projection vidéo, ouvrant les portes d’un univers onirique dans lequel les artistes se dédoublent et les lieux se métamorphosent. William Christie entraîne avec enthousiasme des Arts florissants des grands jours. Si la clarté de la diction d’une équipe pourtant en majorité française n’aura pas marqué, le style vocal et la distribution des rôles réussissent un sans faute Stéphanie d’Oustrac apporte un charme naturel, Laurent Naouri, Topi Lehtipuu et Sandrine Piau donnent le meilleur d’eux-mêmes. »
Diapason – juillet/août 2004 – Atis au pays des merveilles
« Atys est majeur. Dix-huit ans après la première de la tragédie lullyste mise en scène par Villegier, toujours fidèle à William Christie, l’archétype du héros quitte Lully et rencontre Rameau, troque son y pour un j, lutte non plus contre les dieux mais contre Anselme, le sénateur jaloux qui tient captive la tendre Argie. Et si l’intrigue d’Atys n’a rien à voir avec celle des Paladins (1760), le rapprochement des deux spectacles met en lumière l’impasse que faisait le premier, certes génialement, sur un élément central du théâtre lyrique français le Merveilleux, cet extravagant fond de tarte qui, à l’opéra, permet d’accommoder l’Histoire et l’imaginaire, la poésie, la musique, la danse et le récit, et qui, au cirque, écarquille les yeux des gosses encore deux heures après l’entrée de Monsieur Loyal.
Presque toutes nos mises en scène en ont fait l’économie, sur l’exemple d’Atys — sus aux fausses perspectives, aux changements de décor, aux costumes propres à chaque divertissement, aux machines, aux transformations à vue, et tant qu’à faire…aux couleurs Et l’on retrouve enfin sa force hypnotique dans le spectacle signé José Montalvo et Dominique Hervieu (conseillés par la philosophe Catherine Kintzler, spécialiste de Rameau, exégète de la notion de Merveilleux dans plusieurs pavés). Sans toiles peintes, mais devant deux toiles blanches horizontales où rebondit une cascade d’images vidéo — bestiaire jubilatoire (chanteurs compris !), métro qui ferme des portes quand Rameau sonne la musette, château esquissé d’un trait de BD, jardin, palais et nuages, ribambelle black-blanc-beur sous la couette… tout cela démultiplié, zoomé, dezoomé à loisir.
Les danseurs circulent devant (et à travers) ce déluge graphique, ivres d’une variété de styles qui fait écho à l’effervescence de la partition. On admire la rare continuité qui s’établit entre corps et musique, la sensibilité d’une chorégraphie qui fait la part, essentielle chez Rameau, de l’élan structurel et de l’ornement. Comme des toupies, des élastiques, des ressorts (le trampoune) ou des feuilles de papier à cigarette, on vibre, on hipehope, on smurfe, on breakdance, on moonwalke, on rappe. Et surtout, chacun à sa façon, on amplifie le geste musical. Le spectateur, au début, redoute l’éblouissement… puis comprend vite que c’est l’éblouissement que le vieux Rameau cherche dans ce livret impossible, pour se « lâcher » comme jamais. Et tout le monde se lâche avec lui, un William Christie délivré des contingences dramatiques, ses Arts Florissants somptueux de textures, de galbe, de nuances, tous les chanteurs, enfin, qui ont accepté d’entrer dans la danse le couple si attachant formé par Stéphanie d’Oustrac et Topi Lehtipuu, la Nérine de Sandrine Piau, cousine d’Amélie Poulain sous amphétamines, l’Orcan bougon à souhait de Laurent Naouri, sans oublier René Schirrer et l’engageante Fée Manto d’Emiliano Gonzalez Toro. »
Opéra International – juin 2004
« Inégalable Rameau ! Presque octogénaire, insensible au « qu’en dira-t-on » et libre comme air, il conçoit, avec Les Paladins, un ouvrage comique où il accueille encore plus de danses que jamais et où, dans une parodie fine et ravageuse, il raille l’art lyrique de son temps, italien et français, à commencer par le sien (Platée, Pigmalion). Mais comment rendre un ouvrage regorgeant d’allusions pour la plupart trop lointaines et cryptées ? Dans des voies pour le moins éloignées de la littéralité et d’une prétendue doxa baroque, Jasé Mantalvo et Dominique Hervieu proposent un travail toujours intéressant qui, par son esprit effervescent, rend compte, à notre sens, du projet ramiste. Le dispositif est essentiellement frontal, comme s’il s’agissait d’un écran, malgré une superposition de trois niveaux de jeu (est-ce un hommage au ballet L’Homme et son désir, conçu par Milhaud, Claudel et Parr en 1921 ?). Puis on est frappé par une coalescence d’individus (des « cabossés » de la société qui défilent comme avec la compagnie Deschamps-Makeiéff) que d’ordinaire leur physique écarte du monde chorégraphique. On observe que la danse occupe plus de place que prévu, notamment lorsque chaque chanteura son double chorégraphié; maison apprécie un intelligent travail sur l’espace entre ces deux figures, allant du pléonasme ironique à la (plus passionnante) relation entre une marionnette et son manipulateur. En outre, comment n’être pas frappé par des corps aux membres fort indépendants les uns des autres (disons une sorte de polyphonie, sans aller jusqu’au contrepoint !) et s exprimant dans des styles a priori antinomiques (hip hop, décalages de danse classique ou simples trémulations) et que fédère une énergie joyeuse et communicative? Enfin, sur des fonds d’écran sur lesquels sont projetées une (sur)abondance d’images joyeusement citationnelles (Jean-Paul Goude, sans doute), comment ne pas apprécier la duplication des corps — mêlant le corps réel à son exact clone de synthèse — qui réussit le prodige de désincarner les corps physiques et de matérialiser les corps imaginés, de sorte que la coupure entre le réel et le monde fictionnel s’abolit en un joyeux effet de trouble et d’incertain? Indiscutablement, tout cela fonctionne et rend presque idéalement compte de l’esprit ramiste, àdéfaut de pouvoir nous faire apprécier chaque saillie de ces Paladins. Juste un léger regret : la direction d’acteurs, trop légère, empêche l’expression d’un nécessaire, même si minimal, premier degré des sentiments et laisse certains chanteurs soit à la limite de la caricature, soit bien isolés sur le plateau.
