Bradamante

Bradamante - Venise - 1650 - frontispice

COMPOSITEUR Francesco CAVALLI
LIBRETTISTE Pietro Paolo Bissari

 

Drama per musica sur un livret en un prologue et trois actes de Pietro Paolo Bissari (*), représenté au teatro SS. Giovanni e Paolo de Venise en 1650, avec des décors de Giovanni Burnacini (**).

(*) Pietro Paolo Bissari, né à Vicence en 1595, mort en 1663, comte de Costafabbrica, magistrat et diplomate, membre de l’Academia Olimpica de Vicence, et de l’Accademia dei Incogniti de Venise. Il écrivit des livrets d’opéra et produisit des opéras à Vicence, Venise et Munich.

(**) Giovanni Burnacini, né vers 1605, père de Lodovico Burnacini qui lui succéda à sa mort en 1655. Architecte de théâtre à Venise, il fut appelé à Vienne avec son frère Marc’Antonio, et y introduisit les machines et décors de scène pour la cour de Ferdinand III.

Décor de Giovanni Burnacini - Apollon tuant le dragon

Le rôle d’Angélique était tenu par Camilla Bonelli, épouse de Giovanni Paolo Bonelli.

Le livret, dédié par Bissari All’Illustriss. & Reverendiss. signor abbate Vittorio Grimani Calergi (*), fut édité en 1650, à Venise, par Francesco Valvasense.

(*) Vittorio Grimani Calergi, fils de Vincenzo Calergi, propriétaire du Palazzo Vendramin, sur le Grand Canal

 La dédicace est suivie d’un Argomento.

En peu d’années, la ville de Venise a pu apprécier près de cinquante œuvres à thèmes royaux, alors que c’est à peine si quelques rares cités en ont vu quelqu’une, à l’occasion des noces de leurs princes ou d’autres solennités ; cette abondance a rendu les auteurs stériles et les auditeurs blasés, vu la difficulté d’inventer des choses jamais vues ou de donner des représentations chaque fois plus prestigieuses et plus spectaculaires. Ma Torilda est née au milieu de ces difficultés ; mais, revêtue de péripéties nouvelles, elle a obtenu des applaudissements que je n’espérais pas, et que je sais ne pas mériter. Ayant reçu l’ordre de préparer un nouveau spectacle, et ne pouvant m’y soustraire par aucune excuse, il m’a été nécessaire de m’appliquer à des idées plus neuves et plus extravagantes, qui, sans s’éloigner des bonnes règles et naissant d’une fable des plus connues, puissent convertir en de multiples accidents théâtraux ces récits et ces informations qui ne sont pas nécessaires à la clarté des choses.

Ainsi donc, la magicienne Mélisse, sachant grâce à Merlin quelle lignée de héros devaient produire les noces de Bradamante et de Roger, s’est instituée leur protectrice, pendant que l’autre magicien, Atlant, mu par l’affection qu’il porte à Roger et par les dangers qu’il voit le menacer, fait tout pour empêcher ces noces. On passe rapidement sur l’amour devenu très fort entre les deux guerriers, et sur ces longues difficultés et passions qui sont bien connues, jusqu’à ce que, pour s’en tenir au plus important, Léon, fils d’empereur, recherche Bradamante en mariage. Celle-ci, qui ne peut vaincre par sa nécessaire pudeur la volonté résolue de son père, obtient de Charles, à la cour de qui ils demeuraient, de n’être l’épouse d’aucun homme qu’elle aurait vaincu dans un affrontement armé. Ce défi étant publié, on attend Léon à cet effet ; et le jour fixé pour le tournoi est, selon les règles, celui du présent drame. Ce même jour, alors que Bradamante attend également Roger, qui, espère-t-elle, sera le seul à lui résister, elle apprend qu’il est retenu par Atlant dans le château enchanté ; elle attaque le magicien, l’enlève sur l’hippogriffe et l’amène sur scène, attaché avec une grosse chaîne, ce qui est le début des péripéties successives. (traduction Alain Duc)

 

L’ouvrage fut repris à Milan, en 1658, au Teatro del Reggio Palazzo, nelle allegrezze per la nascità felicissima del Serenissimo Principe de Spagna. Le livret, édité par Giovanni Pietro Cardi et Gioseffo Morelli, est dédicacé All’illustriss. Signore Sig. e Patron Osser Il Signor D. Gioanni della Porta Conte di Rovello (*).

