Æglé ou Églé

COMPOSITEUR Pierre de LA GARDE
LIBRETTISTE Pierre Laujon

 
Divertissement pastoral représenté le 13 janvier 1748, à Versailles, sur le Théâtre des Petits cabinets.
Le spectacle avait commencé par une comédie de Boissy, les Dehors trompeurs ou l’Homme du jour, jouée par M. de Duras, M. de Nivernais, le duc de Chartres, M. de Gontaut, M. de Clermont d’Amboise, Mme de Pompadour (dans le rôle de Lucile), Mme de Pons, la duchesse de Brancas, Mme de Livry.
Dans Æglé, la marquise de Pompadour, à qui il est dédié, interprétait le rôle-titre, la duchesse de Brancas était la Fortune, le duc d’Ayen Apollon, en habit de Berger sous la figure de Misis, et le marquis de Courtenvaux un Suivant de la Fortune. Ce dernier dansait également un rôle de Faune, avec M. de Langeron en Berger.
Une nouvelle représentation eut lieu le 15 (ou le 16) février 1748. Le duc d’Ayen, empêché par le décès de sa tante, la maréchale de Grammont, fut remplacé par M. de la Salle. On trouva que la marquise de Pompadour chantait et jouait supérieurement.
Æglé fut choisi pour la représentation de clôture de la seconde saison du Théâtre des Petits cabinets, le 30 mars 1748, de préférence à Ismène, de Francoeur et Rebel. Le ballet fut suivi de l’acte Cléopâtre, du ballet des Fêtes Grecques et Romaines, et de la Vue, du Ballet des Sens. Par ailleurs, Æglé fut choisie par la troupe, avec la comédie Le Méchant, pour la capitation.
Il fut repris le 25 février 1750, toujours sur le Théâtre des petits cabinets, dans le cadre de La Journée galante, sous le titre des Amusements du Soir, ou la Musique, précédé de l’acte intitulé Le Matin, ou la Toilette de Vénus, et suivi de La Nuit, ou Léandre et Héro, tous sur un texte de Pierre Laujon et une musique de Pierre de La Garde, avec des danses de Déhesse. Selon Adolphe Jullien, le second acte plut infiniment.


Pierre Laujon raconte qu’on créa pour Lagarde la place de maître d’orchestre de l’Académie royale de musique qu’on détacha de celle des directeurs (Rebel et Francoeur), et que lui-même fut nommé en 1750 par le comte de Clermont secrétaire de ses commandements, ainsi que secrétaire-général du gouvernement de Champagne et de Brie que le roi venait de lui accorder.
Æglé fut repris à l’Opéra le 18 février 1751, dans le cadre de Fragments, précédé d’Ismène et de Titon et l’Aurore, avec Chassé (Apollon, sous l’habit d’un Berger et sous le nom de Misis), Marie Fel (Æglé, Bergère), Mlle Jacquet (la Fortune), et avec les divertissements : Suivans de la Fortune, Bergers et Bergères, Faunes et Dryades.
Le Mercure de France en fit un compte-rendu détaillé :
« Apollon, sous l’habit d’un berger, veut goûter les douceurs de l’amour et de l’égalité. Il aime Æglé, jeune bergère ; il forme sa voix , & jouit du développement de son cœur. La Fortune (elle est ici personifiée, & présentée comme Déesse) la Fortune, qui l’aime sans le connoître, veut se fixer en sa faveur, si elle peut l’attacher à elle : il lut résiste. Cette Déesse alors se flatte au moins d’ébloui , d’entraîner sa rivale, & de l’enlever à un simple berger. Æglé, aussi sensible que Mysis, n’aime, ne veut connoître, & ne suit que lui. Tel est le fonds de cet Acte. Ce Monologue qu’Æglé chante, le commence.

Ah ! que ma voix me devient chère
Depuis que mon berger se plaît à !a former !
Amour, rends mes accens dignes de le charmer.
C’est peu, c’est trop peu de lui plaire.
Ne pourrai-je point l’enflammer ?

La Fortune paroît ; Æglé se retire et toute la foule de mortels qui suivent cette Déesse , s’empresse autour d’elle. C’est la un premier divertissement, dans lequel elle expose son amour, & où le Musicien a placé un chœur très bien dessiné, & des airs de violon d’un fort beau caractère.
Mysis vient ; la suite de la Fortune se retire, M. Laujon a sauvé l’ennui de cette Scène , par ces jolis vers qu’il a mis dans la bouche de Mysis.