La partie musicale est tout aussi joyeusement solide. A la tête de ses Arts Florissants — autant le choeur que l’orchestre — particulièrement précis et sonnants, William Christie est ici un patron allègre et il apporte une cohérence sans faille à cet ouvrage si gourmand de second degré qu’il pourrait apparaître futile et vain à qui n’est pas sensible à l’esprit de Rameau. Tout simplement exemplaire. De son côté, la distribution est digne d’être enregistrée. Ou ténor mozartien Tapi Lehtipuu (Atis), qui se révèle une remarquable haute-contre, à la mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac (Argie), que sa voix longue, également timbrée, et son aisance physique aident à cerner une jeune première amoureuse et rusée. Sans oublier Sandrine Piau, Nérine vive, spirituelle et dont la précision vocale est, là encore, fort opportune ; Laurent Naauri (Orcan), dont la gourmandise à tenir les rôles bouffes est plus que communicative ; René Schirrer, efficace Anselme ; enfin, et tout particulièrement, Français Piolino (Manto) qui a maintenant acquis une maîtrise vocale et scénique lui permettant d’assumer d’amples rôles de ténors de caractère. A tous égards, une très heureuse soirée. »
Télérama – Rameau remuant – Le chorégraphe convoque danseurs hip-hop, fables de La Fontaine et vidéo. L’opéra-ballet dépoussiéré.
« L’Amour est toujours du voyage », s’enchante Atis, le chevalier-héros des Paladins. Amour et voyage si mouvementés que l’avant-dernier ouvrage lyrique de Jean-Philippe Rameau n’avait jamais retrouvé le chemin des planches depuis sa création, en 1760. Le Châtelet relève aujourd’hui le défi avec de grands moyens et une initiative radicale. « D’un commun accord, Jean-Pierre Brossmann, le directeur du théâtre, et moi, avons estimé que le rôle prépondérant de la danse au sein des Paladins réclamait un chorégraphe pour l’ensemble du spectacle », se félicite William Christie, « ramiste » aguerri à la direction des plus grands chefs-d’oeuvre du Dijonnais. Leur choix s’est porté sur José Montalvo qui accomplit ici ses premiers pas de metteur en scène, et savoure l’aubaine : « Embarquant ses personnages pour une Cythère de fantaisie, entre la Chine et la Venise des carnavals, l’opéra-ballet de Rameau est un prétexte féerique à déguisement et à dépaysement, à métamorphoses et à mascarades.»
L’amour et le voyage sont les sésames du livret de l’obscur Duplat de Monticourt, poète bien plat et bien court d’inspiration, mais qui transpose ici un conte savoureux de La Fontaine, Le Petit Chien qui secoue de l’argent et des pierreries, adapté lui-même d’un chapitre coloré du Roland furieux de l’Arioste (1). A Venise, dans un Moyen Age de convention, une belle ingénue, Argie, est séquestrée par un barbon jaloux (Anselme) qui veut l’épouser contre son gré, alors qu’elle est éprise du paladin Atis, un jeune chevalier protégé par l’étrange fée Manto – tantôt femme, tantôt homme. Aidé d’autres paladins et de troubadours, le valeureux Atis délivre Argie et l’épouse, tandis que la fée Manto, travestie en esclave maure, ridiculise et compromet définitivement le vieil Anselme.
