Il Giustino

Frontispice de l'édition de 1683

COMPOSITEUR Giovanni LEGRENZI
LIBRETTISTE Niccolo Beregan

 

Mélodrame en trois actes, à représenter au fameux théâtre Vendramino de San Salvatore l’an 1683, dédié à Son Altesse Sérénissime le prince Alexandre Farnese, chevalier de l’ordre de la Toison (d’or), général de l’infanterie de la Sérénissime République de Venise, etc.

Il fut repris au Palazzo Reale de Naples, le 19 décembre 1703, sur un livret revu par l’abbé Giulio Convo, et avec de nouveaux airs de Domenico Scarlatti.
Argument

À la mort de l’empereur Zénon, sa veuve l’impératrice Ariane épousa Anastase, qu’elle fit monter sur le trône des Césars. Apprenant cela, Vitalien se rebella, souleva l’Asie mineure, mit en déroute les armées romaines et s’approcha triomphant de Constantinople.

Le Ciel voulut que l’empire ébranlé retrouvât sa tranquillité grâce au bras d’un laboureur : après que Justin eut délaissé l’araire, il cueillit sur les champs de Mars des palmes si illustres qu’il mérita d’être couronné de l’auguste laurier sur le trône.

Sur cette célèbre histoire se sont formées la Protase, l’Épitase et la Catastrophe1 du présent Mélodrame, lequel, dans ses péripéties scéniques, se trouve intitulé Justin.
Personnages : Anastase (Anastasio), empereur, époux d’Ariadne ; Ariadne (Arianna), impératrice, épouse d’Anastase ; Justin (Giustino), d’abord paysan, puis couronné empereur ; Euphémie (Eufemia), s’ur de l’empereur Anastase, amoureuse de Justin ; Vitalien (Vitaliano), tyran de l’Asie mineure, amoureux d’Ariadne ; Andronic (Andronico), frère de Vitalien, amoureux d’Euphémie ; Amantius (Amantio), général de l’empereur Anastase ; Polymante (Polimante), capitaine de Vitalien ; Éraste (Erasto), capitaine et confident d’Amantius ; Bryllus (Brillo), esclave d’Euphémie ; L’ombre de Vitalien l’Ancien, père de Vitalien, de Justin et d’Andronic.

Personnages dans la machine : Atlas, Vénus, Hyménée, L’Allégresse, La Fortune, La Gloire, L’Éternité.

 

Le librettiste, le comte Nicolò Beregan, s’est sans doute inspiré de Procope, Histoire secrète, ou Anecdota, et de Zonaras, Histoire des Romains. Le véritable Justin est né au plus tôt vers 450. Jeune paysan originaire d’Illyrie, il se rend vers 470 à Byzance avec deux amis pour fuir la misère. L’empereur Léon Ier (457-474) le recrute pour la garde du palais. Il reste dans les gardes sous le règne de Zénon (474-491), puis l’empereur Anastase (491-518) le nomme chef des gardes. À la mort d’Anastase, Justin devient empereur, en ayant détourné à son profit les fonds que l’eunuque Amantius lui avait confiés pour faire accéder à l’empire un de ses amis. Il accède donc au trône vers l’âge de 63-68 ans ; il passe pour analphabète, incapable de signer ses décisions autrement qu’avec une sorte de pochoir. Il vivait avec une ex-esclave barbare, nommée Lupicina (nom évoquant une prostituée), qu’il fera appeler Euphémie pour faire d’elle l’impératrice.

 

Beregan a donc « télescopé » des événements en réalité très éloignés les uns des autres : Vocation militaire de Justin : 470 ; Couronnement d’Anastase et Ariadne : 491 ; Soulèvement de Vitalien : 513. Anastase a alors 82 ans ; Justin et Ariane, une soixantaine ; Justin empereur : 518. Il alors entre 63 et 68 ans.

Synopsis

Acte I

Sc. I : à Constantinople, Ariadne couronne l’empereur Anastase ; Vénus et Hyménée président ensuite à leurs noces.

Sc. II : le général Amantius annonce que Vitalien s’est révolté contre l’empereur ; Anastase se pépare à aller guerroyer, malgré Ariadne.

Sc. III-IV : un ambassadeur de Vitalien propose la paix, en échange de la main d’Ariadne. L’offre est évidemment rejetée. Ariadne décide de suivre clandestinement son époux à la guerre.

Sc. V-VI : déguisé en fille, Andronic se présente comme une victime de Vitalien. En réalité, il est son frère, et veut approcher Euphémie, sœur de l’empereur, dont il est amoureux.

Sc. VII-VIII : Justin, pauvre paysan, rêve d’une carrière militaire. La Fortune lui apparaît en songe, et il décide de la suivre.

Sc. IX-X : Justin sauve Euphémie d’un homme sauvage. Elle tombe sous son charme musclé, et l’invite au palais.

Sc. XI-XII-XIII : sur son éléphant, Vitalien exhorte ses troupes. On lui amène Ariadne, prise dans une escarmouche. Comme elle repousse ses offres, il la condamne à être dévorée par un monstre.

