Familles baroques… de père en fils

Tel pourrait être le mot d’ordre dans ces familles de musiciens ou d’artistes qui furent des acteurs du monde musical parisien tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles.

Bien sûr, on pense d’abord aux Couperin : on ne compte pas moins de treize musiciens dans cette famille dont émerge François, dit le Grand Couperin, fils de Charles et le neveu de Louis, tous deux organistes. Sa fille Marguerite-Antoinette le remplaça comme claveciniste de la Chambre du roi, et fut la première femme à occuper une telle position à la cour. Curieusement aucun Couperin ne fut actif dans le domaine théâtral.

Ce n’est pas le cas des Francoeur et des Rebel. Des Francoeur, on connaît surtout François, né en 1698, qui suivit une belle carrière : violoniste à l’Opéra – à quinze ans ! – , membre des Vingt-quatre Violons, surintendant de la musique de la Chambre, maître de musique à l’Opéra, puis directeur de ce dernier où il forma un étonnant duo avec son ami François Rebel. Il méritait bien d’être anobli par Louis XV, à soixante-six ans…

François Francoeur était dit « le cadet » : son frère aîné, Louis, né en 1692, était également un violoniste réputé, qui entra à l’orchestre de l’Opéra – à douze ans ! – puis dans les Vingt-quatre Violons avant de les diriger. Leur père Joseph, né vers 1662, était également violoniste à l’Opéra. Et Louis-Joseph dit le Neveu, fils de François, né en 1738, fut également directeur de l’Opéra après la Révolution…

Ami de François Francoeur, François Rebel appartenait aussi à une famille de musiciens : le plus ancien, Jean, mort en 1692, était ténor à la Chapelle royale et chanta dans « Cadmus et Hermione ». En 1663, il eut une fille, Anne-Renée, chanteuse appréciée de Louis XIV, qui épousa Michel-Richard de La Lande, et en 1666, un fils, Jean-Féry, dit le père, violoniste remarqué, membre de l’Académie royale et des Vingt-quatre Violons, et qui s’essaya – sans succès – à la tragédie en musique avec « Ulysse », en 1703. François Rebel, dit le fils, né 1701, était le fils de Jean-Féry et violoniste comme lui. Il entra à l’orchestre de l’Opéra à treize ans, et succéda à son père dans les Vingt-quatre Violons, mais on le connaît surtout comme compositeur et administrateur de l’Opéra, de 1757 à 1767, associé à François Francoeur. Chargé de l’orchestre du Théâtre des Petits-Cabinets de Madame de Pompadour, il fut, comme son ami Francoeur, anobli sur le tard par Louis XV.

Mais c’est dans le domaine de l’édition musicale que la succession de père en fils a trouvé son apothéose, avec la famille des Ballard. en qui on voit surtout l’éditeur des tragédies en musique de Lully, mais qui s’étend sur pas moins de six générations – près de deux siècles ! Se succédèrent ainsi Robert (mort en 1588), Pierre (1639), Robert (1673), Christophe (1715), Jean-Baptiste Christophe (1750), Christophe Jean François (1765). Le second Robert Ballard devint le seul imprimeur de musique de Louis XIV, produisant les premières éditions de Lully, mais c’est Christophe Ballard qui dirigea l’entreprise au plus fort de sa prospérité, éditant Lully, Charpentier, Colasse, Campra, Marais et tant d’autres.

Après l’apothéose, la déconfiture. Jean-Baptiste Lully comptait bien sur ses enfants pour lui succéder, et notamment sur son fils aîné Louis. Las ! en dépit du parrainage royal – dès sa naissance Louis XIV s’était déclaré son parrain, et son baptême eut lieu en grande pompe, quoique treize ans après… – Louis n’apporta à son père que des déceptions. Il mena une vie de dépravé, et dut être enfermé, en mai 1686, dans la maison des religieux de la Charité, à Charenton. Il s’en fallut de peu qu’il soit déshérité, et fut privé, à la mort de Lully, de la succession du privilège de l’opéra et de la surintendance de la musique du roi, qui revint à son frère Jean-Louis. Celui-ci mourut peu après, à vingt-et-un ans. La surintendance revint en 1695 à un autre fils de Lully, Jean-Baptiste, dit l’abbé Lully – à cause de l’abbaye de Saint-Hilaire, près Narbonne, dont l’avait gratifié Louis XIV – ou Lully fils. Les trois frères n’ont laissé qu’une bien modeste empreinte dans l’histoire de la musique, et les informations les concernant sont parfois confuses. ce qui est certain, c’est qu’aucun des trois n’était à même de perpétuer la grande aventure lullyste.

Jean-Claude Brenac – Novembre 2004