Pas de chance pour Pandore !

En 1740, Voltaire a quarante-six ans. Il voyage régulièrement avec la marquise du Châtelet entre le château de celle-ci, à Cirey, en Haute-Marne, la Belgique et Paris. C’est l’année de sa première rencontre avec Frédéric II de Prusse. C’est aussi l’année où il écrit deux pièces ; une tragédie, Zulime, dédiée à Mlle Clairon, et une autre pièce, Pandore, promise à un curieux destin.

Pandore a-t-elle été conçue dès l’origine comme un livret d’opéra ? Rien ne permet de l’affirmer. Si l’on en croit Adrien-Jean-Quentin Beuchot , qui préfaça une édition des oeuvres complètes de Voltaire entre 1831 et 1841, Voltaire désirait beaucoup que sa pièce fut représentée.

En 1744, il aurait confié Pandore à Mme Dupin, qui voulait s’en amuser, et l’orner de quelques croches avec M. de Franqueville et Jéliotte. Louise-Marie Dupin de Chenonceau était devenue Madame Dupin en épousant le fermier général Claude Dupin. Elle tenait un salon très fréquenté par les beaux esprits, et passa à la postérité pour avoir embauché Jean-Jacques Rousseau comme secrétaire en 1745, et pour avoir sauvé le château de Chenonceaux pendant la Révolution. Jélyotte, célèbre haute-contre, n’a pas besoin d’être présenté : à cette époque, il avait un peu plus de trente ans, et était le chanteur le plus célèbre de l’Opéra.

Toujours selon Beuchot, c’est le maréchal de Richelieu, qui dirigeait les Menus Plaisirs une année sur quatre, qui aurait demandé, en 1752, à Joseph Nicolas Pancrace Royer de composer une partition sur la pièce de Voltaire.

Royer souhaita modifier le livret, et s’adressa pour cela à M. de Sireuil, que Voltaire qualifiait de portemanteau du roi. Pandore fut exécutée en octobre 1752, au concert de la marquise de Villeroy, épouse du quatrième duc de Villeroy.

En 1754, il était question de mettre Pandore au programme de l’Opéra. Royer avait été nommé Inspecteur général de l’Académie royale de musique le 12 décembre 1753, et dirigeait l’Opéra avec Eugène de Thuret (1), pour le compte de la Ville de Paris, à qui le roi avait transféré le privilège en août 1749. Voltaire en fut informé par Moncrif, qui lui envoya le livret modifié, et s’offusqua aussi bien des embellissements apportés à sa pièce par Sireuil. À partir de septembre 1754, convaincu que la représentation de Pandore serait un échec, il écrivit de nombreuses lettres visant à l’empêcher, ou tout au moins à faire savoir que sa pièce avait été transformée en une rapsodie de paroles du Pont-neuf, et qu’il en refusait la paternité. On dispose ainsi de lettres pleines d’humour adressées notamment au comte d’Argental (2), que Voltaire appelait Mon cher ange, dans lesquelles il vilipende Sireuil, qui aurait mieux fait de garder les manteaux que de défigurer Pandore, et surtout Royer, qu’il traitait de polisson.

On sait ainsi qu’il intervint auprès du Président Hénault, qui était alors surintendant de la Maison de la Reine Marie Leszczynska, et qu’il proposa que l’oeuvre revue par Sireuil ne portât pas le nom de Pandore, mais plutôt celui de Prométhée.

Voltaire aurait-il réusi à empêcher les représentations de Pandore ? On n’en saura jamais rien, car Royer mourut le 11 janvier 1755, sans que celles-ci aient eu lieu, ce qui fit dire à Voltaire, avec peu d’élégance : Dieu a puni Royer ; il est mort. Je voudrais bien qu’on enterrât avec lui son opéra, avant de l’avoir exposé au théâtre, sur son lit de parade.