Si son devancier Lully a collaboré avec les dramaturges du Grand Siècle les plus rigoureux – Molière, le très racinien Philippe Quinault ou Thomas Corneille, frère de l’illustre Pierre -, Rameau, lui, qui se vantait de pouvoir mettre en musique La Gazette de Hollande, se satisfait de poètes mineurs, de rimailleurs subalternes. Leurs vers n’obéissent guère à une logique passionnelle, ou à des engrenages fatidiques, mais leur canevas dé- cousu, leur trame assez lâche offrent davantage d’imprévu, d’associations libres, comme dans un collage surréaliste. « Les retournements de situation, le surgissement du merveilleux et des enchantements semblent convoqués par caprice », se réjouit Montalvo, que cet ar-bitraire invite à une déconstruction ludique. « Comme la Perse ou l’Amérique idéalisées des Indes galantes, le Moyen Age et la Chine imaginaires des Paladins permettent à Rameau de s’affranchir de l’espace et de son temps, de s’engouffrer dans une utopie du voyage. » Et notre chorégraphe-décorateur de s’amuser à détourner et détourer gravures d’époque, cadastres de jardins à la française et plans de palais versaillais, pour les intégrer à des montages vidéo mobiles et loufoques.
Les personnages sont soumis à cet allègre transformisme. « Que le sujet des Paladins soit emprunté à La Fontaine m’incite à doter les héros de l’opéra, comme le bestiaire des Fables, d’une double nature, humaine et animalière, chaque être se révélant à la fois cigale ou fourmi, loup ou agneau, lion ou chien. » Cette multiplication plastique des identités illustre le trouble des âmes, les intermittences du sentiment ou les aléas de la sagesse. Car le Rameau des Paladins, compositeur juvénile de 77 ans, possède une longue et solide connaissance des modulations du coeur humain : « Il faut avoir longtemps étudié la nature humaine pour la peindre au plus vrai qu’il est possible, et si j’ai suivi des spectacles depuis l’âge de 12 ans, je n’ai travaillé pour l’opéra qu’à 50 ans », plaidait l’auteur de Dardanus.
Cette modestie artisanale et cette patience émeuvent José Montalvo : « Face à notre époque qui valorise tellement la jeunesse, le compositeur des Paladins est un magnifique contre-exemple, comme Cervantès publiant la première partie de Don Quichotte à 58 ans… A 80 ans, Rameau est aussi inventif, insolent que Rimbaud à 20, le temps ne fait rien à l’affaire. En art, il n’y a heureusement pas de loi. » Certes, Les Paladins ne sont pas le premier éclat de rire de Rameau sur la très sérieuse scène de l’Académie royale de musique. Quinze ans plus tôt, les coassements enamourés de la nymphe Platée, fantoche batracien voué aux pires déconvenues amoureuses en se croyant aimé de Jupiter, n’engendraient pas la mélancolie. Mais dans son avant-dernier opéra, comme dans l’ultime, Les Boréades, Rameau ose un ton tranquillement reven-dicatif, lance un appel audacieux et résolu à la liberté. « Les deux héroïnes, Argie et sa suivante, Nérine, assument leurs désirs, n’acceptent d’aimer que l’homme qui leur plaît. Elles sont au gouvernail de cette croisière initiatique pour mettre le cap sur une utopie du plaisir », souligne Montalvo, qui rapproche les « airs tendres » de Rameau des peintures sensuelles de Boucher ou de Fragonard. Quant à la nouvelle production des Boréades à l’affiche de l’Opéra de Lyon (2), elle ne manquera pas non plus de souligner le couplet hardi d’une nymphe subversive : « Le bien suprême, c’est la liberté. »
Mais la vitalité la plus forte, c’est à sa musique de danse que Rameau l’insuffle – à ces « gavottes vives et gaies », à ces « menuets en rondeau », à ces sarabandes, rigaudons et autres contredanses qui occupent le tiers de la partition des Paladins. « Cette musique est si riche d’inventions rythmiques, si débordante d’énergie et de pulsation qu’elle transcende son temps et ne peut se limiter à une période ou à une pratique corporelle précises », s’accordent Montalvo et sa partenaire au sein du Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne, Dominique Hervieu. D’abord désorientés par ces mélodies intimistes et complexes, leurs vingt-deux danseurs, issus de traditions diverses (danse classique, africaine, hip-hop) ont vite trouvé leurs marques : « La force de la musique de Rameau, c’est l’irrésistible envie de bouger qu’elle communique, le plaisir musculaire qu’elle dispense en répondant à un accent, en marquant une syncope ou un contretemps. Les chevaliers bravaches du livret, poursuit Montalvo, je les imagine comme ces jeunes des banlieues qui à travers le hip-hop ou la break dance se lancent des défis pour la simple beauté du geste, pour le panache de la prouesse technique, du dépassement de soi. Equivalent moderne de la générosité chevaleresque du Moyen Age, cette gratuité esthétique ouvre un des rares espaces de liberté qui échappe aujourd’hui à la rentabilité à tout prix, à l’utilitarisme forcené. » Brassant les genres (le chant et la danse, le comique et l’élégiaque, le trivial et le merveilleux), mélangeant les goûts et les langages (la déclamation à la française et les vocalises italiennes), les Paladins de Rameau méritent décidément en exergue le titre d’une des chorégraphies à succès de la compagnie Montalvo-Hervieu, en 2000 : Babel heureuse… « 
Altamusica – 15 mai 2004 – Rameau dans la joie
« Succès total que cette aventureuse production de la comédie ballet de Rameau Les Paladins. Là où certains auraient fait fausse route, le chorégraphe chargé de la mise en scène José Montalvo accomplit un sans faute. Une leçon pour les tenants de la sinistrose minimaliste à la mode, et un spectacle réjouissant, comme à la création. Retrouver l’esprit festif de cette comédie ballet créée en 1760 et dont le but n’était autre que de divertir, tel était le pari engagé par le Châtelet en proposant à José Montalvo, Dominique Hervieu et leurs équipes de prendre en charge Les Paladins. La légèreté du livret, une anecdote mouvementée mais on ne peut plus convenue marquée par le goût de l’époque pour le magique et l’orientalisme – le palais chinois du dernier acte et la fée Manto – permet en effet toutes les fantaisies, tant que ne s’en empare pas quelque metteur en scène donnant dans l’abstraction ou la psychanalyse.
