DVD Elena

COMPOSITEUR Francesco CAVALLI
LIBRETTISTE Giovanni Faustini et Niccolo Minato

 

ORCHESTRE Cappella Mediterranea
CHOEUR
DIRECTION Leonardo Garcia Alarcon
MISE EN SCÈNE Jean-Yves Ruf
DÉCORS Laure Pichat
COSTUMES Claudia Jenatsch
LUMIÈRES Christian Dubet

 

Elena,Venere Emöke Baráth
Menelao Valer Barna-Sabadus
Teseo Fernando Guimarães
Peritoo Rodrigo Ferreira
Ippolita, Pallade Solenn’ Lavanant
Iro Emiliano Gonzalez Toro
Tindaro, Nettuno Scott Conner
Menesteo, la Pace Anna Reinhold
Erginda, Giunone, Castore Mariana Flores
Eurite, La Verita Majdouline Zerari
Diomede, Creonte Brendan Tuohy
Euripilo, La Discordia, Polluce Christopher Lowrey
Antiloco Job Tomé

 

DATE D’ENREGISTREMENT juillet 2013
LIEU D’ENREGISTREMENT Théâtre du Jeu de Paume – Aix en Provence

 

EDITEUR Ricercar
DISTRIBUTION
DATE DE PRODUCTION 21 juillet 2014
NOMBRE DE DISQUES 2
FORMAT PAL
DISPONIBILITE
SOUS-TITRES EN FRANCAIS

 

 

Critique de cet enregistrement dans :