Sc. XIV-XV : au palais de Byzance, on présente Andronic à Euphémie. Suit un ballet ; Justin refuse de danser : lui est un guerrier.

Acte II

Sc. I : Anastase veut aller délivrer Ariadne ; Amantius l’invite à plus de prudence. On lui présente le courageux Justin, qui est chargé de la mission.

Sc. II-III : Andronic blâme Euphémie d’être attirée par un rustre ; mais pour elle, l’amour est incontrôlable. Andronic décide d’arriver à ses fins par tous les moyens.

Sc. IV à IX : Anastase et Justin débarquent pour délivrer Ariadne, exposée au monstre. Justin tue la bête, Anastase retrouve son épouse, et Amantius, qui arrive après la bataille, évacue tout le monde. Arrive Vitalien, qui regrette d’avoir condamné Ariadne à mort, puis se rassérène devant le cadavre du monstre.

Sc. X à XIV : Andronic se dit amoureux ; mais comme il est vêtu en fille, Euphémie ne se sent pas visée, et confirme préférer les vrais hommes. Ariadne, de retour, chante les louanges de Justin. Euphémie craint d’avoir en elle une rivale. Andronic s’offre traîtreusement à la conduire à Justin.

Sc. XV : bataille contre Vitalien, que Justin fait prisonnier.

Acte III

Sc. I-II-III : Amantius, jaloux de voir Justin vainqueur, enlève à Vitalien un diadème orné de pierreries. Vitalien comme Justin constatent l’instabilité de la Fortune. Amantius offre à Anastase ce qu’il a pris à Vitalien, et l’invite à se méfier de Justin, qui pourrait avoir des vues sur son trône et sur son épouse. Anastase est ébranlé.

Sc. IV-V-VI : Andronic, désormais en homme, tente de violer Euphémie. Justin arrive à temps pour l’en empêcher. Euphémie et lui se déclarent mutuellement leur flamme.

Sc. VII à X : Vitalien, prisonnier, est conduit devant Ariadne, et ose lui parler d’amour. On l’envoie au cachot. Anastase offre à Ariadne le bijou donné par Amantius, et lui réaffirme son amour ; mais il se méfie de Justin. Euphémie réclame une punition exemplaire pour Andronic. Ariadne offre le diadème à Justin, en récompense de son mérite.

Sc. XI : Andronic et Vitalien s’évadent de leur tour.

Sc. XII : l’infâme Amantius apprend à Anastase qu’Ariadne a donné le diadème à Justin, en gage d’amour. Justin déclare l’avoir pris au combat, et l’offre à Anastase en protestant de son dévouement.

Sc. XIII : Anastase demande à Ariadne ce qu’est devenu le diadème ; elle prétend l’avoir perdu dans la mer ; il le lui montre et la chasse ignomineusement.

Sc. XIV-XV : Justin est arrêté. Il aime toujours Euphémie.

Sc. XVI : Amantius rêve de monter sur le trône.

Sc. XVII-XVIII : Justin, prisonnier dans les montagnes, se délivre pendant un orage.La terre s’ouvre, et en sortent Vitalien et l’ombre de son père, laquelle empêche son fils de tuer Justin, en lui révélant qu’ils sont frères. Et en effet, Justin porte bien la marque héréditaire.

Sc. XVIII-XIX : Euphémie arrive dans la grotte, en fuite : Amantius a pris le pouvoir. Vitalien et Justin décident d’intervenir.

Sc. XX et XXIII : Andronic renonce aux amours trop difficiles et opte pour l’inconstance.

Sc. XXI-XXII : Amantius va exécuter Anastase, mais Justin arrive et rétablit l’ordre. Anastase reconnaissant l’associe à l’empire et lui fait épouser Euphémie.

 

Livret en français disponible sur livretsbaroques.fr

 

Représentations :

Luxembourg – Grand Théâtre – 14, 16 novembre 2008 – Orchestre Balthasar-Neumann-Ensemble – dir. Michael Behringer – mise en scène Alexander Schulin – costumes Cornelia Brunn – avec Jacek Laszczkowski (Giustino), Georg Nigl (Anastasio), Maya Boog (Arianna), Delphine Galou (Eufemia), Peter Kennel (Vitaliano), Terry Wey (Andronico), Hermann Oswald (Amantio), Manfred Bittner (Polimante / Erasto), Marina Bartoli (Fortuna / Allegrezza/Venere), Thomas Stache (Brillo) – Coproduction Grand Théâtre de Luxembourg – Büro für Internationale Kulturprojekte, Freiburg

ClassiqueInfo.com

« Il Giustino conte les aventures d’un paysan rêvant de troquer sa charrue pour l’épée. A force d’exploits divers, il va sauver la sœur de l’empereur Anastasio, son épouse, et finalement l’empereur lui-même, malgré la jalousie qu’il lui a inspiré. Composé pour un théâtre privé, Il Giustino doit plaire au plus grand nombre : l’action est rapide, les caractères bien tranchés, le langage imagé et direct, sans les euphémismes plus typiques de l’opera seria. La musique est simple, bien rythmée, facile à retenir, et dramatiquement très efficace, les airs se succèdent rapidement, sans être longuement développés.

