Naïs (Pastorale héroïque)

Neptune dans Naïs (reprise de 1764)

COMPOSITEUR Jean-Philippe RAMEAU
LIBRETTISTE Louis de Cahusac
DATE DIRECTION EDITEUR NOMBRE LANGUE FICHE DETAILLEE
1995 Nicholas McGegan Harmonia Mundi 2 français

Pastorale héroïque en trois actes, dit « Opéra pour la Paix », commandé par l’Académie royale à Rameau pour célébrer la paix d’Aix-la-Chapelle, qui avait mis fin à la guerre de Succession d’Autriche. Il ne fut terminé qu’un an après la signature du traité, et représenté à l’Académie royale de musique, le 22 avril 1749.
La distribution (quatre dessus, trois heutes-contre, cinq basses) réunissait : Le Page (Jupiter), La Tour (Neptune), Person (Pluton) et Mlle Coupée (Flore) pour le prologue, Mlle Fel (Naïs), Jélyotte (Neptune), Person (Palémon), Chassé (Télénus), Poirier (Astérion), Le Page (Tirésie), Mlle Coupée (Une Bergère), Mlle Puvignée (Une Bergère chantante eet dansante).
Le prologue, intitulé l’Accord des dieux, représente l’assaut de l’Olympe par des Titans et des Géants, leur défaite et le partage de l’empire par Jupiter magnanime, avec Neptune et Pluton. Jupiter personnifie Louis XV, Neptune George II. La mise en scène de la bataille fut particulièrement spectaculaire. Elle contribua au succès de l’oeuvre qui connut soixante-dix représentations.
Le livret lui-même a pour sujet l’amour de Neptune pour la nymphe Naïs, fille du devin aveugle Tirésie. Le dieu lui fait la cour incognito et triomphe d’un roi et d’un berger. Il emmène Naïs sous l’onde, où dans le palais sous-marin, les divinités fêtent le retour de noces.
Reprise le 7 août 1764. A cette occasion, Bachaumont note que l’ouverture et le prologue ont paru de la plus grande beauté. La décoration est magnifique et les vastes travaux des Géants qui entassent des rochers, sont exprimés de façon sublime. On atrouvé mesquine la petite fusée avec laquelle Jupiter foudroie ces audacieux. Il fallait déployer tout le terrible d’un tonnerre majestueux. Quant au ballet, les paroles en ont toujours passé pour misérables ; elles sont égayés par une multitude de danses, dans lesquelles paraît successivement tout ce que l’opéra a de plus brillant en ce genre. Le Sieur Le Gros fait le rôle de Neptune déguisé en amoureux de Naïs. Sa belle s’y soutient avec la plus grande admiration, il continue à donner de très beaux sons ; attendons patiemment que son âme puisse animer son organe délicieux.

Opéra pour la Paix. C’est le 156me des Opéra François. Les paroles sont de Cahusac, & la musique de M. Rameau. Il fut représenté pour la premiere fois le 22 Avril 1749, & est gravé partition in-4°. Le Prologue, intitulé l’Accord des Dieux, est relatif à la Paix qui venoit de calmer l’Europe, & représente les Titans vaincus par Jupiter & les autres Dieux. Le sujet de la piece, qui est un Ball. en 3 Ac. est l’amour de Neptune pour Naïs, dont la voix & les traits enchanteurs sont célébrés dans la Fable, & qui a donné le jour à ces Nymphes des eaux qui ont été appellées Nayades : les Jeux Isthmiques, qu’on célébroit auprès de Corinthe en l’honneur de Neptune, font une partie du spectacle de cet ouvrage, qui eut du succès. (de Léris – Dictionnaire des Théâtres)

