Ballet de la Prospérité des Armes de France

Décor pour le Ballet de la Prospérité des Armes de France - G. Mariani

COMPOSITEUR François de CHANCY
LIBRETTISTE Jean Desmarest de Saint-Sorlin
ENREGISTREMENT ÉDITION DIRECTION ÉDITEUR NOMBRE LANGUE FICHE DÉTAILLÉE
2008 2008 Hugo Reyne Musiques à la Chabotterie 2 français

 

Ballet de cour, en cinq actes, comportant trente-six entrées, représenté, au Palais Cardinal, le 7 février 1641, devant le roi Louis XIII, la reine Anne d’Autriche, et le dauphin Louis Dieudonné, futur Louis XIV, alors âgé de deux ans et demi. Le ballet se présente comme une « comédie muette », mais comporte une musique vocale sous la forme de cinq récits, composés par François de Chancy.  Les entrées sont attribuables entre autres au jeune Louis de Mollier (1614-1688), à Pierre Chabanceau de La Barre (*), et au violoniste Michel Verpré, qui figuraient tous les trois parmi les chanteurs et danseurs, aux côtés de Lalun, Fresnoy, Robichon, Souville, Jacquier, Henaut, Le Goys, Brotin, Saint-André, Des Airs l’Aîné (**), tous musiciens de la Chambre du Roi. (*) Pierre Chabanceau de La Barre (1592 – 1656) fait partie d’une famille d’artistes des XVIe et XVIIe siècles. Il fut organiste de la chapelle du roi, joueur d’épinette d’Anne d’Autriche. Sa fille Anne fut une cantatrice renommée.

(**) Des Airs fera carrière sous le règne suivant, passant à la postérité sous le nom de « Des Airs l’Aîné », nom dû à l’arrivée, à la fin des années 1650, du « Des Airs le Cadet », sans doute un parent proche (un jeune frère ?). Des Airs semble avoir arrêté de paraître sur scène après le Ballet des Arts de Lully (1663), où il fait une brève apparition.

Le livret est attribué à Jean Desmarest de Saint-Sorlin, né en 1595 et mort en 1676 à Paris, conseiller de Louis XIII, chancelier de l’Académie française. Il écrivit des tragédies, des tragi-comédies, et surtout des comédies, puis des ouvrages à caractère religieux.

Jean Desmarest de Saint-Sorlin

Le ballet fut commandé par Richelieu (les contemporains l’appelaient d’ailleurs Ballet du Cardinal de Richelieu) pour célébrer officiellement les victoires d’Arras et de Casal sur les Espagnols, en réalité le mariage du duc d’Enghien, futur Grand Condé, avec la nièce du Cardinal, Claire-Clémence de Maillé-Brézé (*). Condé, qui paraît en Jupiter à l’acte IV, est d’ailleurs le véritable héros du ballet, ce qui ne fut pas du goût de Louis XIII : on rapporta que le Roi n’avait pas pris plaisir à voir le jeune prince si lumineux, et qu’il avait froncé le sourcil en disant : C’est bien de la grandeur ! (*) Claire-Clémence de Maillé-Brézé, alors âgée de treize ans, avait été promise à monsieur le Duc, futur Grand Condé, dès l’âge de cinq ans. Le mariage eut lieu le 7 février 1641 au Louvre, et la messe de mariage fut célébrée le 11 février par l’archevêque de Gondi. Au total on estime le coût des festivités à un million de livres.

Claire-Clémence de Maillé-BrézéÀ cette occasion fut inaugurée la salle des machines du Palais Cardinal (futur Palais Royal), salle à l’italienne commandée par Richelieu via Mazarin (son agent d’affaires en Italie) au décorateur et ingénieur romain Giovanni Maria Mariani, mandé exprès de Rome. Le Bernin avait été sollicité, en vain. Mariani était arrivé à Paris dans le courant de 1640, accompagné du peintre et paysagiste flamand Manciola, du stucateur Matteo Sassi, et de deux menuisiers, dits Tiberio et Francesco. La salle est la copie de la salle qui avait été édifiée à Rome en 1639 pour les Barberini au palais des Quatre Fontaines, et venait d’être inaugurée, le 14 janvier, avec la tragédie Mirame coécrite par Desmarets et par Richelieu, qui n’avait guère eu de succès. La salle aurait coûté au cardinal deux cents mille écus. Louis XIII, déjà mourant, ne dansa pas : c’était la première fois. Le ballet représente les prospérités de cette année par mer et par terre : au moins une partie, car il serait difficile de représenter en un soir ce qui a occupé durant tant de mois les veilles et les travaux de tant d’hommes, et l’attention de toute l’Europe . La rivalité entre la France et l’Espagne occupe une place importante. Ainsi les sièges de Casal (*), et d’Arras, en 1640, sont dépeints dans les première et quatrième entrées de l’acte III ; et, dans la troisième entrée de l’acte III, si l’Amérique et les Amériquains viennent présenter leurs trésors à l’Espagne. Mais, dans la cinquième, les galions français paraissent, combattent et brûlent ceux d’Espagne (**)(*) Le siège de Casal fait référence à la victoire, en septembre 1640, d’Henri de Lorraine, comte d’Harcourt (1601-1666) dit « Cadet la Perle », sur les Espagnols à Casal et à Turin. Le comte était d’ailleurs présent sur scène pour rappeler cet exploit. Le but (ou plutôt le prétexte) de l’expédition était de soutenir les prétentions au duché de Savoie de Christine de France, duchesse régente et soeur de Louis XIII.