Montalvo et Hervieu ont donc pu laisser libre cours à leur fantaisie naturelle, une fantaisie que leur moyens techniques autant que leur humour et leur imagination leur permettent aujourd’hui de nous faire pleinement partager. Alors, aux beaux accents de la musique de Rameau, il ne reste plus qu’à se laisser emporter par ce délire intégral et irrésistible. Comme à l’accoutumée, images virtuelles et réalité se mélangent, se chevauchent, se substituent en un jeu savant, poétique, hilarant, d’une efficacité scénique totale. Tout est possible, d’un vase Médicis dont le lion et l’éphèbe deviennent soudain vivants à un métro sur le toit duquel passent de superbes chevaux blancs, d’un couple en costumes XVIIIe sautant au trempolino sur des nuages aux traditionnelles apparitions animalières chères au chorégraphe.
On n’en finirait pas d’énumérer ces images qui accompagnent l’action et la musique, la soulignent, la paraphrasent, la complètent, avec une profusion parfois même difficile à suivre. Car, dans le même temps, le jeu scénique des chanteurs est lui aussi doublé, accompagné, singé par des danseurs, seuls ou en groupe. Là encore, Montalvo se livre à un savant mélange de style : un peu de rap, un zest d’africain, un rien de classique, le tout chorégraphié avec le plus grand soin. Les chanteurs eux-mêmes dansent à l’occasion et l’on ne sait plus qu’admirer le plus des vocalises du ténor ou du rappeur qui tourne indéfiniment sur la tête. La gestuelle de la danse est d’une vivacité stimulante, toujours inattendue, toujours en situation. C’est drôle, tonique et beau, comme les couleurs des costumes XXe siècle, d’une fraîcheur bien mise en valeur par les éclairages. A aucun moment, Montalvo ne cherche à jouer au metteur en scène de théâtre. C’est un homme d’images et de mouvement et il se sert à peu près exclusivement des unes et de l’autre pour tout exprimer.
A l’excellence des danseurs du Centre Chorégraphique national de Créteil s’ajoute celle des chanteurs, au moins pour ce qui est de la qualité vocale, de la vraisemblance physique et de l’engagement dramatique. Car, il faut toutefois reconnaître qu’à l’exception du Finlandais Topiu Lehtipuu et de François Piolino, on ne comprend pas un mot de ce qu’ils chantent. Dommage, car, allure de mannequin et voix franche, claire, bien timbrée, Stéphanie d’Oustrac est une superbe Argie, Sandrine Piau est piquante à souhait en Nérine, Laurent Naouri très drôle en Orcan, René Schirrer très adéquat en Anselme trompeur et trompé. Mais c’est le jeune ténor finlandais Topiu Lehtipuu qui s’impose avec un éclat supplémentaire, grâce à sa diction, à la qualité de son travail vocal, à son physique de jeune premier filiforme et longiligne, à sa manière de bouger. François Piolino est également aussi drôle que bien chantant en fée Manto. William Christie se délecte avec énergie dans cet univers musical qu’il adore et dont il sait nous communiquer la vie et les couleurs.
Bref, on passe une soirée d’opéra comme on en rêve, hors des sentiers battus, mais sans pédanterie ni prétentieuses divagations cérébrales, généreuse, intelligente. Un modèle du genre ! »
Libération – «Les Paladins», show parisien de la saison grâce à l’audace du chorégraphe José Montalvo – Rameau sur un rythme de jeu vidéo – 17 mai 2004
« Un rare Rameau, plus ovni que jamais dans sa façon de catapulter les genres (tragédie lyrique, opéra-ballet, récitatif et ariette) dans un univers de pastiche, de surcroît mis en scène par un chorégraphe à la mode : voilà qui pouvait inquiéter sur le papier. Au terme des trois heures de la première, ce week-end au Châtelet, force était pourtant de constater que Montalvo et Christie avaient réussi le show de la saison. Hormis Pina Bausch qui s’était contentée de plaquer un ballet sur le Château de Barbe-Bleue de Bartok, à Aix, il y a quelques années, les exemples de chorégraphes qui se sont révélés de brillants metteurs en scène lyriques ne manquent pas : Anne Teresa de Keersmaeker, dans le même Château à la Monnaie de Bruxelles, ou encore Trisha Brown pour un Orfeo extraordinaire à la Monnaie et à Aix, avant New York. Le choix de Montalvo pour les Paladins est d’autant plus judicieux que l’oeuvre, comme Platée ou les Boréades, prévoit nombre de menuets et gavottes destinés à être dansés ; que le chorégraphe a déjà utilisé de la musique baroque pour ses pièces ; mais surtout que son esthétique est, comme celle de Rameau, stylistiquement mixte et vitaminée. Au point qu’au bout de vingt minutes, entre les Arts florissants qui pétaradent dans la fosse et des chanteurs au bord de rompre la ligne ­ l’Orcan hurlé de Laurent Naouri, la Nérine détimbrée de Sandrine Piau ­ ou essoufflés par les routines breakdance qu’ils doivent exécuter en chantant, on se demande si c’est du Rameau ou de la techno.
