Que de disgrâces pour le Musicien des Grâces !

On doute que Jean-Joseph Mouret ait été surnommé le Musicien des Grâces de son vivant. Cette appellation lui aurait été donnée en 1749, et doit être complétée : Musicien des Grâces et de la gaieté. De la gaieté, en effet, il en remplissait sa musique, et celle-ci devint vite populaire. Aussi, en 1734, à cinquante-deux ans, Jean-Joseph Mouret pouvait-il se considérer comme un musicien comblé, et il pouvait être satisfait en contemplant le chemin parcouru depuis que, jeune Avignonnais, il avait débarqué à Paris, vingt-huit ans auparavant.

Mouret avait alors eu la chance d’être choisi comme Surintendant du duc et – surtout – de la duchesse du Maine. Il eut ainsi en charge l’organisation musicale des fameuses Nuits de Sceaux en 1714/1715, composant plusieurs intermèdes dont un, les Amours de Ragonde, devait initier le genre de l’opéra pastoral.

À l’Académie royale, dont il avait été chef d’orchestre pendant quatre ans, il avait donné des tragédies en musique (Ariane, Pirithoüs), mais aussi des ballets dont l’un, Les Fêtes de Thalie, aurait suffi à sa gloire.

Mêlant les genres, il avait, pendant près de vingt ans, été le compositeur attitré du Théâtre italien, composant des divertissements pour plus de cent-quarante comédies, pastorales, parodies, divertissements.

Pendant six ans, il avait été le directeur artistique du Concert Spirituel, prenant la succession de Philidor.

Pour Mouret, la vie devait basculer en 1734. Les ennuis avaient commencé en 1730, avec le décès de Michel de Lannoy, associé avec lui et Pierre Simard pour l’organisation du Concert Spirituel, et le procès intenté contre eux par sa veuve. La nomination par le Roi de deux médiateurs avaient toutefois permis de mettre rapidement un terme aux prétentions de cette dernière, et un arrêt avait clos l’affaire en juillet 1731.

En même temps, le bail du Concert Spirituel avait dû être renouvelé, à des conditions moins favorables, avec une Académie royale entrée dans une période de turbulences, marquées par d’incessants changements de direction. En cette occasion, Mouret avait bien manoeuvré, abandonnant à temps, en avril 1733, sa situation d’associé, pour ne conserver que sa fonction de directeur artistique. Mais en décembre 1734, l’Académie royale avait décidé de reprendre à son compte la gestion du Concert Spirituel, et mis fin aux fonctions de Mouret.

Et voilà que 1735 s’annonçait sous de mauvais auspices. Le Théâtre italien, pour lequel il avait tant travaillé, mettait fin à ses fonctions de compositeur attitré, pour le remplacer par Adolphe Benoit Blaise, bassoniste de l’orchestre de la Comédie italienne.

Certes Mouret n’était pas encore un musicien oublié. Mais le Ballet des Grâces, représenté en mai à l’Académie royale, ne dépassa pas les douze représentations. Heureusement, les Fêtes de Thalie, reprises en juin, rencontra à nouveau le succès, avec trente-six représentations. Le Mercure pouvait écrire : Cette dernière reprise n’a pas démenti le succès que ce ballet eut dans sa nouveauté ; il est reçu aujourd’hui très favorablement du Public, et goûté autant qu’il l’ait jamais été.

Mais un malheur n’arrive jamais seul. Le duc du Maine était mort le 21 mai de 1736, dans d’atroces souffrances. Et la fonction de Surintendant de la musique à la cour de Sceaux avais pris fin.

Que restait-il à Mouret pour faire vivre sa femme et sa fille ? Une pension de Chantre de la Musique à la Chambre du Roi. Pas de quoi doter sa fille !

Les premiers symptômes de la folie semblent être apparus en 1737, que la pension de mille livres octroyée par un prince de Carignan compatissant ne put enrayer.

Le 14 avril 1738, par ordre du Roi, on dut l’enfermer chez les Pères de la Charité à Charenton. Les remèdes n’ayant causé aucun effet, il mourut le 22 décembre de la même année, à cinquante-six ans.

Disgrâce posthume : Mouret fut rapidement oublié. Et ne l’est-il pas encore aujourd’hui ? À quand une résurrection des Fêtes de Thalie ?

Jean-Claude Brenac – avril 2009