(**) il s’agit ici de la victoire de Jean-Armand de Maillé-Brézé (1619-1646) au large de Cadix le 27 juillet 1640, sur la flotte espagnole de retour du Mexique, au large de Cadix. Le jeune maréchal, grand-maître des galères, était le neveu de Richelieu (le fils de sa soeur, mariée au maréchal de Brézé). C’est à cette victoire navale que fait allusion l’entrée des Américains présentant leurs trésors à l’Espagne, les gallions coulés étant chargés d’or des Amériques. Par la même occasion, Richelieu célébrait les glorieuses unions de sa famille : sa nièce avec un Bourbon (le duc d’Enghien, futur prince de Condé) et sa soeur avec un maréchal de France, mariage ayant donné naissance à un héros !

On exploita les machines au maximum : les Alpes s’ouvrent pour révéler Cazale au loin ; la terre fait place aux enfers. Le ciel est rempli de nuages portant tantôt l’Harmonie, tantôt les neuf Muses, tantôt la Gloire ; des chars volants passent en l’air. Sur la mer, des galions français combattent une flotte espagnole et la brûlent. Vers la fin, le duc d’Enghien lui-même, représentant Jupiter, descend sur son trône lumineux, et remet sa massue à l’Hercule gaulois, puis, ayant dansé, remonte au ciel.   Le ballet faisait appel à huit changements de décors. Le rôle de la Victoire était tenu par un acrobate, Cardelin, qui dansait sur une corde, environné de nuages, et suscita l’admiration de Michel de Marolles : Ce qu’il y a de plus exquis, furent les sauts périlleux d’un certain Italien (*) appelé Cardelin qui représentait la victoire dansant sur une corde cachée dans un nuage et parut s’envoler au ciel(*) en fait Cardelin n’était pas italien. C’est une erreur de Marolles, sans doute trompé par la sonorité de son nom. Cardelin s’appelait en réalité Philippe Campès, et il était en effet « voltigeur du roi », danseur et acrobate.

 La musique du ballet est connue grâce à une copie effectuée en 1690 par l’atelier d’André Danican-Philidor, sous le titre de Ballet de M. le Cardinal Richelieu. Mais celle-ci s’arrête à la quatrième entrée de l’acte IV, et toute la fin du ballet est perdue, à l’exception des récits de Chancy. D’autre part, elle ne contient que les parties hautes et basses, sans les trois parties intermédiaires. 

L’éditeur Robert Ballard ayant renoncé à imprimer des recueils avec la tablature de luth, les airs de Chancy pour le ballet ne furent publiés, chez Ballard, que trois ans après, en 1644, et sous forme d’airs polyphoniques à quatre parties (*), dans le 2e Livre d’airs de cour à 4 parties de François de Chancy. (*) c’est cette version qui a été retenue par Hugo Reyne dans son enregistrement du Ballet