D’autant plus que Montalvo et sa collaboratrice Dominique Hervieu continuent à chorégraphier à la double croche, quand la noire est à 60. Ce qui signifie que, quand la belle mezzo Stéphanie d’Oustrac déploie en arc son grand air lyrique au début du second acte, ça continue à smurfer à trois mètres, comme dans un clip robotique de Janet Jackson ou une pub de Jean-Paul Goude. Si on se laisse finalement emporter par la débauche d’effets vidéo-chorégraphiques, de morphings zoologiques et botaniques, sur fond de corps s’élançant depuis des trampolines cachés, c’est d’abord parce que tout autorise à penser qu’on est là dans une certaine fidélité à l’hédonisme explosif de Rameau. Et surtout, car la troupe réunie par Montalvo, où se croisent transfuges du ballet classique, de Béjart, capoeristes et danseurs hip-hop, est fascinante d’engagement. Réglé sur ce rythme de jeu vidéo, on goûte la Fée Manto du ténor François Piolino, autant que les déliés de Mélanie Lomoff, les chevaux d’argent gonflés à l’hélium, que les nus en guirlande, l’Atis clair et noble de Topi Lehtipuu, que les acrobaties de Guy Smiley force 7. Ce show multicolore va faire un carton. »
AFP – 15 mai 2004 – L’image vidéo au service d’une comédie-ballet de Rameau
« Des projections d’images numériques, mais aussi des danses de différents styles, du classique à la capoeira en passant par le hip hop et la danse africaine, contribuent à redonner vie à la comédie-ballet de Jean-Philippe Rameau, « Les Paladins », que le Châtelet à Paris a remonté et a présenté, vendredi soir, devant un public ravi et enthousiaste. L’ouvrage inspiré d’un conte de La Fontaine, – une bouffonnerie qui parodie la tragédie lyrique – mal accepté à sa création en 1760 par l’Académie royale de musique, était tombé dans les oubliettes. A part des représentations à Fourvière à Lyon en 1967, il n’avait pas été remonté à la scène en France.
Les chorégraphes José Montalvo et Dominique Hervieu, à la tête de leur compagnie de danse contemporaine, ont relevé le défi avec la complicité du chef baroqueux franco-américain William Christie et de son ensemble vocal et intrumental des Arts florissants (huit représentations jusqu’au 28 mai). L’histoire (comment berner un barbon jaloux) est sinon inepte, particulièrement indigente et basée sur un conflit éternel : jeunesse conquérante face à vieillesse débile. On peut aussi y voir une satire du despotime monarchique.
Le tandem Montalvo-Hervieu s’est approprié ce livret « pour provoquer l’étincelle qui allumera encore une fois la fête qui tiendra les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement ». En faisant appel à l’image technologique mobile, cette équipe réussit à donner au projet du compositeur une vie susceptible de captiver le public du début du XXIème siècle. L’illusion, au coeur de l’esthétique baroque, est au rendez-vous et le spectateur en a plein les yeux. En fond de scène, des images numériques (montages architecturaux, bestiaire fantastique, superposition des images de danseurs aux danseurs sur le plateau, etc…), sont projetées sur un dispositif en forme de terrasses, rappelant les étagements des jardins à la française.
La danse est omniprésente, jubilatoire comme la musique de Rameau qui, par la caricature, vise à un effet comique. William Christie joue le jeu de même que les principaux chanteurs solistes qui gagneraient cependant à être davantage compréhensibles en français. »
Le Monde – 18 mai 2004 – « Les Paladins » enchanteurs de José Montalvo
« …le Théâtre du Châtelet présentait la première d’une nouvelle production des Paladins, l’avant-dernier ouvrage lyrique de Rameau, pas monté sur scène depuis 1967. A première vue, José Montalvo, directeur du Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne, qui réalise là sa première mise en scène lyrique, fait partie des « iconoclastes » qui n’ont pas pour souci premier la restitution d’une danse historique – ce que confirme très vite l’apparition, sur les mesures de l’ouverture, d’un danseur hip-hop. Mais, pas un seul instant, Montalvo et sa troupe de jeunes danseurs « black-blanc-beur » ne moquent le langage musical et chorégraphique de Rameau. Par une écoute subtile et profonde de cette riche musique, Montalvo est parvenu à recréer un vocabulaire qui, à sa manière, constitue un langage « baroque », complexe, ornementé (les danseurs qui effectuent des mouvements très rapides sur des danses lentes, font en quelque sorte des « doubles », comme on disait alors des ornements musicaux).
