CD Deidamia (2002)

L’oeuvreLe compositeur

DEIDAMIA

COMPOSITEUR

Georg Friedrich HAENDEL

LIBRETTISTE

Paolo Antonio Rolli

 

ORCHESTRE Il Complesso Barroco
CHOEUR
DIRECTION Alan Curtis

Deidamia Simone Kermes soprano
Ulisse Anna Bonitatibus mezzo-soprano
Licomede Antonio Abete baaryton
Achille Anna Maria Panzarella soprano
Nerea Dominique Labelle soprano
Fenice Furio Zanasi baryton

DATE D’ENREGISTREMENT Juillet 2002
LIEU D’ENREGISTREMENT Sienne – Teatro dei Rozzi
ENREGISTREMENT EN CONCERT oui

EDITEUR Virgin Classics
DISTRIBUTION EMI
DATE DE PRODUCTION juin 2003
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

 Critique de cet enregistrement dans :

Goldberg – avril 2004 – appréciation 4 / 5

« Deidamia mérite mieux que le jugement condescendant dont on l’accable si souvent. L’ultime opéra italien de Haendel est certes loin d’atteindre les sommets dramatiques d’un Tamerlano ou d’un Orlando, et pâtit de la présence en son sein de quelques airs anodins. Pourtant, l’ouvrage n’en constitue pas moins un témoignage étincelant de l’art lyrique du Saxon. Tout d’abord par la grâce d’une ribambelle d’airs sublimes. De l’atypique « Grecia tu offendi » d’Ulisse, à l’orée du drame, à l’étourdissant « Ai Greci questa spada » d’Achille, proche de sa conclusion, Haendel campe le plus souvent au sommet de l’inspiration musicale et de la sensibilité dramatique, dans un univers évoquant souvent les meilleurs airs du Messiah contemporain (« Nelle nubi intorno alfato, Consolati se brami »).

Hommage soit donc rendu à Alan Curtis, infatigable défricheur des répertoires oubliés, qui défend avec une belle conviction cette partition méjugée. Comme toujours, l’approche philologique du chef de Complesso Barocco (exposée dans un texte passionnant), débouche sur une lecture énergique et chamarrée de la partition. Curtis mêle habilement fougue et grâce pour modeler une pâte orchestrale généreuse, nourrie par un solide pupitre de cordes et un honorable pupitre de vents. Hormis Dominique Labelle, trop souvent dépassée par les exigences du rôle de Nerea, le prestigieux plateau réuni pour l’occasion convainc largement, avec en tête l’Ulisse plein de panache d’Anna Bonitatibus et le Licomede magistral d’Antonio Abete. »

L’Avant-Scène Opéra – novembre/décembre 2003

« L’interprétation est d’une belle venue avec un plateau vocal qui rivalise de qualités. Simone Kermes malgré un timbre assez neutre qui rend ses airs d’expression un peu génériques, fait preuve en revanche d’une belle virtuosité, par exemple dans les traits de son air de «rossignol» qui conclut le premier acte. La seconda donna, Dominique Labelle, ne lui est seconde qu’en termes d’importance du rôle, car pour les atouts vocaux elle pourrait fort bien la remplacer. Mais la révélation vient surtout d’Anna Bonitatibus, dont le beau mezzo se déploie avec splendeur dans un air amoureux au premier acte (peu adapté à son personnage) et qui dessine partout ailleurs avec beaucoup d’intelligence le retors Ulisse. Anna Maria Panzarella restitue bien la jeunesse et le caractère plutôt désinvolte du bouillant Achille dans des airs brefs très réussis. Enfin les deux basses Fenice et Licomede apportent une note grave bienvenue à ce festival de voix aiguës, avec pour le second un air de caractère qui n’est qu’un intermède dans une action déjà un peu lâche. Alan Curtis dirige avec beaucoup de conviction et autant d’efficacité que possible cette oeuvre secondaire mais non sans charme que peut-être le théâtre pourrait réussir à sauver. »