Æglé tient tous ses biens des mains de la Nature.
Sa richesse, c’est la beauté ;
l’Art ne releve point l’éclat de sa parure ;
Des fleurs font l’ornement de sa simplicité,
Et son cœur , qui jamais ne connut l’imposture ;
Que rien encor n’a pu charmer,
Est le prix que l’Amour assure
Au berger trop heureux, qui pourra l’enflammer.
Le dépit chasse la Déesse, & Apollon, sous le nom de Mysis, qui reste seul, chante ce Monologue.
Paisibles bois, vergers délicieux,
J’abandonne pour vous le séjour du tonnerre.
J’ai laissé mon rang dans les Cieux,
Tous mes plaisirs sont sur la terre.
Æglé me croit berger, que mon cœur est flatté !
Mon rang est un secret qu’il faut que je lui cèle.
Même après ma félicité ,
Comme berger, je goûterai près d’elle
Les plaisirs de l’amour & de l’égalité,
Et si je me souviens de ma divinité,
Ce sera pour brûler d’une ardeur éternelle.


Ces deux morceaux ont paru infiniment agréables. M. de la-Garde les a rendus par des chants neufs ; l’accompagnement du premier est un trait de génie.
Æglé arrive à la suite de ce Monologue, & cette Scène forme un joli tableau de l’Albane. Il faudroit la transcrire entière pour la faire connoître, & il lui manqueroit encore le charme que Mlle Fel, & M. de Chassé y ont répandu, et qu’on ne saurait rendre. Mysis, qui enseigne à chanter à Æglé, lui dit qu’on lui a donné une chanson nouvelle, dans laquelle il a placé son nom. C’est cette chanson qui fait le sujet de la leçon.

Que je vous aime !
Je vous instruis enfin de mon amour extrême ;
Il est temps de parler, lorsque tout me trahit ;
Le trouble de ma voix , mes yeux…. ah , tout vous dit
Que je vous aime ;
Æglé , que je vous aime !


Dans le cours de la leçon, Æglé prononce le nom de Mysis pour le sien. Ce développement neuf & théâtral dénoue cette Scène. Il a été senti de tout le monde, exprimé de la manière la plus aimable par le Mufieien, & rendu par les deux Acteurs , de la façon la plus intéressante.
La Fortune , qui vient étaler toutes ses richesses pour séduirce la jeune Æglé, éprouve de la part de cette bergère la résistance qu’elle avoit trouvée dans Mysis. Ce dernier trait met le comble au désespoir de la Déesse. Elle fuit, détruit son Temple, & défend qu’on la suive. Les bergers, plus tranquilles & plus heureux sans elle terminent l’Acte par un divertissement pastoral, dont les airs de violon ont paru fort agréables. Les vers que nous avons trancrits dans cet extrait, ne font pas les seuls qui méritent des éloges. Il y en a un, surtout , qui doit être rapporté. Mysis dit à Æglé :

Je chante toujours mieux , quand je chante pour vous.

Le Public a aperçu dans cet ingénieux ouvrage quelques négligences. L’Episode de la Fortune a été assez généralement condamné. On a trouvé des expressions impropres, comme celle-ci : Nous vivons sans désirs, pour sans ambition. Cette expression est d’autant plus vicieuse, qu’elle est dans la bouche d’une bergère qui fait gloire de l’amour le plus tendre. Nous croyons aussi que la pensée fuivante est mal rendue : Et si je me souviens de ma divinité, ce sera pour brûler dune ardeur éternelle. Ce n’est pas ce que M. Laujon a voulu dire. Le souvenir de la divinité ne fait rien à l’objet de Mysis ; c’est la jouissance de sa divinité qui l’assurera d’une ardeur éternelle, & il nous semble qu’il aurait fallu dire :

Et je ne jouirai de ma divinité
Que pour brûler d’une ardeur éternelle.