 Synopsis

Compte-rendu imprimé dans la Gazette de Renaudot, sous forme d’un cahier séparé in-4° de seize pages Après avoir reçeu cette année tant de victoires du Ciel, ce n’est pas assez de l’avoir remercié dans les temples ; il faut encore que le ressentiment de nos cœurs esclatte par des réjouissances publiques. C’est ainsi que l’on célèbre les grandes festes. Une partie du jour s’emploie à loüer Dieu, et l’autre aux passe-temps honnestes. Cet hyver doit estre comme une longue feste après de longs travaux. Non-seulement le Roy et son grand Ministre, qui ont tant veillé et travaillé pour l’agrandissement de l’Estat, et tous ces vaillans guerriers qui ont si valeureusement executé ses nobles desseins, doivent prendre du repos et du divertissement ; mais encore tout le peuple se doit réjouir, qui après ses inquiétudes dans l’attente des grands succès, ressent un plaisir aussi grand des avantages de son Prince, que ceux mesmes qui ont le plus contribué pour son service et pour sa gloire. Les Ballets sont des comédies muettes, et doivent estre divisés de mesme par actes et par scènes. Les récits séparent les actes, et les entrées de danseurs sont autant de scènes. Celuy-cy représente les prospérités de cette année par mer et par terre : au moins une partie, car il seroit difficile de représenter en un soir ce qui a occupé durant tant de mois les veilles et les travaux de tant d’hommes, et l’attention de toute l’Europe. Acte I La grande toile qui cache le theatre, représentant un beau palais, s’ouvre peu à peu et découvre tout le theatre. Le theatre représente la terre ornée de bocages, et l’Harmonie paroist sur un siège soutenu par quantité de nuages, accompagnés d’oyseaux. Récit de l’Harmonie (Je suis l’agréable Harmonie) L’Harmonie s’estant retirée, le theatre s’ouvre, et l’Enfer paroist dans l’enfoncement. Première entrée : Monsieur le duc d’Anguien (d’Enghien), Messieurs de Brion, de Colligny (*) et de Roussillon (**), et les sieurs de Verpré et de St André, représentans six Démons : l’Orgueil, l’Artifice, le Meurtre, le Désir de régner, la Tyrannie et le Désordre. (*) Monsieur de Colligny : Maurice de Coligny (1618-1644), frère du célèbre duc de Châtillon (1620-1649), qui fut tué en défendant le parti de la reine et de Mazarin pendant la Fronde. Il fut tué dans un duel sur la Place Royale par le duc de Guise, duel pour les faveurs de Mme de Longueville, soeur du prince de Condé.

(**) comte de Roussillon : François-Antoine de Clermont-Chaste, mort en 1694, était capitaine sous-lieutenant des gendarmes de la maison d’Orléans, dont le chef, Gaston d’Orléans, frère du roi, était alors en exil en Flandres

Entrée 2 : le sieur des Airs et quatre petits garçons representans Pluton et quatre petits Démons. Entrée 3 : Les sieurs de Mémont (*), Gondreville (**), Molier (***) et Lalun, représentans Proserpine accompagnée de trois Parques. (*) sieur de Mémont : gentilhomme normand de Franqueville, près du Havre, qui fut complice dans la Cabale des Malcontents, puisqu’il hébergea la duc de Beaufort en fuite vers l’Angleterre. En 1641, le sieur de Mémont était sans doute de l’entourage de Gaston d’Orléans, ou de la maison de Vendôme, deux pôles ennemis de Richelieu.

(**) Monsieur de Gondreville était l’écuyer d’Henri II d’Orléans, duc de Longueville, prince et pair de France, qui sera plus tard un des plus enragés frondeurs contre Mazarin. En attendant, il conspire également contre Richelieu, avec les Vendôme, les Elbeuf, Gaston d’Orléans, etc.

(***) Molier : Louis de Mollier, dit plus tard le Petit Molière

Entrée 4 : Les sieurs de Looze (*), Montau et La Barre (**), representans les Furies tenans des serpens en leurs mains. Un aigle descend d’une nuée, et deux lions sortent de leurs cavernes. Les Furies touchent de leurs serpens l’aigle et les lions pour leur inspirer la fureur. L’Enfer se referme et la Terre paroist comme auparavant. (*) le sieur de Looze : Charles de Hannique de Benjamin, seigneur de Looze, Beaumont et autres lieux, était le premier écuyer de Gaston d’Orléans

(**) La Barre : Pierre Chabanceau de La Barre (1592 – 1656)

Entrée 5 : Les sieurs Le Goys et Souville, représentans Mars et Bellone. Entrée 6 : Les sieurs Fresnoy et Robichon (*) représentans la Renommée et la Victoire qui suivent Mars et Bellone. (*) le sieur Robichon : danseur de corde (comme Cardelin), originaire de la ville de Mantes. Il était très apprécié à l’époque.

Entrée 7 : Le comte d’Harcourt, représentant Hercule gaulois, acompagné de Mars, Bellone, la Renommée et la Victoire. D’une flesche il fait fuir l’aigle et de sa massue il fait fuir les lions ; il se retire avec Pallas et Bellone. Acte II Le theatre représente les Alpes couvertes de neige, et l’Italie sur une montagne vient faire le récit. Récit de l’Italie (A mon secours, Monarque des François) Première entrée : Messieurs le marquis de Brezé, comte de la Rocheguyon (*), Genlis et Marsan, représentans quatre principaux fleuves d’Italie, qui appellent les François. (*) comte de La Rocheguyon : sans doute Roger du Plessis de Liancourt (1609-1674), parent de Richelieu, premier gentilhomme de la Chambre et excellent danseur. La maison de La Rocheguyon, rattachée plus tard aux La Rochefoucault – Liancourt, était alors une branche de la famille de Rohan-Chabot, parents de Richelieu.