Crescendo – septembre/octobre 2003

« Le rôle titre est dévolu à une Simone Kermes superbe tant dans l’espoir que la tristesse, n’hésitant pas à aller jusqu’au filet de voix, tout en lui gardant corps et couleur, pour exprimer les sentiments de l’héroïne, ornementant les reprises des airs avec un réel bonheur et une pertinence de ton remarquable. Son ami Achille, chanté par Anna Maria Panzarella est tout aussi bien défendu et la virtuosité ainsi que la chaleur de la voix de Anna Bonitabus donnent à Ulysse la carrure qui lui convient. A part quelques petites erreurs de justesse, Dominique Labelle (Nerea) mérite les mêmes éloges que ses collègues féminines, Les deux barytons, Furio Zanasi (Fenice) et Antonio Abete (Licomede) ont des voix chatoyantes et bien modelées mais évitent bizarrement l’ornementation des da capo. S’agit-il d’une volonté délibérée ? ou d’un manque de familiarité avec l’exercice ? Il Complesso Barocco est en grande forme sous la direction d’Alan Curtis qui a préparé cette production par un travail musicologique fouillé sur les sources du compositeur dont il s’est fidèlement inspiré. Ce que l’on pourrait qualifier de sobriété intellectuelle se traduit avec lui par une grande générosité artistique, chose primordiale pour l’auditeur, et qui fait de cette production un superbe hommage à une oeuvre qui, en plus d’avoir été très peu jouée à l’époque de sa composition, a dû attendre plus de deux siècles avant d’être ressuscitée. »

Opéramag – septembre/octobre 2003

« Voici donc Alan Curtis aux prises aveec Deidamia, l’ultime ouvrage lyrique de style italien du compositeur. Sans être un chef-d’oeuvre, cette partition composée en 1740 et d’une facture plutôt honorable renferme quelques beautés, qui, au fil d’un livret alambiqué sans grande tension dramatique (et inspiré d’épisodes de la Guerre de Troie), distillent un charme indéniable. Pas plus que Rudolph Palmer récemment chez Albany, Curtis n’apparaît pourtant comme le chef imaginatif et charismatique, indispensable pour tirer toutes les ficelles (aussi frêles soient-elles) de ce psychodrame mythologique. Les chanteurs qu’il rassemble pour cet enregistrement en sont révélateurs : sans grande personnalité (excepté Anna Bonitatibus), ils incarnent avec placidité des héros qui ne demandent pourtant qu’à s’enflammer et prendre place au coeur de l’intrigue. Malheureusement, la passion n’est pas ici de mise et Simone Kermes, voix droite et juvénile, n’a ni la couleur ni vraiment les moyens qu’exige le rôle de Deidamia. Seule, l’excellente Anna Bonitatibus campe un Ulisse remarquable de suavité et d’énergie. L’orchestre, enfin? On l’imagine faire des miracles sous d’autres baguettes car s’il brille à certains moments, ce n’est pas nécessairement grâce à la direc-ion très  » politiquement correcte  » d’Alan Curtis. Un Haendel vraiment trop sage. »

Classica – septembre 2003 – appréciation 4 / 5

« Le rôle d’Achille jeune est tenu par une soprano, et même en modérant comme le fait Alan Curtis les ardeurs initiales du compositeur, qui avait rallongé le rôle de Nerea en vertu de ses qualités scéniques, il subsiste une domination féminine écrasante tout au long de l’opéra, Ulysse étant également incarné par une mezzo. L’instrumentation elle aussi semble se mettre à l’unisson de cette distanciation: violons, hautbois, bassons, et rarissimes interventions de cuivres… L’héroïsme guerrier reste en berne. On l’aura compris : quelques arias magnifiques qui ne dépareraienl pas dans un récital, et des interpretes vocaux sans reproche ne suffisent pas à empêcher l’ennui de s’insinuer dans ces longues pages. D’autant que le livret ne s’adresse qu’aux italo ou anglophones… »

Diapason – septembre 2003 – appréciation 4 / 5 – technique 7 / 10

« Alan Curtis aime Haendel et le théâtre italien…Comment se fait-il alors qu’elle se transmette si timidement au public. Est-ce le goût du chef pour l’opéra de salon (orchestre piccolo, format vocal réduit, ton de la confidence) qui s’égare dans d’aussi vastes ouvrages ? Est-ce le jeu fin mais monotone de cordes si près de l’accent qu’elles en perdent la phrase (quelques pailles techniques pouvant être, dans ce cas, la conséquence du « semi live » ? Ou est-ce le choix de chanteurs admirables mais peu caractérisés ? Comme dans le Tamerlano de Pinnock, exceptons la mezzo Anna Bonitatibus, voix saine et centrée, parfaitement crédible en guerrier juvénile et non moins à l’aise dans la vocalise que dans le pur cantabile. Le cantabile, la soprano Simone Kermes ne connaît que lui : ce sont les consonnes, le rythme et la chaleur qui lui feraient défaut ; mais son amoureuse trahie, toute fluide et morbidezza (et contre-notes extravagantes alla Sutherland), ne manque ni de souplesse ni de charme. Panzarella raffine son Achille « fillette » et les autres ne sont jamais indignes. »

