Hercules, un héros ou un zéro ?

Le livret de Thomas Broughton pour l' »Hercules » de Haendel ne passe pas pour un chef d’oeuvre. Pas facile, aussi, même quand on est un révérend distingué, auteur d’un ouvrage édifiant sur « Le christianisme distinct de la religion naturelle », de succéder à Ovide (« Les Métamorphoses »), Sophocle (« Les Trachiniennes »), et Socrate (« Hercule à Oeta ») !

Le livret s’ouvre sur un monologue de Lichas, personnage assez mal défini. Compagnon d’armes d’Hercule ? précepteur de son fils ? ou comme dans l' »Ercole amante » (1), confident de Déjanire ? Peu importe ! Lichas est un rôle fourre-tout : héraut, messager, et le plus souvent coryphée, c’est à dire de chef de choeur. A ce titre, il nous assène, tout au long du livret, quelques commentaires bien sentis sur les vicissitudes humaines. Pas étonnant que le rôle de Lichas – que Haendel avait « musclé » en faveur de Susanna Maria Cibber, suscite régulièrement l’appétit des manieurs de ciseaux.

Dès l’entrée, Lichas, donc, sollicite notre attention sur les malheurs de la reine Déjanire, qui pleure du matin au soir et du soir au matin l’absence de son royal époux. On ne sait pas depuis combien de temps il est parti, Hercule, mais Déjanire se voit déjà veuve.

Si elle comptait sur son fils pour la consoler, c’est raté. Il a beau jouer les gros bras pour ressembler à Papa, il fait un peu fallot, Hyllus. Mais quand même, il a pris l’initiative – sans même en référer à sa mère ! – de faire procéder à un sacrifice pour savoir ce que peut bien fabriquer son héros de père. Las ! les nouvelles de l’oracle sont loin d’être bonnes : Hercule mourra dans les flammes sur le mont Oeta ! Déjanire s’enfonce un peu plus dans le malheur, et se voit déjà rejoindre son royal époux dans l’au-delà.

Coup de théâtre ! Le héros tant attendu est annoncé – merci Lichas ! Il revient en vainqueur, après n’avoir fait qu’une bouchée d’Oechalie, dont il a trucidé le roi Eurytos (2). Déjanire oublie ses projets funestes et retrouve le sourire. Mais déjà on entend parler de Iole, la fille d’Eurytos, par qui le malheur va arriver. Et ça ne traîne pas : rien qu’à voir la belle captive, voilà Hyllus captivé !

Fin des présentations : le Héros en personne arrive enfin. Et qui vient-il voir en premier ? son épouse chérie ? son fils bien-aimé ? Pas du tout ! il se rend auprès de la belle Iole, sous prétexte de lui rendre sa liberté. Celle-ci, d’ailleurs, encore sous le choc de la mort de son père, n’en a cure. Il est un peu déçu, Hercule, et un peu fatigué aussi. Il nous confie qu’il est bien décidé à oublier les plaisirs de la guerre pour ceux de l’amour conjugal. Le croira qui veut… Fin de l’acte I.

L’acte II démarre en douceur : Iole imagine la vie humble et bucolique qui l’aurait mise à l’abri de son triste sort de princesse. Le ton change avec l’arrivée de Déjanire, qui a eu vent de la rumeur qui court sur l’infidélité de Hercule. Elle a tout compris, la finaude : l’expédition d’Hercule à Oechalie, c’était pour la (trop) belle Iole ! Grosse dispute de ces dames. Iole le prend de haut, en faisant la morale, dans le genre « il ne faut pas croire tout ce qu’on dit », et « c’est pas beau d’être jalouse ». Arguments qui, on s’en doute, ont peu de prise sur la reine.

Le climat s’apaise avec Hyllus qui, la gueule enfarinée, vient tenter sa chance auprès de la belle Iole. Celle-ci a beau jeu de se moquer – est-ce digne du fils d’Hercule de conter fleurette ? – mais Hyllus ne se démonte pas et continue ses roucoulades. Cette fois, Iole reste silencieuse. Qui ne dit mot consent, l’idylle est en route, conclut le choeur.

Sommet de l’acte II, la grande explication tant attendue entre Déjanire et Hercule. On devine que ce dernier n’aura pas le dernier mot. Que pourrait-il contre la rumeur ? Le héros se défend mollement, et, accablé, trouve une échappatoire courageuse, un sacrifice à Jupiter qui nécessite sa présence urgente …

Restée seule, Déjanire, plus cyclothymique que jamais, passe de l’exaltation à l’accablement, puis…à l’espoir. La tunique de Nessus(3), mais c’est bien sûr ! voilà le moyen infaillible de provoquer un « retour d’affection » de son rustre de mari. Et, comme par hasard, Lichas passait par là : le voilà investi de la funeste mission de porter la tunique à Hercule. Déjanire se sent tellement sûre d’elle qu’elle peut se permettre de faire amie-amie avec Iole. Celle-ci n’y voit aucune malice – elle est bien la seule… Fin de l’acte II.

L’acte III commence par un nouveau coup de théâtre ! Le méchant Nessus s’est vengé : la tunique qu’il avait confiée à Déjanire était empoisonnée, Hercule agonise. Lichas donne tous les détails au peuple de Trachis abasourdi. Et pour qu’on ne perde rien du spectacle, voici Hercule en « direct live » qui appelle Neptune au secours, maudit Déjanire, et fait ses dernières recommandations à Hyllus. Celui-ci ne semble pas trop affecté, il nous ferait même un peu honte : ce qu’il craint surtout, c’est que les Oechaliens apprennent la mort du héros et viennent se venger…Pendant ce temps, Déjanire culpabilise, et entame un longue descente dans la folie, en compagnie des terribles Furies aux têtes hérissées de serpents.

Hercule mourant, Déjanire folle, il est grand temps de passer à l’inévitable « happy end » ! Grâce au prêtre de Jupiter, on apprend qu’Hercule, certes, est bien mort sur le bûcher qu’il avait lui-même commandé au sommet du mont Oeta, mais que Jupiter l’a accueilli dans l’Olympe, parmi les immortels. On est rassurés, c’est une belle promotion, car Hercule n’était jamais qu’un demi-dieu. Déjanire elle, ne sait si elle doit rire ou pleurer. La pauvre, elle n’a pas fini de prendre des anti-dépresseurs.

Reste les petits jeunes. Là, pas de suspense. Puisque Jupiter lui-même l’a demandé, Iole n’a plus de réticence à épouser le fils du meurtrier de son père.

Et c’est le choeur qui a le dernier mot, pour chanter la paix et la liberté. Fin du troisième acte.

Jean-Claude Brenac – Septembre 2004

(*) de Pier Francesco Cavalli, livret de Francesco Buti

(**) la vindicte de Hercule contre le roi Eurytos d’Oechalie aurait deux sources : la punition – trois ans comme esclave chez la reine Omphale qui le faisait habiller en fille… – que Jupiter lui avait infligée pour avoir tué le fils d’Eurytos, ou bien la promesse non tenue par ce dernier de lui donner sa fille Iole à Hercule si ce dernier se montrait plus habile que lui à l’arc.

(*) Nessus était un centaure qui servait de passeur sur la rivière Evenos. Arrivèrent un jour Hercule et Déjanire. Nessus proposa à Hercule de traverser seul pendant que lui s’occuperait de Déjanire. Mais il s’en « occupa » un peu trop, provoquant la colère de Hercule. Nessus, transpercé par un flèche, confia sa tunique sanglante à Déjanire, l’assurant qu’elle avait le pouvoir de rendre son époux à jamais fidèle.