Dassoucy, poète et musicien, empereur du burlesque

En 1650, l’histoire de la scène dramatique française s’enrichit d’une double contribution aux genres d’où émergera bientôt l’opéra : la pièce à machines et la comédie en musique.

L’auteur en est un musicien pas comme les autres, plus connu pour ses « Aventures burlesques », ses amitiés – souvent devenues inimitiés – avec Molière, Lully, Chapelle, Cyrano ou Charpentier, ses moeurs libertines et ses démêlés avec la justice.

Fascinant personnage que Charles Coypeau, sieur Dassoucy, qui se surnommait lui-même « empereur du Burlesque, premier du nom ». Poète, joueur de théorbe, il parlait grec, hébreu, chaldéen, syriaque, se disait descendre de Nostradamus, professait une théorie musicale de l’existence de Dieu, et inventa les tournées artistiques en province en parcourant la France, accompagné d’un âne porteur de luths, violons et partitions, et…de deux jeunes pages de musique androgynes.

Né en 1604, il fut luthiste et chansonnier à la cour de Louis XIII, avant de partir, en 1639, à Turin, avec le comte d’Harcourt qui commandait l’armée du Piémont. Il revint à Paris en 1647, écrivit « L’Ovide en belle humeur », parodie burlesque, et composa, en 1650, la musique de l’Andromède de Pierre Corneille, ainsi qu’une pastorale « Les Amours d’Apollon et Daphné ». Il reprit ses tournées artistiques le long des routes, et c’est à Carcassonne qu’il rencontra, fin 1651, la troupe de Molière qu’il accompagna pendant plusieurs mois. Il fit de la prison à Montpellier, en sortit pour se rendre de nouveau à Turin. Il y était vers 1654, puis à Mantoue en 1658 – où le duc Charles III fit émasculer son page pour garder sa voix intacte -, trouva refuge à Modène, puis à Florence en 1659, où il charma la grande duchesse de Toscane aux sons du luth ou du théorbe, enfin à Rome en 1662, où il fit connaissance avec les geôles du Saint-Office, dénoncé pour athéisme par…son page. Il était de retour à Paris en 1670, où l’attendait une vive déception lorsque Molière lui préféra Marc-Antoine Charpentier pour composer la musique du « Malade imaginaire ». En 1673, il fut enfermé au Grand-Châtelet, accusé de sodomie. C’est là qu’on raconte que Lully venait lui jouer l’aubade sous la fenêtre de son cachot. Six mois après, il était libéré, et entra dans la Musique du roi. Il écrivit ses « Aventures », et mourut en 1677, après une vie – ô combien ! – remplie.

Dassoucy aurait peut-être pu figurer en bonne place dans les Histoires de la musique si…ses compositions dramatiques n’avaient été perdues.

Perdue, la musique composée pour la tragédie « Andromède » de Pierre Corneille. C’est durant le carnaval de 1650 qu’est représentée au théâtre du petit Bourbon cette pièce à machines, assortie de musique. Machines et musique y sont étroitement liées, mais les spectateurs ne semblent avoir accordé leur attention qu’aux premières. Les gazettes décrivent à l’envi les effets visuels du sorcier Torelli, dont plusieurs gravures ont gardé le souvenir : ainsi au premier acte, Vénus apparaît en gloire au dessus de la place publique du royaume de Céphé, s’avançant « lentement, sans que l’oeil puisse découvrir à quoi elle est suspendue ».

A l’acte II, cette place publique s’évanouit en un instant, pour faire place à un jardin délicieux; les grands palais qui la bordaient sont changés en vases de marbre blanc portant, les uns des statues d’où sortent des jets d’eau, les autres des myrtes, des jasmins… De chaque côté, un rang d’orangers forment un admirable berceau jusqu’au milieu du théâtre, et le séparent ainsi en trois allées, que l’artifice ingénieux de la perspective fait paraître longues de plus de mille pas.

Puis  » le tonnerre commence à rouler avec un si grand bruit, et accompagné d’éclairs redoublés avec tant de promptitude, que cette feinte donne de l’épouvante, aussi bien que de l’admiration, tant elle approche du naturel. On voit cependant descendre Éole avec huit Vents, dont quatre sont à ses deux côtés, en sorte toutefois que les deux plus proches sont portés sur le même nuage que lui, et les deux plus éloignés sont comme volant en l’air tout contre le même nuage. Les quatre autres paraissent deux à deux au milieu de l’air sur les ailes du théâtre, deux à la main gauche, et deux à droite.»

Mais le clou du spectacle est à l’acte III, lorsque Persée montant son cheval ailé Pégase, vient au secours de la belle Andromède attachée à un rocher et menacée par le vilain dragon.

Et la musique ? faute de commentaires, on ne peut que l’imaginer à partir du livret. Il est vrai que Corneille,comme il le dit lui-même, s’était bien gardé de « ne rien faire chanter qui fût nécessaire à l’intelligence de la pièce ». En quoi consistait-elle ? dans le prologue, Melpomène, muse de la tragédie, chante, de concert avec le Soleil, un air à la louange du roi, dont le choeur répète les derniers vers. Au Ier acte, un choeur de musique exécute l’hymne « Reine de Paphe et d’Amathonte. Au IIe acte, une nymphe de Phinée – l’amant d’Andromède – chante un air, puis dialogue avec le page de Phinée, dans un air à couplets et refrain. Au IIIe acte, un choeur vient soutenir l’action de Persée et célèbre son triomphe. Au IVe acte, le choeur exécute un chant nuptial en l’honneur de Persée et Andromède. Au Ve acte, le choeur intervient encore pour hâter l’apparition de Jupiter, puis la pièce se termine par un ensemble vocal.

Perdue, aussi, la musique, composée en 1650, d’une pastorale en musique « Les Amours d’Apollon et Daphné ». L’oeuvre fait encore alterner les airs chantés et les vers déclamés, et il faudra attendre encore près de dix ans avant qu’apparaisse une pastorale entièrement chantée en langue française, la « Pastorale d’Issy » de Cambert. Au Ier acte, Apollon et Daphné chantent chacun une chanson, et pour terminer l’acte, l’Amour fait entendre un air. Au IIe acte, Apollon et Daphné exécutent un dialogue en musique. Le Dieu est amoureux de la Nymphe qui s’enfuit après que celui-ci lui a déclaré sa flamme. Apollon exprime alors sa désolation, mais en déclamant, et c’est l’Amour qui, à sa place, chante un air sur le ton railleur qui caractérise la pièce. Le IIIe acte débute par un dialogue parlé entre Apollon et Pénée, père de Daphné. La Nymphe s’endort et Apollon la berce d’un air de sommeil italien « Dormite, belli occhi ». Soudain, Daphné se réveille, repousse Apollon et se métamorphose en laurier. Alors, le Dieu dit son désespoir dans un monologue qui se termine par l’air « O douleur, ô fureur » que Daphné coupe de ses consolations. Une chanson de l’Amour termine la pièce.

Certains veulent voir dans « Les Amours d’Apollon et Daphné » le premier opéra-comique français, »comique » s’entendant pour une comédie en musique. Curieuse destinée que celle de la légende de Daphné, nymphe transformée en laurier au moment où elle allait être étreinte par Apollon : elle n’aurait pas seulement présidé à la naissance de l’opéra italien (la « Dafne » de Peri, perdue, celle de Marco de Gagliano, conservée) et de l’opéra allemand (la « Dafne » de Heinrich Schütz, perdue), mais aussi à celle de la comédie en musique à la française.

Jean-Claude Brenac – avril 2005