DVD Giove in Argo

COMPOSITEUR Georg Friedrich HAENDEL
LIBRETTISTE Antonio Maria Lucchini

 

ORCHESTRE Il Complesso Barocco
CHOEUR
DIRECTION Alan Curtis

 

Iside Ann Hallenberg
Calisto Karina Gauvin
Diana Theodora Baka
Arete Anicio Zorzi Giustiniani
Erasto Vito Priante
Licaone Johannes Weisser

 

DATE D’ENREGISTREMENT 2010
LIEU D’ENREGISTREMENT
ENREGISTREMENT EN CONCERT

 

EDITEUR Virgin Classics
DISTRIBUTION EMI Records
DATE DE PRODUCTION 25 mars 2013
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

 

 

Critique de cet enregistrement dans :

Opéra Magazine – avril 2013 – appréciation 5 / 5

« Champion de la production à la chaîne des opéras de Haendel, Alan Curtis, du haut de ses 78 ans, semble bien décidé à les enregistrer tous ! Dans ce flot régulier et monotone, voilà pourtant une parution particulièrement intéressante : la première gravure en studio de Giove in Argo, l’un des trois autopastiches du compositeur (il en existait déjà une version captée sur le vif en 2006, sous étiquette Musicaphon).
Si l’on replace cet opéra, créé au printemps 1739, dans la chronologie des œuvres dramatiques de Haendel, on s’aperçoit qu’il se situe à un moment-clé. Le musicien s’est déjà lancé dans la composition d’oratorios en anglais (Saul et Israel in Egypt ont été créés au cours des mois précédents), et il s’arrêtera bientôt d’écrire des opéras en italien (Imeneo en 1740, puis Deidomia en 1741).
La construction de l’ouvrage réserve d’ailleurs quelques surprises, notamment la présence d’une dizaine de chœurs, certes brefs pour la plupart, mais qui semblent néanmoins occuper une place structurante, comme une ébauche des futurs grands oratorios des années 1740. Éternel expérimentateur, Haendel va jusqu’à clore les trois actes par un chœur ; alors que les codes de l’opera seria auraient voulu que les deux premiers se terminent plutôt par des airs attribués aux personnages principaux.
À l’écoute, on ne peut que constater l’efficacité de cette structure, renforcée par de brèves scènes d’exposition (pas de dialogue avant la scène 4 !), quatre récitatifs accompagnés et un duo. Les airs proposent une très belle sélection, issue de Teseo, Scipione, Ezio, Alcino, Atolonto, Arminio, Giustino, Berenice, Foramondo, Acis and Galatea, Il Parnasso in festo, Il trionfo deilTempo e dello Verità, et complétée par trois nouveaux morceaux qui serviront, l’année suivante, dans Imeneo. N’oublions pas, cerise sur le gâteau, deux belles arie du compositeur Francesco Araja, l’un des nombreux représentants de l’école napolitaine qu’il est urgent de redécouvrir.
Cet enregistrement ne déroge pas à la règle, en ce qui concerne la placidité de la direction d’Alan Curtis. Certains accents manquent ainsi cruellement de poids, mais l’ambiance pastorale de Giove in Argo s’accommode mieux du style trop policé du chef américain que les œuvres comportant plus de pathos. Ajoutez à cette étonnante recette une distribution globalement de très haut niveau, emmenée par la mezzo suédoise Ann Hallenberg, une fois encore excellente, et vous obtenez l’un des enregistrements d’opéra baroque les plus plaisants de ces derniers mois ! « 