Ces légères taches n’ont empêché personne de convenir, que le Poëme et le Musicien ont mérité le succès qui a suivi leur travail. Le Public espère qu’il aura le plaisir de couronner souvent la réunion de deux talens aussi aimables.»
Le 9 mars suivant, toujours dans le cadre des Fragments, Titon et l’Aurore fut remplacé par Pygmalion, et le public y courut en foule.
Une nouvelle reprise eut lieu le 2 décembre 1751, Æglé étant suivi de Pygmalion et de l’acte de La Vue, avec la même distribution.
Æglé fut repris dans le cadre de Fragments, le 24 juin 1760, précédée d’un Prologue réunissant la Volupté, l’Amour et la Mode, et suivie de l’Amour et Psyché. La distribution réunissait : Larrivée (Apollon), Mlle Lemière (Æglé), Mlle Dubois (la Fortune). Ballets : Suivants de la Fortune (Léger, Mlle Ray), Bergers et Bergères (Mlle Vestris, Grosset, Mlle Dumonceau), Faunes et Dryades (Mlle Lyonnais, Hus, Gardel).

L’œuvre fut éditée et vendue Paris, chez l’Auteur, Mme Boivin, le Sr. Le Clerc et à la Porte de l’Opéra. L’édition précise : l’oeuvre est divisée en 7 scènes, avec musique et paroles gravées, et comporte les indications des pas de danse correpondants (rigodon, contredanses, rondeau, etc.). L’oeuvre finit avec la mention: « On joue la Contredanse en tournant et l’on chante le Choeur sur le Rondeau jusqu’à la conclusion du Ballet ».

Æglé était une des premières œuvres de Pierre Laujon, qui n’avait, lors de la création, que vingt et un ans. Il dut attendre 1807 pour entrer – à près de quatre-vingt-un ans ! – à l’Académie française.

A l’occasion de la reprise de 1760, une parodie fut jouée le 8 octobre 1760 à l’Hôtel de Bourgogne, sous le titre La Fortune au village. Charles-Simon Favart et son épouse avaient écrit le texte, et Paul-César Gibert (1717 – 1787) la musique.
Il y eut une nouvelle représentation au château de Fontainebleau, le 6 novembre 1770.

Livret disponible sur livretsbaroques.fr

 

Synopsis
D’un côté, un verger, de l’autre, une forêt. Au fond, le palais de la Fortune
Sc. 1 – Ismène est amoureuse de son Berger qui lui apprend à chanter. Une symphonie annonce l’arrivée de la Fortune.
Sc. 2 – Le choeur en appelle à la Fortune pour qu’elle réponde à son impatience. Les suivans, par leur danse, expriment leur impatience. La Fortune répond qu’elle est amoureuse d’un Berger qui ne répond pas à ses voeux. Le choeur l’incite à fuir l’ingrat. La suite de la Fortune se retire alors que survient Misis.
Sc. 3 – La Fortune demande à Misis s’il vient répondre à son amour. Misis répond que la Fortune est trop inconstante. Il avoue aimer la belle bergère Æglé. La Fortune assure qu’il connaîtra sa vengeance.
Sc. 4 – Misis, seul, pense à Æglé qui le croit berger.
Sc. 5 – Survient Æglé. Elle remercie Misis des leçons de chant qu’il lui a donnés. Misis lui deamnde de chanter un air dans lequel il a placé le nom d’Æglé. Elle chante : « Que je vous aime… » Puis répétant la chanson, elle se trompe, et chante « Que je vous aime, Misis… » celui-ci en tombe à genoux de bonheur. Duo. On entend une symphonie qui vient du palais de la Fortune.
Sc. 6 – Le temple de la Fortune s’ouvre. La déesse y paraît au milieu de sa suite. Danse des suivants de la Fortune. Les Bergères, soumises à la Fortune se rendent dans son palais, sauf Æglé. La Fortune l’interroge. Æglé lui répond que l’amour de son berger lui suffit. La Fortune est dépitée, et décide de s’éloigner. Elle sort et son temple disparaît.
Sc. 7 – Misis convie les divinité chanpêtres à célébrer l’Amour. Dans des divinités champêtres. Æglé et Misis se jurent fidélité.

Pasto. en un Ac. qui faisoit partie des Nouveaux Fragmens, donnés à l’Opé. le 18 Fév. 1751. Les paroles de cette Pastor. sont de M. Laujon, & la musiq. de M. de La Garde. Cette piece avoit déja été représentée à Versailles aux petits appartemens en 1748 & 1750, & est gravée partition in-fol. » (de Léris)