Entrée 2 : Les sieurs de Looze, Montau, La Barre et Souville, représentans quatre François qui viennent à leur secours. Entrée 3 : Messieurs le Vidame (*), St Agnan (**), Chanvallon et Baptiste (***), représentans quatre Espagnols, qui après avoir dansé se mettent dans leurs retranchemens. Les François viennent les attaquer et les forcent. (*) Monsieur le Vidame : on appelait ainsi Claude de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1607-1693), Grand Louvetier de France, Grand Ecuyer, vidame de Chartres, mais il était en disgrâce en 1641. Il pourrait s’agir, sinon, d’un membre de la famille de Luynes, ou de la famille de La Rochefoucault.

(**) François Honorat de Beauvilliers, comte puis duc de Saint-Aignan, né à Paris le 30 octobre 1607 et mort à Paris le le 16 juin 1687. Après une carrière militaire, il devint le protecteur des arts et des lettres, entra à l’Académie en 1663. Danseur passionné, c’est à lui que Louis XIV confia, en 1664, l’organisation des Plaisirs de l’Île enchantée. En 1684, âgé de 77 ans, il assista, en spectateur, au Ballet du Temple de la Paix.

Le duc de Saint-Aignan (***) Baptiste : il ne s’agit évidemment pas de Lully, qui ne devait arriver en France qu’en 1646. Il pourrait s’agir de Jean-Baptiste Boësset (1614 – 1685), fils d’Antoine Boësset.

Entrée 4 : Le sieur de St André, représentant la Fortune, qui porte les armes de la France.  Le theatre se change et représente Arras. Entrée 5 : Monsieur d’Henrichemont (*), et les sieurs Jacquier et Hénaut, représentans trois Flamans avec des pots de bière, qui viennent recevoir les François.  (*) M. d’Henrichemont : Maximilien François (1615 – 1662), duc de Sully, petit-fils du « grand » Sully

Entrée 6 : Messieurs de Colligny, de Roussillon, de Toulongeon (*) et de Canolles (**), représentans quatre François qui entrent avec eux dans la ville. (*) Monsieur de Toulongeon : demi-frère d’Antoine IV de Gramont, comte de Guiche (1604-1678) alors sous les armes en Catalogne. Ce dernier avait épousé une nièce de Richelieu, Mlle de Chivray

(**) Monsieur de Canolles : gentilhomme huguenot, officier dans le régiment de Navailles, de l’armée royale. Il fut fait prisonnier par les Bordelais, révoltés contre Mazarin (l’Ormée), à l’été 1650, puis pendu sur ordre du duc de Bouillon, et son corps mis en pièces par la populace.

Entrée 7 : Messieurs le duc de Luynes (*), de Coislin (**), de Chivray (***) et le chevalier de Chanforest, représentans des Espagnols et leurs partisans. (*) duc de Luynes : Louis Charles d’Albert de Luynes (1620-1699), second duc de Luynes, fils de Charles d’Albert, ancien favori de Louis XIII, mort en 1621. Il s’était distingué à la tête de son régiment attaqué par les Espagnols, devant Arras, le 2 août 1640.

(**) Monsieur de Coislin : Pierre-César de Camboust, marquis de Coislin, était cousin germain de Richelieu. Il fut colonel-général des Suisses. Sous les ordres du duc de Nemours et du maréchal de Schomberg, il s’illustra en Catalogne. Sa soeur – petite cousine du Cardinal – fut mariée au sieur de Puylaurens qui conspira contre Richelieu et mourut en 1635, puis au comte d’Harcourt en 1639.

(**) Monsieur de Chivray : parent de Mademoiselle de Chivray, nièce de Richelieu, qui avait épousé le comte de Guiche.

Entrée 8 : Monsieur le comte d’Harcourt, le sieur de Genlis et Des Airs, représentans trois François. Entrée 9 : Monsieur le comte de Brion (*), représentant Pallas, déesse de la Prudence, qui vient dans un char retirer quelques partisans d’Espagne, et leur faire prendre le party des François. (*) comte de Brion : François-Christophe de Levis-Ventadour, comte de Brion (mort en 1661), était le fils et le frère du lieutenant général de Languedoc. Il était premier écuyer de Gaston d’Orléans, et devint en 1645 duc de Damville, puis pair de France

