CD L’Orfeo (direction Alessandrini)

Le compositeurL’oeuvre

L’ORFEO

COMPOSITEUR

Claudio MONTEVERDI

LIBRETTISTE

Alessandro Striggio

 

ORCHESTRE Concerto Italiano
CHOEUR
DIRECTION Rinaldo Alessandrini

Orfeo Furio Zanasi
La Musica, Euridice Monica Piccinni
Euridice, Proserpina Anna Simboli
Messaggiera, Speranza Sara Mingardo
Plutone Antonio Abete
Caronte Sergio Foresti
Apollo Luca Dordolo

DATE D’ENREGISTREMENT 2007
LIEU D’ENREGISTREMENT
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

EDITEUR Opus 111
DISTRIBUTION Naïve
DATE DE PRODUCTION 21 août 2007
NOMBRE DE DISQUES Livre-disque : 2 CD livre de 172 pages
CATEGORIE DDD

Critique de cet enregistrement dans :

Diapason – septembre 2007 – appréciation Diapason d’Or – technique 9 / 10 – Le disque du mois

« Quel événement ! Voici longtemps que le chef-d’oeuvre quadricentenaire n’avait pas connu une interprétation aussi novatrice, intelligente et personnelle. Rinaldo Alessandrini, qui propose diverses corrections bienvenues de l’édition originale, ose des hardiesses inédites dans la réalisation de la basse continue et souligne avec pertinence chaque subtilité de la mu­sique : dissonances, effets dramatiques, ruptures ou contrastes subits. Son travail sur les tempos et les proportions rythmiques s’émancipe de certaines traditions modernes bien établies ; l’exemple le plus frappant est sans doute le Balletto « Lasciate i Monti », empli d’une énergie et d’une beauté contrastée, comme jamais encore on ne l’avait entendu. Les coloris instrumentaux sont merveilleusement mis en valeur en dépit d’un effectif « de chambre s, non conforme à la « table des instruments » de l’édition de 1609.

Les madrigalistes du Concerto Italiano se voient confier les solos des bergers, nymphes et esprits, dont la réunion forme les chori, suivant en cela les indications de Monteverdi. Rompus à l’« éloquence polyphonique », ils font des merveilles dans les ensembles, d’une efficacité dramatique admirable. Les protagonistes, tous italiens, sont parmi les plus convaincants de la discographie. Le soprano tendre et juvénile d’Anna Simboli illumine les interventions d’Euiidice. Les divinités infernales (Antonio Abete et Sergio Foresti) impressionnent par leur autorité. Déjà Messagère pour Vartolo et Savall, Sara Mingardo retrouve le rôle avec sa noblesse et sa gravité coutumières ‘ ce hiératisme tragique la rend plus touchante encore dans le rôle de Speranza. Enfin, Furio Zanasi est l’un des plus séduisants Orfeo entendus à ce jour, bien plus convaincant que dans le très discutable DVD de la production barcelonaise dirigée par Savall. Diseur admirable dans les récits, son « Possente spirto » est d’une virtuosité jamais démonstrative, incarnant à la perfection l’idée de la sprezzatura si chère à Caccini et à Monteverdi : le mépris de l’affectation.

Présenté dans un superbe livre-disque, ce nouvel Orfeo doit figurer au sommet d’une discographie déjà riche et de qualité, aux côtés des mythiques réalisations de Harnoncourt et de Garrido. »

Classica – septembre 2007 – appréciation 7 / 10

« Année discographique riche pour l’anniversaire d’Orfeo : après celles de Vartolo et de la Venexiana, pour Glossa, c’est Alessandrini et le Concerto italiano qui proposent leur lecture de l’oeuvre. Un enregistrement très attendu, devant couronner deux décennies d’un parcours montéverdien passionnant, ayant durablement marqué la discographie des madrigaux et de la musique sacrée.

