Hypermnestre

COMPOSITEUR Charles-Hubert GERVAIS
LIBRETTISTE Joseph de la Font


Tragédie en musique en cinq actes, sur un livret de Joseph de La Font (*), représentée à l’Académie royale de musique, le 3 novembre 1716.
La Font s’inspira de la pièce de Jean-Ogier de Gombauld, Les Danaïdes (publiée en 1658), ainsi que des tragédies Lyncée, de l’abbé Gaspard Abeille, et Hypermnestre, de Théodore de Riupeirous. Il dédia le livret au Régent, Philippe d’Orléans.
(*) Joseph de La Font (1686 à Paris – 20 mars 1725 à Passy), fils d’un procureur au Parlement de Paris, surtout connu pour être l’auteur du livret des « Festes de Thalie », représentées près de quatre-vingts fois durant la saison 1714-1715. Il laissa quatre comédies.

 

 

La distribution réunissait : Jean Dun (Le Nil), Marie Antier (Une Egyptienne, une Argienne, premier coryphée), Murayre (Un Egyptien, un Berger, deuxième coryphée), Mlle Pasquier (Isis), Mlle Minier (Une Naïade) dans le prologue, Gabriel-Vincent Thévenard (Danaüs, roi d’Argos), Françoise Journet (Hypermnestre, fille de Danaüs), Jacques Cochereau (Lyncée, fils d’Egyptus), Le Mire (Arcas), Guesdon (Le Grand-Prêtre d’Isis), Jean Dun (L’Ombre de Gélanor).
Ballets : un Égyptien ; un Argien ; Matelot et Matelotte ; Bergères ; Grecs ; Combattants.

 
Parmi les danseurs, on relevait la présence de Michel Blondy, auteur de la chorégraphie, Pierre et Henri Dumoulin, François-Antoine Malter, Georges-Ernest Pecourt et Françoise Prévost.
Il y eut une douzaine de représentations jusqu’au 24 novembre 1716, une suspension étant considérée nécessaire pour réviser le livret du cinquième acte, ce dont se chargea l’abbé Pellegrin.

 
La reprise eut lieu le 20 avril 1717, pour vingt-cinq représentations, jusqu’au 6 juin.
Le Régent assista à la représentation du 10 novembre 1716, puis à celle du 12 mai 1717, et à celle du 14 mai, en compagnie du tsar Pierre-le-Grand, soirée où furent donnés également Les caractères de la danse, de Jean-Ferry Rebel. Il est peu probable qu’il ait collaboré à la composition de la musique, mais Gervais a pu intégrer des airs de danse composés par le Régent, notamment deux tambourins.
Philippe II d'Orléans, Régent
De nouvelles reprises eurent lieu :

  • le 25 mai 1728, jusqu’au 20 juillet, avec un succès mitigé, avec Le Mire (Le Nil), Mlle Pélissier (Une Egyptienne), Grenet (Un Egyptien) dans le prologue, Chassé (Danaüs), Mlle Antier (Hypermnestre), Tribou (Lyncée), Dun (Arcas), Rebours (L’Ombre de Gélanor), Grenet (Le Grand-Prêtre d’Isis). Ballets : Égyptien et Nayades ; Argiens ; Matelots ; Bergères avec, parmi les danseurs, Marie-Anne Cupis de Camargo, Marie Sallé, Françoise Prévost et D. Dumoulin ;

L’Histoire de l’Académie royale de musique rapporte : Les Dlles Sallé, Camargo et Petit dansèrent un pas de trois au Prologue ; Mlle Menès une entrée au premier acte ; la Dlle Camargo un tambourin au deuxième acte, suivi d’un pas de deux avec Laval et Maltaire. Au troisème, Dumoulin en dansa un autre avec Mlle Sallé, aussi bien que la passacaille du quatrième.

  • le 18 août 1746, jusqu’au 4 octobre, avec Le Page (Le Nil), Mlle Romainville (Une Egyptienne), Poirier (Un Egyptien) dans le prologue, Chassé (Danaüs), Mlle Chevalier (Hypermnestre), Jélyotte (Lyncée), Albert (Arcas), La Tour (Le Grand-Prêtre d’Isis). Ballets : un Égyptien et une Nayade ; Argiens ; Matelots ; Bergers ; un Grec. A compter du 18 septembre, on adjoignit un ballet de Jacques Aubert, La Fête champêtre et guerrière, afin « d’égayer » le spectacle ;
  • le 1er octobre 1765, et jusqu’au 14 novembre, sans le prologue, avec un vif succès. Anne-Victoire Dervieux, alors âgée de treize ans, y fit ses débuts, en retrait derrière Mlles Guimard et Allard qui tenaient les premiers rôles de danseuses.
  • les 8, 10, 11 et 13 avril 1766.