« Naïs semble être exactement fait pour proroger à l’envi les lieux communs sur les ouvrages lyriques de Rameau : la musique est passionnante – et souvent même géniale – mais sur des livrets impossibles, l’écriture instrumentale est captivante mais souvent trop décorative. Même un ramiste invétéré est obligé, pour une fois, de se rendre par-tiellement à ces arguments. « Opéra pour la paix » (celle d’Aix-la-Chapelle, qui mit fin à la guerre de Succession d’Espagne), Naïs est affublé d’un livret bien faible de Louis de Cahusac, lequel fournit pourtant àRameau ceux, excellents, de Zo-roastre et des Boréades. Mais peut-être une représentation idoine – c’est-à-dire avec toute la spectaculaire machinerie nécessaire – de ce pur divertissement ferait-elle changer d’avis sur ce livret. Pourtant, quelle admirable musique ! Une ouverture, qui – chose nouvelle – est déjà dans le Prologue de l’ouvrage, puisqu’elle y intègre le choeur des Titans et des Géants, et qui offre de stupéfiants accords des danses génialement caractérisées ; une sonorité orchestrale dominée par les bassons pépiant dans l’aigu ; enfin, des airs enchanteurs, tour à tour mélancoliquement tendres et puissamment majestueux. » (Opéra International – juillet/août 1995)

Personnages : Naïs, Nymphe du Sang de Tirésie ; Neptune ; Palémon ; Télénus, Chef des Peuples de Corinthe, amant de Naïs ; Astérion, Chef des Pasteurs de l’Isthme, amant de Naïs ; Tirésie ; une Bergère ; Bergère chantante et dansante

Synopsis

Prologue – L’Accord des Dieux
Les Airs. On voit sur la terre les Titans et les Géants quqi entassent les monts pour escalader les cieux. Ils sont conduits par la Discorde et la Guerre. Dans les airs, on découvre Jupiter armé du foudre, et entouré des dieux du ciel.
L’Ouverture est un bruit de guerre qui peint les cris et les mouvements tumultueux des Titans et des Géants.
Sc. 1 – Escomptant vaincre Jupiter et les autres dieux, les Titans et les Géants commencent à prendre les cieux d’assaut. Les dieux du ciel prie Jupiter de faire éclater la foudre dont il est armé pour terrasser les envahisseurs.
Le théâtre paroît en feu. Le tonnerre gronde, la foudre éclate, elle terrasse les Titans, et renverse sur les Géants les monts qu’ils avaient entassés. Neptune, Pluton, et les Dieux de leur suite viennent en foule sur le théâtre, et achèvent de renverser cette troupe rebelle.
Sc. 2 – Pluton se saisit de la Discorde et de la Guerre. et les enchaîne. Jupiter déclare ne pas s’être battu uniquement pour soumettre les dieux qui l’entourent sous son joug. Magnanime, il décide de partager l’Univers avec Neptune et Pluton : Neptune prendra possession de « l’Empire des Mers ».
Sc. 3 – Pluton règnera, et tiendra enchaînées la Discorde et la Guerre, au centre de la Terre.
Sc. 4 – Jupiter étendra son hégémonie sur l’Espace, le Ciel et la Terre.
Sc. 5 – Au cours d’un divertissement organisé en l’honneur de Jupiter, la déesse Flore, assistée de Zéphyre et de ses nymphes, annonce le retour de la paix. Sous ses pas, on voit renaître les fleurs et la verdure. Sarabande – Gavotte – Rigaudons.
Ballets : Pan, Pomone, Vertumne, Zéphyre, Quadrilles des Peuples de la Terre