L’immense liberté que s’est octroyée le metteur en scène et chorégraphe fait merveille : également concepteur des images vidéo numériques projetées sur une série d’écrans en cascade, Montalvo a inventé une ébouriffante partition graphique où les jeux de doubles, de trompe-l’œil, de collages et de transformations tiennent le rôle de divertissements merveilleux, comme dans le plus enchanteur des théâtres à machines dont raffolait l’époque baroque. Sur scène, la force et l’agilité de ces corps glorieux (parfois nus), qui s’ébrouent en l’air comme des séraphins, la drôlerie de ces danseurs qui sont aussi mimes et acrobates, font mouche. Montalvo a fait aussi entrer dans la danse le chœur et les solistes : mission difficile, mais pas impossible.
Le jeune ténor finlandais Topi Lehtipuu fait une entrée remarquée dans la cour des grands. La mezzo Stéphanie d’Oustrac confirme que sa voix à la beauté sombre mûrit sûrement, lui permettant d’aborder des rôles plus aigus. William Christie, qu’on retrouve dans une forme des très grands jours, jubile et sourit, à la tête d’un orchestre au son large mais contenu. Calme, précis, il ne force jamais le trait. La musique parle, danse. Dans la rue, à la sortie, tout le monde a l’air heureux. »
Le Figaro – interview – 13 mai 2004
« Pour redonner vie à l’étonnante et délirante comédie-ballet composée par un Rameau de soixante-dix-sept ans, Jean-Pierre Brossmann et William Christie ont choisi de s’adresser à des chorégraphes plutôt qu’à un metteur en scène d’opéra aguerri. Pas n’importe lesquels cependant. José Montalvo et Dominique Hervieu, que l’on connaît par leur compagnie à Créteil et à Chaillot, en sont certes à leur premier spectacle lyrique, mais la musique baroque a toujours occupé une place essentielle dans leurs chorégraphies. «Les XVIIe et XVIIIesiècles sont très présents dans notre esthétique : nous avons toujours tenté de réinventer le baroque, époque pleine de petites utopies hédonistes où le plaisir résulte de l’art et où la création est un art du plaisir.» Leur connivence avec l’époque est donc un sérieux atout, même s’ils ont jusqu’ici surtout recouru à des musiques instrumentales, notamment de Bach ou Vivaldi. La voix apporte un défi nouveau : «Le rapport au chant, à sa sensualité, à son rythme, nous oblige à relancer l’invention du mouvement. En plus, Rameau lui-même nous confronte à des impératifs autres : sa musique est d’une telle richesse et d’une telle complexité, rythmique et harmonique !», précise Dominique Hervieu.
Que l’on ne compte pas sur eux, cependant, pour faire de la reconstitution. Les quelques allusions à la danse baroque que l’on pourra voir dans leur spectacle ne seront que des clins d’oeil : «Nous n’avons aucun souci de reconstitution historique. Il y a dans les musiques de danse de Rameau une jubilation que nous essayons de retrouver dans une esthétique d’aujourd’hui. C’est rendre hommage au génie de Rameau de montrer que son oeuvre n’est pas d’une époque, mais intemporelle. William Christie, d’ailleurs, nous y encourage, avec une bonne humeur contagieuse : sa façon de diriger rejoint finalement notre façon de diriger les acteurs et les danseurs.» Cela ne signifie pas que Montalvo et Hervieu soient opposés par principe à la reconstitution : José Montalvo admirait la regrettée Francine Lancelot, et il n’ignore rien du travail de Béatrice Massin, à qui il avait d’ailleurs initialement demandé de participer aux Paladins. Ils refusent seulement le dogmatisme. Et ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un opéra qu’ils vont renoncer à la spécificité de leur langage chorégraphique.
Il faut dire que ce n’est pas n’importe quel opéra : ils ne pouvaient sans doute tomber mieux pour leur première expérience. «Les Paladins reposent sur le mélange des genres et des styles, or toute notre oeuvre est un art du mélange. C’est un opéra du faux-semblant, du travestissement, de l’ironie : Rameau joue à distordre les règles de la tragédie lyrique, il joue avec les citations, n’hésite pas à se moquer de lui-même.» A force de déguisements et de transformations, Les Paladins relèvent d’un théâtre de l’enchantement visuel qui touche à l’extravagance. Mais au service de cette fantaisie débridée, Rameau a composé une musique extrêmement structurée, voire cartésienne : «Toute la difficulté est de créer un imaginaire délirant sans trahir l’architecture, mais en essayant de faire revivre toute cette loufoquerie et cette ironie : c’est à la fois intimidant et exaltant», concède Dominique Hervieu.
José Montalvo est convaincu que l’on se fait une image beaucoup trop figée de ce que pouvait être le ballet de cour : «C’était vraiment farfelu, on faisait même venir des animaux sur scène.» Aujourd’hui, le moyen privilégié pour retrouver cet univers poétique, c’est la vidéo : recourant notamment au procédé du morphing, José Montalvo a conçu un dispositif très élaboré, sorte de pendant visuel à la virtuosité musicale. Dominique Hervieu, elle, a plutôt pris en charge la partie gestuelle, mettant au point une trame chorégraphique pour tout l’opéra, y compris pour les parties chantées.