 

Des représentations eurent lieu à Bruxelles, au Théâtre de la Monnaie, en mai 1726, février 1727 et janvier 1732, ainsi qu’à Lyon, dans la salle du Jeu de Paume de la Raquette Royale, en 1742.
Lors de la reprise de 1728, une parodie fut donnée le 28 juin au Théâtre Italien sous le titre de la Bonne Femme, par Pierre-François Biancolelli dit Dominique et Jean-Antoine Romagnesi.
L’oeuvre fut publiée par Ballard en partition réduite en 1716.

le Poëme est de La Font, & la musique de Gervais. Il fut représenté pour la premiere fois le 3 Novem. 1716, & est imprimé partition in-4°. Le Prol. est formé par le Nil, Isis & des Egyptiens. Après la treizieme représentation, on en interrompit le cours pour y faire un cinquieme Ac. parce que celui qui avoit été donné d’abord ne fut pas goûté ; ce nouvel Acte fut donné au mois d’Avril de l’année suivante, & fut joué très-long-tems. (de Léris – Dictionnaire des Théâtres)

La fable d’Hypermnestre est qu’Egyptus & Danaüs, frères, & enfants de Belus, ayant chacun cinquante enfants, le premier étant père de cinquante fils, & l’autre comptant autant de filles ; Egyptus proposa à Danaüs de ne faire qu’une famille par le mariage de leurs enfants ; Danaüs s’y opposa, parce que l’Oracle lui avoit annoncé qu’il mourrait de la main d’un des fils de son frère ; mais s’y trouvant forcé par Egyptus, plus puissant que lui, il ordonna à ses filles de poignarder leurs maris la première nuit de leurs noces. La seule Hypermnestre refusant d’obéir à des ordres si cruels, épargna Lyncée, qui accomplit l’Oracle en donnant la mort à Danaüs meurtrier de ses frères. (de Léris)

 

Synopsis


 

Prologue : Jeux en l’honneur d’Isis
Sur les bords du Nil, avec dans la perspective, les pyramides d’Égypte
Peuples et habitants du pays de Lyncée, fils d’Egyptus, sont rassemblés « pour célébrer la déification d’Isis ». Ils louent la déesse qui ramène et la paix et l’autour. Le Nil se joint à eux et leur assure que, par ses eaux, il apportera richesse et abondance : bergers et bergères peuvent revenir sans crainte, Isis apparaît alors et s’engage à combler leurs voeux et annonce qu’Hypermnestre l’engage à partir de ces lieux. Hypermnestre est promise à Lyncée, et leur union future, garante d’une paix durable, est prétexte à la réjouissance générale.

 
Acte I
Le mausolée dc Gélanor, roi d’Argos détrôné par Danaüs, père d’Hypermnestre. Le soleil s’élève peu à peu sur l’horizon.
Danaüs, chassé de Memphis par son frère Égyptus, craint ses nouveaux sujets toujours fidèles à Gélanor et encclins à la conspiratiom. Il se prépare à marier ses filles aux fils d’Égyptus, ses neveux, afin de rétablir la paix, qui seule peut contenir les Argiens et affermir son trône.
Danaüs, toutefois, est agité : 1’Ombre implacable de Gélanor le poursuit et trouble son repos par un songe prémonitoire : la foudre frappait son palais et brisait son trône en éclats. Afin dc désarmer les insoumis et calmer son effroi, il ordonne une fête éclatante à la gloire du défunt roi. Une marche guerrière accompagne l’entrée des Argiens et Argiennes qui s’amassent autour du mausolée. Danaüs, dévoré par le remords, implore les mânes de sa victime que le Ciel a condamné à périr sous ses coups. À peine la fête s’achève-t’elle que le Soleil s’éclipse et la Terre tremble. Le tombeau s’ouvre et laisse apparaître l’Ombre de Gélanor. Elle annonce qu’un des fils d’Egyptus doit régner a la place de Danaüs et que ce fils vengera sa victoire en faisant couler le sang dc l’usurpateur. Glacé par l’oracle, Danaüs hésite, demande au ciel de lui révéler l’identité de ce bras vengeur, en vain. Il décide alors de sacrifier Lyncée et ses frères afin de parer le coup fatal dont il est menacé et rejette la responsabilité de son crime sur les dieux silencieux.