Acte I
Au lever du jour, sur le rivage de l’isthme de Corinthe, où les Jeux de l’Isthme doivent prochainement avoir lieu.
Sc. 1 – Neptune, paré d’un habit grec, accompagné de son compagnon Palémon déguisé comme lui, confie son trident à Protée.
Sc. 2 – Il révèle à Palémon être amoureux, et avoir changé : ce dieu, jadis des plus volages, avoue être devenu d’une fidélité infaillible.
Sc. 3 – On entend Naïs, sans la voir, exhortant la foule à s’assembler en prévision des jeux.
Sc. 4 – Neptune explique à Palémon comment la voix mélodieuse de la jeune fille l’a attiré pour la première fois et comment cette rencontre antérieure a éveillé en elle les premiers élans amoureux. Palémon lui suggère d’apparaître durant les Jeux dans sa divinité, mais Neptune préfère courtiser la nymphe en masquant sa véritable identité.
Sc. 5 – Naïs, qui se croit seule, chante aux oiseaux.
Sc. 6 – Apparaît Telenus, le chef des guerriers corinthiens, qui exhale son amour. Naïs repousse ses avances, en lui demandant de ne pas troubler les Jeux.
Sc. 7 – Naïs ne prête non plus aucune attention aux flatteries de son autre soupirant, Astérion, chef des bergers de l’Isthme. S’étant entre-temps rassemblés, les spectateurs et les concurrents vantent en choeur les mérites du Dieu des Mers, car les jeux sont offerts en l’honneur de Neptune. Naïs, placée sur un trône, les préside.
Ballet – Dispute du Prix du Ceste, de la Lutte, et de la Course. Ce ballet commence par six Athlètes qui viennent disputer le prix de la Lutte. Ce pas est coupé par deux nouveaux Athlètes, qui disputent le prix du Ceste. Il en survient un troisième qui défie au combat tous les autres. Ceux-ci le refusent : il danse fièrement son entrée. Une quadrille de jeunes Grecques paraît et dispute le prix de la Course. La Lutte reprend ensuite. Le premier Athlète se présente une seconde fois ; personne n’ose le combattre il danse une seconde Entrée, et Naïs le couronne.
Ballet : Athlètes pour la lutte, Athlètes pour le Ceste, Pour le Jeu de la Course
Une symphonie brillante se fait entendre. On voit sur la Mer des Barques légères et galantes, leurs voiles de plusieurs couleurs volent au gré des Zéphirs. Les Divinités de la Mer, deguisées en Matelots de diverses Nations, paraissent sur ces Barques. Protée et Palemon déguisés, sont à leur tête. Tous ces Peuples portent des rameaux d’or, des perles, etc.
Sc. 8 – Les divinités débarquent, Neptune déguisé à leur tête. Naïs cache son trouble et interroge les nouveaux arrivants. Neptune répond par des compliments galants qui mortifient son rival, Telenus.
Ballet – Les Divinités des Mers déguisées, distribuent les richesses dont elles sont chargées aux Peuples qui sont en scène. Puis elles disputent le prix de la Danse. Telenus, excédé, sort.
Sc. 9 – Le ballet de la dispute de la Danse reprend : il peint par un pas de trois, les jeux badins et légers que l’amour inspire dans le bel âge. L’acte s’achève sur un nouveau choeur donné en hommage au Dieu des Mers.
Divertissement : Divinités des Mers, déguisées en Matelots

Acte II
Le fond du théâtre représente une montagne coupée de bois, de cascades naturelles, de routes fleuries, etc. Au pied on voit l’entrée d’une Grotte : les deux côtés sont des arbres sans symétrie dont les branches touffues forment des berceaux de feuillage.
Sc. 1 – Face à la grotte de Tirésias, le devin aveugle (et père de Naïs), Neptune déclare à la nymphe l’amour qu’il lui porte, sans toutefois révéler son identité. Elle le repousse avec brusquerie, et le prie de la laisser.
Sc. 2 – Restée seule, Naïs savoure les sensations nouvelles que Neptune a déclenchées en elle.
Sc. 3 – Venu s’excuser de l’accès de jalousie dont il a fait montre précédemment, Telenus constate que Naïs s’est déridée. Celle-ci le laisse et pénètre dans la grotte de Tiresias.
Sc. 4 – Telenus s’interroge sur les sentiments de Naïs à son égard, et voit des présages flatteurs dans son changement d’attitude.
Sc. 5 – Astérion, escorté des bergers de l’Isthme, survient sur ces entrefaites, en vue de demander à Tirésie de prédire quel homme épousera plus tard Naïs.
Sc. 6 – Tiresie sort de la grotte s’appuyant sur le bras de Naïs. Les bergers acclament le vieillard par des chants et des danses, et lui offrent des fruits et des fleurs. Une jeune bergère consulte le devin sur le berger qu’elle adore.
Ballet – Une seconde Bergère veut s’approcher de Tirésie, elle en est écartée par deux Pastres, qui lui coupent le chemin, et qui veulent se faire écouter avant elle ; les Bergers les éloignent, elle approche, et elle interroge à son tour le devin. Astérion, enfin, s’inquiète de savoir si Naïs, dont le coeur reste de glace, s’éprendra un jour de lui. Lorsque les oiseaux juchés dans les arbres voisins s’éveillent, Tirésie (qui a l’art d’interpréter leur chant) répond qu’un étranger conquerra le coeur de la nymphe et que les deux prétendants devraient plutôt se méfier du Dieu des Mers.
Sc. 7 – le Choeur s’effraie de la prédiction du devin.
Sc. 8 – Telenus et Astérion s’apprêtent à implorer Neptune, et affronter leur rival inconnu.
Ballet : Bergers et Bergères