Classiquenews.com

 » Voici le temps d’ Elena (sommet lyrique, surtout comico satirique de 1659) dont l’histoire légendaire croise la figure initiatrice ici de la discorde. Dès le prologue, en geisha perverse et sadique en diable, l’allégorie distille son venin conquérant ; de fait, les héros auront bien du mal à se défaire d’une intrigue semé de chassés croisés et de quiproquos déconcertants… propres à éprouver leurs sentiments.
Les vénitiens n’ont jamais hésité à détourner la mythologie pour aborder les thèmes qui leur sont chers : l’opéra a cette vocation de dénonciation… sous son masque poétique et langoureux, il est bien question d’épingler la folie ordinaire des hommes, aveuglés par les flêches du désir… ainsi, c’est dans Elena, un cycle de travestissements et de troubles identitaires (d’autant plus renforcés que le goût d’alors favorise les castrats : voir ici le rôle de Ménélas qui en se travestissant en cours d’action, incarne au mieux cette esthétique de l’ambivalence), de quiproquos érotiques (ce même Mélénas efféminé devenu Elisa séduit immédiatement Pirithöus et surtout le roi de Sparte Tyndare), d’illusion enivrante et de guerre amoureuse (ainsi Thésée et son acolyte Pirithoüs sont experts en rapts, enlèvements, duplicité en tous genres, protégés et encouragés en cela par Neptune)…
Ailleurs, Francesco Cavalli imagine une fin différente (heureuse) pour sa propre Didone. Dans Elena, le compositeurs et son librettiste tendent le miroir vers leurs contemporains ; ils dénoncent de la société, avec force âpreté, tout ce que l’homme est capable en dissimulation, tromperie (édifiée comme il est dit par Ménélas en “vertu”).
Ici, les amours d’Hélène et de Ménélas sont sensiblement contrariées (sous la pression de Pallas, Junon indisposées) : la belle convoitée est aimée de Thésée, mais aussi de Ménesthée le fils de Créon, et naturellement de Ménélas : chacun veut s’emparer de la sirène et c’est évidemment Ménélas le plus imaginatif : se travestir en femme (Elisa) pour approcher Hélène lors de ses entraînements sportifs, mieux la courtiser. L’opéra vénitien excelle depuis Monteverdi dans l’expression des passions humaines, dans les vertiges de l’amour et le labyrinthe obsédant/destructeur du désir.
La production aixoise 2013, en effectif instrumental réduit (comme c’était le cas dans les théâtres vénitiens du Seicento – XVIIème) rend bien compte de la verve satirique de l’opéra cavallien, d’autant que la fosse jamais tonitruante, laisse se déployer l’arête du texte à la fois savoureux et mordant (le trait le plus révélateur, prononcé par les deux corsaires d’amour, Thésée et Pirithoüs est : “les femmes ne donnent que si on les force” : maxime incroyable mais si emblématique de ce théâtre rugueux, violent, sauvage). Il n’est ni question ici des ballets enchanteurs ni du sensualisme triomphant d’Ercole Amante (composé après Elena, pour la Cour de France et les noces de Louix XIV), ni de farce noire et tragique à la façon de La Calisto : le registre souverain d’Elena reste constamment la vitalité satirique et le délire comique : sous couvert d’une fable mythologique, Cavalli souligne la nature déréglée de l’âme humaine prise dans les rêts de l’amour ravageur (un thème déjà traité par les sceptiques Monteverdi et Busenello dans Le Couronnement de Poppée, 1642). Mais alors que l’opéra du maître Claudio, saisit et frappe par sa causticité désespérée, sa lyre tragique et sombre, voire terrifiante (en exposant sans maquillage la perversité d’une jeune couple impérial Néron/Poppée, totalement dédiés à leur passion dévorante/conquérante), Cavalli dans Elena, se fait le champion de la veine comique et bouffe (il n’oublie pas d’ailleurs de compenser les rôles principaux des princes, rois et dieux grâce au caractère délirant du bouffon, Iro/Irus, serviteur du roi Tyndare (jeu superlatif d’Emiliano G-Toro) : un concentré de bon sens frappé d’une claivoyance à toute épreuve : c’est le continuateur des rôles à l’esprit pragmatique des Nourrices chez Monteverdi)…
La production aixoise éblouit par l’assise et le relief de chaque chanteur acteur. Elle est servie par des protagonistes au jeu complet dont les qualités vocales sont doublées de réelles aptitudes dramatiques. Palmes d’honneur au couple des amants victorieux : Hélène et Ménélas (respectivement Emöke Baráth et Valer Barna-Sabadus) ; comme à la soprano Mariana Flores au timbre irradiant et à la projection toujours aussi percutante d’autant plus éclatante dans ce théâtre où brille l’esprit facétieux (son Erginda – la suivante d’Elena, pétille d’appétence, de désir, de vitalité scénique). La mise en scène est simple et lisible, soulignant que l’opéra baroque vénitien est d’abord et surtout du théâtre (dramma in musica : le drame avant la musique) renforce la modernité et la puissante liberté d’un théâtre lyrique qui légitimement fut le temple et le berceau de l’opéra public, en Europe, dès 1637.
Le geste du chef Leonardo Garcia Alarcon est fidèle à son style : animé, parfois agité, un rien systématique (y compris dans la latinisation de l’instrumentatarium, quand la guitare devient envahissante pour le premier récitatif de Ménélas…). Trop linéaire dans l’expression des passions contrastées, trop attendu dans la caractérisation instrumentale des personnages et de leur situation progressive : certes nerveux et engagé dans les passages de pur comique ; mais absent étrangement dans les rares mais irrésistibles moments d’abandon comme de langueur amoureuse ou de désespoir sombre. Ainsi quand le roi de Sparte Tyndare tombe amoureux de Menélas efféminé (Elisa, vendue comme Amazone prête à enseigner à la princesse Hélène, le secret de la lutte à la palestre) : soudain surgit dans le coeur royal, le sentiment dévorant d’un pur amour imprévu : on aurait souhaité davantage de profondeur et de trouble à cet instant. Même direction un peu tiède pour les duos finaux entre Ménélas et Hélène… Même pointe de frustration pour les airs d’Hippolyte, amante délaissée par Thésée (qui lui préfère la belle spartiate Hélène) : interprète subtil, Solenn’ Lavanant fait merveille par son verbe grave et articulée.
La magie de l’ouvrage vient de ce passage du labyrinthe des coeurs épris (gravitant autour d’Hélène véritablement assiégée par une foule de prétendants) à sa résolution quand s’accomplit l’attraction irréversible unique entre Hélène et Ménélas. La réalisation des couples (Thésée revenu à lui revient finalement vers Hippolyte) permet l’issue heureuse de la partition selon un schéma fixé par Monteverdi dans Poppée. Entre gravité et justesse, délire et cynisme, ce jeu des contrastes fonde essentiellement la tension de l’opéra cavallien. De ce point de vue, Elena est moins aboutie que l’assoluto Ulisse de Gioseffo Zamponi (précedémment édité chez Ricercar, “CLIC” de classiquenews de mars 2014). Outre cette infime réserve, ce nouveau dvd Cavalli mérite le meilleur accueil. Pour un traitement plus complexe et troublant des passions cavalliennes, le mélomane curieux se reportera sur la Didone version William Christie, enchantement total d’un théâtre comique, et langoureux traversés d’éclairs tragiques, d’une exceptionnelle sensibilité sensuelle (également disponible en dvd). »