Forum Opéra

« D’épaisses brumes entourent ce Giove in Argo. Il suffit pour s’en rendre compte de lire le texte d’accompagnement du disque : « Avec un peu d’imagination… », « l’idée initiale semble avoir été… », « on peut supposer que la distribution était… », « il est peu probable que… » Rien n’est sûr concernant ce pasticcio que Haendel proposa au public anglais peu avant ses tout derniers opéras, Imeneo et Deidamia, boudés par Londres. Tous les airs, longtemps crus perdus, ayant été retrouvés en 2000 par le musicologue John H. Roberts, celui s’est attelé à la tâche consistant à écrire les récitatifs manquants dans les actes II et III, et c’est ainsi qu’est née une reconstitution jouée pour la première fois en Allemagne en 2007 (sous la baguette d’Alan Curtis, mais avec une tout autre équipe de chanteurs, Theodora Baka et Vito Priante en étant les deux seuls rescapés), avant l’édition critique à paraître. C’est apparemment piqué par la concurrence d’un nouvelle troupe d’opéra que Haendel renonça à son projet initial,qui était de ne donner en 1739 que des œuvres en anglais, non mises en scène. A partir d’un livret utilisé par Lotti à Dresde en 1717, pastorale assez absurde où Jupiter, le roi d’Egypte Osiris et le tyran d’Arcadie Lycaon retrouvent Diane, Calisto la fille de Lycaon et Isis la promise d’Osiris, il « fabriqua » donc Giove in Argo en puisant dans ses œuvres antérieures et même à venir, puisqu’il emprunta quelques airs à son Imeneo encore à l’état d’esquisse. Les seuls morceaux dus à un autre compositeur sont du napolitain Francesco Araja, connu pour ses opéras joués à Saint-Pétersbourg, Haendel y ajouta un peu de musique nouvelle. Monté par un metteur en scène imaginatif, ce pasticcio pourrait peut-être convaincre ; réduit à sa seule musique, il est difficile d’échapper à l’impression d’une suite d’airs mis bout à bout sans grande nécessité dramatique. On soulignera néanmoins la présence inhabituelle du chœur, très fréquemment convoqué tout au long de l’œuvre, pour ponctuer les scènes (mais sans aucune justification théâtrale, puisqu’ils se contentent de décliner le thème des joies de la chasse ou de la vie pastorale).
Paradoxalement, c’est en fait le premier acte, celui qui est intégralement de la main de Haendel, qui paraît le plus décousu, du fait d’une exposition longue et statique, où les personnages viennent se présenter tour à tour, enfilade de monologues et d’airs, entrelardés de chœurs. Les choses s’arrangent peu à peu, et le troisième acte, dont tous les récitatifs sont dus à John H. Roberts, fait nettement meilleure impression. A cette intégrale réalisée juste avant la tournée donnée au printemps 2010 par les mêmes interprètes, il manque la vie que seule insufflerait la scène ou au moins le concert. La direction d’abord bien pantouflarde d’Alan Curtis confirme ce sentiment, les airs plus agités de la dernière partie l’obligeant à sortir quelque peu de sa digne torpeur. D’abord bien propret, voire pépère, l’orchestre s’anime grâce à des arias telles que « Col tuo sangue » ou « Questa d’un fido amore », ce dernier n’étant pas de Haendel mais d’Araja. La folie d’Iside, qui conclut le deuxième acte, est largement empruntée à un opéra d’Araja, Lucio Vero, et cette pièce rapportée, qui trahit une invention mélodique bien moindre, est curieusement suivie d’un chœur nettement plus développé que les autres (près de cinq minutes) sur les tourments amoureux, en partie confié aux solistes, en partie à l’ensemble des choristes ; le prétendu « Coro del Complesso Barocco » ne se compose en effet que de quatre chanteurs en plus desdits solistes…
Heureusement pour lui, Alan Curtis peut désormais compter sur une fidèle équipe, qu’on retrouve au fil de ses enregistrements haendéliens, avec toujours le même sentiment mitigé d’admiration pour ces artistes et de regret qu’il soit dirigés de façon aussi peu enthousiasmante. La maîtrise d’Ann Hallenberg dans la musique de Haendel est désormais bien connue et reconnue ; on la trouvera ici aussi à l’aise dans la légèreté espiègle (« Taci e spera ») que dans la rage désespérée (« Questa d’un fido amore »). Karina Gauvin en Calisto livre une prestation tout aussi admirable, dès son air d’entrée en notes piquées, en passant par quelques tubes haendéliens (attention, son « Lascia la spina » reprend les paroles utilisées dans Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, mais la musique n’a cette fois rien à voir avec le célèbre « Lascia ch’io pianga »). Karina Gauvin étant par ailleurs une superbe Alcina, nous ne pourrions a priori plus l’entendre chanter « Tornami a vagheggiar » (sauf à s’autoriser les libertés de Joan Sutherland, qui s’accaparait cet air, trop gratifiant pour qu’elle le laisse à sa collègue chargée du rôle de Morgana) ; c’est donc un vrai plaisir que de goûter ici ce morceau arraché aux soubrettes et rendu à une voix agile mais charnue. Si l’on ajoute que Gauvin hérite aussi de « Combattuta da più venti » et de « Ah, non son io che parlo », on comprendra qu’on a là un florilège des plus beaux airs haendéliens pour soprano, interprétés par une des meilleurs haendéliennes du moment. Theodora Baka possède une voix moins caractérisée que celle de ses consœurs, mais on apprécie néanmoins son timbre dans le charmant « Io parto lieta sulla tua fede ». Chez les hommes, on est heureux de retrouver la belle noirceur de Vito Priante, même si Haendel n’appartient plus guère à son répertoire scénique ; Johannes Weisser, le Don Giovanni de René Jacobs, ne parvient pas à éviter les nasalités, peut-être dans un désir maladroit de caractériser son personnage de méchant. Quant au ténor Anicio Zorzi Giustiniani, qui tenait de petits rôles dans les précédentes intégrales haendéliennes de Curtis (Massimo dans Ezio en 2008, Odoardo dans Ariodante en 2010), le voici promu à un personnage de premier plan, pour lequel sa voix pourra néanmoins paraître bien légère. Avec Curtis, le bilan est donc un peu toujours le même, fait surtout de regrets pour les deux têtes d’affiche qu’on a connues si admirables dans d’autres circonstances, mais qui ne trouvent pas ici le cadre stimulant grâce auxquelles elles se transcenderaient. Giove in Argo risque fort de replonger dans la brume d’où il a été tiré. Et peut-être faudrait-il aller jeter une oreille du côté de l’autre intégrale, sortie en 2007 chez Musicaphon, écho de représentations données à Bayreuth en 2006, dans une version reconstituée par un autre musicologue, à la distribution bien moins prestigieuse mais aux tempi nettement plus allants. »

