1715 – 1723 : un compositeur d’opéras gouverne la France

En 1715, Philippe II, duc d’Orléans, prend le pouvoir, assumant la Régence pendant la minorité de Louis XV.

Les historiens n’ont pas manqué de décrire le Régent comme un libertin assoiffé de débauche. Peu ont insisté sur le fait que, fait rare dans l’Histoire de France, c’est un vrai musicien qui se retrouvait à la tête de la France, non seulement mélomane avisé, mais aussi instrumentiste, chanteur et compositeur de cantates, motets, et même de trois opéras. Un compositeur et mécène de la stature de Frédéric II de Prusse.

A la mort de son père, premier Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, dit Monsieur, en juin 1701, le nouveau duc d’Orléans, hérite du Palais Royal. Bien plus que Versailles, ce palais créé par Richelieu est lié à l’histoire de l’opéra et à l’introduction en France de la musique italienne. Une salle de spectacle y avait été aménagée dès 1637, sous Richelieu, qui avait accueilli les premières tentatives du cardinal Mazarin pour acclimater l’opéra italien aux oreilles françaises : l’Egisto de Cavalli en 1645, et surtout l’Orfeo de Luigi Rossi en 1647.

Après les heures difficiles de la Fronde, Louis XIV donne le Palais Royal à son frère qui s’y installe en 1661, et confie la salle de théâtre à la troupe de Molière. Celui-ci ne se fait pas faute d’y représenter les comédies-ballets écrites en collaboration avec le Florentin.

Le duc de Chartres naît en 1674. Coïncidence, c’est aussi l’année où Lully, délogeant la troupe de Molière, installe l’Académie royale de musique dans la salle de théâtre du Palais Royal, et y donne « Alceste ». Autant dire que le futur Régent sera bercé par les accents de la tragédie en musique. A partir de 1683, Louis XIV se détourne peu à peu de l’opéra, et la mort de Lully ne va faire qu’accentuer la main-mise de la Maison des Orléans sur les destinées de l’art lyrique en France.

La liste des musiciens bénéficiant de la protection des Orléans est éloquente : Marais, Desmarest, Charpentier, Campra, Gervais, Bertin de la Doué, Bouvard, Stuck, Matho, Bernier…

En 1701, lorsqu’il devient le nouveau duc d’Orléans, Philippe est déjà un musicien accompli : il a appris la théorie musicale, s’intéresse à la musique ancienne, celle des Grecs, mais aussi à celle du siècle précédent. En 1692/93, il a appris la composition avec Marc Antoine Charpentier. Et c’est sans doute alors qu’est composé l’opéra « Philomèle », dont on ne sait pratiquement rien, ni le livret ni la partition n’ayant été conservés. On sait qu’il fut exécuté trois fois dans les grands appartements du Palais Royal, mais à quelle date ? En 1694, ou en 1703/ 1704. Philippe d’Orléans a également appris la viole de gambe avec Antoine Forqueray, le clavecin avec d’Anglebert, la flûte avec Hotteterre le Romain. Il sait aussi chanter, et tient sa place aussi bien dans un opéra qu’un motet.

Si l’on ne sait rien de « Philomèle », on en sait un peu plus des deux autres opéras composés par Philippe d’Orléans : « Penthée » et la « Suite d’Armide ».

« Penthée » est surtout connu pour avoir été utilisé pour la bande sonore du film de Bertrand Tavernier, « Que la fête commence », consacré en 1974 à la « vie dissolue » du Régent. Hélas, il est bien difficile de se faire une idée de la musique à partir de l’arrangement réalisé par Antoine Duhamel, et d’y reconnaître ce que certains ont appelé le « style Palais Royal », synthèse des styles français et italien. Le livret est dû au marquis de La Fare, capitaine aux gardes de Philippe d’Orléans, décrit comme « libertin et voluptueux », et surtout réputé pour consacrer son temps à la poésie et à la paresse. Peut-être aussi aux plaisirs de la table, puisqu’il mourut – dit-on – d’avoir mangé trop de morue…Son livret, inspiré des Bacchantes d’Euripide, et contant la mort de Penthée, victime de la vengeance de Bacchus, est considéré comme un des meilleurs de l’époque.

Quant à la musique, elle est à la source d’une anecdote savoureuse à travers laquelle transparaissent l’humour et le réalisme du Régent. Au sortir d’une représentation, celui-ci demanda son avis à Campra qui répondit : « La musique est bonne, mais les vers ne sont pas du même prix ». Le Régent confia à La Fare : « Parles à Campra en particulier, il trouvera les vers bons et la musique mauvaise. Sais-tu à quoi il faut s’en tenir ? C’est que le tout ne vaut rien ». Les critiques qui se sont penchés sur la partition sont moins sévères, sans pour autant crier au génie : récitatif rigide, airs charmants, instrumentation habile, alternance agréable de style italien et français.

Les avis sont plus tranchés sur la « Suite d’Armide ou Jérusalem délivrée », qui aurait été représenté au Palais Royal en 1704. Le livret, du baron de Longepierre, personnage douteux, « intrigant qui se mêlait de tout pour faire fortune » et qui fut renvoyé du Palais Royal, est considéré comme peu propre à la mise en musique. Celle-ci en revanche a attiré l’attention des musicologues par sa riche orchestration, sans doute la plus riche de toute l’histoire de l’opéra avant Rameau. On y relève un récitatif souple, des airs et duos charmants et gracieux, bien écrits, des choeurs remarquables, une instrumentation moderne, une écriture musicale maîtrisée…

Amplement de quoi séduire un de nos chefs baroques attachés à la redécouverte des trésors oubliés de la tragédie en musique. Ce serait aussi une façon de rendre hommage à Charles-Hubert Gervais, dont on suppose qu’il collobora largement à la composition de la « Suite d’Armide », et qui attend toujours qu’on s’intéresse à son oeuvre lyrique.

Jean-Claude Brenac – Septembre 2006

(d’après « Mécène Musicien : Philippe d’Orléans, Régent » – Jean-Paul Montagnier – Editions A. Zurfluh)

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