Bradamante - Milan - 1658 - frontispice

(*) Giovanni della Porta reçut la commune de Rovello, située entre Milan et Côme, en 1649. La commune resta le fief de la famille jusqu’en 1763.

La musique est perdue.

L’attribution à Cavalli est incertaine. Pourtant la mention du nom du compositeur (Cavalli – 1650) est portée sur un des livrets conservés. 

Personnages : Ombra di Merlino (Spectre de Merlin), Ascalafo (Ascalaphe) (Prologue) ; Bradamante (Bradamante), Atlante (Atlant), Angelica (Angélique), Carlo (Charles), empereur d’Occident, Amone (Aymon), père de Bradamante, Ruggiero (Roger), Orlando (Roland), Fioretto (Fioretto), page de la Cour, Fiordispina (Fleur-d’Épine), Medoro (Médor), Melissa (Mélisse), Nico Fabro (Nico), forgeron, Astolfo (Astolphe), Alcina (Alcine), Leone (Léon), fils de Constantin, empereur d’Orient, Ali (Ali), esclave de Leone, Rodomonte (Rodomont), Gabrina (Gabrine), Bellerofonte (Bellérophon), Guarda di Rodomonte (un garde de Rodomont), Vespilla et Ferida, demoiselles d’Alcina, papagalli (des perroquets), Sirena (une Sirène), Capo di Corsari (Chef des corsaires), Choro di Maglioni (chœur des forgerons).
Synopsis détaillé

Prologue

Dans la grotte de Merlin, avec son tombeau dans la perspective.

L’ombre de Merlin se livre à diverses prophéties : découverte du nouveau monde par les Espagnols, victoires vénitiennes sur les Turcs, mariage de Roger et de Bradamante. Le démon Ascalaphe le met au défi de triompher des enchantements d’Atlant et Alcine.

Acte I

Une campagne, et en perspective le château d’Atlant sur le mont d’Acciaro

Sc. I : Bradamante traîne Atlant enchaîné et veut lui faire libérer Roger, qu’elle aime. Elle doit ce même jour affronter Léon, qui n’obtiendra sa main que s’il la vainc en combat singulier. Le château enchanté d’Atlant disparaît, mais Roger est emporté par l’hippogriffe.

Un alignement de rochers déserts

Sc. II : Au bord de la mer, la vieille Gabrine déclare craindre les pirates qui enlèvent les jeunes filles, puis chante la supériorité en amour des vieilles sur les jeunes.

Sc. III à V : Angélique aborde sur le palefroi qui l’a emportée ; elle a échappé aux ardeurs de Roland, mais tombe aux mains de corsaires qui la déshabillent et l’attachent pour la livrer à un monstre marin. Roger survient pour la délivrer et part à la poursuite du monstre.

Sc. VI : Survient Roland, qui justement cherchait Angélique : il est prêt à se jeter sur elle, qui est nue et attachée. Une fois qu’il l’a détachée, elle se rend invisible grâce à son anneau magique ; et Roland se cogne dans les rochers et les arbres en la cherchant. Il en résulte un air misogyne.

Le Palais royal

Sc. VII à IX : À la cour de Charlemagne, le page Fioretto déplore la duplicité des courtisans. On prépare le combat de Bradamante contre son ou ses prétendants. Ali, page de Léon, annonce l’arrivée de son maître. Roland essaie en vain de faire différer le combat, dans l’intérêt de Roger. Resté seul, Ali chante un air misogyne.

Un osquet avec un lac dans le lointain, formé d’eau vive qui descend de la montagne

Sc. X-XI : Dans une forêt, Bradamante cherche en vain Roger. Elle envisage le suicide, mais la princesse Fleur-d’Épine la retient. Prenant Bradamante pour un chevalier, elle l’invite à la chasse et ne tarde pas à lui déclarer sa flamme. Bradamante essaie en vain de lui faire entendre qu’il lui manque l’essentiel pour y répondre.

Ballet des Babouins

Arrivée de Babouins qui, mis en fuite par des Chasseurs, par leurs farces forment la première partie d’un ballet.