Acte III Le theatre représente la Mer environnée de rochers, et les Syrènes viennent sur le bord faire le récit. Récit de Trois Sirènes (Autrefois nos trompeuses voix) Première entrée : Messieurs de Coislin, d’Henrichemont, de Roussillon, du Plessis de Chivray, de St Agnan, et le chevalier de Chanforest, représentans six Tritons.  Entrée 2 : Les sieurs de Charny, Dannemarie, Gondreville et du Gast, représentans quatre Néréïdes.  Les gallions d’Espagne paroissent sur la mer.  Entrée 3 : Monsieur le duc de Luynes et les sieurs Le Goys, Brotin et Jacquier, représentans l’Amérique et trois Amériquains, qui viennent présenter leurs trésors à l’Espagne. Entrée 4 : Monsieur le Vidame, représentant l’Espagne, et les sieurs de Verpré, St André et Baptiste, représentans trois Espagnols. Entrée 5 : Les sieurs Hénaut, Lalun et Cotte, représentans trois Espagnolles qui viennent trouver les trois Espagnols, et dansent ensemble. Les gallions françois paroissent, combattent et brûlent ceux d’Espagne. Entrée 6 : Monsieur le marquis de Brezé et les sieurs des Airs, Molier, Robichon et Fresnoy, représentans le général victorieux avec quatre capitaines qui descendent sur le bord. Entrée 7 : Messieurs le comte de Brion, de Toulongeon et de la Rocheguyon, Marsan (*) et St Germain, représentais cinq Mores esclaves. (*) les Marsan étaient une branche de la maison d’Harcourt.

Acte IV Le théatre représente le Ciel ouvert d’où descendent les neuf Muses. Récit des Muses (Poursuivez, ô grand Roi, d’étonner l’univers) Première entrée : Les sieurs Jacquier, Sallenauve (*), Robichon, Fresnoy et Molier, représentans Vénus, Amour et les trois Grâces. (*) sieur Sallenauve : gentilhomme champenois

Entrée 2 : Le sieur de La Barre, représentant Mercure. Entrée 3 : Le sieur Baptiste et huit petits garçons, représentans Bacchus et huit petits Satyres. Entrée 4 : Le sieur Verpré, représentant Apollon. Entrée 5 : Les sieurs Hénaut, Brotin, Lalun, Le Goys et des Airs, représentans Mome et quatre joueurs de tambour de Biscaye.  L’aigle et les lions reviennent. Entrée 6 : Monsieur le comte d’Harcourt, représentant Hercule, sort du fond du théatre pour les combattre encore. Entrée 7 : Monsieur le duc d’Anguien, representant Jupiter, descend du ciel dans un trosne lumineux, environné et soustenu de nuages, touche l’aigle et les lions de sa main pour les apaiser, et leur oster la fureur que les Furies leur avoient inspirée, et remet la massüe sur l’espaule d’Hercule, comme s’il le prioit de se contenter se ses exploits. Jupiter demeurant seul danse, puis remonte au ciel.  Acte V Le theatre représente la Terre pleine de fleurs et de fruits, et la Concorde paroist sur un char doré, orné d’une abondance de fleurs et de fruits, soustenu par des nuës. Récit de la Concorde (Après tant de malheurs que la guerre a fait naître) Première entrée : Les sieurs Jacquier, Mémont, Molier, Robichon et Souville, représentans l’Abondance, la Bonne Chère, les Jeux et les Plaisirs.  Entrée 2 : Les sieurs Hénaut, Le Goys, Brotin et des Airs représentans les Réjouissances par des danses, sauts et postures ridicules. Entrée 3 : Le sieur Cardelin avec ses compagnons vient au milieu des précédens faire des sauts périlleux et admirables, lesquels ceux-là veulent imiter, mais espouvantés par le dernier saut du sieur Cardelin, ils se retirent tout confus. Entrée 4 : Messieurs le marquis de St Germain, de Chanvallon (*), de Dannemarie, du Gast et Augustin, représentans les Adresses et les Exercices par toutes sortes de tours, et dispositions sur des rhinocéros. (*) Chanvallon est un membre de la grande famille des Harlay de Champvallon, branche de la famille de Harlay, qui donna plusieurs grands personnages à l’Etat, dont le futur archevêque de Paris François de Harlay de Champvallon (1625-1693).

Entrée 5 : Les sieurs Jourdain, de Laure, le Vacher et Perichon, représentans quatre admirateurs de la Gloire du Roy, et par leurs postures et caprioles témoignent leurs transports. Entrée 6 : Le sieur La Force, représentant la Gloire, après voir dansé parmy les admirations, s’eslève dans les nues et se perd dans le ciel, ce qui fait une admirable confusion de toutes les entrées. La grande toile de devant le theatre se rebaisse peu à peu et le cache. Quelque temps après on rehausse la toile, et au lieu des theatres qui avoient paru, il se voit une grande salle dorée et ornée de toutes sortes de peintures et d’embellissemens, esclairée de quantité de chandeliers de cristal, au fond de laquelle est un trosne pour le Roy et pour la Reyne, et à costé des sièges pour les dames qui doivent danser au bal, et des petits bancs pour mettre les seigneurs à leurs pieds. De dessous le theatre il sort un pont, imperceptiblement, qui va s’appuyer sur l’eschaffaut du Roy et de la Reyne, pour les faire passer dans la salle de bal : où tous les spectateurs peuvent voir à plaisir leurs Majestés, les Princes et les Princesses et les seigneurs et les dames ; et là les beautés, les richesses et les danses en leur pompe, remplissent tous les yeux de plaisir et d’estonnement. Après le grand branle dansé par dix-huix danseurs et danseuses à la suite du ballet, la duchesse d’Aiguillon, nièce du cardinal Richelieu, avait imaginé une « galanterie » : chaque cavalier porta à sa dame une petite corbeille garnie d’excellents gants d’Espagne, de frangepani, de jasmin, d’éventails, de fioles d’essence, le tout accomodé de petits rubans. Le duc d’Enghien présenta sa corbeille à la reine, le comte de Brion la sienne à Mlle de Brézé, et le marquis de Brézé à Marthe Du Vigean. (Le Grand Condé – Henri Malo) 

