Il Ciro, Artemisia, Xerse : Cavalli ou Provenzale ?

Il Ciro, Xerse, l’Artemisia : Cavalli ou Provenzale ?

En 1658 paraît à Naples le livret de l’opéra Il Theseo overo L’Inconstanza trionfante. Dans la Note au lecteur, il est mentionné que le poète – Francesco Maria Piccioli – est un virtuose, et plus encore le compositeur – Francesco Provenzale – qui a été capable d’enchanter le lecteur avec ses Il Ciro, Xerse et Artemisia.

Surprise ! Ces opéras, tout au moins Xerse et Artemisia, n’auraient-ils donc pas été composés par Francesco Cavalli ? Provenzale aurait-il adapté les opéras de Cavalli à la mode napolitaine, ou, à l’inverse, Cavalli aurait-il accommodé des compositions de Provenzale à la mode vénitienne ?

Les débuts de l’opéra dans la capitale du vice-roi des Deux Siciles (1) avaient- eu lieu en septembre 1650, avec la représentation d’un ouvrage dont le livret, intitulé Didone, ovvero L’Incendio di Troia était le même que celui utilisé par Cavalli pour sa Didone, neuf ans auparavant. Le compositeur en est resté anonyme, tout comme celui du second opéra napolitain, dont le nom – Ergasto ou Egisto – sonne comme un autre clin d’oeil à Cavalli.

Rapidement l’emprise de Venise sur l’opéra napolitain se dessine, avec la représentation, en fevrier 1651, de l’Incoronazione di Poppea du grand Monteverdi. On sait qu’une des deux sources du fameux opéra, découverte en 1930 par le professeur Guido Gasperini dans les fonds de la Bibliothèque du Conservatoire San Pietro a Maiella, est la version dite de Naples. Pourtant, il est admis que cette partition n’est pas celle utilisée pour la représentation de 1651.

C’est le 21 décembre 1652 qu’un opéra de Cavalli – La Veremonda, l’Amazzone di Aragona – fut représenté à Naples, pour l’inauguration du nouveau théâtre du Palazzo reale, et aussi pour fêter la prise de Barcelone par les Espagnols, mettant fin à la révolte de la Catalogne, soutenue par la France. En cette occasion, Cavalli n’était pas le seul à faire ses débuts à Naples : Giovan Battista Balbi se chargea des décors, des machines et des ballets. La représentation de La Veremonda était une véritable « première », car l’oeuvre ne fut représentée à Venise qu’un mois après, au teatro SS Giovanni e Paolo.

Francesco Provenzale, entre en scène en 1653, alors âgé de vingt-sept ans, avec la représentation, au Palazzo Reale, de Il Ciro. Ouvrage repris, en janvier 1654, à Venise, au SS Giovanni e Paolo de Venise, avec un livret fortement remanié par Aurelio Aureli ou peut-être Giovan Battista Balbi. La partition originale de Il Ciro a disparu, mais son attribution à Provenzale n’est pas mise en doute. Il est de même admis que c’est bien Cavalli qui adapta l’oeuvre pour la représentation vénitienne, en ajoutant le Prologue (2) et en renouvelant presqu’entièrement la musique du troisième acte.

Le premier âge d’or de l’opéra à Naples s’achève lorsque le comte Oñate, vice-roi de Naples, est remplacé par le comte Castrillo. Balbi quitte Naples pour Venise, et la troupe des Armonici doit s’installer au teatro San Bartolomeo, où, poursuivant l’adaptation d’opéras vénitiens, elle se débat dans des difficultés financières. Mais le pire ennemi du théâtre vient de l’épidémie de peste qui paralyse la vie publique napolitaine à partir de 1656.

Aussi n’est-ce qu’à l’automne 1657 que l’activité théâtrale reprend avec la représentation de Xerse. L’opéra de Cavalli avait été créé à Venise en janvier 1654, et il est vraisemblable que la version napolitaine fut préparée par Francesco Provenzale, à la demande de Cavalli lui-même. On n’est malheureusement pas en mesure d’apprécier l’apport de Provenzale, car la partition de la version napolitaine n’a pas été conservée. En revanche, les livrets, dont les deux versions ont été conservés, ne font pas ressortir de différences notables.

On dispose d’encore moins d’informations sur la représentation à Naples de l’Artemisia, troisième opéra de Cavalli dont Provenzale revendique la paternité. L’Artemisia est représenté en janvier 1657 au SS Giovanni e Paolo de Venise, et repris en 1657 au teatro Bartolomeo. Faute de disposer tant du livret que de la partition napolitaine, on en est réduit à reproduire le scénario de Xerse : Provenzale aurait adapté la partition de Cavalli au public napolitain.

Ainsi apparaîssent des liens indéniables, mais mal connus, entre deux compositeurs dont la postérité a décidé le sort de façon bien inégale : Cavalli connaît une renaissance dont on ne peut que se féliciter, alors Provenzale reste dans l’ombre, attendant toujours son heure.

Jean-Claude Brenac – Novembre 2010

(1) le royaume de Sicile avait été rattaché à Naples en 1442 par les Aragonais, pour former le royaume des Deux-Siciles. Depuis 1505, ce dernier était gouverné par un vice-roi nommé par le souverain espagnol, exception faite du bref épisode de la République napolitaine de Masaniello (1647).

(2) Prologue repris par René Jacobs, lors de l’enregistrement de Xerse en 1985