Diapason – avril 2013 – appréciation 3 / 5

« Encore une découverte à l’actif d’Alan Curtis. Cette fois il ne s’agit pas à proprement parler d’u nouvel opéra, mais d’un pasticcio. D’un assemblage cousu par Haendel peu avant dez quitter la scène italienne alors qu’ilse tourne définitivement vers l’oratorio et la poésie anglaise. Donné deux fois début mai 1739 au King’s Theatre où venaient de naître Saul et Israel in Egypt, Giove in Argo n’eut aucun succès. L’ouvrage possédait pourtant deux atouts singuliers. D’abord il prenait congé des tyrans historiques pour accueillir les nymphes et les dieux d’Ovide. Ensuite il faisait la part belle au chœur, évidemment moins qu’Israel in Egypt mais bien davantage que dans les opéras italiens traditionnels.
Ne manquaient qu’un drame (cette bergerie où Jupiter métamorphosé en pâtre courtise les mortelles Io et Callisto ne tient pas debout) et surtout un compositeur inspiré. Coudre à la diable quelques pages applaudies dans Imeneo, Faramondo (le virevoltant« Commbattuta da due venti ») ou, souvent modifiés, les plus anciens Acis and Galatea, Ezio, Alcina, et cetera, insérer deux arias napolitaines de Francesco Araja, serrer l’action et tenir la cadence ne changeront pas ce pot-pourri en œuvre originale. On comprend que le musicologue John H. Roberts, à qui nous devons la mise en forme de la partition (perdue) d’après des sources éparses et la commposition des récitatifs, défende son bébé. Il faudrait pour le soutenir un chef qui croie comme lui dans cette pièce bancale, la redresse, l’anime. Tel n’est pas le cas de l’infatigable mais inamovible Alan Curtis. Enregistré en Italie dans ce qui paraît un boudoir, son orchestre sonne mat, gris, sans phrasé, sans la moindre nuance. Rien de conduit, rien de construit : les numéros s’enchaînent, tous semblables, tous abstraits.
Et quel dommage ! Car le chef, qui dirige Giove régulièrement depuis sa restauuration en 2007 et le connaît par cœur, tenait le plateau idéal. Dans un rôle écrit pour la Francesina (future Sémélé), Karina Gauvin immortalise Callisto – sa sicilienneà l’acte II n’est que grâce et autorité. On dirait qu’Isis (alias Io) a été écrite pour la fougueuse Ann Hallenberg. Priante et Weisser sont parfaits … Hélas ! à une œuvre aussi fragile les corps ne suffisent pas. Il faut une âme. »

Classica – juin 2013 – appréciation 3 /4

« Des trois pasticcios laissés par Haendel, Giove in Argo demeure le plus incomplet. C’est au muusicologue John H. Roberts que l’on doit la présente reconstiiution donnée pour la première fois en 2007 par l’incontournable Alan Curtis et son ensemble. Décidé à ne pas s’en laisser conter par les exigences des chanteurs et chanteuses, le commpositeur saxon privilégia des arrrangements de sa propre musique, même s’il concéda trois arias extraites de l’opéra Lucio Vero du Napolitain Francesco Araja, probablement à la demande pressante de la diva Constanza Posterla. Ainsi l’auditeur pourra-t-il reconnaître des numéros empruntés à une douzaine d’oeuvres antérieures, dont Acis et Galatée, Pastor fido et Parnasso in festa, avec lesquelles ce Jupiter à Argos partage la tonalité pastorale qui met en scène un conte d’amour entre nymphes et bergers. Le livret de Lucchini (Antonio Maria) puise dans la mythologie classique afin de concocter cette sérénade dont l’esprit est celui du divertissement. La qualité des arias jointe à un total de huit choeurs – plus que dans n’importe quel autre opéra de Haendel – fait passer un agréable moment. Certes, Curtis a souvent la main lourde (cet appui systématique sur le premier temps !), mais le plateau vocal particulièrement concerné sauve la mise, surclasssant de très loin la version disponible chez Musicaphon. Sans rivale dans les rôles de sopranos haendéliens aujourd’hui, Karina Gauvin dispense son timmbre lumineux auquel font pendant les mezzos subtilement caractérisés d’Ann Hallenberg et de la jeune Theodora Baka. En dépit de ce côté « recyclage », les fans du compositeur ont toutes les bonnes raisons de se laisser tenter. »