Dès la première fanfare, on retrouve l’approche très typée des musiciens italiens la sensualité ensoleillée de l’ensemble, les cordes amples et les percussions charnues, les phrasés articulés avec netteté. Les récitatifs flirtent même avec une belle lascivité, les sons s’étirent et les soupirs affleurent, tandis que les fanfares et les ritournelles n’ont rarement été rendues avec autant de vélocité. Malgré cette recherche de contrastes ‘ ou justement à cause d’elle, car elle semble un peu trop systématique ‘ s’installe une certaine monotonie. Le théâtre montéverdien et le recitar cantando sont toujours difficiles à défendre au disque, et d’autres versions y réussissaient sans doute mieux, à l’instar de celle de Garrido qui avait remporté notre écoute comparée et qui reste la référence. La cohérence et la théâtralité de cette interprétation sont uniques.

Dans l’Orfeo d’Alessandrini, les solistes ont parfois du mal à trouver leur place, et l’on déplore des nymphes et des pasteurs bien rustiques, aux voix très fragiles, ce qu’aucune option stylistiqug ne saurait justifier. Sara Mingardo, qui était Proserpina et déjà la Messagère pour Vartolo, chante ici aussi Speranza. La voix, toujours magnifique et opulente, séduit pourtant moins que chez Vartolo, les aigus semblent plus tendus et la ligne moins libre. Alessandrini choisit pour Orfeo un baryton plutôt qu’un ténor, et Furio Zanasi justifie ce choix. La voix est noble, l’ornementation accomplie, et s’il exprime moins la douceur élégiaque du poète, il dessine un héros grave et concentré sur son destin. Le troisième acte est sans doute le plus réussi, les voix et les instruments suggèrent les ténèbres inquiètes des Enfers. Le Pluton d’Antonio Abete est royal. Est-ce assez pour faire de cette nouvelle version une référence?

La notice de Rinaldo Alessandninl est une synthèse admirablement documentée du contexte esthétique et des conditions historiques de représentation de l’Orfeo. Il cite un certain nombre de textes décisifs (et peu lus ailleurs) pour la compréhension des pratiques d’exécution. Evidemment, la dimension pédagogique de ces éclaircissements ne doit pas masquer que la plupart des interprètes actuels sont aussi en possession de cette connaissance au moment d’aborder l’oeuvre. Le musicien baroque n’est plus si souvent un explorateur solitaire osant des expérimentations audacieuses. Aujourd’hui, on se pose juste la question de savoir ce qu’un interprète apporte de nouveau lorsqu’il entreprend de rallonger la discographie d’une oeuvre, surtout lorsqu’il affirme, comme Alessandrini, qu’il s’agit « d’affronter le défi de la restitution d’une approche vierge de l’oeuvre » ‘ et on ne saurait malheureusement y répondre précisément… »

 Le Monde de la Musique – septembre 2007 – appréciation 4 / 5

« Quand Monteverdi présente son premier opéra à Mantoue en 1607, il a déjà rédigé cinq Livres de madrigaux et considérablement modifié son langage. Orfeo profite de cette évolution mais reste plus dépendant des codes de la Renaissance qu’il n’annonce les drames lyriques spécifiquement baroques que sont Le Retour d’Ulysse dans sa patrie et Le Couronnement de Poppée.

Aux côtés d’une distribution exclusivement italienne où apparaissent les familiers du Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini installe un ensemble instrumental d’une grosse vingtaine de musiciens reproduisant l’essentiel de l’effectif consigné par Monteverdi. Une percussion fait en revanche une apparition discutable dans la mauresque finale et dans Lasciate i monti qu’elle ponctue comme une danse sacrificielle. Le saisissant contraste de tempo qu’aménage le chef entre ledit choeur des bergers et la ritournelle qui lui succède résume assez bien l’esthétique de cette interprétation organisée à partir d’une lecture vétilleuse du livret : un premier tempo, serein, carac­térise ainsi les « nymphes gracieuses et gaies » tandis qu’un second, beaucoup plus rapide, répond à l’injonction de danser « d’un pied léger ». D’autres surprises attendent l’auditeur, comme la ritournelle, omniprésente, du premier acte (reprise dans le cinquième) battue à la blanche ou la toccata introductive, ponctuée de diminutions des violons, foncièrement mobilisatrice.