 
Acte II
Dans le port dArgos. On aperçoit d’un côté les murs du palais de Danaüs. Les flots de la Mer Egée paraîssent encore agités, tels qu’ils le sont sur la fin d’une tempête.
Danaüs est seul. Ses filles, à l’exception d’Hypermnestre, ont juré de le défendre sans connaître son projet meurtrier. Tous les fils d’Égyptus ont rallié Argos, sauf Lyncée, retardé par la tempête. Danaüs comprend qu’il sera son bourreau. Hypermnestre paraît. Elle pleure sur le sort de son amant : a-t-il péri noyé? Le roi partage l’inquiétude de sa fille, sa destinée étant liée à celle du fils d’Égyptus. Il décide d’envoyer des vaisseaux au secours de Lyncée. Restée seule, Hypermnestre se méprend sur les véritables motifs de son père. Soudain, les flots paraîssent moins agités; la flotte de Lyncée se fait voir sur le sein de Neptune. L’héroïne recouvre son calme et chante son amour. Lyncée et sa suite débarquent. Les matelots et les Argiens accueillent le héros qui apporte, comme Isis au prologue, paix et amour. À l’heure où les fils d’Égyptus et les soeurs d’Hypermnestre se jurent dans le Temple une ardeur éternelle, les amants expriment leur joie d’être enfin réunis, puis se dirigent vers les autels de l’Hymen pour échanger leurs serments.

 
Acte III
Le temple d’Isis où tout est préparé pour l’hymen de Lyncée & d’Hypermnestre. En son centre est érigé un autel consacré à l’Hymen
Danaüs, s’adressant à son futur gendre, lui annonce que la cérémonie nuptiale qui va l’unir à Hypermnestre sera plus pompeuse que celle de ses frères, étant le seul heritier d’Argos. Les jeunes héros se jurent fidélité sur l’autel ; les portes du temple d’Isis s’ouvrent alors et laissent entrer les peuples d’Argos et des environs pour prendre part à la fête. Au cours de la liesse générale, Arcas, suivant de Danaüs, prévient son maître qu’une poignée de mutins veut profiter de ces réjouissances pour le renverser. Danaüs se plaint d’être poursuivi par l’injuste vengeance de Gélanor. Lyncée sollicite l’honneur de dompter les rebelles et quitte la scène. Danaüs, resté seul avec sa fille autour de l’autel de l’Hymen, lui signifie alors ce que le sang exige d’elle. Hypermnestre jure sur l’autel de l’Hymen de seconder son père. Celui-ci lui présente un poignard et lui désigne sa victime : Lyncée. Hypermnestre frémit, mais ne peut se dédire. Mais nonobstant son serment, le roi sait que sa fille le trahira, et a prévu d’assurer sa vengeance.

 
Acte IV
Dans les jardins du palais de Danaüs, la nuit. On voit la façade de l’appartement des Danaïdes.
Des jeunes garçons et des jeunes filles couronnés de fleurs portent des flambeaux de l’Hymen. Deux coryphées mènent la troupe, conduite par Arcas. Celui-ci révèle que les mutins sont maîtrisés et invite à célébrer le bonheur des amants par un épithalame. Importunée par les chants, Hypermnestre sort de son appartement, le poignard à la main, partagée entre son amour pour Lyncée et son devoir de fille. Elle sait qu’elle et ses soeurs sont armées contre la volonté des dieux. Son époux paraît. Elle l’exhorte à fuir et s’apprête à s’immoler pour l’épargner et obéir à son père. Lyncée l’interroge sans pouvoir obtenir de réponses précises. Un orage éclate. On massacre les fils d’Egyptus. Lyncée comprend que l’on immole ses frères et se lance à leur secours. Hypermnestre implore alors les dieux pour expirer entre Danaüs et son époux.

 
Acte V (version La Font)
L’intérieur du palais de Danaüs
Hypermnestre, toute éperdue, est entourée de cadavres. Lyncée, l’épée à la main, et une troupe d’Égyptiens surgissent ; ils crient vengeance à la recherche de Danaüs. L’héroïne s’interpose. Elle a trahie et son père et les dieux pour conserver la vie de son époux. Que ce dernier fasse preuve de clémence envers le roi d’Argos ! Lyncée reste sourd à sa requête. Il doit purger la Terre d’un tel monstre. D’ailleurs, Hypermnestre n’a plus que la mort à attendre de ce barbare. Pour l’épargner, les époux n’ont qu’une alternative : fuir. Soudain, un bruit de guerre se fait entendre : un combat oppose les Argiens (en coulisses) aux Égyptiens (sur scène). Lyncée s’élance pour se frayer un passage. Hypermnestre, demeurée en arrière, tremble pour les jours d’un époux et d’un père et implore isis. son époux reparaît. Le passage est libree, mais Danaüs, mortellement blessé, leur barre la route. L’oracle est accompli. Hypermnestre s’en prend à Lyncée. Danaüs rejette la faute sur sa fille qui lui coûte l’Empire et le jour, puis regrette de ne pouvoir entraîner avec lui le couple aux enfers. Il expire au moment où Isis fait son entrée. Hypermnestre doit pardonner à son époux, jouet des dieux. Lyncée qui a fait le crime, mais n’est point criminel, est proclamé roi d’Argos.

(d’après Jean-Paul C. Montagnier – Charles-Hubert Gervais – Un musicien au service du régent et de Louis XV)