Répertoire – septembre 2003 – appréciation 8 / 10

« Ce coffret constitue plutôt un bon opus de la discographie haendélienne d’Alan Curtis et du Complesso Barocco. Cette partition équilibrée, lumineuse, exempte de toute démesure dans la peinture des sentiments, semble leur avoir particulièrement bien convenu. La direction parait plus vivante et moins impersonnelle qu’à l’accoutumée, avec des effets d’expressivité bienvenus. L’équipe est elle-même d’une grande homogénéité, même si le chant parait parfois trop angélique, trop peu investi théâtralement, manquant globalement de feu et de passion. Ana Bonitatibus, en Ulysse, met toujours en valeur son beau timbre rond et chaleureux, apte à la vocalise et aux écarts comme au lento dépouillé. Anna Maria Panzarella fait également valoir les mêmes qualités qu’à l’accoutumée, celles d’un chant parfait, peut-être un peu trop féminin pour celui qui sera bientôt le grand Achille (et qui connaît au cours de [‘oeuvre une virilisation progressive). Dominique Labelle en Nerea, suivante de Deidamia, possède un beau timbre moelleux et de beaux aigus, mais diction et incarna-tion sont un peu molles parfois. Rien à redire des derniers rôles, tenus par les irréprochables Zanasi et Abete.

Dans le rôle titre, Simone Kermes fait valoir de très beaux aigus, une magnifique ligne de chant, une vocalise impeccable et beaucoup de style, mais son incarnation reste assez froide, avant tout musicale, avec un certain refus du chant plein et rond. Ses sept airs restent toutefois très recomman-dables, et font même, dans le cas de  » Se ‘l timore  » (grand air presque a capella qu’elle conclut par une magnifique cadence : un sommet !) et de « M’hai resa infelice « , tout le prix du coffret. »

Le Monde de la Musique – septembre 2003 – appréciation 3 / 5

« Alan Curtis sert admirablement cette oeuvre en suppléant aux chutes d’inspiration par une grande souplesse de rythme et de climats. Le quatuor des dames est souverain, bien que leurs timbres se distinguent insuffisamment les uns des autres. Il est dominé par l’Allemande Simone Kermes…Sa musicalité et l’amplitude de sa voix devraient faire d’elle une artiste majeure, si elle parvient à juguler son penchant pour la préciosité qui rend parfois certaines notes inaudibles. Les deux barytons, surtout Antonio Abete, chantent avec un relief moins soutenu. »

 La critique d’Alexandre – appréciation 14 / 20

http://handel.free.fr/gfhopera.htm#Agrippina

 Forum Opéra

« Composé à l’automne 1740, Deidamia appartient à cette veine plus légère dans laquelle Haendel vient de s’illustrer avec Serse (1738) et Imeneo (1740). Le livret s’inspire du mythe, postérieur à Homère, de l’enfance d’Achille. Alarmés par une prédiction qui annonce la mort de leur fils lors de la guerre de Troie, les parents d’Achille l’envoient sur l’île de Scyros où il devra vivre incognito, déguisé en pucelle. Mais le subterfuge ne pouvant qu’être découvert, le jeune homme devient secrètement l’amant d’une des filles de Lycomède, roi des Dolopes : Deidamie. Cependant, les Grecs apprennent qu’ils ne pourront vaincre sans Achille et Ulysse est chargé de le retrouver. Pour confondre l’éphèbe qu’il devine sous les traits de Pyrrha, Ulysse feint de courtiser la belle, mais celle-ci dédaigne trop virilement ses avances et confirme ses soupçons. Piégé une seconde fois par Ulysse et Phénix (ambassadeur d’Agamemnon), Achille accepte avec enthousiasme de rejoindre les troupes grecques, au grand dam de Deidamie qui le maudit.

