Didascalie, ma jolie

Vous êtes las des dérives – voire des excès – des metteurs en scène « modernes »? Vous êtes excédé des « transpositions » aussi inévitables qu’hasardeuses – Jules César en complet veston, Rinaldo en treillis, etc. ? Vous êtes déconcerté par les incohérences entre ce que vous entendez et ce qu’on vous donne à voir ? Vous êtes indigné d’un certain mépris pour les chanteurs – à qui il devient de bon ton de faire adopter des positions impossibles ?

Vous rêvez d’une mise en scène conforme à l’esprit de ceux qui ont écrit et le livret et la musique ?

Réjouissez-vous, elle existe ! elle porte même un nom : didascalies.

Ce joli mot grec désigne les indications scéniques ou d’interprétation, extérieures aux dialogues, écrites par l’auteur de la pièce.

Curieusement, il semble avoir disparu du vocabulaire de l’opéra. Ainsi ne figure-t-il même pas dans le « Vocabulaire de l’opéra » de Pierre Saby.

Et pourtant ! Les didascalies, pour peu qu’on prenne la peine de les lire et qu’on laisse courir son imagination, composent une merveilleuse mise en scène virtuelle que l’on peut voir se dérouler à chaque audition d’un enregistrement. Les descriptions scéniques sont parfois si précises, si imagées, si évocatrices, qu’elles recréent devant nous tout un décor, une ambiance, une action.

Les exemples abondent dans les opéras baroques, ce qui montre que ces derniers n’étaient pas si bâclés que certains voudraient nous le faire croire, et que si les arias avaient la faveur du public, la scénographie n’était pas en reste. Il suffit, pour s’en rendre compte, de prendre la peine de lire le livret. Avouons que ce n’est pas toujours le cas, même quand l’éditeur a eu l’élégance de l’insérer dans la plaquette, avec la traduction en français !

Le « Cleopatra e Cesare » de Carl Heinrich Graun, récemment réédité par Harmonia Mundi, en donne une illustration exemplaire. Son livret est très décrié – alors qu’il est calqué sur celui du Giulio Cesare de Haendel, dont on dit plutôt du bien…Les didascalies y abondent, et font dérouler devant notre imagination un merveilleux spectacle.

Dès la première scène, le décor est planté : « Le port d’Alexandrie, avec la ville au fond. La flotte de l’armée de César, sous le commandement du Général Lentulus, accoste sur littoral au son d’une fanfare militaire. » Quelques lignes, et on s’y croirait !

Autre exemple, lorsque Cornelia vient pleurer sur les cendres de Pompée : « Une grande cour entourée de colonnes et de statues dont le centre est occupé par un splendide socle sur lequel est posée l’urne cinéraire de Pompée. Un bûcher, un tripode, une vasque, quelques herbes sacrées, du feu et des parfums rituels. » Voilà pour le décor ! Quant à l’action : « Elle verse la liqueur sacrée sur la braise, lève les yeux sur l’urne et se saisit du poignard. » Suspense insoutenable !

Même en plein drame, un certain humour est parfois présent dans les didascalies. Ainsi, au début de l’acte II, après une description longue et précise du siège d’Alexandrie : »Une vaste plaine avec de nombreux campements arabes et égyptiens. On aperçoit une partie des murailles de la ville dont la porte est fermée par un pont-levis. Le long des créneaux des murs d’enceinte se tiennent des soldats romains. Des machines de guerre sont pointées vers la ville, les soldats égyptiens et arabes sont prêts à donner l’assaut. », les didascalies indiquent : « Nuit de lune ». Savoureuse précision !

Hélas ! les metteurs en scène ont jeté les didascalies aux orties. Prétextant que l’authenticité n’existe pas, ils se refusent à tout ce qui pourrait ressembler à une « reconstitution » ou à une mise en scène au premier degré – qui est pour eux le niveau zéro -, et nous infligent leur « vision », leur « interprétation ». Alors qu’on ne leur en demande pas tant !

Et on attend avec impatience celui qui osera montrer que didascalies ne rime pas forcément avec péplum des studios de Cinecitta.

Jean-Claude Brenac – Juillet/août 2003