« Le ballet de la Prosperité des armes de la France, à 36. entrées, divisé en 5. actes, représenté devant leurs majestés, au Palais Cardinal, le 7. fevrier & le 14. au même endroit, pour le faire voir au duc Charles de Lorraine. Gaz. 1641. pages 68, 148. « On employa pour ce ballet les mêmes machines qui avoient servi au même lieu le 14. janvier 1641. pour la représentation de Mirame, T. du sieur Desmarets, avec de nouvelles inventions, pour faire paroître tantôt les campagnes d’Arras, & la plaine de Casal, & tantôt les Alpes couvertes de neiges, puis la mer agitée, le gouffre des enfers, & enfin le ciel ouvert. M. de Mar. t. I. p. 126. Si l’on en croit Monglat, p. 374. de ses Mémoires. Les sieges d’Arras & de / Turin étoient représentés avec des machines : Marolles ne parle point de cette circonstance, quoiqu’il eût été présent audit ballet, il ajoute que l’invention n’en fut pas exactement suivie, que les habits & les actions de plusieurs danseurs ne se trouverent pas convenables au sujet, outre que les chars de triomphe n’étoient traînés par rien, contre la vraisemblance. Après avoir loüé les recits de l’Harmonie, de l’Italie, d’Apollon, & des Muses, ce qu’il y eu de plus exquis, dit-il, « furent les saults périlleux d’un certain italien, appellé Cardelin, qui représentoit la Victoire, en dansant sur une corde cachée d’un nuage, & parut s’envoler au ciel, (Pierre François Godard de Beauchamps )

 