Acte III
Le devant du théâtre représente un promontoire, dont la mer baigne le pied. Les deux côtés sont couverts d’orangers, de mirthes et de citronniers. La perspective du fond, est la mer et l’horizon. On y voit à la rade les barques brillantes qui ont paru aux Jeux Isthmiques. L’acte commence sur la fin de la nuit, et le théâtre s’éclaire d’une manière insensible pendant la première scène.
Sc. 1 – Neptune – seul et toujours déguisé – contemple l’apparition imminente de l’aube tout en méditant sur son amour pour Naïs.
Sc. 2 – Inquiète, la nymphe rejoint celui qu’lle prend pour un étranger pour l’avertir du complot ourdi par ses adversaires. On entend des cris affreux.
On découvre sur la mer des vaisseaux qui voguent à pleines voiles vers les barques légères qui ont paru aux Jeux Isthmiques, et qui sont à la rade. Telenus et Asterion avec leurs suites, y paraîssent armés et avec des torches ardentes.
Sc. 3 – Mais lorsque Telenus et Astérion abordent les vaisseaux de Neptune pour y mettre le feu, Neptune soulève les flots, et les deux hommes sont engloutis par des vagues gigantesques avec leurs vaisseaux.
Sc. 4 – Affolée, Naïs rapporte l’oracle au « jeune étranger » et lui conseille de se prémunir contre le Dieu des Mers. Neptune attendait cet instant pour se démasquer. La terre s’ouvre : le jeune couple, escorté de divinités marines, rejoint le palais sous-marin du dieu.
Sc. 5 – Après que Nais et Neptune se soient déclarés leur amour réciproque, les divinités acclament leur nouvelle déesse et organisent un divertissement en l’honneur des deux amants comblés, conduit par Protée. Tambourins – Contredanse.
Ballet : Basques et autres Habitants des Côtes maritimes

(d’après le livret Erato)


Représentations :

Cité de la Musique – 6 avril, 2 juin 2011 – Les Lucs sur Boulogne (85) – Historial de la Vendée – 19 juillet 2011 – Choeur du Marais – La Simphonie du Marais – dir. Hugo Reyne – avec Mireille Delunsch (Naïs), Mathias Vidal (Astérion), Matthieu Heim (Palémon), Arnaud Marzorati (Télénus), Alain Buet (Tirésie), Jean-Paul Fouchecourt (Neptune), Dorothée Leclair (Flore)

 

