CD Giulio Cesare

COMPOSITEUR Georg Friedrich HAENDEL
LIBRETTISTE Nicola Haym

 

ORCHESTRE Il Complesso barocco
CHOEUR
DIRECTION Alan Curtis

 

Giulio Cesare Marie-Nicole Lemieux
Cleopatra Karina Gauvin
Cornelia Romina Basso
Tolomeo Filippo Mineccia
Sesto Emöke Baráth
Achilla Johannes Weisser
Nireno Milena Storti
Curio Gianluca Buratto

 

DATE D’ENREGISTREMENT novembre 2011
LIEU D’ENREGISTREMENT Lonigo – Italie
ENREGISTREMENT EN CONCERT

 

EDITEUR Naïve
DISTRIBUTION
DATE DE PRODUCTION 20 novembre 2012
NOMBRE DE DISQUES 3
CATEGORIE DDD

 

 

Critique de cet enregistrement dans :

Forum Opéra

« La recherche musicologique n’est pas l’ennemie de la musique, bien au contraire, intellect et émotion sont loin d’être antagonistes, et l’un nourrit l’autre. Mais chacun a sa place, en revanche, et il est un temps où l’acte musical, vivant, doit advenir. C’est malheureusement ce qui fait défaut à ce nouveau Giulio Cesare dirigé par Alan Curtis, lequel poursuit avec Karina Gauvin et Marie-Nicole Lemieux ses lectures de Haendel.
L’enregistrement a de quoi séduire, pourtant, par sa distribution, dans la mesure où l’on ne peut que se réjouir de découvrir le César de Marie-Nicole Lemieux. Virile à souhait pour l’occasion – on en oublierait l’octave supérieure – la contralto a travaillé la partition afin d’en extirper une infinité de possibilités et de sens : les consonnes claquent, et si la voix s’engage dans un expressionnisme parfois outré, aucun trait de virtuosité n’est gratuit. On peut s’étonner de son « Empio, diro, tu sei » où les vocalises, à l’inverse des mitrailleuses dont on a l’habitude, s’inscrivent dans l’instrument au point de se rapprocher parfois du tremolo. Mais les autres airs de bravoure nous assurent qu’il s’agit bien d’un choix, puisque tout lui semble possible. Autre belle découverte, le Sesto d’Emöke Baráth au timbre clair et juvénile nous surprend dans un « L’angue affeso mai riposa » qui, grâce à une ligne vocale remarquable, emprunte autant au lamento qu’à l’air de vengeance. Dans le rôle de Cléopâtre, Karina Gauvin déploie les couleurs qu’on lui connaît en une gamme de nuances époustouflante. On regrettera seulement qu’elle ne s’amuse pas davantage, et on l’aurait préférée par moments un peu plus peste, un trait que le livret de la présente intégrale reconnaît pourtant à ce rôle. Seul contre-ténor de la production, Filippo Mineccia propose un Tolomeo tirant sur le buffa. Dans le grave, la voix peine parfois à passer, et malgré l’orientation choisie, les changements de registre et les prises d’air sont un peu trop audibles pour ne pas en devenir dérangeantes. Enfin, on notera Johannes Weisser en Achilla : méconnaissable si l’on a encore dans l’oreille le Don Giovanni de Jacobs, la voix, qui s’est assombrie, qui a gagné en couleurs et en autorité, est devenue splendide.
Mais plus que les voix, ce qui caractérise le nouvel enregistrement de cet opéra phare de Haendel, c’est sans doute les propositions d’Alan Curtis. Fidèle au style qu’on lui connaît, il accentue les nuances, s’attache à souligner les différentes parties de la phrase et à différencier les répétitions, en une direction somme toute très percussive et verticale. Son approche – qui discute entre autres du tempo, thème qui commence à vieillir – le mène notamment à demander une ornementation maximale dans les da capo. Le résultat fascine, et c’est un feu d’artifice où chacun s’amuse à réinventer l’air ; on peut toutefois se demander si l’exercice ne va pas trop loin lorsque Marie-Nicole Lemieux orne la fameuse première note de « Aure, deh, per pietà », tout réussi que soit l’effet. Cet air, d’ailleurs, se satisfait-il d’un son d’orchestre aussi sec ? Un tel traitement de la partition, qui pourrait se justifier ailleurs, révèle ici ses limites, et nous amène à la critique essentielle qu’il faut adresser à cette intégrale. Car, si l’on sent à chaque instant combien chaque mesure est pensée, ciselée, travaillée à mort, il manque à ce Giulio Cesare un souffle de vie, de sensualité, pour que la musique prenne. Celui qui permettrait à « Non è si vago e bello » de figurer la grâce amusée, qui ferait de « V’adoro pupille » une pure vision de beauté et de « Se in fiorito » une plénitude espiègle, de terrifier dans l’ouverture de « L’angue affeso mai riposa », de réaliser « Da tempeste » en un véritable et jouissif feu d’artifice. Celui que d’autres ont si bien trouvé, mais qu’Alan Curtis a manqué, empêchant ce magnifique travail de s’imposer comme une référence. »

