CD L’Orfeo (direction Hindemith)

ORFEO

COMPOSITEUR

Claudio Monteverdi

LIBRETTISTE

Alessandro Striggio

 

ORCHESTRE Orchester auf Historischen Instrumenten
CHOEUR Wiender Singakademie
DIRECTION Paul Hindemith

La Musica Patricia Brinton
Orfeo Gino Sinimberghi
Euridice Uta Graf
Messageria Ana Maria Iriarte
Caronte Norman Foster
Proserpina Mona Paulee
Apollo Waldemar Kmentt
Ninfa Auguste Schmoczer
Speranza Gertud Schretter
Plutone Frederick Guthrie

DATE D’ENREGISTREMENT 3 juin 1954
LIEU D’ENREGISTREMENT Vienne
ENREGISTREMENT EN CONCERT oui

EDITEUR ORF
DISTRIBUTION Intégral
DATE DE PRODUCTION 2009
NOMBRE DE DISQUES 2
CATEGORIE

Critiques de cet enregistrement dans :

Diapason – mars 2010 – appréciation 3 / 5

« Difficile d’apprécier l’intérêt de ce document inédit sans le situer dans un contexte précis – ce que ne fait pas, hélas, le texte de présentation, tourné sous la forme d’une fausse interview de Monteverdi. Rappelons donc que l’initiative de cette soirée, célèbre pour avoir été la première apparition publique du Concentus Musicus de Nikolaus Harnoncourt, revenait à Paul Hindemith. De retour en Europe en 1953, le compositeur propose de monter l’Orfeo pour les prochaines Wiener Festwochen, avec ces instruments  » d’époque » qu’il défend depuis longtemps, s’esssayant au cornet dès les années 1930, animant à Yale un Collegium Musicum, et détaillant ses motivations lors d’un discours prononcé pour la grande année Bach – Adorno s’y oppose dans un artiile fondateur du débat sur l’authenticité musicale, en dénonçant ces archéologues qui transforment la musique en « monuments culturels neutralisés ».

Cet Orfeo n’est pas le premier monté au XXe siècle, loin de là, mais il se présente sur les programmes du 4 juin 1954 comme la première « tentative de représentation dans la forme originale ». Forme à la fois musicale et scénique : les décors s’inspirent de sources anciennes, et des étudiants du conservatoire imaginent les danses. Reste à trouver à Vienne tous les instruments notés dans la longue liste qui ouvre l’édition de 1609. L’intendant du Konnzerthaus met Hindemith en contact avec un violoncelliste de vingt-quatre ans, membre des Wiener Symphoniker, qui vient de fonder avec sa femme un petit ensemble afin d’expérimenter tout ce qu’ils peuvent autour des instruments anciens. Hindemith n’en revient pas quand ce blanc-bec lui asssure qu’il peut lui fournir tout ce dont il a besoin, y compris le mystérieux organo di legno (« de bois ») et la régale … à condition de participer à l’aventure.

Les répétitions, qui débutent chez le couple Harnoncourt, prennent un nouveau tour à l’arrivée du chef-compositeur. Les cornettistes ont à peine joué trois notes qu’ils se voient congédiés (et remplacés sans état d’âme par des cors anglais) ; la fantaisie et le continuo de Josef Mertin, figure tutélaire de la musique ancienne en Autriche, ne sont pas non plus au goût d’Hindemith – qui garde, en revanche, son précieux organo di legno. Harnoncourt manque plusieurs fois de claquer la porte, mais l’enjeu est grand pour son petit ensemble, encore anonyme, et surtout l’oeuvre le passionne –  » avant cela, je ne connaissais même pas le nom de Monteverdi. Ce fut comme un coup de tonnerre, cette musique me prenait aux tripes « .

Capté par la radio autrichienne, l’ennregistrement nous rappelle l’importance qu’a eu le courant de la « nouvelle objectivité » dans le renouveau de l’interprétation de la musique ancienne. Hindemith traaverse la favola au pas de charge, fouette les strophes de Musica (dommage, on tient là l’une des rares voix agréables de la soirée), refuse toute incarnation à son Orfeo (vaillant et sinistre, pourquoi diable aller chercher cet Italien plutôt que Max Meili, le grand tenant du rôle à l’époque !). Et quand il en vient à présenter l’ organo di legno dans son discours introductif, c’est finalement le terme« unemotionnal» qui lui semble le mieux qualifier son timbre exotique.

L’interprétation met assez mal à l’aise, partagée entre la nervosité d’une battue qui ne laisse s’épanouir aucun accent, aucun affect, et les dérapages innombrables des chanteurs – poussés à la faute par une harmonisation cocasse du continuo, mais secourus par un souffleur héroïque. Adorno y aurait sans doute entendu le parfait exemple de la « neutralisation» condamnée par principe. Un principe qui se serait sans doute trouvé bousculé quatorze ans plus tard : Harnoncourt publiait alors son propre enregistrement de L’Orfeo, lecture fascinante, précisément, par son intensité, son lyrisme, son humanité, par la synthèse accomplie entre le romantisme défunt et la nouvelle objectivité qui lui avait opposé une réaction nécessaire mais aveugle. »

Opéra Magazine – septembre 2010 – appréciation 5 / 5

Voici un enregistrement rare, unique, inclassable. Enregistrement de pionniers, il réunit pour la première fois un ensemble orchestral pas encore baptisé, mais promis à un bel avenir. Il s’agit du Concentus Musicus Wien, réunion d’interprètes sur instruments anciens dont on n’imaginait pas alors (nous sommes en juin 1954, dans le cadre des Wiener Festwochen) le succès futur et la transformation de l’écoute musicale qu’ils allaient engendrer dans le monde entier. Parmi eux, un certain Nikolaus Harnoncourt à la viole de gambe, entouré de six instruments à cordes.

Ce disque témoigne d’abord de la passion pour la musique ancienne du compositeur allemand Paul Hindemith (1895 – 1963), dont on entend la voix dans l’introduction à ce concert enregistré par la Radio autrichienne, On passera donc sur une prise de son faisant la part belle au continuo et aux voix, en laissant les instruments et le choeur trop en retrait. Car l’essentiel est ailleurs, dans la naissance d’un style interprétatif que l’on devine déjà en germe. La révision de la partition effectuée par Hindemith en 1943, alors qu’il se trouvait aux États-Unis, pose moins de problèmes dans L’Orfeo que dans les autres opéras de Monteverdi, et les tempi sont relevés, donnant à l’oeuvre une vitalité réjouissante. L’esprit du théâtre n’est, par ailleurs, nullement altéré par des voix encore empesées (la soprano Patricia Brinton !), avec des portamenti que l’on n’oserait plus faire aujourd’hui. Belle prestation, en revanche, du ténor Gino Sinimberghi (Orfeo). Gardons-nous néanmoins des comparaisons stériles, en constatant qu’en ces temps préhistoriques, l’intelligence alliée à une puissante inspiration musicale permettait de proposer au public une vision déjà novatrice de L’Orfeo, Ainsi, c’est dans le continuo que l’on percevra les avancées les plus spectaculaires. Il est l’élément moteur et dynamique de cette version, par les rythmiques imposées et, déjà, un sens aigu des couleurs.

Hindemith transmet ici une fougue qui n’attendait que son heure pour convaincre et il semble évident que Harnoncourt a beaucoup appris à son contact. Quatorze ans plus tard, le chef autrichien livrera sa première version studio de l’ouvrage, considérée comme la première grande révolution de l’interprétation baroque. L’édition Hindemith est en quelque sorte le chaînon manquant, permettant de comprendre le chemin parcouru en ces années de patiente réflexion. »