Elle ne tarit pas d’éloges sur la disponibilité des chanteurs d’opéra, qui ont travaillé en parfaite complicité avec les danseurs et ont assimilé un langage gestuel inhabituel pour eux. «Il est vrai que, quand ce sont des chorégraphes qui mettent en scène, la dramaturgie naît plus des corps que d’un concept intellectuel. Mais la musique et le chant sont premiers : la gestuelle doit permettre aux solistes d’être épanouis dans leur chant.» En sachant que, si l’on met trois mois à régler un ballet d’une heure, on dispose de six semaines pour monter un opéra de trois heures… »
Operabase – 16 mai 2004
« Le livret des Paladins n’étant qu’un prétexte à la danse, le choix de chorégraphes contemporains pour mettre en scène cette comédie-ballet est excellent. José Montalvo, Dominique Hervieu et leur compagnie ont en outre été apparemment sincèrement passionnés par ce projet et ont su jouer avec les codes baroques sans en rester prisonniers. Enfin, le travail chorégraphique effectué avec les chanteurs classe ce spectacle au premier rang par la réussite de l’intégration entre opéra et ballet, chant et danse, chanteurs et danseurs, mise en scène et chorégraphie. L’intégration de la vidéo est également l’un des plus aboutis à ce jour. Deux ou trois étages de toile de fond constituent l’unique décor et servent à la projection vidéo. À chaque étage, danseurs et chanteurs peuvent circuler, apparaissant et disparaissant par des fentes de la toile. Le fond est un ciel nuageux puis un jardin à la française, sur lequel sont incrustés des animaux se déplaçant et les danseurs et chanteurs préalablement filmés, qui se mêlent avec ceux présents sur le plateau. Les costumes de couleurs vives sont également très séduisants et les lumières superbes.
Aucune faiblesse dans le plateau vocal : Topi Lehtipuu est en grand progrès par rapport à sa prestation dans les Troyens. Son émission est beaucoup moins dure. Stéphanie d’Oustrac est assez sage dans le rôle d’Argie mais toujours superbe physiquement et vocalement. Nérine ne met pas particulièrement en valeur les aigus et la vocalisation de Sandrine Piau, qui n’en est pas moins excellente. François Piolino s’impose toujours avec son émission étonnamment directe – mais aux aigus couverts. Orcan offre à Laurent Naouri un rôle tout-à-fait dans ses cordes. René Schirrer a semblé ce dimanche moins bien sonnant que d’habitude. »
Concert Classic – 14 mai 2004

« Cela devait arriver, c’était fatal, José Montalvo allait venir mettre son joyeux bordel à l’Opéra : avec Les Paladins, il ne pouvait tomber plus juste. Rameau pastiche ses œuvres lyriques dans ce qui reste peut-être son plus brillant divertissement. Il est aussi le plus léger à saisir, on y fait ce qu’on veut avec une facilité déconcertante et cela marche ! On ne va pas vous raconter le spectacle, l’avoir vu une fois ne permet pas d’en saisir toute la suractivité démente qui mêle projections, effets visuels inédits, et une troupe de chanteurs et de danseurs appelée à se démultiplier sur quatre niveaux. La chorégraphie est échevelée, toute en hip-hop et en smurf, avec des lascars impeccables d’agilité, d’humour et de grâce, Montalvo double souvent les personnages d’un danseur créant ainsi des situations savoureusement décalées. Son délire animalier, commencé dès l’ouverture par une échappée de biquettes, avec notamment sa génération spontanée de lapins surréelle, nous laisse espérer pour demain sa Platée. Il ne s’explique pas, mais superpose tout un monde délirant à celui des ballets qui ne l’est pas moins. Un maître à danser essaye d’enseigner la gestique baroque aux acrobates, mais lui-même est vite gagné par le délire ambiant. Formidable spectacle, dont le revers de la médaille est peut-être que l’on n’écoute pas assez la musique de Rameau, mais Les Paladins ne sont pas Les Boréades. On ne s’explique toujours pas qu’après tant d’années passées dans l’intimité ramiste William Christie soit si peu attentif à produire des départs ensembles. Dans une partition où tout n’est que prétexte à ballets, c’est un handicap que la virtuosité du spectacle fait oublier. Pour la troupe de chant, dominée de loin par l’Atis de Topi Lehtipuu (souvenez-vous, l’Hylas des Troyens, c’était lui), d’une beauté joyeuse à toute épreuve et au français impeccable, la partie n’est pas aisée : Piau nous faisait une Nérine de chambre, alors que D’Oustrac étincelait en Argie, Schirrer en très petite voix campait un Anselme plus bouffon que dangereux, et Naouri s’amusait franchement en Orcan. Mais le héros de la soirée fut François Piolino, inventant une Fée Manto déjantée dont on n’est pas près d’oublier et la voix percutante, et le manteau cerné de ballons. La Platée de demain, sans aucun doute. »

Anaclase.com – 16 mai 2004

« Créée en 1760 à l’Académie Royale de Musique et vite abandonné après quelques représentations boudées du public, la comédie-ballet Les Paladins, écrite sur un livret de Duplat de Monticourt, est un curieux divertissement qui n’hésite pas à mêler les genres, à utiliser les stéréo-types de l’opéra, au point de se moquer de lui-même. S’il arrive qu’un ouvrage affiche un certain humour, celui-ci demeure textuel : ici, Rameau s’est complu à tisser le rire dans la matière musicale elle-même, avec un raffinement exquis, ne reculant devant aucune possibilité d’une auto-dérision qui fait nos délices. Pour la nouvelle production du Châtelet, Jean-Pierre Brossmann a convoqué deux maîtres d’œuvres de taille : William Christie au pupitre et José Montalvo qui s’affirme ici chorégraphe, vidéaste, scénographe et metteur en scène.