Haendel s’est peu exprimé dans le genre comique et les chefs-d’oeuvre y voisinent avec les semi-échecs. Si Agrippina et Serse se rangent à l’évidence dans la première catégorie, Deidamia relève de la seconde. Le public ne s’y est pas trompé, qui lui a réservé un accueil glacial. Quelques années plus tôt, l’intrigue aurait sans doute davantage excité l’imagination du compositeur. Haendel avait-il déjà fait son deuil d’une carrière lyrique désormais compromise lorsqu’il s’attela à son dernier opéra ? Dès le deuxième acte, il semble ne plus trop y croire et l’inspiration finit même par déserter un troisième acte où seul l’air d’Ulisse Come all’urto aggressor apporte un peu de sel à un ennuyeux badinage. On retiendra un premier acte équilibré et quelques très belles pages (l’arioso avec violoncelle de Deidamia Due bell’alme, l’air de Licomede Nel riposo e nel contento…), mais qui laissent vite place au seul métier du compositeur, en pilotage automatique pour un atterrissage en douceur, là où on attendait, sinon une progression jusqu’au climax, du moins quelques envolées. A la rigueur, ces morceaux pourraient entrer dans la composition d’un pasticcio, mais ils ne justifient pas que l’ouvrage entre au répertoire.

Alan Curtis nourrit une profonde admiration pour le théâtre de Haendel qu’il sert avec dévotion depuis une trentaine d’années. Cependant, après avoir réalisé combien la source est tarie, difficile de réprimer un sourire en découvrant les excuses que le chef tente de trouver à son idole [je souligne] : « Nous ne savons pas pour qui le rôle de Nerea fut initialement conçu, mais il fut à la hâte et à la dernière minute augmenté – sans doute était-ce la condition pour qu’elle accepte de le chanter – pour la célèbre soprano italienne Maria Monza. […] Par contre, soit que Haendel ait manqué de temps ou que son invention ait tourné court, l’augmentation de l’air Quanto ingannata à l’Acte III, de la section A seulement jusqu’au da capo de rigueur, et plus particulièrement celle de Non vuò perdere, la nouvelle version sur mètre binaire se révélant d’une fastidieuse longueur, ne constituent certes pas une amélioration, comme si Haendel s’était acquitté à contrecoeur de son obligation envers Monza. « Si Haendel déçoit, c’est donc la faute à Monza ! L’amour est non seulement aveugle, mais il paralyse également. Alan Curtis semble redouter que la moindre tension dramatique ne violente la fragile Deidamia, il bannit toute idée personnelle comme si l’interpréter revenait forcément à la défigurer. Or c’est justement de fougue, de hardiesse, de fantaisie et d’investissement que cet opéra a cruellement besoin…

Simone Kermes fait une entrée remarquée (Due bell’alme), mais dès qu’elle quitte la stratosphère, c’est pour révéler un médium pauvre en couleurs et froid. Narcissique et obnubilée par ses atouts, la soprano susurre et soupire à l’envi, multipliant les pianissimi, quand elle ne s’égare pas dans des traits approximatifs et des suraigus douteux. Un lamento gâché par d’inutiles fioritures (Se’l timore) illustre le fossé qui sépare l’afféterie de la grâce, la musicienne du rossignol. On retrouve presque avec soulagement le soprano moelleux et plus charnel de Dominique Labelle (Nerea), qui affronte avec courage l’ambitus (deux octaves !) et les sauts d’intervalles d’un rôle trop tendu pour elle (Sì che desio). Furio Zanasi, qui avait fait fort impression dans le Farnace de Vivaldi (Alia Vox), est cette fois en petite forme. Antonio Abete habite son récitatif, mais sa partie exige des graves charnus et sonores qu’il n’a jamais possédés ; l’épreuve de la scène lui serait sans nul doute fatale. Pourquoi s’entêter à confier à des barytons des rôles bien plus confortables pour des basses ? Sans une once d’ambiguïté, l’Achille fillette d’Anna Maria Panzarella ne trouble jamais et passe inaperçu. En revanche, le héros de l’Iliade hérite d’un mezzo clair et chaud (Anna Bonitatibus), d’un bel abattage et d’une musicalité rayonnante.

« A vaincre sans péril… » Cette gravure éclipse la seule version concurrente, plombée par la médiocrité de son plateau (Ostendorf, Palmer, Baird, Fortunato, Albany Records). Elle revêt avant tout une indéniable valeur documentaire à laquelle tout haendelien qui se respecte devrait être sensible. »