Rinaldo Alessandrini appréhende cet Orfeo davantage par la pratique du madrigal que par la fréquentation de l’opéra. Le moindre effet musical répond à une sollicitation du texte et le travail collectif importe plus que la performance individuelle. Les ensembles sont ainsi confiés à de solistes à la place d’un choeur et les airs secondaires (bergers et nymphes) incombent, avec des bonheurs divers, aux chanteurs du Concerto ltaliano. Alessandrini ne sacrifie pas pour autant les personnages principaux, qu’il a distribués à de merveilleux artistes. Monica Piccinini incarne une Musica convaincue de la valeur de son ministère et Anna Simboli (Euridice, Proserpina) joue de sa grâce féminine. Si Antonio Abete compose un Plutone plus râleur qu’infernal, les interventions de Sara Mingardo (Messaggiera, Speranza) impressionnent par leur autorité (l’annonce de la mort d’Euridice). Furio Zanasi chante son Orfeo avec autant de style que de simplicité mais reste parfois un peu trop réservé. Qulques mois après l’enregistrement, avec la même équipe au Festival de Beaune, il rayonnait davantage et témoignait d’une plus grande familiarité avec son personnage. »

 Opérachroniques

« La toccata initiale campe d’emblée l’atmosphère si particulière et délicieusement lyrique de ce nouvel Orfeo dirigé par Rinaldo Alessandrini : percussions jubilatoires, cornetti claironnants, et violons virtuoses dans leurs libres ornementations introduisent avec esprit à cette lecture festive et lumineuse de la partition monteverdienne. La Musica apparaît dans un rythme vif et ludique, accompagnées de flûtes gaies et primesautières, alors que « Lasciata i monti » sautille dans l’allégresse avec un charme enjôleur. « Vien imeneo » s’étire en effusions tendres et langoureuses. Jamais le climat pastoral des deux premiers actes ne m’aura semblé si doucement baigné dans une lumière si sensuelle, indolente et épicurienne. Alessandrini nous invite à un Orfeo foncièrement méditerranéen, bercé du soleil de la Grèce, mais rafraîchi par l’ombre des champs d’oliviers. Devant la porte des enfers, la sinfonia d’introduction sera encore enveloppée de cette même chaleur, comme si Orfeo y apportait avec lui toute la radiance de ce soleil qu’il louait le premier, avant même les beautés d’Euridice, lors de son « Rosa del cielo » au premier acte. Loin de toute volonté historicisante, l’introduction de percussions écarterait à elle seule toute démarche d’authenticité, Alessandrini nous offre un hymne à la musique aux attraits irrésistibles. Tout ici chante avec rubato, avec tendresse, avec spontanéité et lyrisme après tant de lectures sévères et sèches entreprises en terres anglo-saxonnes ou germaniques.

Alessandrini a rassemblé une distribution partageant le même souci d’un lyrisme frais et rayonnant, à l’italien resplendissant, tous notoires interprètes d’excellence de ce répertoire. Monica Piccinni enchante par la douceur rêveuse et primesautière de sa Musica. Sara Mingardo, aussi élégante de chant que somptueuse de timbre, campe tour à tour une pathétique Messagiera et une solennelle Speranza. Anna Simboli, ingénue et fraîche Euridice, se révèle aussi une enjôleuse et fine Prosperina face au Plutone haut en couleurs d’Antonio Abete, alors que Sergio Foresti déclame noblement son Caronte. Constitués par les solistes, les choeurs se limitent avec bonheur à un effectif réduit : huit chanteurs pour les nymphes et pasteurs, six pour les esprits. Cet excellentissime plateau est dominé toutefois par l’Orfeo de Furio Zanasi, somptueusement chantant, délicat et raffiné lors des deux premiers actes, virtuose aux enfers, mais surtout d’une rare présence théâtrale et poétique et d’une humanité saisissante.