De la production de Schwetzingen, qui a reçu le prix de la découverte de la critique allemande, Luxembourg hérite de l’orchestre, d’une partie des chanteurs, et de la trame de la mise en scène, qui est adaptée au nouveau lieu. Le lieu, c’est la scène du Grand Théâtre de Luxembourg, mais vue à l’envers : le public est assis sur des gradins placés en fond de scène, il voit le plateau et l’envers du rideau. On pense au départ à une version de concert : les chanteurs sont tous alignés sur une estrade d’une dizaine de mètres de large, derrière leur pupitre, mais très rapidement, ils vont quitter ce praticable et utiliser tout l’espace qui se trouve autour, au gré des scènes. Progressivement, les costumes modernes sont complétés par des accessoires et des vêtements anciens, Giustino finissant en cote de mailles et l’épée au flanc, l’empereur avec une perruque de style Louis XIV. Tout ceci donne un spectacle réjouissant, vivant, drôle et sans prétentions. Les personnages prennent vie en un instant, sont bien dirigés, et le vaste plateau autour de la scène principale permet de nombreux mouvements, et à l’action de passer rapidement d’un endroit à l’autre. Qualifier cette production de semi scénique nous semble donc trop modeste, car bien des mises en scène plus chargées ne sont pas aussi efficaces du point de vue théâtral.

Musicalement, l’après-midi est également très attractive, avec d’abord une belle équipe de jeunes chanteurs très soudés. Le couple impérial tient le haut du pavé, avec l’excellent Anastasio de Georg Nigl, baryton au timbre clair, à l’émission légère et pure, qui se distingue par une diction très noble, un chant souple et élégant, à la puissance très appréciable. Arianna sa jeune épouse n’est pas en reste, magnifiée par le timbre velouté, et le chant d’une grande douceur de la soprano Marina Bartoli. La sœur de l’empereur, Eufemia, est interprétée par Delphine Galou, qui confirme dans ce rôle important tout le bien que nous en avions pensé lors de l’Enfant et les Sortilèges à Reims : le chant est racé, l’émission très saine, et le timbre assez clair est prenant, et l’agilité de la voix est exemplaire.

Le contre-ténor Peter Kennel en Vitaliano, envahisseur de l’empire et amoureux repoussé d’Arianna, est un méchant très crédible, à la voix assez fade, sans couleur, mais au chant perfidement élégant ; son frère Andronico, contre-ténor lui aussi, qui s’est épris d’Eufemia, est incarné par le très bon Terry Wey, jeune chanteur stylé, dont la voix fort belle a des graves bien nourris. Amantio, général félon de l’empire, et usurpateur du trône, abattu finalement par Giustino, est interprété par Hermann Oswald, chanteur sonore, au style assez rugueux, qui ne démérite pas, mais ne fait pas grande impression. Les petits rôles sont bien tenus, on retiendra d’eux la fortune de Gudrun Sidonie Otto, au timbre radieux, et au chant d’une exquise délicatesse.

Enfin, dans le rôle-titre, Jacek Laszczkowski est assez problématique. L’interprète est émouvant et engagé, mais les limites vocales sont significatives : le timbre est sans séduction, les aigus sont troubles, souvent forcés, et plus le temps passe, plus la puissance est obtenue au détriment de la justesse et de la tenue du chant, finissant par ressembler à des hurlements.

C’est Thomas Hengelbock qui avait assuré la direction des représentations de Schwetzingen. Il est remplacé à Luxembourg par Michael Behringer, auteur du travail de reconstitution de la partition. Sa direction est à la fois vive et équilibrée, et met très bien en valeur les chanteurs, idéalement soutenus par un ensemble orchestral léger mais riche de couleurs, où les flûtes à bec, apocryphes, apportent une touche mordante bienvenue. Le triomphe que reçoivent tous les protagonistes à la fin de la représentation est très heureux. Le Grand Théâtre de Luxembourg a eu le nez fin en faisant le pari de la coproduction de cet opéra inconnu. Ne reste plus qu’à en espérer une version discographique par les mêmes' »

 

Schwetzingen – Rokokotheater – 26, 28, 29 avril, 1er mai 2007- Balthasar-Neumann-Ensemble – dir. Thomas Hengelbrock – mise en scène Nicolas Brieger – décors Katrin Nottrodt – costumes Jorge Jara – lumières Alexander Koppelmann – avec Georg Nigl (Anastasio), Maya Boog (Arianna), Elisabeth Kulman (Giustino), Delphine Galou (Eufemia), Peter Kennel (Vitaliano), Terry Wey (Andronico), Hermann Oswald (Amantio), Manfred Bittner (Polimante/Erasto) – nouvelle coproduction avec Grand Théâtre National du Luxembourg

« Et un vrai choc pour Il Giustino de Giovanni Legrenzi, en fin de compte. Un instrumentarium chaleureux et des danses semblables à l’Orfeo de Monteverdi, ce qu’on croyait ne pas pouvoir exister existe bel et bien !

Quelques ariosos légèrement vocalisés, un ton plus héroïque rappellent le seria, mais c’est ici un seria du XVIIe ! » (Carnets sur sol)