CD Castor et Pollux (2003)

CASTOR ET POLLUX

(1754)

COMPOSITEUR

Jean-Philippe RAMEAU

LIBRETTISTE

Pierre Joseph Bernard

 

ORCHESTRE Aradia Ensemble (dir. Julie Wedman)
CHOEUR Choeur de l’Opera en Concert
DIRECTION Kevin Mallon

Castor Colin Ainsworth ténor
Pollux Joshua Hopkins baryton
Télaïre Monica Whicher soprano
Phébé, Hébé Meredith Hall soprano
Jupiter Giles Tomkins baryton-basse
Cléone, une Suivante d’Hébé, Une Ombre Renée Winick soprano
Le Grand-Prêtre Brian McMillan baryton
Mercure Joey Niceforo ténor
Soldat de Sparte Michael Lee ténor
Matthew Zadow baryton
Une Voix Lorelle Angelo soprano
Catherine Lippitt Erickson soprano

DATE D’ENREGISTREMENT 9 au 13 février 2003
LIEU D’ENREGISTREMENT Grace Church on the Hill – Toronto – Canada
ENREGISTREMENT EN CONCERT non

EDITEUR Naxos
COLLECTION Opera Classics
DATE DE PRODUCTION 2004
NOMBRE DE DISQUES 2
CATEGORIE DDD

 

 

Critique de cet enregistrement dans :

L’Avant-Scène – n° 221 – juillet/août 2004

« À la bonne heure! Rameau commence à voyager loin. La nouvelle version de Castor et Polira qui nous parvient de Toronto, enregistrée en concert ‘ avec quel soin ! ‘ étoffe une discographie encore trop maigre, eu égard à l’importance et à la beauté de cette tragédie lyrique. Avec un troisième enregistrement intégral, après ceux de Farncombe en 1982, et de Frisch en 1997, le remake de 1754 ‘ celui sur lequel la notoriété de l’oeuvre s’est établie tant en France qu’à l’étranger ‘ l’emporte désormais sur la version originelle de 1737, plus longue, plus complexe, plus allégorique aussi, telle que nous l’ont restituée Harnoncourt (1972) puis Christie (1993). On sait que les deux versions méritent de vivre l’une et l’autre tant elles sont différentes. Différence d’ordre musical mais surtout de signification. Dans le Castor de 1754, véritable hymne à l’amitié, l’humain l’emporte sur le divin, le sentiment sur la raison, celle, absolutiste, de l’ordre cosmique reconstruit. Rameau a resserré la trame de la partition. Il a supprimé le prologue, recomposé certains récitatifs, écourté plusieurs scènes, fusionné les actes III et IV. Les pertes causées par ce remaniement sont compensées par l’insertion de quelques morceaux de grande valeur, vocaux ou chorégraphiques. Le rééquilibrage de l’action, avec un premier acte entièrement nouveau, permet aux chanteurs de donner plus d’assise dramatique à leurs personnages. Si les rôles de Phéhé et de Jupiter sont abrégés, celui de Castor, au contraire, a été développé pour faire pendant au rôle de Pollux.

Kevin Mallon dirige sur l’édition de l’oeuvre qu’il a établie lui-même à partir de sources canadiennes, au prix de quelques coupures : l’ariette d’un Athlète à l’acte II, celle d’une Ombre à l’acte IV, le choeur « Que le ciel, la terre et l’onde », « l’air léger et gracieux » et deux gavottes à l’acte V. Mais nos regrets sont vite balayés par le dynamisme de l’interprétation qui, même si elle eût sans doute gagné à connaître l’épreuve de la scène, s’impose dès l’ouverture, menée rondement. Mallon, un émule de Christie, se distingue de lui par le refus de toute préciosité, mais l’égale par la décision du geste. L’Aradia Ensemble, une mécanique de haute précision qui sonne avec plénitude, répond à ce geste de façon impeccable. C’est à peine si l’on souhaiterait ça et là un peu plus de respiration dans le phrasé instrumental. Ainsi la superbe chaconne manque d’ampleur, comme d’ailleurs l’ensemble de l’acte V, dont le déroulement parait un peu précipité.

Sur le plan vocal, nous sommes comblés. Notons tout de suite ce qui fait le prix de cette nouvelle version de Castor : le travail effectué, sans affectation, sur l’accentuation de la parole chantée, travail d’autant plus remarquable qu’il a été mené par des interprètes anglophones. Si la Phébé de Meredith Hall a quelques problèmes d’articulation qui la rendent peu intelligible dès son monologue d’entrée, les autres protagonistes sont presque tous irréprochables. Ils conçoivent la déclamation comme une véritable plastique sonore. Monica Whicher est certainement la plus belle Télaïre qu’on puisse entendre au disque, malgré une rivale aussi notable que Jennifer Smith dans la version Farncombe. La voix a une beauté de timbre, une largeur de registre, une aisance à orner qui forcent l’admiration. Le sublime « Tristes apprêts » est un des grands moments de cet enregistrement. Personne n échappera à l’émotion intense dégagée par la progression qui mène au poignant ‘non’ de la reprise de l’air où la tension vocale cède, avec un ineffable pianissimo dans l’aigu, à l’héroïque refoulement des larmes. Ce style d’interprétation ‘ car c’est bien de style qu’il s’agit ‘ montre l’évolution positive qu’a subie depuis une vingtaine d’années la conception du format vocal requis pour l’opéra classique français. Le temps n’est plus où, dans ce même rôle de Télaïre, on exposait une excellente musicienne comme Agnès Mellon au risque de forcer ses limites vocales, sous prétexte que le chanter baroque ne devait en rien évoquer la tradition du « grand » soprano dramatique développé par le romantisme honni. Monica Whicher nous prouve, avec une exemplaire sobriété, que cette conception est révolue. Joshua Hopkins, en Pollux, partage avec elle le mérite de composer un personnage, de lui donner de la grandeur avec simplicité, sans inflexions mélodramatiques. Ce Pollux-là s’impose également comme étant le meilleur de la discographie, devant Philippe Huttenlocher et Jérôme Corréas. Son ‘Présent des dieux’ qui ouvre l’acte III est une invocation à l’amitié que la noblesse et la retenue de l’expression rendent inoubliable, passée aux couleurs d’un timbre sombre, vibrant et rond.

