Sans eux, pas de « Vivaldi Renaissance » !

A l’automne 1926, Luigi Torri (1863-1932), , directeur de la Bibliothèque nationale universitaire de Turin, se vit proposer un fonds d’éditions musicales manuscrites, par le recteur du Collège salésien (1) de S. Carlo di Borgo San Martino, près de Casale Montferrato (2), désireux de financer la rénovation de ses bâtiments. Afin d’en apprécier l’intérêt, Torri se rapprocha de son ami Alberto Gentili (1873-1954), professeur d’Histoire de la musique à l’Université, spécialiste de la musique des XVIIe et XVIIIe siècles. Ce dernier constata la présence, parmi les quatre-vingt-quinze volumes proposés, de quatorze contenant des manuscrits de Vivaldi. La Bibliothèque ne disposant pas des fonds nécessaires, et l’Etat s’étant récusé, Alberto Gentili rechercha un mécène et persuada Roberto Foa (1885-1957), un agent de change turinois, de financer – pour 300 000 lires – l’acquisition et de faire un leg à la Bibliothèque, ce qu’il fit au nom de son fils Mauro, récemment disparu à l’âge d’un an.

Il apparut rapidement que le fonds Foa ne représentait qu’une partie d’une ancienne collection, divisée à une époque imprécise, et tout fut mis en oeuvre pour trouver l’autre partie de la collection des manuscrits. Les recherches auprès du Collège de Montferrat montrèrent que les manuscrits leur avaient été légués par la marquise Francesca Da Passano, veuve du marquis Marcello Durazzo, mort en 1922, au château d’Occimiano, près de Borgo San Martino, où il s’était retiré.

On confia alors au marquis Faustino Curlo, bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de Turin, le soin de prendre contact avec le marquis Giuseppe Maria Durazzo, neveu du marquis Marcello Durazzo, qui résidait dans le palais familial à Gênes. Ce dernier prit ombrage d’apprendre que les moines de Montferrat avaient cédé leur fonds, et refusa dans un premier temps de laisser examiner sa propre bibliothèque. Il fallut l’intervention de son confesseur pour le convaincre de céder la seconde partie des manuscrits. L’acqquisition – pour 100 000 lires – requéra la participation d’un second mécène, en la personne de l’industriel textile turinois Filippo Giordano (1875-1952), qui fit un don à la Bibliothèque de Turin, lui aussi au nom de son fils, Renzo, prématurément mort à l’âge de quatre ans.

Le 30 janvier 1930, étaient ainsi réunis les 27 volumes d’oeuvres de Vivaldi, dont on put reconstituer les pérégrinations.

A la mort de Vivaldi, son frère Francesco, barbier et perruquier à Venise, avait hérité des manuscrits et du droit d’imprimer ses oeuvres. C’est à lui qu’un sénateur vénitien Jacopo Soranzo (1686 – 1750) les acheta. Le comte Soranzo était un grand collectionneur, et sa bibliothèque ne réunissait pas moins de 25 000 manuscrits.

Vers 1780, les manuscrits furent acquis auprès de la famille Soranzo par le comte Giacomo Durazzo. Giaccomo Durazzo (1717 – 1794) est un personnage qui a sa place dans l’Histoire de l’opéra. Issu d’une vieille famille génoise, il fut nommé, en 1749, ambassadeur de la République de Gênes auprès de la cour impériale à Vienne. Apprécié de l’impératrice Marie-Thérèse, il délaissa la diplomatie pour devenir « directeur général des spectacles » en juin 1754. A ce titre, il acclimata à Vienne l’opéra comique à la française, faisant mettre en musique par Glück des pièces de théâtre de la Foire que lui envoyait Favart. Ses réformes soulevèrent toutefois une opposition qui le contraignit à démissionner en 1764. L’impératrice le nomma alors ambassadeur d’Autriche à Venise, où il s’installa dans un palais situé sur le Grand Canal, et qui contenait un théâtre privé. Il avait commencé à collectionner les oeuvres de Haydn, et il poursuivit la constitution d’une riche bibliothèque musicale. Outre les manuscrits rachetés à la famille Soranzo, il semble avoir acheté un fonds d’oeuvres de Vivaldi directement auprès de la Pieta.

Giacomo Durazzo et son épouse
Son petit-fils Girolamo Luigi Francisco Durazzo (1739 – 1809), connu pour avoir été l’unique doge de la République ligurienne (3), d’août 1802 à juin 1805, les fit transporter à Gênes, dans le palais Durazzo, via Balbi (4).

Palais Durazzo à Gênes
En 1893, la collection fut partagée en deux moitiés entre les frères Marcello (1842-1922) et Flavio Ignazio (1849-1925) Durazzo. C’est donc la veuve de Marcello qui fit don de sa demi-collection au collège salésien de San Carlo.

Le fonds Foa compte 87 manuscrits et 66 oeuvres imprimées, le fonds Giordano 167 manuscrits et 145 oeuvres imprimées. Les 27 volumes vivaldiens comprennent 8 consacrés aux concertos, 5 à la musique sacrée, 2 aux cantates, et 12 aux oeuvres théâtrales.

 

(*) pensionnat fondé en 1864 par San Giovanni Bosco, tenu par des prêtres de Saint-François-de-Sales

(*) située à peu près à égale distance de Turin, Gênes et Milan

(*) la République ligurienne avait été créée par Bonaparte en 1797 pour succéder à la République de Gênes. Elle fut annexée à l’Empire en 1805.

(*) actuel Palazzo Reale, ainsi appelé pour avoir été acquis en 1823 par Charles-Félix de Savoie, à la suite de la l’annexion de l’ex-République de Gênes, en 1815, par le Royaume Sarde.

 

Jean-Claude Brenac – Août 2007