Les Chasseurs apparaissent entre temps, tandis que les Babouins cherchent à imiter leurs gestes.

Ils se croisent pour ne pas être attrapés. Au terme de cette partie les Babouins sautent sur les arbres et se dispersent.

Acte II

Une campagne avec des fontaines dans le lointain

Sc. I à III : Médor, poursuivi par des soldats, est blessé. Angélique chante un air montrant sa coquetterie, puis tombe sur le blessé et sous son charme, et entreprend de le guérir grâce à sa connaissance des herbes.

Un village avec des arbres, une forge

Sc. IV à VI : Bradamante, qui a appris par Mélisse que Roger est désormais prisonnier des charmes d’Alcine, veut le délivrer. Selon Mélisse, la tâche sera difficile ; elles devront recourir à un bouclier qu’une poudre magique doit rendre aveuglant. Elles se présentent à une forge, dont le patron, Nico, qui bégaie, polit le bouclier sous le martinet, lui et ses ouvriers chantant au rythme du marteau. Nico part troquer un bijou qu’on lui a donné.

Sc. VII : Astolphe, sur l’hippogriffe, arrive à la forge pour faire ajuster son mors. Devant la mauvaise volonté du forgeron, il use de son cor magique pour semer la terreur.

Un paysage où se voient des inscriptions d’Angélique et Médor

Sc. VIII-IX : Nico, arrêté par Roland qui reconnaît sur lui le bijou qu’il a offert à Angélique, lui apprend les amours de celle-ci avec Médor. Roland voit ensuite le nom des amants gravé sur tous les arbres. Il en perd la raison et s’en prend aux arbres porteurs d’inscriptions. Long monologue délirant, à la fin duquel il quitte ses vêtements pour se vêtir de feuillage.

Les délices d’Alcina avec des oiseaux qui volent et chantent.

Sc. X : Deux demoiselles d’Alcine racontent l’arrivée de Roger et sa séduction par leur maîtresse.

Des perroquets qui volètent

Sc. XI-XII : Duo enflammé de Roger et Alcine, commenté par de mélodieux perroquets. Les amants échangent des serments d’amour éternel, mais Alcine doit s’absenter. Le chant d’une sirène plonge Roger dans un sommeil plein de rêves.

Sc. XIII : Avec son bouclier magique, Mélisse tire Roger de son enchantement. Honteux et confus, il se prépare à aller disputer le combat avec Bradamante ; pour ce faire, il change d’armes et prend un bouclier marqué d’une licorne. Quand Alcine revient, il voit son vrai visage : une horrible vieille.

Sc. XIV : Alcine, abandonnée, outragée, se perd en regrets et en invectives ; elle invoque les puissances des ténèbres, et se met en route sur un dragon pour aller châtier l’infidèle Roger.

Ballet : Alcine emportée dans les nuages par des dragons volants.

Acte III

Une campagne

Sc. I : Léon et Ali se remettent d’une défaite infligée par un mystérieux chevalier à la licorne. Léon se dispose à aller se battre devant Charlemagne.

Sc. II : Alcine annonce qu’elle a fait prisonnier le chevalier mystérieux, et le livre à Léon, qui, peu confiant dans ses propres forces pour affronter Bradamante, a une idée.

Sc. III : Léon offre la vie à Roger (sans le reconnaître) à condition qu’il aille affronter Bradamante à sa place. Roger, lié par la reconnaissance, accepte, bien qu’à contrecœur.

Sc. IV : Bradamante est anxieuse de ne pas avoir de nouvelles de Roger. Elle va pourtant devoir se battre.

Le pont de Rodomont, avec le tombeau d’Isabelle, et Rodomont, avec des gardes au sommet

Sc. V-VI : Devant son pont et son château, Rodomont attend les chevaliers qui passent pour les dépouiller en l’honneur d’Isabelle. Roland, en pleine folie, arrive, se bat et jette Rodomont dans la rivière.

Une place aux murs de la ville, pour un tournoi, avec une estrade royale

Sc. VII : À la cour de Charlemagne se présente pour le combat un guerrier masqué qui prétend être Léon. Le combat entre lui et Bradamante a lieu, sans vainqueur ni vaincu. L’empereur décide qu’il faut les marier.