L’hiver de 1640-1641 fut célèbre à la Cour par les magnificences du Palais-Cardinal. On y donna la grande comédie de Mirame, « qui fut représentée devant le Roi et la Reine, avec des machines qui faisoient lever le soleil et la lune, et paroître la mer dans l’éloignement, chargée de vaisseaux. » Quelque temps après, au même lieu, on dansa le Ballet de la prospérité des Armes de France, où les mêmes machines de la comédie furent employées, avec de nouvelles inventions, pour faire paraître tantôt les campagnes d’Arras et la plaine de Casal et tantôt les Alpes couvertes de neiges, puis la mer agitée, le gouffre des Enfers, et enfin le Ciel ouvert, d’où Jupiter, ayant paru dans son trône, descendit sur la terre. L’abbé de Marolles, le Dangeau de la chose, qui nous raconte cela de point en point, n’a garde d’oublier certaine civilité que lui fit le Cardinal; « de sorte, ajoute-t-il, que je vis encore ce Ballet commodément, où il y avoit des places pour les Évêques, pour les Abbés, et même pour les Confesseurs-et pour les Aumôniers de M. le Cardinal. Les nôtres se trouvèrent à deux loges de celles qui furent occupées par Jean de Wert et Ekenfort que l’on avoit fait venir exprès du Bois de Vincennes, où ils étoient prisonniers.» Le Cardinal les voulait éblouir; on s’inquiétait surtout de l’effet produit sur Jean de Wert, ce général fameux par ses succès d’avant-garde, par sa pointe redoutable à Corbie quatre ans auparavant, et dont le nom, souvent chansonné des Parisiens, était devenu populaire comme une espèce de Marlborough du temps. Il était à la veille d’un échange et, plus heureux que d’Ekenfort, il n’avait en effet que quelques jours à rester. Interrogé sur la beauté du spectacle, Jean de Wert répondit qu’il trouvait tout cela très- beau, mais que ce qu’il trouvait le plus étonnant, c’était, dans le royaume très-chrétien, de voir les Êvêques à la Comédie, et les Saints en prison. Le mot courut. Le Cardinal fit semblant de ne pas entendre. Comme si tout ne devait être que contraste, l’auteur du Ballet représenté était ce Des Marestz qui, plus tard converti, se mit k la chasse des solitaires et des confesseurs de Port-Royal, et, par ses pamphlets comme par ses espions, ne cessa de les relancer. » ( Port-Royal – Charles Augustin Sainte-Beuve)   « Quoi qu’il en soit, le mariage du duc d’Enghien et de Claire-Clémence de Maillé-Brézé fut célébré au palais-cardinal, où se donna « le plus beau ballet dont on ait o mémoire, composé de trente-six entrées, et » ayant pour sujet la prospérité des armes de la » France. » Ce fut peu de jours avant cette cérémonie qu’on inaugura la grande salle de spectacle construite dans l’aile droite de cet hôtel, et qui avait coûté plusieurs années de travail avec une dépense énorme. Un des soins confiés au sieur Mazarini, dans son ambassade extraordinaire en Italie, était d’y faire construire et d’expédier en France les machinee qui devaient manœuvrer sur ce théâtre. Une salle provisoire avait suffi pour les pièces des cinq auteurs et pour le Cid. Sur la scène magnifique qui venait ,. 11Ilïicr d’être élevée à grands frais et avec tout le luxe d’illusion théâtrale que l’Italie pouvait fournir. parut la tragédie de Mirame, l’œuvre chérie du cardinal de Richelieu. » (Histoire de France sous Louis XIII – Anaïs Bazin)   Je ne sçai s’il m’eschappa de dire quelque chose de l’employ de Mons. de Chartres mais quelque temps apres, lorsqu’au mesme lieu on dança le Balet de la Le Balec de Prosperité des Armes de la France, où les mesmes machines de la Comédie furent employées, avec de nouvelles inventions, pour faire paroistre tantost les campagnes d’Arras, & la plaine de Casal, & tantost les Alpes couvertes de neiges, puis la Mer agitée le goufre des Enfers, & enfin le Ciel ouvert, d’où Jupiter ayant paru dans son Trosne, descendit sur la terre comme, dis-je, ce Prélat qui estoit capable de tout ce qu’il vouloit, se donnoit la peine avec Mons. d’Auxerre de faire les honneurs de la sale, m’eut dit que cette tournée là, il ne presenteroit pas la collation, je luy repondis qu’il feroit tousjours bien toutes choses & me fit civilité ; de sorte que je vis encore ce Ballet commodément, où il y avoit des places pour les Evesques pour les Abbez, & mesmes pour les Confesseurs, & pour les Aumosniers de Mons. le Cardinal. Les nostres se trouverent à deux loges de celles qui furent occupées par Jean de Vverth & Ekensort que l’on avoit fait venir exprès du Bois de Vinccnncs où ils estoient prisonniers.  Ce Ballet auec toutes ces machines & toute sa magnificence, ne fut pourtant pas une chose aussi ravissante qu’on se le pourroit imaginer parce que l’invention n’en fut pas exactement suivie, & que les habits & les actions de plusieurs danceurs ne se trouverent pas assez convenables au sujet, outre que les chars de triomphe qui s’y présentèrent, n’estoient traînés de rien contre la vraysemblance, bien que cela se pûst faire fort aisément. Les récits de l’Harmonie de l’Italie d’Apollon & des Muses, furent assez agréables ; mais ce qu’il y eut de plus exquis, furent les saults-perillcux d’un certain Italien appelle Cardelin, qui reprefsntoit la Victoire en dansant sur une corde cachée d’un nuage, & parut s’envoler au Ciel. (Mémoires de Michel de Marolles)   « Le Ballet du Cardinal En 2008, le département célèbre Richelieu : c’est qu’âgé de 23 ans, en 1608, le futur grand homme politique faisait son arrivée dans l’archevêché de Luçon. Le Conseil général a commandé un cycle de célébrations dont cette résurrection du ballet de la Prospérité des armes de France, donné par Richelieu en 1641 à Paris, en son Palais Cardinal, première salle italienne construite en France, ancêtre