Muse baroque – Un Rameau d’olivier

« Pastorale héroïque en trois actes, dit « Opéra pour la Paix », Naïs fut commandé par l’Académie royale de Musique à Rameau pour célébrer la paix d’Aix-la-Chapelle, qui mit fin à la guerre de Succession d’Autriche. L’œuvre fut représentée à l’Académie royale de musique, le 22 avril 1749, un an après la signature du Traité avec des décors grandioses, tout comme lors de la reprise de 1764. Disons-le d’emblée, le souci de cette œuvre réside dans l’extrême faiblesse du livret de Cahusac (pourtant ce même librettiste nettement plus inspiré fournit ceux de Zoroastre ou des Boréades) et la pauvreté du langage (« Venez tous, venez m’apprendre / Le sort qu’auront vos soupirs. / Ouvrez-moi votre cœur, le mien à vous entendre / Retrouve encor le charme des désirs. » Tirésie, II,6), conjuguée à une progression dramatique quasi-inexistante met à mal l’attention des auditeurs, d’autant plus que l’œuvre est proposée en version de concert. Et si le prétexte de l’intrigue est l’amour de Neptune pour la nymphe Naïs, fille du devin aveugle Tirésie, force est d’avouer que l’on a tout de même du mal à se figurer comment Naïs donna lieu au nombre impressionnant de 70 représentations à l’époque.
Il faut clairement disculper Hugo Reyne du succès mitigé de la représentation : ce n’est pas la faute du chef si près d’un quart du public s’est échappé entre l’entracte et la fin de la pastorale, mais bien celle du coupable auteur, et ce défaut structurel rend méritoire la tentative de réveiller les charmes ramistes. Car la musique est belle. Belle à l’instar de ce Prologue « l’Accord des Dieux » et son Ouverture surprenante, inventive et colorée, loin des habituelles et majestueuses notes inégales. Audacieuse avec un usage du basson, un art de la couleur et du mouvement consommés, auxquels la Simphonie du Marais rend pleinement justice tout au long de plus de 2h30. Les danses, opulentes, rythmées, fonctionnelles, sont superbement rendues, avec un sens de la mélodie et un naturel confondant. De même, le Choeur du Marais exalte avec jubilation la gloire du monarque, qu’il s’agisse de la grande page monumentale « Attaquons les cieux, / Bravons le tonnerre » (I,1) ou du dramatique « Quel Oracle ! O Neptune ! O fatale colère. » (II,7) plein d’urgence et de fureur. Hélas l’écriture de Rameau virevolte, butine, tourbillonne et ne refuse de s’appesantir sur un climat ou de bâtir d’amples scènes hypnotiques à la manière d’un Lully ; le compositeur juxtapose ainsi les mouvements, fragmente le discours ce qui nuit ultimement à l’unité de l’œuvre, dont on aura bien du mal à citer les passages-phares, tant les combats tant attendus sont démêlés rapidement, dépêché d’une plume distraite et alerte.
Les récitatifs et ariosos, nombreux, sont interprétés avec justesse et souplesse. Toutefois, à l’exception d’un Jean-Paul Fouchécourt superlatif et totalement impliqué dans son rôle ( cf. air final « Cessez de ravager la terre »), le reste de la distribution se révèle nettement moins théâtral et déclamatoire. Si Mireille Delunsch – bien échauffée à compter du second acte – a délivré un touchant monologue « Dois-je le croire ? Ah ! Dieux ! » (II,2) de son soprano sensible et nuancé, Alain Buet vibrant et imposant n’a pas su rendre pleinement l’éclat tragique de la scène de la prophétie. Le trio Arnaud Marzorati, Mathias Vidal et Matthieu Heim, stylistiquement impeccable et au chant élégant peine enfin à émouvoir en raison d’un certaine distance parfois presque ironique.
Hugo Reyne dirige l’ensemble avec équilibre, insistant sur la richesse de l’écriture, caressant les combinaisons instrumentales, laissant respirer une œuvre qui sans sa pompe et son apparat visuel pourrait être damnée. Et malgré les faiblesses inhérentes ¨la construction de Naïs elle-même, malgré la coupable médiocrité de Cahusac (oui, osons vilipender un mort, bien que le principe soit des plus méprisables), malgré la fébrilité trop sautillante de Rameau, l’on quitte l’amphithéâtre le sourire aux lèvres, après un bis endiablé où le public a scandé en applaudissements la danse du Grand Calumet de la Paix… »