Le ciel aperçu dans les hauts. Astolphe sur l’hippogriffe, Bellérophon sur le cheval Pégase

Sc. VIII : Dans le ciel de la lune, Astolphe récupère la raison de Roland, conservée dans une fiole. Il a au passage un accrochage avec Bellérophon, qui prétend être seul à avoir un coursier changé en constellation (Pégase).

Une grotte qui apparaît dans la partie basse du lointain

Sc. IX : Après le tournoi, Roger, qui croit avoir tout perdu, s’est réfugié dans une grotte et affronte son cas de conscience : il s’était engagé vis-à-vis de Bradamante, mais il était lié par ses obligations envers Léon ; ce dernier l’entend etse sent obligé d’être au moins aussi généreux.

Sc. X : Nico et Ali se chicanent sur une facture. Survient Roland, nu et frigorifié ; les deux autres essaient de le réchauffer ; Roland prend Nico pour Angélique, le serre très fort ; puis arrive Fioretto, que Roland prend pour Médor, et projette en l’air.

Ciel avec la lune, qui éblouit. Astolphe sur l’hippogriffe

Sc. XI : Une lune éblouissante apparaît ; Astolphe en descend ; il confie l’hippogriffe à Ali, qui se débat avec lui, puis fait en sorte que Roland aspire (par le nez) sa raison, laquelle reprend sa place.

Sc. XII-XIII : Roger et Léon partent pour la cour, restant évasifs sur leur plan. Roland les voit partir ; il médite sur les fureurs de l’amour, décide d’y renoncer pour son compte, mais aussi de soutenir la cause de Roger.

Une galerie aux arcades couvertes, avec dans le lointain le palais royal

Scène XIV et dernière : à la cour, Charles s’apprête à célébrer le mariage. Bradamante semble résignée ; mais survient Roland, qui témoigne de ce qu’elle a donné sa parole à Roger, et offre de se battre pour le soutenir.

Mélisse impose que les combattants ôtent leurs casques : on voit alors que le supposé Léon est en fait Roger. Le vrai Léon confirme que c’est Roger qui s’est battu sous son nom et a mérité la main de Bradamante, et tout s’arrange dans la liesse générale.

 

Notice (*)

La Bradamante de Bissari n’est pas le premier livret d’opéra à s’inspirer de l’Arioste ; mais c’est certainement le plus varié, ou le plus décousu. Si, comme le poème d’origine, il a comme fil conducteur les amours de Roger et de Bradamante, il fait une large part à d’autres épisodes ; en fait, il s’agit plutôt d’un « best of » ou de « highlights » de l’Orlando furioso, avec tous les grands moments susceptibles de donner lieu à du spectacle avec machines, alternant avec des scènes comiques ou d’autres à la limite de la grivoiserie. On verra donc la délivrance de Roger par Bradamante et celle d’Angélique par Roger ; les amours d’Angélique et Médor, de Bradamante et Fleur-d’Épine, de Roger et d’Alcine ; le combat de Roland contre Rodomont et celui de Roger contre Bradamante ; la folie de Roland, l’expédition d’Astolphe sur la lune et la guérison de Roland, etc. Au total, on peut compter des emprunts ou allusions provenant de dix-neuf des quarante-six chants de l’original.

Dix-sept personnages apparaissent dans plus d’une scène. Sur 39 scènes, Roger apparaît dans 8 ; Bradamante et Roland, 7 chacun ; Angélique, 6 ; Mélisse, Léon et Alcine, 4 chacun

On voit que le respect de l’unité de temps affiché dans l’Argument par Bissari est extrêmement artificiel ; l’unité de lieu, elle, ne fait pas partie des contraintes ; mais pour que les personnages puissent ainsi, en un jour, circuler entre les Pyrénées, l’Irlande, l’océan Atlantique, la lune, la Bulgarie et Paris (lieux supposés des épisodes selon l’Arioste), il est nécessaire qu’ils disposent de chevaux ailés ou autres super-pouvoirs.

L’œuvre a été reprise à Milan en 1658. Le livret imprimé à cette occasion ne diffère de celui de 1650 que par la dédicace et la mise en page ; mais le texte lui-même est absolument identique, jusque dans ses erreurs.

(*) par Alain Duc

 

Livret en français disponible sur livretsbaroques.fr

Livret original (1650)