Reste Castor. Colin Ainsworth excelle dans le rôle, techniquement parlant. Mais il ne s’y implique pas d’une manière aussi complète que le font ses deux partenaires dans le leur. Dommage. C’est plutôt dans le récitatif ‘ le bouleversant ‘Quand j’ai pour cet adieu’ de l’acte I, par exemple ‘ qu’Ainsworth se départit de ce détachement trop marqué avec lequel il aborde le célèbre « Séjour de l’éternelle paix », pour ne rien dire du ‘Tendre amour’ final chanté sans intention, avec cette indifférence que donne la sûreté de la difficulté aisément vaincue, dans un registre haut perché qui exige autant d’éclat que de souplesse. Le chanteur, certes, les possèdent. Est-ce suffisant? Il serait injuste de ne pas mentionner l’appropriation des voix de Giles Tomkins à Jupiter, de Renée Winick à Cléone, de Brian MacMillan au Grand-Prêtre. Plus injuste encore de ne rien dire du choeur qui donne tant de relief et de puissance à l’acte des Enfers, et d’exquise transparence aux ombres dansantes des Champs Élysées. De ce point de vue aussi, cette interprétation surclasse les autres. Un choeur a-t-il jamais chanté Rameau de façon si juste et si somptueuse?

Cette nouvelle version de Castor et Polira possède donc, artistiquement, bien des atouts. Si elle ne surclasse pas celle, « histonique », de Farncombe, elle se place tout de suite après elle. Enfin, la modicité de son prix d’achat vaincra toutes les réticences. De ce Castor et Pollux tout fraichement arrivé d’outre-Atlantique, c’est sûr, on ne saurait se priver. »

Opéra International – avril 2004 – appréciation 2 / 5

« Castor et Pollux existe en deux états si différents qu’il est légitime de parler de deux oeuvres distinctes : la version première en 1737, et la révision fondamentale – livret et musique – en 1754 qui clôt la Querelle des Bouffons. C’est le second état qui est ici honoré. Que cet enregistrement est terne, pourtant, et sonne vieux comme il y a trente ans, au temps de l’English Bach Festival ! L’orchestre n’est jamais dynamique : aucun élan, rien ne bondit, pas plus l’ouverture que les danses, et les jeux entre instruments tombent à plat. Les timbres sont ordinaires, la conduite des voix est prosaïque et l’articulation des sons se tient dans un monotone et permanent moyen terme. On peine même à croire que l’écriture orchestrale de Rameau, ici placée sous un si lugubre éteignoir, est une des sources de l’orchestre moderne. Conduit par un chef un peu rayonnant et émulé par un tempérament théâtral, le plateau de solistes aurait révélé un autre visage. Les personnalités les plus intéressantes en sont le baryton Joshua Hopkins (Pollux), au timbre sonnant également dans toute sa tessiture et à la claire élocution, et la soprano Meredith Hall (Pheacute;bé), qui possède les atouts d’une honorable chanteuse ramiste. Monica Whicher (Télaïre) ne peut être rendue responsable d’un morphéique « Tristes apprêts » tant Kevin Mallon la plombe. Enfin, le ténor Colin Ainsworth (Castor) a la tessiture du rôle, mais absolument pas l’héroïsme requis tant son timbre est léger ; et le vibrato de Giles Tomkins est si incontrôlé qu’il ôte toute majesté à Jupiter. »

Diapason – avril 2004 – appréciation 3 / 5

« Un Castor nouveau n’est pas un Castor de trop. Surtout dans sa version finale, la plus animée, la plus courte et la moins sombre, qui n’eut à son chevet ni Harnoncourt ni Christie mais, combien surpassable ! le seul Farncombe (Erato 1982, oublions la prétendue  » version de chambre » hasardée ensuite par l’Ensemble XVIII-21). La compagnie Opera in Concert de Toronto montre un zèle estimable dans la restitution des tableaux ; certains solistes tiennent leur rang ; l’orchestre a des douceurs d’attaque à ravir quelquefois ; quant à la partition… Rien à blâmer, en somme. Rien à fêter non plus. Le plateau, correct en public, s’abîme en studio dans une langue vague. Le choeur défaille ; l’orchestre, chétif, ne connaît que l’aquarelle ; le chef tourne ses pages avec une monotonie de phrase et d’accent qui ferait passer la danse des Démons (IV) pour celle des Plaisirs (III). Surpassable, Farncombe, mais insurpassé. »