de notre Académie Royale de musique, futur opéra national. Richelieu, acteur-fondateur de notre scène française et prince mélomane ? L’information relève d’une révélation… La (re)découverte de la partition, donnée en « recréation mondiale », en ouverture du festival Musiques à la Chabotterie, était donc un événement. La tentative tient du défi : réécriture des parties manquantes du manuscrit original (conservé à la BN à Paris), restitution des bandes d’instruments, bandes des hautbois en particulier, bandes des cordes et aussi des luths, autant d’éléments désormais mieux connus de l’orchestre français du premier baroque (règne de Louis XIII), qui comprend cinq parties. Tout l’intérêt de l’approche d’Hugo Reyne réside dans l’option, arbitraire mais passionnante, du dialogue, tout au moins du jeu simultané, des deux bandes qui ne se mêlaient jamais : les hautbois et les cordes. Inimaginable métissage des timbres, les premiers, aigus, étant propres à la Grande Ecurie, les seconds jouant plus bas, réservés à la Chambre, que Lully « osera » réunir dans son orchestre, pour Louis XIV, à partir des années 1660. Du premier baroque, nous étions passés au Grand Siècle… Le fait de tenter l’expérience avec 20 ans d’avance, relève d’une incongruité qui cependant fait tout le sel de la soirée. Interprètes et historiens ont pu préciser l’ampleur de la recherche préliminaire, l’importance de l’oeuvre qui dévoile un aspect méconnu du goût de Richelieu, au cours des « Confidences baroques », explications offertes aux festivaliers, dès 18h15, en préambule au concert de 21h.  En l’absence des chorégraphies et des danseurs prévus à l’origine, l’engagement des instrumentistes de la Simphonie du Marais, portés par leur chef, facétieux autant qu’argumenté, et même pédagogue, a exprimé ce ballet naissant, voulu par le Cardinal en 1641 et qui sonne comme la récapitulation de sa politique militaire, vis-à-vis des puissances ennemies, Autriche et Espagne: victoires des armées françaises sur terre (Cazal et Arras), sur mer également (acte III). Des cinq actes, les interprètes ne jouent que les quatre premiers : Philidor, copiste inspiré mais incomplet, n’a malheureusement pas transmis la dernière partie. Qu’importe: du tableau initial de l’Harmonie, au triomphe d’Apollon (pour lequel le chef joue son instrument, la flûte, comme à l’époque où il participait aux gravures pionnières de Leonhardt puis de Christie), la partition ressuscitée donne la mesure d’un ouvrage certes politique, mais aussi musical, et même « poétique », comme s’est plu à le souligner Hugo Reyne pendant les Confidences Baroques.  Si le Roi ne danse pas encore dans un ballet qui célèbre sa puissance, les « grands » du royaume sont invités à assurer chaque entrée, tous (marquis de Brézé, comte de la Rocheguyon, duc de Lyunes…), paraîssant selon son rang, et surtout ses mérites: au plus loyaux, serviteurs de la gloire monarchique, l’honneur des rôles éclatants. Art et politique sont ainsi indissociables: le ballet est un acte d’allégeance, le miroir d’une société organisée, dansant autour d’un Souverain vainqueur… « Déjà avant Lully, tous les éléments sont réunis: le premier musicien de Louis XIV n’aura plus qu’à se servir… », ajoute aussi Hugo Reyne. Sur le plan musical, l’esprit d’exhumation s’associe au plaisir de l’expérimentation. La bandes des hautbois, située derrière les cordes, a fait entendre ses timbres verts, mordants conférant à la soirée, la saveur unique des « premières » où s’imposent l’audace et le risque: chant bucolique d’une vitalité conquérante, parfaitement en place, (en caractère comme en gouaille) pour les Flamands et leur « pots de bière », comme en noblesse et solennité, dès l’ouverture… Ambassadrices du livret signé Jean Desmaret de Saint-Sorlin, les quatre voix soulignent l’allégorie, moins l’action. Pas encore individualisés, comme le seront les personnages de l’opéra français à venir (1673), les solistes déclament à la façon des madrigalistes italiens, images allégoriques et vers laudatifs du texte de Saint-Sorlin.  Nous sommes bien face à une oeuvre de commande et même de propagande. Chaque début d’acte, après l’ouverture, est ponctué par un « récit »: ceux de l’Italie, laquelle implore l’aide des Français ; des Trois sirènes pour l’acte II, celui des victoires navales; récit des muses enfin, au début de l’acte IV, de loin le plus poétique : déjà le père de Louis XIV, y est invité à continuer les effets de sa grandeur: « poursuivez, ô grand Roi, d’étonner l’univers/Par tant de beaux exploits, doux sujets de nos vers »… l’acte s’achève sur l’entrée d’Apollon, figure désormais emblématique des Bourbons français à l’âge baroque. Avant les ors du Grand Siècle, tout le vocabulaire et les références esthétiques sont présents. Louis XIV et Lully les magnifieront encore davantage. L’on ne saurait oublier la plainte, entre langueur et tendresse, des cinq maures esclaves à la fin de l’acte III: les compositeurs de Richelieu dont le luthiste François de Chancy (qui fut aussi son professeur), y soulignent l’humaine douleur des vaincus… subtile nuance d’un ouvrage orfèvré, plus profond qu’il n’y paraît, et dont la redécouverte se révèle légitime. Serait-ce l’effet de cette poésie à la françoise, qui affleure en maints endroits, et dont nous parlait Hugo Reyne ? (Classique.news – 26 juillet 2008)

Représentations :

Cour d’honneur de La Chabotterie – Vendée – mars 2008 – Musiques à la Chabotterie – Festival Vendéen de Musique Baroque – 23 juillet 2008 – La Simphonie et le Choeur du Marais – avec 4 chanteurs solistes

 

Cette page a été réalisée avec l’aimable et active participation de David Escarpit