Pourquoi une telle vindicte contre Royer, compositeur dont les opéras avaient été plutôt bien accueillis et dont il n’avait même pas entendu la partition de Pandore ? Pas à cause de la musique, à laquelle Voltaire reconnaissait lui-même qu’il n’entendait pas grand chose. Mais à cause des modifications apportées par Sireuil à sa pièce, dont il avait eu connaissance, et dont il rendait Royer responsable, sans doute à juste titre.

Quoique il en soit, Pandore rentra dans sa boite pour une dizaine d’années.

Elle devait en ressortir en 1765, lorsque Louis de France, fils de Louis XV, suggéra à Jean-Benjamin de Laborde, qui non content d’être Premier valet de chambre du Roi et fermier général, se piquait d’écrire des opéras et des opéras comiques, d’écrire un opéra sur la pièce de Voltaire, Royer s’y étant essayé mais étant mort sans que sa partition soit représentée.

Laborde écrivit à Voltaire pour solliciter l’autorisation de composer à son tour une musique sur le livret de Pandore. Voltaire lui répondit, le 4 novembre : Pandore n’est pas un bon ouvrage, mais il peut produire un beau spectacle et une musique variée…. Vous ne ressusciterez pas Royer, vous êtes plutôt homme à l’enterrer.

Ravi, Laborde vint présenter la partition à Voltaire vers le 15 septembre 1766, et en joua lui-même quelques airs au violon. Voltaire fut émerveillé et écrivit : Je croyais que M. Laborde faisait de la musique comme un premier valet de chambre doit en faire, de la petite musique de cour et de ruelle. Je l’ai fait exécuter. J’ai entendu des choses dignes de Rameau. Ma nièce Denis (3) est tout aussi étonnée que moi, et son jugement est bien plus important que le mien, car elle est excellente musicienne.

Voltaire commença à nourrir des craintes à partir des échos qui lui parvenaient des Menus Plaisirs, où une répétition était prévue le 14 février 1767 : Je crois qu’il y a des morceaux très agréables, mais on dit qu’en général la musique n’est pas aassez forte.

Lors de la répétition, sur la scène des Menus-Plaisirs, il apparut que le musicien n’avait pas répondu à la magnificence et à la beauté du poème. Il n’était plus question de représenter l’oeuvre devant la Cour, et Voltaire n’eut plus qu’à réconforter Laborde : Combattez, travaillez, opposez le génie au mauvais goût.

Voltaire garda un bon souvenir de la musique de Laborde, confiant à Chabanon (4) dans une lettre du 18 décembre 1767 : J’ai l’oreille dure, je suis un peu sourd ; cependant je vous avoue qu’il y a des airs de Pandore qui m’ont fait beaucoup de plaisir…. Tout ce que je sais, c’est qu’il y a dans la Pandore de M. de la Borde des choses qui m’ont fait un plaisir extrême. J’ai d’ailleurs de fortes raisons qui m’attachent à cette Pandore.

Voltaire espéra que sa pièce serait retenue pour les fêtes du mariage du Dauphin, futur Louis XVI, en 1770 ; puis à celles pour le mariage du comte d’Artois, futur Charles X, en 1773 .

Mais le sort en avait décidé autrement. Comme le dit succinctement Beuchot : il n’en fut rien : Pandore n’a jamais été jouée.

Jean-Claude Brenac – mars 2009

NB. cet éditorial n’aurait pas été possible sans le passionnant ouvrage de Mathieu Couty – Jean-Benjamin de Laborde, ou le Bonheur d’être fermier-général – éditeur Michel de Maule

(1) Eugène de Thuret avait déjà dirigé l’Académie royale de 1733 à 1744.

(2) Charles-Augustin de Ferriol d’Argental, neveu de la romancière Madame de Tencin. Il fut ambassadeur de France à Parme et à Plaisance.

(3) Marie-Louise Mignot (1712 – 1790), devenue Mme Denis, fille de la soeur aînée de Voltaire, veuve à trente-deux ans, vécut auprès de Voltaire jusqu’à sa mort.

(4) Michel-Paul-Gui de Chabanon (1730-1792), auteur tragique et musicographe, académicien en 1779, ami de Voltaire