Dans une esthétique personnelle, Montalvo s’improvise paladin lui-même, montreur de chimères, de monstres et de féeries, en un poétique défilé de caïmans, chevaux, chiens, chouettes, cigognes, daims, éléphants, flamants roses, kangourous, lapins, lions, loups, marabouts, paons, poules, tigres, croisant l’envoûtant discours corporel d’un omniprésent hip-hop ponctué de break dance. Et lorsque la technologie permet de sauter dans les nuages, de sortir de la cuisse d’un Apollon dans un jardin français, de s’adonner à des farces anthropomorphes, de faire voler sa chaise en promenant l’écriteau Je ris de l’intérieur, le résultat est un spectacle tout azimut. La chorégraphie est essentiellement graphique, c’est-à-dire que les corps dessinent dans l’espace les signes de la partition, redondance baroque ingénieuse, cependant assez rapidement limitée comme un système qui se renouvelle peu et qui s’alourdit lorsque la ligne de chant offre le même dessin (on se retrouve parfois avec quatre images d’un signe). Dans cette profusion généreuse, le spectateur se perd souvent, est séduit par un geste ici, une projection là, et les chanteurs peuvent s’en trouver oubliés. Dotée de spectres dansés, leur présence scénique est comme fragmentée, distribuée sur l’ensemble des médiums disponibles vers le public. Peut-être aurait-il été plus excitant de pousser ce principe jusqu’à l’abstraction, de sorte que le divertissement, pour drôle qu’il soit, s’élève, dans l’élégance alors gagnée par l’esprit, au-delà de toute futilité.
William Christie sait merveilleusement rendre lumineuse l’écriture dense de Rameau, dont les charmes lui vont comme un gant. Claire, intelligente et souveraine, sa lecture s’avère toujours parfaitement équilibrée, dans une dynamique minutieusement choisie et contrôlée. Les Arts Florissants construisent une sonorité subtile, brillante et souple, qui sert au mieux l’humour de la partition. Le plateau vocal n’est pas en reste, avec la Nérine de Sandrine Piau, délicatement nuancée dans un pétillement énergique très stimulant, et l’Argie au timbre chaleureux de Stéphanie d’Oustrac. Si leur forme vocale est incontestable, une diction approximative rend assez lointain leur personnage. Une fois n’est pas coutume : ce sont indéniablement les hommes qui s’avèrent le plus satisfaisant. La Fée Manto très projetée à laquelle François Piolino prête un timbre clair et sonore assez idéal est une apparition rafraîchissante et musicalement irréprochable, la brève apparition de Emiliano Gonzalez Toro est efficace, tandis que le ténor finlandais Topi Lehtipuu offre à Atis un chant mené avec une maîtrise et une vaillance impressionnantes, une ornementation parfaitement réalisée, et une grande présence scénique ; n’hésitant pas à se prêter à la danse lui-même, il est un paladin attachant qui s’affirme excellent chanteur. »
Tourcoing – Atelier Lyrique – 19 et 21 octobre 1990 – dir. Jean-Claude Malgoire – avec Audrey Michael (Argie), Nicolas Rivenq (Orcan), René Schirrer (Anselme), Bruce Brewer (Atis)
Palais Garnier – 20 février 1990 – version de concert – dir. Jean-Claude Malgoire – avec Audrey Michael (Argie), Bruce Brewer (Atis), Nicolas Rivenq (Orcan), Isabelle Poulenard (Nérine), Gilles Ragon (La fée Manto), René Schirrer (Anselme)
« Excellente sonorité et précision de l’orchestre, direction alerte et contrastée de l’ensemble, la réalisation musicale est une vraie réussite. » (Opéra International – avril 1990)
Festival de Lyon – 1967
1942 / 1948 : enregistrement chez l’Oiseau Lyre par Roger Désormière d’extraits orchestraux sur 78 tours. Première Suite : 1 – Première entrée très gaye des Troubadours, 2 – Air pour les Pagodes, 3 – Gavotte Gaye, Première gavotte, Seconde gavotte, 4 – Gavotte un peu lente, Contredanse. Seconde Suite : Premier Menuet, Deuxième Menuet, Sarabande, Gaiment, Très vif.