CD Pyrrhus

COMPOSITEUR Joseph Nicolas Pancrace ROYER
LIBRETTISTE Fermelhuis

 

ORCHESTRE Chœur et Orchestre Les Enfants d’Apollon
CHOEUR
DIRECTION Michael Greenberg

 

Polixène Emmanuelle de Negri dessus
Eriphile Guillemette Laurens dessus
Acamas Jeffrey Thompson haute-contre
Pyrrhus Alain Buet basse
Mars, un des Euménides Virgile Ancely basse
Minerve Edwige Parat soprano
Jupiter Chistophe Gautier basse
Ismène, Thétis Nicolas Dubrovitch soprano
L’Ombre d’Achille Laurent Collobert basse
Un des Euménides Brian Cummings contre-ténor
Un des Euménides Jean-Yves Ravoux taille
Une Nymphe de Thétis Sophie Decauveine soprano
Le Grand-Prêtre Paaul Willenbrock basse
Un des Soldats Olivier Fichet taille
Une Troyenne Solange Anorga soprano
Un Troyen Bruno Renhold haute-contre

 

DATE D’ENREGISTREMENT 16 septembre 2012
LIEU D’ENREGISTREMENT Château de Versailles – Salle des Croisades
ENREGISTREMENT EN CONCERT oui

 

EDITEUR Alpha – Château de Versailles Spectacles
DISTRIBUTION
DATE DE PRODUCTION 11 février 2014
NOMBRE DE DISQUES 2
CATEGORIE DDD

 

Critique de cet enregistrement dans :