ClassiqueInfo.com

« Pauvre Naïs ! Cette œuvre, sous-titrée « Opéra pour la Paix » car commandée pour célébrer la paix d’Aix la Chapelle de 1748, ne fut prête que l’année suivante à un moment où les consciences commençaient à se rendre compte de l’inanité de ce traité qui avait mis fin à la guerre de Succession d’Autriche et à la double alliance franco prussienne d’un côté, austro-anglaise de l’autre. Les Français, déçus du peu de résultats matériels obtenus, avaient forgé l’expression « s’être battus pour le roi de Prusse ». C’est dire si la paix avait déjà mauvaise presse ! Néanmoins, l’opéra de Rameau fut un franc succès avec trente-quatre représentations en la seule année 1749, puis trente-trois en 1764 pour une reprise donnée à l’occasion d’une autre paix, elle franchement désastreuse, signifiée par le traité de Paris l’année précédente. Depuis, Naïs est tombée dans l’oubli et ce n’est certes pas le médiocre enregistrement dirigé par Nicholas McGegan dans les années 1980 qui pouvait nous satisfaire. On attendait donc beaucoup de cette nouvelle version due à Hugo Reyne et sa Simphonie du Marais, solides artistes auxquels nous devons tant de belles découvertes (Lully, Francoeur, Rebel). Hugo Reyne crut bon d’intervenir à deux reprises, en ne faisant que répéter ce que la note de programme nous disait déjà fort bien, avant et après le Prologue. Il est vrai que rarement dans l’opéra français baroque, une telle césure de ton entre Prologue et actes aura été aussi radicale. Si l’ouverture (une des plus extraordinaires écrites par Rameau) et le Prologue donnent dans le style héroïque avec la lutte des Dieux et des Titans, puis le partage de l’univers par Jupiter, les trois actes sont une belle pastorale manquant un peu de sens dramatique mais que le génie de Rameau transcende par son sens inné de l’orchestration et un esprit comique toujours en éveil.
Malheureusement, la version qui nous fut donnée à la Cité s’avéra extrêmement décevante à de maints égards. Dès l’Ouverture, les limites techniques de l’orchestre se firent entendre : cordes pas toujours ensemble, trompettes multipliant les « pains », continuo lourd bien que relégué complètement sur la droite de la scène. Tout du long de la représentation, Hugo Reyne se montra incapable de reprendre les choses en main et c’est bien dommage compte tenu de la place primordiale de l’orchestre dans une œuvre où les divertissements dansés sont nombreux : jeux Isthmiques à l’acte I, fête des bergers au II, divertissement marin au III. Tout fut dirigé au métronome, sans poésie aucune et, malheureusement, pièce après pièce, les lacunes relevées dans le Prologue se confirmèrent avec des cordes étiques. Il suffit de comparer ce que Reyne et la Simphonie du Maris délivrèrent dans la belle Chaconne de la fin de l’acte 1 à Frans Brüggen et l’Orchestre de l’Age des Lumières au disque (Glossa) et Jordi Savall avec son Concert des Nations au concert (en janvier dernier à Pleyel), pour mesurer l’écart qualitatif. C’est sans doute ce que ressentit une partie du public en exprimant son rejet d’une interprétation ennuyeuse qui semblait donner raison aux détracteurs du baroque.
Si cette vision orchestrale décevante avait été rachetée par une grande interprétation vocale, on aurait été moins dur mais tel ne fut malheureusement pas le cas pour les deux rôles principaux. Quelle mouche a-t-elle piqué Hugo Reyne pour aller chercher un Neptune, certes immense chanteur baroque mais totalement sur le déclin, et une Naïs dont l’éloignement du répertoire baroque semble avoir ruiné les quelques capacités à faire illusion ici ? On aime trop ce que Jean-Paul Fouchécourt nous a donné au concert et au disque pour être méchant ici. Parlons juste d’une totale erreur de distribution. Si l’entrée dans le Prologue fut encore correcte, le déroulement de la représentation le mit sur un gril quasi permanent, le professionnalisme et la connaissance de la technique d’ornementation ne parvenant plus à masquer les insuffisances d’une voix que nous avons tant aimée. Quant à Mireille Delunsch, nous l’avons trop défendue lorsqu’elle était régulièrement lynchée par la critique professionnelle, notamment durant l’ère Mortier à l’Opéra de Paris, pour nous permettre de nous demander par quelle aberration elle a été sollicitée pour cette Naïs. Même au meilleur de sa forme dans le répertoire baroque ou pré-classique (la Folie de Platée, Vénus de Dardanus, Iphigénie en Tauride), elle n’eut la voix et la technique pour chanter Naïs. Depuis, Elsa, Freia, Agathe, Léonore, sont passées par là, ruinant la technique d’ornementation, mettant en exergue les ruptures de registre vocal.
Qu’il est dommage de ne pas avoir joué la carte de la jeunesse dans cette distribution et d’avoir relégué le très prometteur Mathias Vidal au rôle d’Astérion alors qu’il a ouvertement les capacités pour être un très bon Neptune. Timbre agréable, projection du texte, belle technique d’ornementation ; on suivra avec attention les prochaines prestations de ce jeune ténor. On aime beaucoup Arnaud Marzorati, ce qu’il fait au sein des Lunaisiens ou avec Vincent Dumestre. En Télénus, il se montra efficace mais ce chanteur instinctif sembla gêné par la direction trop raide d’Hugo Reyne. Alain Buet, en Jupiter, puis en Tirésie, ne fut que correct et confirma les alarmes ressenties avec William Christie à Pleyel il y a un mois. La voix est sans couleur et bouge terriblement dans le grave. Dorothée Leclair fut une Flore, puis une bergère, agréable mais à la diction incertaine. Matthieu Heim hurla ses Pluton et Palémon plus qu’il ne les chanta.
Au total, une production bien inutile et terriblement frustrante car il y a peu de chances d’entendre Naïs dans des conditions correctes dans un proche avenir. Un concert qui vient s’inscrire dans une saison baroque bien décevante à la Cité, pourtant haut lieu traditionnel de cette musique. »