La discographie de très grande qualité de l’ouvrage s’enrichit donc d’une nouvelle version d’exception qui par sa la lumière sensuelle et son lyrisme chaleureux pourra même apparaître pour certains préférable à celle plus sombre et dense (dans le continuo notamment) de Gabriel Garrido (K617). C’est entre ces deux visions des deux grands monteverdiens de notre temps qu’il faudra désormais choisir. Malgré ses qualités de couleur et son sens de la danse, Harnoncourt me semble désormais distancié, ne serait ce que par la présence de Lajos Kozma en Orfeo et le manque de chaleur et de spontanéité latine si présentes chez Alessandrini. Moins huppée et luxueuse, la lecture plus intimiste et philologique de Claudio Cavina et de la Venexiana parue en début d’année (Glossa) possède elle aussi ses atouts par la beauté de ses pupitres, un troisième acte exceptionnel de pouvoir évocateur, et sa savante restitution de l’orchestration et de la spatialisation de la création. Enfin, si Furio Zanasi rejoint Victor Torres au rang des grands titulaires du rôle-titre, Nigel Rogers reste inoubliable dans l’épique version de Jürgen Jürgens (Archiv) et celle minimaliste de Charles Medlam (Virgin). »

 Res Musica – L’Orfeo au plus près des sources

« Cet Orfeo voulu par Rinaldo Alessandrini, le plus musicologiquement correct, diffère-t-il beaucoup des autres versions récentes (Garrido, Jacobs, Malgoire, Savall, ‘) ? Rien ne semble inédit dans cette version, mais la partition est en elle-même protéiforme, laissant à chacun le loisir de l’instrumentation, de l’ornementation et surtout de la reconstitution… »

 Opéra Magazine – novembre 2007 – appréciation Diamant Opéra

« On l’attendait depuis des années, le voilà ! L’Orfeo dirigé par Rinaldo Alessandrini s’impose comme l’une des très grandes références discographiques de l’oeuvre sinon la plus grande. Pourtant, les bonnes versions abondent : rappelons celles de Gabriel Garrido, Nikolaus Haranoncourt et René Jacobs. Sous étiquette Opus 111, Alessandnini avait pu graver une bonne part de l’immense répertoire dc madrigaux de Monteverdi. On avait alors noté à quel point il savait donner chair à la notion même de geste musical : la déclamation, la portée du verbe, le souffle et l’articulation concouraient à une peinture complète des états d’âme les plus nuancés de la nature humaine. En dévoilant ainsi la richesse expressive du canto rappresentativo, Alessandrini préparait lentement, mais sûrement, L’Orfeo à venir. En 1997,il m’avait confié que son plus grand rêve serait de graver l’ouvrage avec une distribution exclusivement italienne. Le rêve s’est réalisé.

En optant pour des choix instrumentaux peu habituels par rapport à l’édition originale, Alessandrini met l’accent sur des combinaisons sonores bien déterminées, liées aux lieux de l’action : les cordes dans les actes pastoraux, les cornets à bouquin, trombones et régales dans les actes infernaux. Les contrastes deviennent alors saisissants : le choeur pastoral du I se drape de fulgurances inouïes tandis que les sifonie des III et IV marquent, de manière quasi expressionniste, la longue descente aux Enfers. Ne serait-ce que du point de vue strictement organologique, cet Orfeo sonne donc d’une manière totalement inédite. Les chanteurs du Concerto Italiano interprètent des Bergers, Nymphes et Esprits enjoués. On admire ce que l’on savait l’alliance fusionnelle et dynamique du verbe et du son, du mot et de la note, les transports dramatiques soutenus, menés et dirigés avec une remarquable maîtrise formelle. La rhétorique est parfaite, instinctive pourrait-on dire, les lignes mélodiques sont finement articulées, sans que cela sombre jamais dans le maniérisme.

Les solistes, enfin. Osera-t-on parler de perfection absolue ? Osons ! Sara Mingardo incarne une Speranza et une Messaggiera aussi fragiles que bouleversantes, grâce un timbre de contralto unique, qui rayonne de mille feux dans ce répertoire. Ses nombreuses interventions au deuxième acte sont tout simplement sublimes. Également Proserpina, Anna Simboli campe une Euridice lumineuse, Furio Zanasi se surpassant dans le rôle-titre, qu’il interprète avec fougue et panache, en restituant une incroyable palette d’affects.

Orphée descendait aux Enfers. Par la grâce d’Alessandrini, nous montons au Ciel ! »