Classique.news

« Après un précédent volume dédié à Dardanus (plutôt mitigé), autre prise live en provenance du Château de Versailles, voici un autre document saisi sur le vif, dans une autre salle du temple de la monarchie qui sut comme nul autre accorder musiques et architecture ; le Château de Versailles nous offre ainsi le concert de septembre 2012 réalisé dans l’illustre salle des Croisades, apport des années 1840 à l’initiative de Louis Philippe. D’une façon générale, le disque confirme les impressions vécues pendant le concert versaillais : interprètes discutables, direction absente, chœur et orchestre à la peine, mais quelques solistes sauvent cette recréation qui elle, rend compte à juste titre, d’une partition admirable.
Cela commence très mal en partie à cause des choeurs, d’une mollesse inarticulée (n’est pas Les Art Florissants qui veut !)… Mais tout n’est pas perdu comme on le lira plus loin, certains solistes défendent haut leur partie, dans l’éloquence autant que par le tempérament ; dans le Prologue : Mars, Minerve qui se disputent la gloire d’instruire le Daupin récemment né et pour lequel fut créé l’opéra de Royer. Le Jupiter minaudant et vibré se range du côté du choeur : hélas il n’est pas à la hauteur de la partition dont la séduction doit venir d’une interprétation qui dépasse la seule aimable exécution.
La résurrection de ce Pyrrhus de Royer est de toute évidence, d’une grande pertinence ; après Lully (Achille et Polyxène, de 1687 sur le livret de Campistron), Pancacre Royer aborde lui aussi la figure de la noble princesse qui occupe le centre de l’ouvrage : tempérament tragique, c’est une femme admirable tantôt dédiée à l’amour d’Achille tantôt à celui de Pyrrhus. Sa loyauté, sa dignité jamais hautaine mais tendre et souvent bouleversante fait sa réussite.
Royer offre ainsi en 1730, la dernière tragédie en musique inspiré de Pyrrhus, dans l’histoire de l’opéra : avant que ne s’affirme le génie hors norme de Rameau, le turinois Royer est à Paris le protégé de Victor Amédée I de Savoie qui à la date de la création de Pyrrhus (le 26 octobre 1730) s’était vu confié la surveillance de l’Opéra par Louis XV. Le répétiteur et le souffleur de l’Académie royale de musique avait livré son propre opéra… sur l’un des sujets dramatiques les plus ambitieux. A 25 ans, Royer, suiveur de Campra, séduit le sérail, obtient même la validation de Destouches (le directeur musical sortant de l’Opéra).
Dans les rôles principaux le jeune compositeur peux compter sur l’excellence déclamatoire et dramatique des deux monstres de l’opéra français (futurs champions de l’Hippolyte et Aricie de Rameau de 1733) : le baryton Chassé de Chinais et la soprano Marie Pélissier en Pyrrhus (Pirrhus dans la graphie d’époque) et en Polyxène… en dépit de leur engagement, les chanteurs ne purent sauver la carrière de l’opéra qui demeure un échec. Fautif principalement le poème froid, brutal, sec… selon les témoignages d’époque, mais la musique de Royer, elle, suscita l’admiration dans l’écriture des choeurs, la chaconne du II, la scène des enfers du III (intégrée à la reprise de Tancrède de Campra en 1764)… Déjà se profile ici la tension de l’architecture harmonique nouvelle revendiquée par Rameau, le grandiose des choeurs, l’italianità des passages purement instrumentaux. C’est aussi une écriture très habile des récitatifs qui sont admirablement ciselés … sur une langue directe, franche parfois brutal dont la sincérité fut a contrario source d’insuccès au XVIIIème.
Reconnaissons cependant la valeur de la collection discographique initiée par le Château de Versailles : le choix de nouveaux ensembles pour défendre les titres retenus est louable : place aux nouveaux champions de la scène baroque. Si le principe est méritant, le résultat peine à la tâche ; Dardanus (par Pygmalion) était vert ; ce Pyrrhus souffre d’un geste lourd, qui tâtonne et manque de souffle comme de poésie (la fameuse chaconne du II est bien raide et plate, sans guère de souplesse). Dès le Prologue, on soupire hélas d’ennui. La musique n’y semble que convenable. Et les enchaînements s’essoufflent comme tous les divertissements et les interludes dansés : problème de tempi, problème de respiration et certainement de compréhension naturelle de la langue de Quinault. Du début à la fin, la prosodie patine, sonne inaboutie en un geste pas toujours très sûr.
Heureusement les tempéraments psychologiques sont défendus avec ardeur par quelques solistes qui restituent la fine caractérisation des profils (belle vitalité des récitatifs en général) et des situations qui les éprouvent : parfaits de précision comme d’économie expressive, Emmanuelle de Negri (Polyxène, ailleurs partenaire des Arts Florissants) et dans une moindre mesure (articulation vivante et parfois diabolique de l’amoureux de Polyxène, Acamas) le ténor Jeffrey Thompson dont l’intensité du verbe s’avère bénéfique cependant pour l’intelligibilité du livret. Plus réfléchie et pondérée dans ses effets, Emmanuelle de Negri incarne un coeur droit et loyal jusqu’à son sacrifice ultime. A l’inverse : excessive, à l’articulation approximative, aux accents maniérés, Guillemette Laurens échoue dans le portrait de la magicienne éconduite Eriphile (Pyrrhus lui préfère la fille de Priam, Polyxène) : ses embrasements tombent à l’eau, et accordés au choeur infernal (indécis et mou) n’effraient en rien tout au long du III. Dommage : l’émission est basse, les aigus durs et serrés, la justesse constamment vacillante. Voici pourtant un profil féminin dévasté/agité, emblème d’une tradition d’enchanteresses noires héritées du Baroque, proche des Erinice (Rameau, Zaroastre) Arcabonne (Jean Chrétien Bach, Amadis), Médée (Vogel : La Toison d’or), Armide (Sacchini : Reanud), (Gossec, Thésée) : toutes magiciennes haineuses mais amoureuses impuissantes. Petite réserve pour le Pyrrhus d’Alain Buet qui ne nuance pas assez, ne diversifie pas suffisamment les couleurs de son personnage : toujours uniformément héroïque, le baryton aborde l’ensemble de son rôle de la même façon, or du début à la fin, les situations révèlent des aspects très différents du caractère.
En dépit des réserves, le disque édité à l’initiative de Château de Versailles Spectacles remplit son office : témoigner d’une soirée à Versailles, surtout réhabiliter la manière préramélienne de Royer qui dans cette première mondiale absolue gagne malgré les faiblesses de l’orchestre, du chef, des choeurs et de certains solistes, une première reconnaissance totalement légitime. On ne cesse de penser à ce qu’aurait pu en exprimer William Christie et ses Arts Florissants (qui restent pour ce répertoire décidément inégalables). Plus qu’un plateau bancal, c’est essentiellement l’absence de vision claire de la part du chef qui amenuise la réussite de cette recréation. A connaître cependant pour la qualité de la partition.