Opéra Magazine – septembre 2011

« En choisissant Naïs pour l’ouverture du Festival «Musiques à la Chabotterie», Hugo Reyne a mis en avant une admirable pierre ramiste. Géant en ses proportions (trois heures et demie, en un Prologue et trois actes), cet ouvrage révèle combien Rameau fut un expérimentateur inquiet. Lui qui fut le seul compositeur scientifique et philosophe de son temps, hanterait, de nos jours, les centres de recherche en informatique musicale ! il disposa de l’orrgue comme d’un ordinateur et en extirpa l’inouï. Naïs offre des richesses de timbres qui outrepassent les instrumentations les plus réussies ; toute la texture compositionnelle, à la façon de Beethoven, y est embrassée. Lors de ce concert, cet inouï a tant saisi qu’on en aurait volontiers réentendu des passages pour vérifier que nos oreilles n’avaient pas été hallucinées…
Créé en 1749, pour célébrer le traité d’Aix la Chapelle qui venait de mettre fin à la guerre de la Succession d’Autriche, Naïs n’est pourtant pas que recherche ; c’est un opéra au sens plein du terme. Rameau y offre un matériau surabondant. Non que les rôles soient excessifs, mais parce que les pages orchestrales sont nombreuses et développées. Sous cet aspect, telle Roméo et Juliette de Berlioz, Naïs est une symphonie dramatique. Tout exprime virtuosité et vivacité collectives, et tous les enjeux de l’écriture sont pétris : intervalles creusés (y compris au chant), polystructures et spatialisations (internes comme externes), frénétique et complexe dessin rythmique. Assurément, Rameau est un des pères de l’orchestre et la symphonie !
Écrit par le fidèle Louis de Cahusac, le livret de cette « pastorale héroïque » narre l’idylle entre la nymphe Naïs et Neptune (désirant être aimé pour lui-même, il dissimule sa nature divine). Autour des deux amants il dresse un tableau où des humains, avec leurs sentiments exacerbés, sont assaillis par le merveilleux, le fracas des armes et les éléments naturels.
Dans une acoustique peu confortable, la distribution se montre très pertinente. Mireille Delunsch, Naïs engagée, déploie son art d’émouvoir avec un texte et d’exprimer les passions ; sa voix atypique, qui lui a permis tant de remarquables décalages, trouve ici un terrain où s’épanouir. Pour ce qui est, dit-il, son dernier grand rôle de haute-contre, Jean-Paul Fouchécourt apporte à Neptune sa vaste et intelligente culture de ce répertoire, mêlant l’émotion à des touches de second degré. Dans les autres emplois, le trio Mathias Vidal – Alain Buet – Arnaud Marzorati est à l’unisson.
À la tête de son talentueux ensemble La Simphonie du Marais, Hugo Reyne mérite tous les éloges. Arpentant un ouvrage aussi ample, il ne perd jamais cette limpidité interprétative – tempi justes, vaste palette dynamique, opportune vivacité de chaque instant – qui le caractérise.
Coproduit avec la Cité de la Musique. un enregistrement paraîtra bientôt. À guetter sans défaut. »

Dijon – Théâtre MunicipalLondres – Old Vic TheatreOpéra royal de Versailles – 1980 – English Bach Festival Singers, Baroque Orchestra and Dancers – dir. Nicholas McGegan – mise en scène Antoine Bourseiller – avec Linda Russell (Naïs), Ian Caley (Neptune), Ian Caddy (Jupiter, Telenus), John Tomlinson (Pluton), Richard Jackson (Tiresie), Brian Parsons (Astérion), Antony Ransome (Palemon)

Ian Caddy (Jupiter)Ian Caley (Neptune), John Tomlinson (Pluton) et OIan Caddy (Jupiter)

Londres – Queen Elizabeth Hall – 1979 – version semi-scénique – English Bach Festival – dir. Andrew Parrott