Diapason – janvier 2013 – appréciation 4 / 5

« Peut-on conseiller un enregistrement d’opéra pour une seule inncarnation ? Alors ce Giulio Cesare s’impose, non pour le dictateur amoureux ou sa belle Egyptienne, mais pour la veuve de Pompée, pour Cornelia. Le livret veut que son port de patricienne jamais affaissé sous la douleur attire tous les mâles – les autochtones Tolomeo et Achilla comme le Romain Curio perdent leurs moyens au premier regard. Et c’est bien cette sensualité austère mais prenante qui rend Romina Basso unique. On en oublierait presque la tendresse de Berrnarda Fink (avec Jacobs, HM) et la stature de Maureen Forrester (diamant noir de l’intégrale Rudel, avec Sills, RCA). Cornelia lui va comme un gant, et pourtant Basso enregistrait l’opéra, il y a trois ans, sous les traits de l’infect Tolomeo (avec Petrou, MDG) ! Elle s’en tirait haut la main, avec une autorité du mot, une fermeté de la vocalise et surrout une sombre densité du timbre qui faisaient plus d’une fois penser à Mingardo. Sa Cornelia nous l’évoque toujours, à ce détail près qu’elle a sur son aînée l’avantage d’une souffle long, qui nourrit un «Priva son» magistral de cantabile suspendu aux paroles, un « Deh piangete » renversant.
On nous pardonnera de nous attarder sur un personnage« secondaire ». C’est qu’aucun des autres ne l’égale. On est, bien entendu, sous le charme du timbre et de la ligne glorieux de Karina Gauvin ; mais les grandes Cléopâtre ont composé avec beaucoup plus de soin l’évolution du personnage, les piques au frérot pervers, les numéros de charmes, le pathos de « Se pietà », l’abandon de« Piangero », le feu d’artifice de «Da tempeste » (curieusement terne ici). Marie-Nicole Lemieux lui répond avec la tessiture de César, mais sans son agilité. Ce n’est pas son héros sans charisme ( « Presti omai ») ni malice « Va tacito » prosaïque), trop agité « Se in fiorito» en trompe l’oreille mais avec un magnifique violon solo) qui sauvera la mise. Ni ce« Quel torrente » grand-guignol. Une excellente musicienne se trompe de rôle, peut-être même de répertoire.
Alan Curtis, handélien érudit comme aucun autre, a pris le risque de distribuer en Sesto une jeune soprano. La Durastanti, en 1726, n’avait sans doute rien à voir avec les mezzos virils qu’on y entend aujourd’hui. Certes. Mais faut-il tomber dans l’excès inverse, priver le personnage de ses ombres et changer le noble « Cara speme » en propos galant ? Un soprano aguerri apporterait sans doute plus de poids à l’expérience que la prudente Emoke Barath, Sesto inexistant mais chant divin.
Le reste? Un Achilla impeccable – mais guerrier? Un Tolomeo sans venin qui s’agite dans les vocalises. On gardera pourtant ce Giulio Cesare bancal à portée de main. Pour la grandeur de la signora Basso, mais aussi pour les idées d’articulations, de caractères, de tempos qu’y met Alan Curtis – espérons que ses successeurs retiendront la leçon d’un «Belle dee» enfin allant. II ne mène certes pas le drame avec la poigne d’un Jacobs (HM) ou d’un Minkowski (Archiv), il laisse au contraire aux chanteurs le soin de tenir le gouvernail, option « historiquement infromée ». Reste à trouver lesdits chanteurs… »

Classica – décembre 2012 – appréciation 3 / 4

« Enregsistré dans le jus de la tournée européenne, ce Giulio Cesare préserve la cohérence dramatique qui manquait tant à l’Ariodante paru chez Virgin. Reconnaissons d’emblée à Alan Curtis un souci plus prononcé qu’à l’accoutumée envers la caractérisation des atmosphères (tempos relancés), ainsi qu’une direction plus active et volonntaire sans que jamais les textures et les couleurs ternes d’Il Complesso Barocco ne mettent sufffisamment en valeur l’instrumentation de Haendel. Bref, c’est brut de décoffrage, mais non sans directivité. En revanche, les chanteurs sont trop souvent livrés à eux-mêmes ; l’on ne ressent jamais cette symbiose parfaite avec l’orchestre que savent si bien créer un Jacobs ou un Minkowski. Face à des rôles secondaires décevants (Weisser hors style, Mineccia en petite forme vocale, et il manque quelques notes dans le grave au Sesto de Barath) , il apppartient au trio Cesare/Cleopatra/Cornelia de porter le drame sur leurs épaules. On aime la pâte vocale bien galbée et les da capos inventifs de Romina Basso, même si son timbre si singulier demeure une question de goût. Certes, le Jules César que campe Lemieux ne fait pas dans la demi-mesure. On pourra trouver certains airs débraillés, tel pianissimo engorgé, mais quel tempérament ! C’est sans conteste à Karina Gauvin que revient la couronne de lauriers. Chaque changement de registre est si bien négocié, les aigus si gracieux, et ce chant sur le fil à se pâmer (la « double-crème » de son « Piangero la sorte mia »). Pour elle avant tout l’on thésaurisera ce Giulio Cesare qui ne saurait dans sa globalité bousculer le duo de tête Jacobs (HM)/Minkowski (Archiv). Ce n’est pas le Giulio Cesare d’Ivor Bolton (Farao) qui changera la donne où les bruits de scène et les réactions omniprésentes du public (rires, appplaudissements) font regretter le format DVD et rendent l’écoute inconfortable. »